Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c MC, 2021 TSS 597

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Angèle Fricker
Partie intimée : M. C.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 31 mai 2021 (numéro de dossier du Tribunal : GE-21-771)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 août 2021
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée

Date de la décision : Le 20 octobre 2021
Numéro de dossier : AD-21-190

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire a choisi les prestations parentales prolongées. Son choix était irrévocable.

Aperçu

[2] Il s’agit d’un appel déposé par l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, pour contester la décision de la division générale. Celle-ci a conclu que l’intimée, M. C. (prestataire), avait choisi de recevoir les prestations parentales standards de l’assurance-emploi. La prestataire avait cependant choisi les prestations parentales prolongées dans son formulaire de demande et demandé 52 semaines de prestations.

[3] La Commission soutient que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait en permettant à la prestataire de modifier son choix pour obtenir les prestations parentales standards. La Commission maintient que la prestataire a clairement choisi les prestations parentales prolongées.

[4] La Commission demande à la division d’appel d’accueillir l’appel et de rendre la décision que, selon elle, la division générale aurait dû rendre. La Commission fait valoir que la division générale aurait dû décider i) que la prestataire a choisi de recevoir les prestations parentales prolongées et ii) que son choix était irrévocable.

[5] La prestataire demande à la division d’appel de rejeter l’appel. Elle affirme avoir toujours voulu prendre seulement un an de congé et que c’est ce qui est clairement indiqué dans son formulaire de demande. Elle explique qu’elle a toujours voulu les prestations parentales standards, mais qu’elle a trouvé le formulaire de demande déroutant. Elle a mal rempli le formulaire en raison de la confusionNote de bas page 1.

[6] Je dois décider si la division générale a commis une erreur de droit ou de fait. Je juge que la division générale a négligé plusieurs faits importants. Je dois donc également déterminer la réparation appropriée. Je juge qu’il est approprié de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir que la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées et que son choix était irrévocable.

Question en litige

[7] La Commission soulève plusieurs arguments, mais je vais me concentrer sur la question de savoir si la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait. En particulier, je me pencherai sur la question de savoir si la division générale a fondé sa décision sur l’erreur de fait selon laquelle le formulaire de demande a induit la prestataire en erreur et lui a fait faire le mauvais choix entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées.

Analyse

[8] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si elles contiennent des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas page 2. La division d’appel n’a aucunement le pouvoir de réévaluer la preuve ou d’instruire l’affaire à nouveau.

Contexte

[9] Le 20 juillet 2020, la prestataire a demandé des prestations parentales et des prestations de maternité de l’assurance-emploi. Lorsqu’elle a rempli le formulaire de demande, elle a écrit qu’elle voulait recevoir les prestations parentales immédiatement après les prestations de maternitéNote de bas page 3.

[10] Il y a deux types de prestations parentales :

  • les prestations parentales standards – le taux des prestations s’élève à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable des prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 35 semaines;
  • les prestations parentales prolongées – le taux des prestations s’élève à 33 % de la rémunération hebdomadaire assurable des prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 61 semaines.

[11] Le dernier jour de travail de la prestataire était le 10 juillet 2020. Son retour au travail était prévu un an plus tard, soit le 12 juillet 2021Note de bas page 4. Elle voulait recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant un an.

Processus de demande

[12] Au départ, la prestataire a choisi les prestations parentales standardsNote de bas page 5.

[13] En réponse à la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? », la prestataire a choisi le chiffre 52 dans le menu déroulantNote de bas page 6. Elle pensait devoir choisir 52 semaines pour s’assurer d’avoir des prestations pendant un an.

[14] La prestataire a constaté qu’elle pourrait recevoir les prestations standards pendant tout au plus 35 semaines, alors elle a changé son choix initial et a sélectionné les prestations parentales prolongées au lieu des prestations standards.

[15] Elle ne s’est pas rendu compte que la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » visait uniquement les prestations parentales et excluait les prestations de maternité.

[16] Autrement dit, si la prestataire avait demandé 35 semaines de prestations, elle aurait eu 35 semaines de prestations parentales en plus des 15 semaines de prestations de maternité. Ainsi, elle aurait pu choisir les prestations parentales standards, puisqu’elle aurait reçu des prestations pendant un an.

[17] La prestataire a essayé de communiquer avec la Commission, mais elle n’a pas pu parler à qui que ce soit parce que les lignes téléphoniques étaient occupées. Elle a rempli le formulaire comme elle le pouvait. Elle s’est assurée que le formulaire de demande indiquait clairement qu’elle retournerait au travail dans un an. Elle espérait qu’une personne communiquerait avec elle si elle avait mal rempli le formulaire.

Après le premier versement de prestations parentales

[18] La prestataire a commencé à toucher des prestations parentales en novembre 2020. Elle a remarqué que leur montant était beaucoup plus faible que ce à quoi elle s’attendait.

[19] Selon les notes du registre téléphonique de la Commission, la prestataire a téléphoné à la Commission le 15 avril 2021 pour faire modifier son choix de prestations parentales et passer de l’option prolongée à l’option standard. Elle a expliqué qu’elle avait fait une erreur dans son formulaire de demandeNote de bas page 7. La prestataire affirme qu’au départ, le personnel de la Commission lui a confirmé qu’elle devrait pouvoir modifier son choix.

[20] Toutefois, lors d’une autre conversation téléphonique qui a eu lieu le 20 avril 2021, la Commission lui a expliqué qu’elle ne pouvait pas modifier son choix parce qu’elle recevait déjà des prestations parentalesNote de bas page 8. La Commission a expliqué qu’elle aurait pu modifier le choix de la prestataire avant qu’elle reçoive le premier versement de prestations parentales.

Étape de la révision

[21] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision. Elle a reconnu avoir mal compris le formulaire et l’avoir mal rempli. Elle a expliqué qu’elle voulait recevoir les prestations parentales standards puisqu’elle prenait seulement une année de congéNote de bas page 9.

[22] La prestataire a dit à la Commission qu’elle avait remarqué un changement dans le taux des prestations en novembre 2020. Elle a donc essayé de communiquer avec la Commission, mais elle a été incapable de joindre qui que ce soit. Elle a déduit qu’il devait y avoir une erreur du côté de la Commission et que cela expliquait le changement de taux.

[23] La Commission a maintenu sa décision à l’issue de la révisionNote de bas page 10. La prestataire a fait appel à la division généraleNote de bas page 11. Elle a expliqué qu’elle avait toujours voulu les prestations parentales standards, mais qu’elle avait choisi par erreur les prestations parentales prolongées.

Preuve présentée par la prestataire à la division générale

[24] À l’audience de la division générale, la prestataire a déclaré avoir lu la partie du formulaire de demande qui explique la différence entre les prestations de maternité et les prestations parentales. Au début, elle a choisi l’option standard pour les prestations parentales. Mais quand est venu le temps de sélectionner le nombre de semaines qu’elle voulait demander, elle a commencé à se demander si elle aurait suffisamment de semaines de prestations pour couvrir tout son congé.

[25] La prestataire a déclaré qu’elle avait [traduction] « totalement oublié que les prestations de maternité et les prestations parentales étaient séparéesNote de bas page 12 ». Elle a fini par choisir l’option prolongée. Elle a aussi tenté de communiquer avec la Commission pour vérifier si elle choisissait la bonne option. Cependant, elle n’a pas pu joindre personne. Par conséquent, elle a présenté sa demande quand même, en espérant qu’une personne de la Commission communiquerait avec elle.

[26] La prestataire a déclaré que c’était [traduction] « vraiment une erreur – [elle] aurait dû choisir l’option standard et non prolongéeNote de bas page 13 ». Elle a dit qu’elle [traduction] « aurait dû lire cette partie… Je ne l’ai pas lueNote de bas page 14. » La membre de la division générale n’a pas demandé à la prestataire ce dont elle parlait lorsqu’elle a dit qu’elle n’avait pas lu « cette partie ».

[27] Durant son témoignage, la prestataire a expliqué qu’elle croyait que si elle avait pris son temps et avait eu de l’aide avec son bébé et son bout de chou, elle aurait probablement rempli le formulaire de demande comme il fautNote de bas page 15.

[28] La prestataire a également déclaré qu’elle n’avait pas remarqué la phrase dans le formulaire de demande qui précise qu’une fois que des prestations parentales sont versées, le choix entre les prestations parentales standards et prolongées devient irrévocable. Elle a expliqué qu’elle avait un bébé qui hurlait et qu’elle voulait juste présenter sa demande pour recevoir des prestationsNote de bas page 16.

Décision de la division générale

[29] La division générale a fait remarquer qu’au titre de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi, les prestataires ne peuvent pas modifier leur choix de prestations parentales dès que des prestations parentales sont versées.

[30] Toutefois, dans la présente affaire, la division générale a conclu qu’elle ne modifiait pas le choix de la prestataire. Elle décidait plutôt de ce que la prestataire voulait sélectionner ou avait l’intention de sélectionner dans le formulaire. La division générale a considéré que l’intention de la prestataire équivalait à un choix. Dans la présente affaire, la prestataire avait l’intention de recevoir des prestations pendant un an.

[31] La division générale a admis que la prestataire croyait à tort qu’elle devait choisir l’option prolongée et demander 52 semaines de prestations pour couvrir l’année où elle prévoyait s’absenter du travail. La division générale a conclu que, comme la prestataire prévoyait s’absenter du travail pendant un an, elle avait probablement l’intention de choisir une année de prestations de maternité et de prestations parentales combinées. Pour ce faire, il aurait fallu que la prestataire choisisse l’option standard.

[32] La division générale a conclu ceci : « Il faut plutôt remettre l’appelante dans une position conforme à son véritable choix, soit celui de recevoir les prestations parentales standardsNote de bas page 17. »

Appel de la Commission à la division d’appel

[33] La Commission soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs, que voici :

  • La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait, soit que le formulaire de demande prêtait à confusion et avait induit la prestataire en erreur de sorte qu’elle a fait un choix contraire à ses intentions.
  • Elle n’a pas analysé la preuve de façon pertinente.
  • Elle n’a pas appliqué l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a outrepassé sa compétence en déterminant a) l’option que la prestataire avait choisie et b) la validité de son choix.

La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une erreur de fait, soit que le formulaire de demande prêtait à confusion et avait induit la prestataire en erreur?

[34] Selon la Commission, la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait, à savoir que le formulaire de demande prêtait à confusion et qu’il a induit la prestataire en erreur de sorte qu’elle a fait un choix contraire à ses intentions.

[35] La prestataire a déclaré qu’elle s’attendait à prendre un congé d’un an et qu’elle voulait recevoir des prestations durant toute cette période. Alors, quand elle a lu la question : « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? », elle croyait devoir demander 52 semaines de prestations. Elle a mal compris le formulaire de demandeNote de bas page 18. Par conséquent, elle croyait devoir sélectionner l’option prolongée au lieu de l’option standard.

[36] La division générale a admis que les 52 semaines demandées par la prestataire traduisaient sa véritable intention de choisir les prestations parentales standards parce qu’aux yeux de la prestataire, les 52 semaines équivalaient à une année de prestations de maternité et de prestations parentales combinées. La division générale a conclu que la prestataire ignorait qu’elle recevrait des prestations parentales pendant le nombre de semaines demandé en plus d’obtenir 15 semaines de prestations de maternité.

[37] La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas compris la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » parce qu’elle ne comprenait pas que les prestations de maternité et les prestations parentales sont différentesNote de bas page 19. La division générale a fait remarquer que la prestataire avait dit que c’était une « erreur humaineNote de bas page 20 ».

[38] La Commission soutient que la division générale a laissé entendre que la prestataire ne comprenait pas le régime de prestations d’assurance-emploi en raison du formulaire de demande en tant que tel. En d’autres termes, la Commission soutient que la division générale a jugé le formulaire de demande déroutant et trompeur. La Commission fait valoir que les conclusions de la division générale ne tiennent pas compte de la preuve.

[39] La Commission soutient que le formulaire de demande explique les différences entre les prestations de maternité et les prestations parentales à deux endroits :

  1. Sous la rubrique « Type de prestations », on demande aux prestataires le type de prestations voulu. Parmi les options, il y a les prestations régulières, les prestations de pêcheur, les prestations de maladie, les prestations de maternité, les prestations parentales, les prestations de compassion et les prestations pour proches aidants. Le formulaire présente chaque option séparémentNote de bas page 21.

    Sous l’option des prestations de maternité, il est expliqué que ces prestations sont versées aux personnes enceintes ou qui ont récemment accouché. Le formulaire explique aussi que l’option maternité permet également aux prestataires de recevoir les prestations de maternité suivies des prestations parentales.

    Sous l’option des prestations parentales, il est expliqué que les prestations sont pour les personnes qui s’occupent d’un nouveau-né ou d’un enfant nouvellement adopté.
  2. Sous la rubrique « Renseignements sur la maternité », on demande aux personnes si elles veulent recevoir des prestations parentales immédiatement après les prestations de maternité. Il y a deux options. La personne peut préciser qu’elle désire recevoir des prestations parentales immédiatement après les prestations de maternité ou qu’elle veut seulement obtenir jusqu’à 15 semaines de prestations de maternitéNote de bas page 22.

[40] Pourtant, il semble que la prestataire savait que les prestations de maternité et les prestations parentales sont différentes. Elle a déclaré qu’à un moment donné, elle a [traduction] « totalement oublié [que les deux prestations sont différentesNote de bas page 23] ».

[41] La prestataire n’a pas expliqué comment elle en est arrivée à comprendre que la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » portait sur le nombre total de semaines pendant lesquelles elle voulait recevoir des prestations.

[42] La question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » se trouve sous la rubrique « Information parentale », de sorte qu’on peut soutenir que les prestataires devraient savoir que la question vise uniquement les prestations parentales.

[43] D’un autre côté, on pourrait soutenir que, comme la rubrique ne mentionne pas les prestations, les prestataires ne savent pas nécessairement que la question porte seulement sur les prestations parentales.

[44] De plus, la question n’est pas précise. Elle ne mentionne pas explicitement le type de prestations qui est demandé. Autrement dit, la question n’est pas formulée ainsi : « Combien de semaines de prestations parentales désirez-vous recevoir? »

[45] Même si la question manque de précision et qu’il serait possible de soutenir que la rubrique est peu utile, ces deux points ne tiennent pas compte du fait que le formulaire de demande propose des options pour répondre à la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? ». Les options apparaissent dans un menu déroulant. L’une d’elles offre jusqu’à 61 semaines.

[46] Comme les options vont jusqu’à 61 semaines, les prestataires devraient se rendre compte que la question vise uniquement les prestations parentales. Après tout, le chiffre 61 correspond au nombre maximal de semaines de prestations parentales qui sont payables à un parent.

[47] La prestataire n’a déposé aucun élément de preuve montrant qu’elle a examiné attentivement les options du menu déroulant.

[48] Il n’est pas raisonnable que les prestataires se fient uniquement à la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » pour orienter leur choix de prestations parentales. Il n’est pas non plus raisonnable de dire que la question est la source de la confusion et des faux renseignements qui ont entraîné le choix des prestations parentales prolongées.

[49] Il est déraisonnable de regarder la question séparément, sans tenir compte des options de réponses à la question ni des autres renseignements figurant dans le formulaire de demande.

[50] La prestataire a peut-être réfléchi aux renseignements sur les prestations parentales standards et prolongées lorsqu’elle a répondu à la question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? ». Le formulaire de demande précise le nombre de semaines offert selon chaque type de prestations parentales. Avec l’option standard, les prestataires peuvent toucher des prestations parentales pendant un maximum de 35 semaines. De ce fait, la prestataire a peut-être compris qu’elle serait limitée à 35 semaines de prestations. Il se peut donc qu’elle ait choisi les prestations parentales prolongées parce qu’elle croyait que 35 semaines de prestations parentales standards étaient insuffisantes pour prendre un an de congé.

[51] Mais encore une fois, elle aurait alors ignoré les autres renseignements fournis dans le formulaire de demande. Celui-ci montrait clairement que les prestations de maternité sont différentes des prestations parentales. Cela est évident sous la rubrique « Type de prestations », où les prestataires doivent préciser le type de prestations demandé.

[52] En fait, la prestataire a plutôt laissé entendre qu’elle avait mal lu le formulaire de demande parce qu’elle était distraite. Elle a écrit qu’avoir [traduction] « un bébé qui hurle et qui ne dort pas et un bout de chou de mauvaise humeur n’a pas aidéNote de bas page 24. » Elle a également produit ces éléments de preuve à l’audience de la division générale. Elle a déclaré que [traduction] « le bébé criait très fort. C’est tout ce dont je me souviens. Alors, j’ai juste envoyé [la demande] parce qu’il fallait que j’obtienne l’argent… Il fallait juste que je le fasseNote de bas page 25. » Son témoignage semble indiquer qu’elle n’a pas lu le formulaire de demande attentivement.

[53] La division générale a ignoré tous ces éléments de preuve, même s’ils pouvaient permettre d’expliquer comment l’erreur de la prestataire est survenue. Il était important d’examiner ces éléments. Après tout, si la prestataire ne comprenait pas les différences entre les deux types de prestations parentales, ces éléments auraient pu servir à décider si elle a fait un choix délibéré entre les deux types de prestations parentales.

[54] Comme j’ai constaté que la division générale a commis une erreur, je n’ai pas à examiner les autres arguments de la Commission.

Réparation

[55] Comment puis-je réparer l’erreur de la division générale? Deux options s’offrent à moiNote de bas page 26. Je peux remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. Si je choisis la première option, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas page 27.

[56] Dans la présente affaire, il convient de remplacer la décision de la division générale par ma propre décision. Les faits ne sont pas contestés et la preuve au dossier est suffisante pour me permettre de rendre une décision. Aucune des parties n’allègue que la procédure de la division générale a été inéquitable ni que la division générale ne lui a pas donné une occasion raisonnable de présenter ses arguments.

Arguments des parties

[57] La Commission me recommande fortement de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Selon elle, la division générale aurait dû conclure que la prestataire a choisi de recevoir les prestations parentales prolongées et que son choix est irrévocable.

[58] La prestataire soutient que, même si la division générale a commis une erreur de fait, cela ne change pas l’issue de l’affaire, car la preuve montre clairement qu’elle a toujours voulu s’absenter du travail pendant seulement un an. Elle a juste commis une erreur de bonne foi en remplissant le formulaire et en demandant des prestations prolongées. Elle a essayé d’obtenir de l’aide pour remplir le formulaire, mais les lignes téléphoniques étaient occupées.

Renseignements contradictoires dans le formulaire de demande de la prestataire

[59] La prestataire a fourni des renseignements contradictoires dans le formulaire de demande. Elle a déclaré qu’elle retournerait au travail un an plus tard. Pourtant, du même coup, elle a demandé que les prestations lui soient versées pendant plus d’un an en demandant 52 semaines de prestations parentales.

[60] Lorsque la prestataire retournera au travail après un an, ses prestations prendront fin. Elle recevra des prestations parentales pendant son année de congé, mais leur taux hebdomadaire sera plus faible parce qu’elle a choisi l’option prolongée au lieu de l’option standard. Elle a choisi les prestations parentales prolongées parce qu’elle pensait que cela lui permettrait d’obtenir des prestations pendant un an. Elle ne s’est pas rendu compte que 35 semaines de prestations parentales standards lui auraient aussi permis de toucher des prestations pendant un an, car elles étaient combinées aux 15 semaines de prestations de maternité.

[61] La prestataire espérait qu’en cas d’erreur dans le formulaire de demande, une personne de la Commission communiquerait avec elle pour l’aider à corriger son formulaire. Malheureusement pour la prestataire, cela ne s’est pas produit.

Responsabilités de la prestataire

[62] Comme la Cour fédérale l’a confirmé dans la décision Karval : « Il incombe fondamentalement au prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questionsNote de bas page 28. »

[63] La conséquence de ce principe fondamental doit être qu’essentiellement, les prestataires ont la responsabilité non seulement de lire attentivement et d’essayer de comprendre les options qui leur sont offertes, mais aussi de remplir avec soin et exactitude le formulaire de demande.

[64] Les faits de la présente affaire ne présentent aucun fondement juridique qui permettrait de dégager la prestataire de ces responsabilités fondamentales. La prestataire a fourni des renseignements contradictoires qui ne reflétaient pas ce qu’elle voulait vraiment, mais c’est parce qu’elle n’a pas pris le temps de d’abord lire attentivement le formulaire de demande. Comme elle l’a déclaré à l’audience de la division générale, si elle avait pris le temps de bien lire le formulaire et si elle avait eu de l’aide pour s’occuper de son bébé et de ses bouts de chou, elle aurait probablement rempli le formulaire correctementNote de bas page 29.

[65] Les faits entourant l’affaire de Mme Karval sont très différents de ceux de la prestataire. Mais, tout comme Mme Karval, si la prestataire avait lu attentivement le formulaire de demande, elle aurait compris que cliquer sur l’option prolongée voulait dire que les prestations seraient versées à un taux plus faible que si elle cliquait sur l’option standard. Elle aurait aussi compris qu’après le premier versement de prestations parentales, elle ne pouvait plus modifier son choix.

Prestations parentales choisies par la prestataire

[66] La prestataire voulait recevoir des prestations pendant un an. Les prestations parentales standards auraient été l’option la plus favorable pour elle parce qu’elles lui permettaient de recevoir des prestations à un taux hebdomadaire plus élevé durant une année (combinées aux 15 semaines de prestations de maternité).

[67] La prestataire cite de nombreuses décisions dont les faits sont semblables à son affaire. Dans chacune de ces causes, les prestataires ont sélectionné les prestations parentales prolongées dans leur formulaire de demande. Ces personnes ont essayé de changer leur choix et d’obtenir des prestations parentales standards après avoir commencé à recevoir des prestations parentalesNote de bas page 30. Dans les décisions JBNote de bas page 31et SKNote de bas page 32, la division générale a décidé que les prestataires devaient avoir choisi les prestations parentales standards, car ce choix correspondait à leurs intentions. Dans la décision VVNote de bas page 33, la division d’appel a annulé le choix de la prestataire et lui a permis de faire un nouveau choix. Selon la prestataire, je devrais suivre ces décisions.

  • Dans la décision VV, la division d’appel a conclu que le processus de demande a induit la prestataire en erreur. La division d’appel a conclu que la prestataire ne devait pas subir un préjudice en raison de sa sélection initiale alors que son choix était fondé sur une interprétation raisonnable de l’information et des instructions. La division d’appel a conclu que le fait que la prestataire ait compris que les prestations parentales prolongées étaient la seule option lui permettant de recevoir des prestations pendant un total de plus de 35 semaines était raisonnable. La division d’appel a conclu que la demande était imprécise, incomplète et ambiguë. Par conséquent, elle a conclu que la prestataire n’aurait pas pu faire un choix valide. La division d’appel a annulé le choix et autorisé la prestataire à faire un nouveau choix.
  • Dans la décision JB, la prestataire prévoyait s’absenter du travail pendant seulement un an. Elle a choisi les prestations parentales prolongées parce qu’elle pensait que c’était la seule option qui lui permettait de recevoir des prestations durant un an. Elle ignorait qu’il y avait une différence entre les prestations parentales standards et prolongées. La division générale a conclu que la prestataire avait du mal à démêler les renseignements figurant dans le formulaire de demande. La division générale a conclu qu’il était plus probable qu’improbable (il y avait plus de chances) que la prestataire avait l’intention, et par conséquent avait choisi, de recevoir les prestations parentales standards.
  • Dans la décision LV, la division générale a conclu que la prestataire n’avait pas fait un choix éclairé lorsqu’elle a sélectionné les prestations parentales prolongées, car elle avait reçu un avis erroné de la part de la CommissionNote de bas page 34.
  • Dans la décision SK, la prestataire prévoyait retourner au travail après un an. Elle a choisi par erreur les prestations prolongées parce qu’elle pensait que c’était la seule option qui lui permettrait d’obtenir des prestations pendant un an. La division générale a décidé qu’il était plus probable qu’improbable (il y avait plus de chances) que la prestataire avait choisi les prestations parentales standards parce qu’elle avait toujours eu l’intention de retourner travailler après un congé d’un an.

[68] La division générale et la division d’appel ont rendu de nombreuses décisions sur la question des prestations parentales. Bon nombre de membres ont essentiellement décidé qu’il fallait tenir compte de tous les éléments de preuve pour déterminer les véritables intentions des prestataires. Une telle approche a amené les membres à regarder au-delà de l’option cochée par les prestataires dans leur formulaire de demande de prestations parentales.

[69] Cette approche présente un certain attrait. Mais sa faiblesse sous-jacente est que, lorsqu’on examine ce que les prestataires voulaient obtenir au départ, on se penche sur leur désir d’avoir un certain nombre de semaines de prestations et on exclut le taux de prestations. Pourtant, il est impossible de dissocier le taux des prestations du choix d’une option de prestations parentales. Le choix d’un type de prestations parentales permet de recevoir des prestations pendant un certain nombre maximal de semaines, mais un taux de prestations y est aussi associé. Je fais respectueusement remarquer que cette considération est absente des analyses figurant dans les décisions mentionnées plus haut.

[70] Dans chacune des décisions, les membres ont admis que les prestataires voulaient recevoir des prestations pendant un an, mais aucune preuve n’abordait la question du taux de prestations que chaque prestataire pensait recevoir. Une autre question n’a pas non plus été examinée : celle de savoir si l’option standard aurait été plus bénéfique pour les prestataires malgré leur fausse croyance que les prestations de maternité et les prestations parentales étaient la même choseNote de bas page 35.

[71] Même si une personne peut s’attendre à recevoir des prestations pour le nombre de semaines demandé, elle devrait également s’attendre à recevoir des prestations au taux qui correspond à l’option qu’elle a choisie. Le formulaire de demande indique clairement que les prestations parentales standards sont versées à un taux hebdomadaire beaucoup plus élevé que les prestations parentales prolongées. Mais rien de tout cela n’a été examiné par la division générale lorsqu’elle a évalué les intentions des prestataires au moment de remplir le formulaire de demande.

[72] En termes plus simples, si une personne croyait recevoir des prestations pour toute la durée de son congé au taux des prestations parentales, elle recevrait quand même moins d’argent en choisissant le taux de l’option prolongée (33 %) pour 52 semaines au lieu du taux de l’option standard (55 %) pour 35 semaines.

[73] Je ne suis pas obligée de suivre les quatre décisions citées plus haut. Pour les raisons que je viens d’exposer, c’est avec respect que je refuse de les suivre. Fait plus important encore, elles ont été rendues avant la décision Karval.

Affaire Karval

[74] Dans la décision Karval, la Cour fédérale a établi clairement qu’un formulaire de demande imprécis, incomplet ou ambigu ne suffit pas à invalider un choix. Après tout, « bon nombre de programmes de prestations gouvernementales sont complexes et assortis de conditions d’admissibilité strictes. Il est presque toujours possible, après coup, de conclure qu’il aurait fallu donner plus d’information, recourir à un langage plus clair et fournir de meilleures explicationsNote de bas page 36. »

[75] La Cour n’a pas écarté la possibilité d’un recours judiciaire. Un recours serait possible « [s]i un prestataire est réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronésNote de bas page 37 ». Toutefois, aucun recours n’est possible quand la personne « ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguësNote de bas page 38 » (je souligne).

[76] La prestataire ne laisse pas entendre que le formulaire de demande était trompeur. Elle semble plutôt indiquer qu’il était ambigu. Je conviens que le formulaire aurait pu fournir plus de renseignements ainsi que des explications mieux formulées et plus complètes. Mais cela ne veut pas dire que le formulaire était ambigu ou si vague que cela justifie l’annulation du choix.

[77] La question « Choisissez sous quelle option vous demandez des prestations parentales » n’était pas ambiguë. La question présentait deux options à la prestataire : l’option standard ou l’option prolongée. Le formulaire de demande contenait des renseignements clairs sur les différences entre les deux options.

[78] La question « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » aurait pu être plus explicite, mais pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut, cela ne veut pas dire qu’elle est ambiguë. Si la prestataire avait examiné attentivement les options du menu déroulant, elle aurait su ou aurait dû savoir que la question portait sur les prestations parentales.

[79] En effet, la Cour a conclu qu’il « n’y a rien non plus de très confus dans la demande remplie par Mme KarvalNote de bas page 39 ». D’après ce que je peux voir, la prestataire a rempli le même formulaire de demande que Mme Karval.

Diligence raisonnable dont les prestataires doivent faire preuve

[80] La Cour a aussi affirmé que Mme Karval aurait dû poser les questions nécessaires si elle avait des doutes ou trouvait le formulaire de demande déroutant. Autrement dit, la Cour a confirmé que les prestataires doivent faire preuve de diligence raisonnable et effectuer les vérifications appropriées.

[81] Pour ce qui est de la prestataire, elle a essayé de communiquer avec la Commission, mais les lignes téléphoniques étaient toujours occupées. Par conséquent, elle a tout simplement présenté sa demande en ligne. Elle n’a fait aucune autre démarche pour essayer de comprendre le programme de prestations ou pour vérifier si elle avait rempli le formulaire de demande de la bonne façon.

[82] Même si la prestataire avait hâte de s’assurer qu’elle recevrait des prestations le plus tôt possible, elle avait quand même la possibilité d’essayer de téléphoner à la Commission. Le formulaire de demande mentionnait clairement que, [traduction] « une fois que des prestations parentales ont été versées dans le cadre d’une demande, le choix entre les prestations parentales standards et prolongées est irrévocableNote de bas page 40. » La prestataire avait donc jusqu’au premier versement de prestations parentales pour continuer à essayer de joindre la Commission et faire changer son choix. Ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a attendu trop longtemps pour communiquer avec la Commission et faire changer son choix.

Résumé

[83] La preuve montre que la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées dans son formulaire de demande. Elle reconnaît ne pas avoir lu le formulaire attentivement et avoir fait une « erreur humaine ». Cependant, selon la décision Karval, il ne s’agit pas d’un fondement sur lequel elle peut appuyer un recours juridique.

Conclusion

[84] L’appel est accueilli. La prestataire a choisi les prestations parentales prolongées. Son choix était irrévocable.

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