Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 670

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : L. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada datée du 22 octobre 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Nathalie Léger
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er septembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Traducteur
Date de la décision : Le 18 septembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-1098

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] De février à juillet 2016, la prestataire a perçu des prestations de maternité et des prestations parentales. Elle a reçu le nombre maximal de semaines auquel elle avait droit. Quelques années plus tard, la Commission lui a demandé de fournir davantage d’informations sur son emploi dans le cadre d’une longue enquête relative aux relevés d’emploi émis par son employeur.

[3] La Commission a conclu qu’elle ne travaillait pas pour l’employeur qui avait émis son relevé d’emploi et a donc rejeté le relevé d’emploi fourni par cet employeur comme étant faux. Puisque la prestataire n’était alors plus en mesure de s’appuyer sur cette information pour justifier sa demande de prestations, la Commission a annulé rétroactivement sa période de prestations. Cela a donné lieu à un versement excédentaire. Elle a également émis un avertissement à la prestataire parce qu’elle a établi que la prestataire avait sciemment fourni des renseignements faux ou trompeurs lorsqu’elle a fourni ce relevé d’emploi.

Question que je dois examiner en premier

[4] Une première audience a eu lieu le 14 janvier 2021. Elle s’est tenue par téléconférence et un traducteur était présent pour s’assurer que la prestataire pouvait s’exprimer clairement devant le Tribunal. Une première décision a été rendue le 18 janvier 2021. Le Tribunal a conclu que la Commission a correctement annulé la période de prestations et a correctement émis un avertissement.

[5] La prestataire a fait appel de la décision au motif que le traducteur n’avait pas traduit correctement certaines parties de son témoignage. Elle a affirmé que cela aurait pu avoir une influence sur la façon dont son témoignage et sa crédibilité ont été perçus par le Tribunal, entraînant ainsi une violation de la justice naturelle.

[6] L’appel a été accueilli par la division d’appel et le dossier a été renvoyé à la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience, à condition qu’un traducteur différent soit présent lors de la seconde audience.

[7] J’ai donc tenu une deuxième audience le 1er septembre 2021, également par téléconférence. Un traducteur différent était présent et un nouveau témoin a été entendu. Le nouveau témoin est le directeur adjoint, qui a également été interrogé par l’enquêteur. Lors de l’audience, la prestataire n’a pas été représentée par un avocat.

[8] Pour rendre ma décision, j’ai examiné tous les documents écrits soumis par la Commission et la prestataire et je m’appuie sur les témoignages de la prestataire et de son témoin entendus lors de cette deuxième audience.

Questions en litige

[9] Deux questions doivent être tranchées :

  1. a) La Commission a-t-elle eu raison d’annuler la période de prestations de la prestataire?
  2. b) La Commission a-t-elle eu raison d’émettre un avertissement? Pour cela, je dois décider si :
    1. la prestataire a fait une déclaration fausse ou trompeuse et dans l’affirmative, si elle l’a fait sciemment;
    2. la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

Analyse

[10] Pour qu’une partie prestataire puisse recevoir des prestations, elle doit être en mesure de prouver qu’elle remplit les conditions requises pour recevoir ces prestationsNote de bas de page 1. La Commission dispose de 36 mois pour demander à la partie prestataire des éléments de preuve supplémentaires concernant sa demande de prestationsNote de bas de page 2. Lorsque la Commission est d’avis qu’une déclaration fausse ou trompeuse a été faite en rapport avec cette demande de prestations, elle dispose de 72 mois pour réexaminer la demandeNote de bas de page 3.

[11] Dans la présente affaire, la demande de prestations a été faite en juillet 2016. En octobre 2018, la division des fraudes majeures a mené une enquête sur de nombreux relevés d’emploi émis par l’employeur. Les représentants de l’employeur, certains employés et la prestataire ont été interrogés. Le 28 janvier 2020, la Commission a décidé d’annuler la demande de prestations, car elle a conclu que la prestataire avait soumis un faux relevé d’emploi. Un avertissement a également été émisNote de bas de page 4. Cette décision a été maintenue après le processus de révision interne du 22 octobre 2020. C’est cette décision que je dois maintenant revoir.

1 - La Commission a-t-elle eu raison d’annuler la période de prestations de la prestataire?

[12] Pour qu’une partie prestataire puisse recevoir des prestations, elle doit d’abord y avoir droit. Les règles d’admissibilité varient selon le type de prestations demandées. Pour les prestations de maternité et les prestations parentales, qui sont des « prestations spéciales », une partie prestataire doit avoir accumulé au moins 600 heures d’emploi assurable au cours d’une période de référence pour recevoir des prestationsNote de bas de page 5.

[13] Lorsqu’elle présente une demande de prestations, il incombe à la partie prestataire de fournir les documents appropriés pour établir qu’elle remplit les conditions fixées par la loi et le règlement. La charge de la preuve incombe donc à la prestataire, et elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle ait travaillé pour cet employeur et qu’elle ait travaillé pendant le nombre d’heures déclaré sur le relevé d’emploi qu’elle a fourni.

[14] À l’appui de sa demande de prestations, la prestataire a présenté un relevé d’emploi fourni par son employeurNote de bas de page 6. Ce relevé d’emploi indique qu’elle y a travaillé du 29 février 2016 au 17 juillet 2016 pour un total de 800 heures d’emploi assurable. Il a été rempli à la main et ne fournit aucun détail quant aux heures travaillées chaque semaine. Il indique que son titre de poste est celui de gérante.

[15] Je conclus que la Commission a eu raison d’annuler la période de prestations.

[16] De nombreuses incohérences et incongruités ressortent des témoignages de la prestataire et du gérant de l’employeur, tant devant les enquêteurs qu’à l’audience. Celles-ci jettent un sérieux doute sur la véracité de ces témoignages. Cela me porte à croire que la prestataire n’a pas travaillé pour l’employeur et que le relevé d’emploi qu’elle a présenté à la Commission est faux.

[17] Premièrement, je ne crois pas que la prestataire ait eu besoin du travail ou ait cherché du travail pendant son congé de maternité. Elle n’avait pas travaillé depuis un certain temps en 2015Note de bas de page 7. Lors de l’audience, le témoin de la prestataire, qui est gérant adjoint pour l’employeur, a témoigné qu’ils ont embauché la prestataire parce qu’elle a dit qu’elle avait besoin de travailler. Cette affirmation est en contradiction directe avec le témoignage de la prestataire à l’enquêteur. Elle lui a dit que c’était le propriétaire du restaurant, qu’elle connaissait d’un précédent emploi, qui l’avait appelée pour lui dire qu’il avait besoin de personnelNote de bas de page 8.

[18] De plus, lorsqu’on a demandé à la prestataire lors de l’audience si elle avait cherché un emploi plus proche de son domicile, elle a répondu qu’elle avait cherché, mais qu’elle n’avait pas trouvé de travail. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer comment une personne ayant son expérience professionnelle n’a pas pu trouver de travail dans la région du Grand Toronto, elle a répondu qu’elle avait pensé à chercher du travail, mais qu’en fait, elle ne l’avait pas fait. Cette affirmation est donc en contradiction directe avec la déposition de son témoin qui a déclaré qu’ils l’avaient engagée parce qu’elle avait dit qu’elle avait besoin de travailler et avec sa déclaration antérieure selon laquelle elle n’avait pas pu trouver d’emploi.

[19] Il semble également peu plausible que la prestataire, mère de deux jeunes enfants, ait accepté de travailler dans un restaurant situé à plus d’une heure et demie de route de son domicileNote de bas de page 9, alors qu’elle était enceinte, sans même chercher quelque chose de plus proche. Il est également difficile de croire, comme le soutient la CommissionNote de bas de page 10, qu’elle l’aurait fait pendant les mois d’hiver, sans manquer un jour de travail, même pour des rendez-vous médicaux.

[20] Deuxièmement, lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs, le gérant a expliqué qu’il faisait appel à un cabinet comptable pour s’occuper de la paye, des retenues de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, des remises de l’Agence du revenu du Canada et des relevés d’emploiNote de bas de page 11. Les heures travaillées sont recueillies et envoyées au comptable toutes les deux semaines. Le gérant adjoint l’a confirmé dans son témoignage lors de l’audience. Il a insisté sur le fait qu’aucun chèque, y compris les chèques de paye, ne serait émis avant que le gérant ou le gérant adjoint n’ait vérifié s’il y avait des divergences. Il s’agit donc d’un processus rigoureux.

[21] Cela est incompatible avec le fait que, lorsque l’enquêteur lui a posé des questions similaires, le gérant adjoint a répondu qu’il ne tenait pas de cartes de pointage, d’horaire ou de registre des heures travaillées par chaque employéNote de bas de page 12. Cela est également incompatible avec le fait que le relevé d’emploi fourni par la prestataire ne contient aucun détail sur les heures travaillées chaque semaine par la prestataireNote de bas de page 13. S’ils accordaient une si grande importance à l’exactitude des heures déclarées, le relevé d’emploi devrait le refléter.

[22] Cela est également incompatible avec le fait que la prestataire était censée travailler 40 heures par semaine, chaque semaine. Cela, en soi, est très inhabituel dans l’industrie de la restauration. Le deuxième gérant et la prestataire ont dit que si l’horaire devait être modifié, le temps travaillé serait simplement rajusté pour la semaine suivante. Cependant, lors de l’audience, la prestataire a déclaré qu’elle était payée 40 heures par semaine, peu importe le nombre réel d’heures qu’elle avait réellement travaillées. Elle a expliqué que c’était raisonnable étant donné qu’elle ne prenait pas toujours sa pause repas ou ses autres pauses.

[23] Pourquoi alors l’employeur s’est-il donné la peine d’envoyer tous ces documents aux comptablesNote de bas de page 14 si, en fin de compte, il payait la prestataire pour 40 heures chaque semaine? Plus important encore, pourquoi cela n’a-t-il jamais été clairement expliqué par aucun des témoins avant cette deuxième audience?

[24] Troisièmement, il existe des incohérences concernant le travail réel que la prestataire est censée avoir effectué lorsqu’elle travaillait pour l’employeur. C’est l’un des principaux arguments soulevés par la CommissionNote de bas de page 15. Dans sa déclaration à l’enquêteur, la prestataire a déclaré que son travail était [traduction] « à l’avant », avec la clientèle ou de nature administrative. Par exemple, il lui arrivait de prendre les réservations, de faire l’horaire ou d’aider avec les facturesNote de bas de page 16. Lors du témoignage du gérant adjoint à l’audience, il a dit qu’il avait travaillé avec la prestataire à préparer la nourriture le matin. Étant donné que la prestataire n’a pas son certificat de manipulation sécuritaire des alimentsNote de bas de page 17 et qu’elle n’a jamais mentionné la préparation d’aliments, que ce soit à l’enquêteur ou à l’audience, cela semble peu plausible. Cela contredit également les déclarations que le directeur et le gérant adjoint ont faites aux enquêteurs, lorsqu’ils ont tous deux affirmé que les horaires étaient essentiellement établis par euxNote de bas de page 18.

[25] Finalement, lorsqu’on lui a demandé lors de l’audience ce qu’elle avait fait après son congé de maternité, la prestataire a répondu qu’elle avait été engagée par une entreprise en tant qu’agente immobilière. Elle n’a pas été en mesure de préciser le nom de l’entreprise ni la date à laquelle elle a commencé à y travailler, même approximativement. Elle a seulement pu répondre que c’était en 2017 et qu’elle avait fait des ventes en mai et en juillet. J’ai beaucoup de mal à croire qu’une personne ne puisse pas, au moins, se souvenir du mois où elle a commencé à travailler pour un nouvel employeur, d’autant plus qu’elle a pu se souvenir du moment où elle a réalisé ses premières ventes pour cet employeur.

[26] Je tiens à souligner qu’un examen attentif de ce dossier révèle bien d’autres incohérences. J’ai choisi de ne souligner que les faits qui ont été discutés lors de l’audience. Toutes ces incohérences, hésitations et incongruités me portent à croire que la prestataire n’a pas travaillé pour l’employeur durant la période couverte par son relevé d’emploi. Pour cette raison, je conclus que la prestataire n’a pas accumulé d’heures d’emploi assurable pendant sa période de référence. C’est donc à juste titre que la Commission a annulé sa période de prestations.

2 - La Commission a-t-elle eu raison d’émettre un avertissement?

[27] La Loi sur l’AE permet à la Commission d’imposer une pénalitéNote de bas de page 19, ou d’émettre un avertissementNote de bas de page 20 lorsqu’elle constate qu’une partie prestataire a fait une déclaration fausse ou trompeuse. Elle doit prouver que la prestataire savait que cette déclaration était fausse ou trompeuse.

[28] Il incombe à la Commission de fournir ces éléments de preuve. Cela signifie que la Commission doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire savait subjectivement que sa déclaration était fausse ou trompeuseNote de bas de page 21. Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention de tromperNote de bas de page 22. Le bon sens, les faits objectifs et d’autres éléments peuvent, et doivent, être pris en compte pour évaluer cette probabilité. Une fois que cela est prouvé, la charge revient à la prestataire d’expliquer pourquoi elle a fait ces déclarationsNote de bas de page 23.

La prestataire a-t-elle fait une déclaration fausse ou trompeuse et dans l’affirmative, l’a-t-elle fait sciemment?

[29] J’estime que la Commission a eu raison d’émettre un avertissement à la prestataire.

[30] La Commission a conclu que la prestataire a fait quatre fausses déclarationsNote de bas de page 24 :

  1. a) en remplissant une demande de prestations et en déclarant qu’elle avait travaillé de février 2016 à juillet 2016 pour cet employeur;
  2. b) en soumettant un relevé d’emploi contenant ces faux renseignements;
  3. c) en soutenant, dans sa déclaration aux enquêteurs, qu’elle a effectivement travaillé pour l’employeur;
  4. d) en fournissant d’autres documents, à la suite de son entretien avec l’enquêteur, qui ont également été jugés faux ou trompeurs.

[31] J’ai déjà conclu que la prestataire n’a pas travaillé pour l’employeur qu’elle a inscrit dans ses demandes de prestations. De ce seul fait, il ressort clairement que le relevé d’emploi qu’elle a fourni est faux. Puisque la prestataire a déclaré à plusieurs reprises qu’elle travaillait pour cet employeur alors que, selon toute probabilité, ce n’était pas le cas, cela me mène à la conclusion selon laquelle elle a fait cette déclaration sciemment. Il ne s’agit pas d’un cas où une personne n’était pas certaine de son statut professionnel ou de la façon de déclarer la rémunération reçue. Je ne vois pas comment une personne peut croire à tort qu’elle a travaillé quelque part alors qu’elle ne l’a pas fait.

[32] Cela signifie que la Commission a prouvé les trois premiers éléments.

[33] Puisque la prestataire a maintenu tout au long de la procédure qu’elle avait travaillé pour l’employeur, elle n’a pas été en mesure de fournir une explication crédible pour ces trois éléments.

[34] Puisque la Commission a réussi à prouver que la prestataire a fait au moins une fausse déclaration et que la prestataire n’a pas été en mesure de fournir une explication, j’estime que la Commission a eu raison de conclure qu’une déclaration fausse ou trompeuse avait été faite.

La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire?

[35] La décision d’émettre un avertissement est une décision discrétionnaireNote de bas de page 25. Cela signifie que la Loi sur l’AE donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider d’émettre ou non un avertissement. Le Tribunal ne peut intervenir dans une telle décision que si la prestataire peut démontrer que la décision a été prise de manière « non judiciaire ». Cela signifie que la prestataire doit prouver que la décision a été rendue de mauvaise foi, sans tenir compte de tous les faits pertinents ou en tenant compte de faits qui n’étaient pas pertinentsNote de bas de page 26. Le fardeau de la preuve repose sur la prestataireNote de bas de page 27.

[36] J’estime que la Commission a eu raison d’émettre un avertissement à la prestataire.

[37] La prestataire n’a pas fait de déclaration directe sur ce point lors de l’audience. Tant son témoignage que celui de son témoin ont été orientés sur d’autres éléments. Elle n’a pas souligné de preuve selon laquelle la Commission aurait pris en considération des éléments qui n’étaient pas pertinents ou aurait omis de prendre en compte des éléments qui l’étaient. Elle n’a pas non plus indiqué d’élément susceptible de prouver que la Commission a agi de mauvaise foi.

[38] Après avoir examiné attentivement le dossier, je conclus que la Commission a agi de façon judiciaire en rendant sa décision. Par conséquent, l’avertissement est maintenu.

Conclusion

[39] L’appel est rejeté.

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