Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

assurance-emploi – prestations de paternité – Régime québécois d’assurance-parentale – législation provinciale – le prestataire a pris le maximum de semaines de prestations – la division générale a commise une erreur de droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement de l’assurance-emploi

Le prestataire a reçu des prestations de paternité du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pendant une période de 3 semaines. Il a par la suite reçu des prestations parentales pendant 25 semaines ainsi que des prestations d’assurance-maladie pendant 15 semaines. Le prestataire a par la suite fait deux demandes de prestations de proche aidants qui lui furent refusées par la Commission car la période de prestations du prestataire avait pris fin.

Le prestataire a fait appel à la division générale (DG). La DG a accueilli l’appel du prestataire. Elle a conclu que les prestations de paternité de la RQAP n’étaient pas identiques aux prestations du régime fédéral et donc l’article 76.19 du Règlement de l’assurance-emploi (Règlement) ne s’appliquait pas.

La Commission a fait appel de cette décision à la division d’appel (DA). Entre temps, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision (Ouimet, 2021 CAF 200) sur une question similaire à savoir si les prestations de paternité du RQAP constituent des « prestations du même genre » que les prestations de maternité et les prestations parentales offertes par le régime fédéral. Plus spécifiquement, à savoir si le paragraphe 76.19(1.1) du Règlement s’applique lorsqu’il prévoit qu’une période de prestations est « réputée établie au moment où la période de prestations a été établie en vertu de la loi provinciale ».

Suite à cette décision, la DA a accueilli l’appel et a statué que la DG avait commis une erreur de droit en interprétant l’expression « prestations du même genre ». La DA a conclu que l’article 76.19 du Règlement s’appliquait, que les semaines pendant lesquelles le prestataire avait reçu des prestations de paternité du RQAP devaient être incluses dans la détermination de la période de prestations et que le prestataire n’était pas admissible aux prestations de proche aidants parce que lorsque le prestataire en avait fait la demande, la période de prestations était terminée.

Contenu de la décision

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c EA, 2021 TSS 638

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Louise Laviolette
Partie intimée : E. A.
Représentante : Denis Poudrier

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 10 juillet 2019 (GE-19-982)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience :
Date de la décision : Le 03 novembre 2021
Numéro de dossier : AD-19-531

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimé (prestataire) a reçu trois semaines des prestations de paternité en vertu du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Par la suite, il a reçu 25 semaines des prestations parentales toujours en vertu de ce régime. Par la suite, le prestataire a présenté une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi pour maladie. Il a reçu quinze semaines des prestations d’assurance emploi pour maladie. Le prestataire a alors présenté deux demandes renouvelées de prestations d’assurance-emploi pour proche aidant.

[3] L’appelante (Commission) a refusé de verser des prestations d’assurance-emploi pour proche aidant parce que le prestataire avait reçu le maximum de semaines de prestation, soit 50 semaines. La période de prestations ne pouvant être prolongée, les demandes de prestations pour proche aidant ont été refusées.

[4] Selon la Commission, la période de prestations doit être établie à partir du 10 décembre 2017, et se terminer le 6 octobre 2018, date à laquelle le prestataire a reçu 50 semaines de prestations. Les trois semaines de prestations de paternité doivent être incluses dans le calcul de la période de prestations, puisqu’il s’agit de prestations semblables à celles des prestations parentales.

[5] Le prestataire a demandé la révision de cette décision. La Commission a cependant maintenu sa décision initiale. Le prestataire a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès de la division générale du Tribunal.

[6] La division générale a déterminé que les prestations de paternité du RQAP ne sont pas identiques aux prestations parentales d’assurance-emploi. Par conséquent, l’article 76.19 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE) ne s’applique pas. Le prestataire était donc admissible, sous réserve de la preuve médicale, à recevoir des prestations pour proche aidant.

[7] La Commission a obtenu la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE.

[8] Les parties ont acceptés de suspendre le présent dossier dans l’attente d’une décision de la Cour d’appel fédérale sur la même question de droit. Dans cette autre affaire, le prestataire a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel qui a conclu que les prestations de paternité de la RQAP sont des prestations du même genre que les prestations d’assurance-emploi au sens de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE.Note de bas page 1

[9] En date du 15 octobre 2021, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire.Note de bas page 2 La Cour a confirmé la décision de la division d’appel à l’effet que les prestations de paternité reçues dans le cadre du régime québécois sont du même genre que les prestations d’assurance-emploi offertes lors de la naissance d’un enfant.

[10] Dans les circonstances, les parties ne s’opposent pas à ce que je rende une décision sur la foi du dossier.

[11] Je dois décider si la division générale a commis une erreur en droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE.

[12] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[13] Est-ce que la division générale a commis une erreur en droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[14] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).Note de bas page 3

[15] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l'appel.

Est-ce que la division générale a commis une erreur en droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE?

[17] La Commission soutient que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE puisque l’article ne requière pas que les prestations soient identiques, mais seulement que les prestations soient du même genre. Elle soutient que selon l’article 76.19 du Règlement sur l’AE, les prestations de RQAP reçues par le prestataire sont l'équivalent des prestations parentales sous le régime d’assurance-emploi.

[18] La Commission soutient que la période de prestations du prestataire aurait dû être établie au 10 décembre 2017, et se terminer le 6 octobre 2018, date à laquelle le prestataire a reçu 50 semaines de prestations.

[19] La Commission soutient également que la division générale a erré en droit en ne procédant pas à analyser l’article 76.19 du Règlement sur l’AE dans le contexte de la loi et dans son ensemble, et parce qu’elle a accordé un rôle majeur et non complémentaire aux débats parlementaires.

[20] Le prestataire de son côté soutient que l’article 76.19 du Règlement sur l’AE ne s’applique pas dans son cas puisque les prestations qu’il a reçues sont des prestations de paternité et que ce type de prestations n’existait pas au régime d’assurance-emploi pendant la période pertinente. Les prestations de paternité de RQAP ne devraient donc pas être considéré comme des prestations du même genre au sens de l’article 76.19 du Règlement sur l’AE.

[21] Tel que souligné par la division générale, en matière de prestations dédiées à une famille ayant eu un enfant, le régime fédéral d’assurance-emploi offre deux types de prestations, soient les prestations de maternité pouvant être prises seulement par la mère naturelle de l’enfant né, ainsi que les prestations parentales, disponibles aux deux parents avec flexibilité de les séparer à leur convenance.

[22] Du côté du RQAP, le régime provincial offre également à une famille ayant eu un enfant de se prévaloir de prestations de maternité et de prestations parentales semblables à leur équivalent fédéral. Cependant, le régime provincial offre en plus une troisième catégorie de prestations, soient les prestations de paternité. Ces prestations sont dédiées exclusivement aux pères pour un total de 3 ou 5 semaines, suite à la naissance de l’enfant.

[23] La division générale a déterminé que les prestations de paternité du RQAP ne sont pas assimilables aux prestations parentales d’assurance-emploi puisqu’elle ne trouve pas leur équivalent dans le régime fédéral. Par conséquent, l’article 76.19 du Règlement sur l’AE ne s’applique pas et la Commission n’était pas justifiée de changer la date de la période de prestations du prestataire.

[24] La division générale a conclu qu’il n’avait pas lieu pour la Commission d’inclure les trois semaines de prestations de paternité du prestataire dans la période de prestations.

[25] Pendant l’instance, la Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans une autre affaire sur la même question en litige. La CAF a jugé que les mots « du même genre » ne signifient pas « identique », mais réfèrent plutôt à la ressemblance ou au partage de caractéristiques communes. La CAF a jugé que cette interprétation est non seulement conforme au sens ordinaire des mots et au contexte global du texte réglementaire dans lequel s’insère l’article 76.19 du Règlement sur l’AE, mais également à l’objet visé par le législateur. 

[26] La CAF n’a pas retenu l’argument que les prestations de paternité du Régime québécois ne sont pas des prestations du même genre que les prestations parentales du seul fait que les prestations de paternité n’existent pas sous le régime fédéral. La CAF a jugé que les prestations de paternité partagent indéniablement avec les prestations de maternité et les prestations parentales l’objectif de permettre aux parents de nouveaux nés (ou d’enfant adoptés) de s’absenter temporairement de leur travail pour s’occuper de leurs enfants.

[27] La CAF a conclu que les prestations de paternité reçues dans le cadre du régime québécois sont du même genre que les prestations d’assurance-emploi offertes par la loi fédérale lors de la naissance d’un enfant.

[28] En tenant compte des enseignements de la CAF, je suis d’avis que la division générale a commis une erreur en droit dans son interprétation de l’article 76.19 de la Loi sur l’AE.

[29] Il y a donc lieu pour moi d’intervenir.

Remède

[30] Puisque le prestataire a eu l’opportunité de présenter son dossier devant la division générale, et que le présent appel soulève essentiellement une question d’interprétation de la loi, je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.Note de bas page 4

[31] La période de prestations du prestataire est établie au 10 décembre 2017, et se termine le 6 octobre 2018, date à laquelle le prestataire a reçu 50 semaines de prestations. Les trois semaines de prestations de paternité versées sous le RQAP doivent être incluses dans le calcul des prestations payées dans la période de prestations, puisque les prestations de paternité reçues dans le cadre du régime québécois sont du même genre que les prestations d’assurance-emploi offertes par la loi fédérale lors de la naissance d’un enfant.

[32] Par conséquent, le prestataire n’est pas admissible à recevoir des prestations pour proche aidant parce qu’au moment où il en a fait la demande, la période de prestations avait pris fin, puisqu’il avait été payé 50 semaines de prestations.

Conclusion

[33] L’appel est accueilli.

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