Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Parties présentes

S. M., appelant

C. S., X, mise en cause (employeuse)

Introduction

[1] L’appelant a travaillé pour l’employeuse jusqu’au 2 mai 2016, date à laquelle il a quitté son emploi.

[2] L’appelant a ensuite présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi (AE). Après avoir procédé à son enquête initiale, l’intimée a décidé que l’appelant avait établi qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.

[3] L’employeuse a présenté une demande de révision lorsqu’elle a appris que l’appelant ne serait pas exclu du bénéfice des prestations.

[4] Après avoir procédé à une enquête plus approfondie, l’intimée a décidé que l’appelant n’avait pas établi qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi, et a infirmé sa décision initiale. L’appelant interjette appel de cette décision devant le Tribunal. L’audience devant le Tribunal a été tenue en personne pour les raisons suivantes :

  1. a) la complexité des questions soulevées en appel;
  2. b) le fait que la crédibilité pourrait figurer au nombre des questions principales;
  3. c) le fait que plus d’une partie assistera à l’audience;
  4. d) les renseignements figurant au dossier, notamment le besoin de renseignements supplémentaires;
  5. e) le mode d’audience satisfait à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[5] La question en litige en l’espèce est de savoir si l’appelant a quitté volontairement son emploi et, dans l’affirmative, s’il était fondé à le faire.

Éléments de preuve

[6] Dans sa demande de prestations d’AE, l’appelant a d’abord déclaré que la raison de son départ était un manque de travail. Il a toutefois précisé peu de temps après qu’il avait démissionné de son poste, et que les raisons pour lesquelles il avait quitté son emploi étaient litigieuses (GD3-16 à GD3-17).

[7] L’appelant a expliqué qu’il avait quitté son emploi en raison de circonstances qui, selon lui, résultaient en partie de sa dépression.

[8] L’appelant a eu l’impression qu’il allait être congédié par son employeuse lorsqu’il a vu une annonce concernant un autre poste de parajuriste au sein de l’entreprise qui, selon lui, était identique en tout point au sien (GD3-16). L’appelant a également allégué qu’il n’avait pas reçu son salaire pour le mois d’avril, et qu’il avait démissionné par courriel après ne pas avoir reçu son chèque de paye en fin de journée, le 2 mai 2016, alors qu’il aurait dû le recevoir la veille (GD3-18).

[9] Étant donné qu’il n’avait pas été payé pour son travail et qu’il avait l’impression que son poste était annoncé, l’appelant a cru que son employeuse cherchait à le remplacer. Il a donc démissionné de son poste (GD3-18).

[10] Dans le cadre de la révision, l’employeuse a déclaré que l’appelant avait quitté son emploi sans lui donner le moindre préavis (GD3-24). L’appelant a déclaré que son chèque de paye était en retard, mais l’employeuse a déclaré que l’appelant était payé à l’avance, et qu’elle n’était aucunement tenue de le payer à l’avance comme elle l’avait fait (GD3-24).

[11] L’employeuse a déclaré que l’appelant ne lui avait jamais rien dit au sujet de ses problèmes de santé mentale, même lorsqu’elle lui avait demandé ce qui n’allait pas (GD3-25). L’employeuse a également déclaré que l’offre d’emploi publiée sur Kijiji visait non pas à remplacer l’appelant, mais à embaucher un autre parajuriste pour se présenter devant la cour des petites créances, et accomplir d’autres tâches semblables que l’appelant ne pouvait accomplir parce qu’il n’était pas un parajuriste agréé (GD3-26).

[12] L’employeuse a déclaré qu’elle avait tenté d’apporter son soutien à l’appelant de plusieurs façons, notamment en faisant des provisions de ses breuvages et friandises préférés au bureau, et en lui permettant de s’absenter pour des rendez‑vous hebdomadaires sans poser de questions (GD3-26).

[13] L’employeuse a déclaré qu’elle avait discuté avec l’appelant de la possibilité d’avoir un autre parajuriste au bureau pour se présenter devant la cour des petites créances et aider au paiement du loyer (GD3-26). L’employeuse a déclaré qu’elle avait rassuré l’appelant en lui expliquant que l’ajout d’un autre parajuriste au bureau n’aurait aucune incidence sur son emploi et que son poste n’était pas en danger (GD3-26).

[14] L’employeuse a déclaré que l’appelant l’avait menacée de partir s’il n’arrivait pas à ses fins (GD3-27).

[15] Quant au fait que l’appelant n’avait pas été payé le 2 mai, l’employeuse déclare que le chèque de l’appelant n’était pas prêt parce qu’elle était absente pour cause de maladie et n’avait pas pu lui remettre son chèque en avance comme d’habitude (GD3-27). Lorsque l’appelant s’est rendu compte que son employeuse n’allait pas être en mesure de lui remettre son chèque ce jour‑là, il a communiqué avec ses parents et insisté pour qu’ils le paient (GD3-27). L’appelant a démissionné par courriel après que sa demande de paiement faite le même jour n’ait pas reçu de réponse immédiate (GD3-27). L’employeuse a déclaré que la décision de l’appelant de démissionner sans donner de préavis l’avait plongée dans une situation très difficile qui lui avait fait perdre à la fois de l’argent et des clients, et avait terni sa réputation.

[16] L’employeuse soutient que l’appelant n’a rien dit au sujet de sa dépression jusqu’au 2 mai 2016, date à laquelle il en a parlé à ses parents. Elle a déclaré qu’il avait démissionné plus tard le même jour sans donner de préavis, et qu’il avait commencé à la menacer d’intenter des poursuites s’il n’obtenait ce qu’il considérait comme des sommes lui étant dues (GD3-28).

[17] L’employeuse souligne que l’appelant l’a également menacée de la dénoncer à la Commission des relations de travail si elle ne choisissait pas le code A (manque de travail) comme raison de son départ dans son relevé d’emploi (GD3-28). L’employeuse a souligné qu’après avoir démissionné, l’appelant avait continué à la menacer de poursuites et de plaintes à la Commission des droits de la personne, au Barreau du Haut‑Canada et à la Commission des relations de travail, entre autres, si elle ne lui versait pas une somme additionnelle de 50 000 $ (GD3-28).

[18] L’employeuse a joint à la demande de révision qu’elle a présentée à l’intimée un ensemble de documents contenant une explication des demandes salariales de l’appelant et des conditions d’emploi (GD3-30).

[19] L’employeuse a également joint le courriel qui leur a été envoyé par l’appelant, le 2 mai 2016, dans lequel l’appelant affirmait qu’il était inadmissible qu’il ne soit pas payé et que ses chèques de loyer et de pension alimentaire allaient par conséquent être sans provision, et demandait aux parents de l’appelant d’effectuer un transfert par courriel (GD3-35).

[20] L’appelant a envoyé un autre courriel plus tard le même jour afin d’aller récupérer ses effets personnels au bureau et de demander son chèque de paye. C’est à ce moment‑là qu’il a menacé l’employeuse de déposer une plainte si elle ne décrivait pas la raison de son départ du travail de la manière de son choix (GD3-36). L’appelant a également demandé une semaine de salaire tenant lieu de préavis (GD3-36).

[21] L’appelant a été informé qu’il n’y avait rien de répréhensible dans le fait de retarder légèrement la remise d’un chèque de paye, et que la seule raison acceptable pouvant figurer dans le relevé d’emploi de l’appelant était le départ volontaire, car l’appelant avait démissionné (GD3-41). C’est pourquoi l’employeuse a également expliqué qu’il n’y aurait pas d’indemnité tenant lieu de préavis et que, comme il n’y avait pas eu de menace de renvoi, il ne s’agissait pas d’un cas de congédiement déguisé (GD3-41).

[22] Dans le cadre de la révision de sa décision initiale, l’intimée a communiqué de nouveau avec l’appelant, qui a déclaré qu’il souffrait de dépression et que de nombreux problèmes personnels avaient concouru à créer un contexte dans lequel il s’était finalement senti obligé de démissionner de son poste (GD3-48).

[23] L’appelant a déclaré qu’il avait l’impression que son employeuse ne comprenait pas ses problèmes de santé mentale, et que cette impression avait été renforcée par le fait que l’employeuse lui avait dit qu’ils espéraient qu’il arriverait à mieux gérer sa dépression, le 27 avril 2016 (GD3-48).

[24] L’appelant a déclaré qu’il avait vu l’annonce sur Kijiji concernant un poste de parajuriste le lendemain, le 28 avril 2016, et qu’il avait eu l’impression qu’ils cherchaient quelqu’un pour le remplacer, étant donné que le poste annoncé correspondait exactement à celui qu’il occupait (GD3-48). Il croyait que, si un nouveau parajuriste était embauché, sa présence ne serait plus requise, car son poste deviendrait superflu (GD3-49).

[25] L’appelant a déclaré qu’il avait tenté d’expliquer davantage sa situation à son employeuse le 29 avril, mais qu’il avait eu l’impression qu’on ne comprenait pas ses besoins. Il leur a ensuite envoyé un article sur le rétablissement des relations (GD3-48).

[26] L’appelant allègue qu’il a parlé de nouveau aux parents de l’employeuse pendant plus de cinq heures le 2 mai, et qu’il a pensé après cette conversation qu’il allait sûrement être congédié (GD3-48). L’appelant a alors demandé des renseignements sur sa paye qui était due et, voyant qu’il ne recevait aucun paiement malgré plusieurs demandes en ce sens, a envoyé un courriel à l’employeuse pour lui dire que la situation était irréversible et qu’il valait mieux mettre fin à la relation d’emploi (GD3-48 à GD3-49).

[27] L’appelant a déclaré qu’il était retourné chez le médecin le 5 mai 2016, et qu’il avait recommencé à prendre des médicaments pour la première fois en dix ans.

[28] L’appelant a reconnu que, le 6 mai 2016, il avait eu une rencontre de règlement avec l’employeuse au cours de laquelle il avait demandé une somme de 50 000 $ pour son salaire impayé et le volet relatif aux droits de la personne de sa demande (GD3-49).

[29] Au cours d’un entretien avec l’intimée, l’employeuse a souligné que l’appelant n’avait pas fourni de documents médicaux concernant sa dépression et son anxiété et aussi qu’elle faisait l’objet d’une enquête du Barreau du Haut‑Canada (GD3-53).

[30] L’appelant a déclaré que l’employeuse n’avait pas un nombre suffisamment élevé de dossiers pour justifier l’embauche d’un autre parajuriste, et qu’il avait l’impression qu’ils étaient en train d’embaucher quelqu’un d’autre pour le remplacer. Il a en outre déclaré qu’il était capable de prendre une décision au moment où il a démissionné, mais qu’il était incapable de bien interagir avec les gens (GD3-54).

[31] L’appelant a ensuite présenté à l’intimée un ensemble de documents à l’appui de sa demande (GD3-56 à GD3-71) alléguant que l’employeuse avait tenté de le blâmer pour sa dépression et lui avait dit qu’il devrait être en mesure de se défaire de sa dépression (GD3-57). L’appelant a également fourni des copies de courriels qu’il a échangés avec le père de l’employeuse à compter du 27 avril 2016, alors que l’appelant demande s’ils souhaitent quand même qu’il vienne travailler (GD3-61), et où le père de l’employeuse demande pourquoi la situation au bureau n’est plus ce qu’elle était (GD3-61).

[32] L’appelant a également fourni une copie des annonces que l’employeuse a publiées sur Kijiji, y compris une annonce relative à un local pour bureau ainsi qu’une annonce concernant un poste de parajuriste agréé (GD3-62 à GD3-64).

[33] L’appelant a également fourni une copie de l’article qu’il a envoyé au père de l’employeuse au sujet du rétablissement des relations (GD3-65).

[34] L’appelant a également fourni les textes de plusieurs messages textes qu’il aurait échangés avec l’employeuse, dans lesquels l’appelant est informé que son employeuse ne viendra pas travailler ce jour-là et qui contiennent sa réponse à ses parents indiquant qu’il a besoin d’être payé, car son loyer et sa pension alimentaire sont dus (GD3-66 à GD3-71). Les textes contiennent également une réponse du père de l’employeuse dans laquelle il s’excuse d’avoir manqué les messages de l’appelant, mais où il confirme qu’ils en parleront à leur comptable le lendemain (GD3-68).

[35] L’appelant a également fourni une ventilation des sommes qui, croyait‑il, lui étaient dues, y compris une semaine de salaire tenant lieu de préavis ainsi que son salaire du mois d’avril (GD3-68). Les documents de l’appelant comprenaient également un long courriel expliquant son point de vue sur la situation l’ayant amené à quitter son emploi (GD3-69 à GD3-71).

[36] L’appelant a ensuite fait des observations sur l’allégation de l’employeuse selon laquelle il n’avait pas été question de sa santé mentale lors de la rencontre, affirmant que, s’il n’en avait pas été question, pourquoi alors aurait‑il envoyé un article sur la façon de côtoyer les personnes bipolaires (GD3-72). L’appelant a en outre souligné que l’employeuse ne l’avait pas payé pour le mois d’avril et qu’elle avait ignoré ses messages (GD3-72).

[37] Lorsqu’il a appris que la décision initiale allait être infirmée, l’appelant a demandé à parler au gestionnaire du décideur, les notes de l’intimée indiquant que [traduction] « [j]e lui ai dit que je demanderais à mon gestionnaire de l’appeler et il a dit que j’étais mieux de le faire, sinon ce serait très mauvais pour moi » (GD3-72). Après avoir parlé au gestionnaire du décideur, l’appelant a ensuite allégué que le processus décisionnel était empreint de parti pris et que le décideur manquait de compassion à l’égard de son problème de santé (GD3-73). Il a en outre laissé entendre qu’il croyait que sa demande n’était pas comprise, en partie parce que l’agent avait moins d’expérience de vie que lui, et en partie parce que son employeuse faisait de fausses déclarations à son sujet (GD3-73).

[38] Au cours de l’audience, l’appelant a fourni des détails supplémentaires sur les difficultés qu’il éprouvait au moment où il a quitté son emploi, y compris le fait que ses comptes de l’ARC avaient été saisis et le fait qu’un de ses amis d’enfance venait de mourir. L’appelant a allégué que ces facteurs contextuels, conjugués aux frustrations qu’il éprouvait au travail, l’avaient amené à quitter son emploi. L’appelant a allégué qu’il ne pensait pas de façon rationnelle au cours de la période allant du 27 avril au 2 mai, date à laquelle il a démissionné de son poste.

[39] L’appelant a de nouveau déclaré qu’il croyait qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour lui et un autre parajuriste et que, si un autre parajuriste était embauché, il n’aurait pas d’emploi. Il a également témoigné que son employeuse et lui n’avaient pas discuté de la possibilité qu’un autre parajuriste se joigne à l’entreprise, comme elle l’a allégué.

[40] L’appelant a déclaré que, le 27 avril, on lui a dit que son employeuse désapprouvait sa conduite et croyait qu’il devait changer son comportement. Il a déclaré qu’il [traduction] « était tellement insulté qu’il est parti ».

[41] L’appelant a allégué à l’audience qu’il avait parlé de sa déficience à son employeuse environ un mois après avoir commencé à travailler, et qu’il [traduction] « a tendance à ne pas montrer qui il est ». Il a déclaré qu’il avait rencontré les parents de son employeuse en mai, mais qu’il ne leur avait pas parlé de ses problèmes de santé mentale avant le mois de juillet parce qu’il ne se sentait pas encore à l’aise avec eux.

[42] L’appelant a déclaré qu’après avoir quitté son emploi, il est allé voir son médecin et a commencé à prendre des médicaments, ce qu’il n’avait pas fait depuis des années. Il a allégué que son employeuse aurait dû savoir à compter de décembre 2015 qu’il menait une lutte incessante contre la dépression. Lorsqu’on lui a demandé à l’audience pourquoi il n’avait pas obtenu un billet de son médecin après avoir démissionné, l’appelant a déclaré qu’il n’avait pas pensé à obtenir un billet de son médecin parce qu’il était dans un mauvais état d’esprit.

[43] Au cours de l’audience, l’appelant a présenté un courriel avec une photo en pièce jointe d’un tatouage qu’il avait reçu représentant un point‑virgule. Il a déclaré que ce tatouage représentait son choix de ne pas se suicider comme il avait prévu le faire, et que son employeuse était au courant de l’existence de ce tatouage et de sa signification lorsqu’il a envoyé le courriel en avril 2015.

[44] Au cours de l’audience, l’employeuse a déclaré qu’elle ne prévoyait pas mettre fin à l’emploi de l’appelant, et que s’il n’avait pas démissionné, il serait encore à son service. Elle a déclaré qu’elle n’avait aucunement l’intention de le congédier, et qu’elle avait besoin de quelqu’un d’autre qui pouvait se présenter en cour parce que l’appelant n’était pas un parajuriste agréé. Elle a déclaré qu’elle avait dit à plusieurs reprises à l’appelant que les annonces publiées sur Kijiji – l’une pour le partage d’un local pour bureau et l’autre pour un poste de parajuriste – n’avaient rien à voir avec lui ou son emploi chez elle.

[45] L’employeuse a déclaré que l’appelant avait démissionné quelques heures après avoir appris qu’elle était malade et qu’elle ne serait pas en mesure de lui remettre son chèque de paye le 2 mai 2016.

[46] Quant aux mesures d’adaptation, l’employeuse a déclaré qu’elle s’était efforcée de jeter des coups d’œil sur l’appelant tous les jours lorsqu’il devenait renfermé afin de lui demander ce qui n’allait pas et savoir s’il avait besoin d’aide. L’employeuse a déclaré que l’appelant lui avait dit que tout allait bien, et qu’il lui dirait si quelque chose n’allait pas.

[47] L’employeuse a fait observer qu’il pouvait être difficile de travailler avec l’appelant, car il n’aimait pas qu’on lui dise quoi faire et s’en allait s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait.

[48] L’employeuse a témoigné que l’appelant n’avait jamais mentionné sa dépression, ni lors de la rencontre du 27 avril ni lors de celle du 29 avril, et que son état n’avait été dévoilé que lors de sa rencontre avec ses parents, le 2 mai 2016, c’est‑à‑dire le jour même où il avait démissionné sans donner de préavis.

[49] L’employeuse a déclaré que l’appelant l’avait menacée afin de l’amener à falsifier le relevé d’emploi, mais qu’elle avait refusé de le faire parce qu’il avait démissionné. Elle a déclaré qu’ils s’étaient vus plusieurs jours plus tard lors d’une rencontre de règlement, moment auquel l’appelant l’avait menacée de la poursuivre et de déposer une plainte en matière de droits de la personne contre elle si elle ne lui versait pas une somme de 50 000 $. L’employeuse a déclaré que l’appelant avait depuis mis ses menaces à exécution parce qu’elle ne lui avait pas donné l’argent qu’il demandait.

[50] L’employeuse a déclaré que, lors de la rencontre de règlement qui a eu lieu le 6 mai, elle a dit à l’appelant qu’il ne lui avait jamais parlé de ses problèmes de santé mentale, ce à quoi il a répondu [traduction] « [j]e n’avais pas à le faire ». L’appelant ne se souvenait pas d’avoir fait cette déclaration.

[51] L’employeuse a également déclaré que, depuis l’époque de sa démission, l’appelant s’est vu refuser un permis d’exercice de la profession de parajuriste et que le Barreau a estimé qu’il n’était pas une personne de bonnes mœurs. L’employeuse a ensuite tenté de présenter une copie de la décision au Tribunal.

[52] Le Tribunal a toutefois refusé d’accepter la décision que l’employeuse voulait lui présenter, indiquant que la décision du Barreau du Haut‑Canada concernant le permis d’exercice de l’appelant dépassait la portée de la question soumise au Tribunal.

Observations

[53] L’appelant a d’abord soutenu que sa démission résultait du fait qu’il croyait faire l’objet d’un congédiement déguisé, étant donné qu’il croyait que son employeuse cherchait à le remplacer au travail et parce qu’il n’avait pas été payé pour son travail.

[54] À l’audience, l’appelant a modifié ses observations au Tribunal, alléguant que sa décision de quitter son emploi n’était pas une décision rationnelle, mais résultait plutôt de sa dépression, et que son employeuse n’aurait pas dû accepter sa démission, étant donné que sa décision n’avait pas été prise rationnellement.

[55] Subsidiairement, l’appelant soutient que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas parce que son employeuse exerçait contre lui une discrimination fondée sur sa déficience, et n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son égard, ce qui avait mené à sa démission.

[56] L’appelant soutient en outre qu’il ne lui incombait pas de fournir des détails à son employeuse sur ses problèmes de santé mentale ou de présenter des éléments de preuve médicale en ce sens. Il soutient qu’en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, il incombe plutôt à l’employeur de poser les bonnes questions pour déterminer si des mesures d’adaptation sont nécessaires, même si l’employeur n’a pas été officiellement informé de l’existence d’une déficience. L’appelant allègue que l’employeuse aurait dû être au courant de sa lutte contre la dépression à compter de décembre 2015, et qu’elle avait l’obligation de s’enquérir davantage si des mesures d’adaptation étaient nécessaires.

[57] L’intimée soutient que l’appelant n’a pas démontré qu’il a épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à lui avant de quitter son emploi, et qu’une solution de rechange raisonnable à son départ aurait été de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi.

[58] De plus, l’intimée fait observer que les actes de l’appelant étaient fondés sur des hypothèses, car il n’avait jamais entendu son employeuse dire qu’il était remplacé ou qu’il ne serait plus nécessaire.

[59] L’intimée fait aussi observer que l’appelant a allégué que son employeuse avait exercé une discrimination contre lui, mais a omis de fournir des actes ou des exemples directs de discrimination dans le milieu de travail.

[60] De plus, l’intimée souligne que l’appelant n’est allé voir son médecin qu’après avoir démissionné de son poste, et qu’il n’a présenté aucune preuve confirmant son problème de santé mentale à son employeuse ou à l’intimée, ce qui étayerait ses allégations selon lesquelles il devait quitter son emploi, ou prendre une pause à des fins de santé mentale.

[61] De plus, bien que l’appelant ait allégué qu’il craignait d’être congédié en partie à cause des annonces publiées par l’employeuse sur Kijiji, l’intimée fait observer que l’appelant, de toute évidence, n’était pas titulaire d’un permis du Barreau et que, par conséquent, il n’aurait pas été en mesure d’accomplir toutes les tâches mentionnées dans l’annonce du poste.

[62] L’intimée soutient que la crainte de l’appelant d’être remplacé au travail n’est pas considérée comme une justification pour quitter un lieu de travail, et qu’une solution de rechange à son départ pour cette raison aurait été de trouver un autre emploi avant de démissionner.

[63] L’employeuse soutient que l’appelant n’a fourni aucune preuve concernant ses problèmes de santé mentale, se contentant plutôt de donner sa parole sur ce point. L’employeuse souligne en outre que l’appelant n’a pas été en mesure de fournir des exemples concrets de la discrimination dont il a fait l’objet. Enfin, l’employeuse fait observer que l’appelant a agi par crainte de perdre son emploi, alors que ce n’était pas le cas, et qu’il aurait dû envisager d’autres solutions avant de démissionner sans préavis.

Analyse

[64] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe de la présente décision.

[65] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si, conformément à la Loi, l’appelant a démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Il s’agit d’abord de déterminer si l’appelant a quitté volontairement son poste, et ensuite de se demander s’il était fondé à le faire.

[66] Il incombe d’abord à l’intimée de prouver que le départ était volontaire. Le fardeau de la preuve passe ensuite à l’appelant, qui doit démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi (Green c Canada (PG), 2012 CAF 313; Canada c White, 2011 CAF 190).

L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[67] L’appelant a d’abord laissé entendre que sa démission était due au fait qu’il croyait faire l’objet d’un congédiement déguisé. Or, la Cour d’appel fédérale a statué que, bien que les facteurs qui peuvent constituer un motif valable au sens de l’article 29 de la Loi sur l’AE ressemblent à ceux qui peuvent donner lieu à une conclusion de congédiement déguisé en common law, cela ne modifie pas le critère établi dans la Loi quant à savoir si le départ d’un prestataire était volontaire (Canada c Peace, 2004 CAF 56).

[68] La Cour d’appel fédérale a statué que, bien qu’il soit loisible à un prestataire d’intenter une action contre son ancien employeur pour congédiement déguisé, cette notion n’a pas sa place dans la Loi. Par conséquent, la question de savoir si un prestataire a quitté volontairement son emploi et est admissible au bénéfice des prestations en vertu de la Loi et la question de savoir si le prestataire a fait l’objet d’un congédiement déguisé et a le droit de poursuivre son employeur sont deux questions différentes (Canada c Sulaiman, A-737-93; Peace). Le rôle du Tribunal en l’espèce est de trancher la première question.

[69] À l’audience, plutôt que de laisser entendre que sa démission était due au fait qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé, l’appelant a soutenu que son état de santé mentale au moment où il a donné sa démission faisait en sorte que sa décision de démissionner n’était pas rationnelle, et que son départ ne pouvait, par conséquent, être volontaire.

[70] Cependant, le Tribunal ne souscrit pas aux arguments de l’appelant sur ce point pour plusieurs raisons.

[71] D’abord, l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve attestant son problème de santé mentale et indiquant en quoi cela a pu influer sur sa décision de démissionner, et n’a pas non plus fourni de motif valable pour ne pas avoir présenté cet élément de preuve. Bien que l’appelant ait déclaré à l’audience que l’état d’esprit dans lequel il se trouvait l’avait empêché de demander un billet de son médecin après sa démission, le Tribunal constate qu’il s’agit d’une réponse différente de celle que l’appelant a donnée à l’intimée sur le même point. D’ailleurs, le Tribunal souligne que l’intimée a invité l’appelant à lui présenter des documents concernant ses problèmes médicaux dans le cadre de la révision, mais qu’il a affirmé que cela l’obligerait à dépenser de l’argent pour obtenir un billet du médecin et qu’il ne voyait pas ce que son médecin pouvait ajouter au fait qu’il l’avait vu ce jour‑là et lui avait prescrit ses médicaments. L’intimée a alors informé l’appelant que son médecin pourrait lui fournir une lettre indiquant qu’il devait quitter son emploi pour des raisons médicales, si tel était le cas, ou faisant état de tout élément qui, selon lui, était pertinent. L’appelant n’a présenté aucune lettre de cette nature et, par conséquent, le Tribunal ne dispose que du propre témoignage de l’appelant concernant ses problèmes de santé mentale.

[72] Cependant, le Tribunal conclut que le témoignage de l’appelant au sujet de sa santé mentale au moment de sa démission ne démontre pas que ses actes étaient à ce point irrationnels qu’ils n’étaient pas volontaires.

[73] Cette conclusion est notamment due à l’incohérence interne du récit que fait l’appelant des faits et du contexte relatifs à sa démission. Le Tribunal souligne que l’intimée a dit à l’appelant, au cours du processus décisionnel initial, qu’à moins qu’il ne réussisse à établir qu’il ne pouvait pas prendre une décision raisonnable en raison de ses problèmes médicaux, il pourrait avoir de la difficulté à démontrer qu’il était fondé à démissionner. En réplique, les notes de l’intimée indiquent que l’appelant a déclaré que [traduction] « la dépression l’empêche seulement d’interagir avec les gens. Il était tout à fait cap able de prendre des décisions et ne peut pas mentir » [mis en évidence par la soussignée].

[74] Le Tribunal estime qu’il s’agit d’un élément important pour deux raisons. D’abord, parce que l’explication de l’appelant concernant sa démission a changé de façon importante après que l’intimée lui a dit qu’il pourrait être en mesure de démontrer qu’il avait une justification s’il réussissait à établir qu’il ne pouvait pas prendre une décision raisonnable, ensuite parce que la déclaration antérieure de l’appelant selon laquelle il était capable de prendre des décisions au moment où il a démissionné contredit ses affirmations ultérieures selon lesquelles ses actes étaient à ce point irrationnels qu’ils n’étaient pas volontaires.

[75] Le Tribunal accorde moins de poids aux affirmations ultérieures de l’appelant selon lesquelles sa démission était irrationnelle et résultait de ses problèmes de santé mentale, car l’appelant a fourni cette explication pour la première fois à l’audience, c’est-à-dire après que l’intimée lui a expliqué que la démonstration de ce fait pouvait lui fournir une justification, et aussi parce que ces affirmations ultérieures contredisent son commentaire antérieur à l’intimée selon lequel il était capable de prendre des décisions à l’époque pertinente.

[76] Le Tribunal n’accorde pas beaucoup de poids non plus au témoignage de l’appelant quant au caractère irrationnel de sa décision de démissionner en raison de sa conduite après sa démission. L’employeuse a fourni une preuve fiable en l’espèce – notamment un courriel qui lui a été adressé par l’appelant – établissant que l’appelant l’avait menacée d’intenter des poursuites contre elle si elle indiquait sur le relevé d’emploi qu’il avait démissionné. L’appelant a également fourni une preuve fiable concernant une rencontre de règlement qui a eu lieu le 6 mai et à laquelle l’appelant a ensuite demandé à son ancienne employeuse de lui verser une somme de 50 000 $, sans quoi elle s’exposait à toutes sortes de litiges. L’appelant a convenu que cette rencontre avait eu lieu et qu’il avait fait ces demandes.

[77] Même si l’appelant fait maintenant valoir que sa décision de démissionner était irrationnelle et qu’il ne pensait pas de façon rationnelle du 27 avril au 2 mai, le Tribunal souligne que l’appelant a mis à exécution ses menaces contre son employeuse d’intenter une série de poursuites judiciaires et administratives si elle n’acquiesçait pas à ses demandes du 6 mai, ce qui, comme le fait observer le Tribunal, s’est produit à une époque postérieure au moment auquel l’appelant a allégué qu’il ne pensait pas clairement en raison de ses problèmes de santé mentale. En effet, les poursuites intentées par l’appelant depuis sa démission – notamment celles du 6 mai – donnent à penser qu’il était pleinement conscient de la décision qu’il prenait de démissionner de son poste, et qu’il prenait d’autres mesures parce qu’il croyait être la partie lésée dans la présente affaire.

[78] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal n’accepte pas les allégations de l’appelant selon lesquelles sa démission était irrationnelle en raison de ses problèmes de santé mentale, ce qui met en cause le caractère volontaire de ses actes.

[79] Le Tribunal souligne que le relevé d’emploi de l’appelant (GD3-14 à GD3-15) et les autres éléments de preuve au dossier – notamment la démission par courriel de l’appelant – démontrent que l’appelant a quitté volontairement son emploi, étant donné qu’il a démissionné alors qu’il avait le choix de rester, conformément à la décision Peace. Cette conclusion est étayée par le témoignage de l’employeuse selon lequel l’appelant occuperait toujours son poste au sein de son entreprise de parajuriste s’il n’avait pas démissionné.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi?

[80] Ayant conclu que l’appelant a quitté volontairement son emploi, le Tribunal doit maintenant déterminer s’il était fondé à le faire.

[81] Le critère applicable pour déterminer si l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi au sens de l’article 29 de la Loi sur l’AE consiste à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait, selon la prépondérance des probabilités, la seule solution raisonnable dans son cas au moment où il l’a fait.

[82] L’appelant a allégué que deux des circonstances énumérées à l’article 29 s’appliquent à sa situation. Plus précisément, l’appelant soutient qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi parce qu’il faisait l’objet d’une (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et en raison de l’existence de (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

Discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite

[83] L’appelant a allégué qu’il avait démissionné parce qu’il faisait l’objet d’une discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, plus particulièrement d’une discrimination liée à sa dépression et à ses problèmes de santé mentale. Par conséquent, la première étape de l’analyse de la question de savoir si l’appelant était fondé à quitter son emploi selon cette disposition consiste à examiner le témoignage de l’appelant concernant son état de santé mentale.

[84] L’appelant a témoigné au sujet de ses antécédents de dépression, mais n’a présenté aucune preuve documentaire concernant ses antécédents médicaux au Tribunal afin de corroborer ses dires quant à ses problèmes de santé mentale.

[85] L’appelant soutient qu’il ne lui incombe pas de fournir une preuve documentaire concernant son état de santé. En toute déférence, le Tribunal n’est pas d’accord.

[86] L’appelant n’a pas fourni d’explication raisonnable quant à savoir pourquoi il n’avait pas présenté de documents médicaux, si ce n’est pour dire au Tribunal qu’il n’était pas dans un état d’esprit lui permettant de demander ces documents, et déclarer antérieurement, lorsque l’intimée le lui avait demandé, que cela lui coûterait de l’argent. Cependant, l’appelant a reconnu avoir vu son médecin quelques jours après avoir démissionné de son poste, ce qui lui aurait donné amplement l’occasion de demander un billet confirmant son diagnostic et – fait important – expliquant en quoi ce diagnostic a pu influer sur sa décision de quitter son emploi. Or, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que l’appelant s’est efforcé d’obtenir des documents corroborant ses allégations.

[87] L’appelant a cité une affaire à l’appui de son allégation voulant qu’une preuve documentaire ne soit pas nécessaire pour établir l’existence d’une déficience mentale. Dans cette décision, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique (BCHRT) a conclu que le témoignage de la prestataire au sujet de ses longs antécédents de dépression et la présentation par celle‑ci d’une attestation médicale d’un diagnostic médical au cours des semaines ayant précédé son congédiement constituaient une preuve suffisante de l’existence de ses problèmes de santé mentale. La BCHRT a conclu que [traduction] « le fait qu’elle n’ait pas présenté de documents médicaux attestant un diagnostic ou un traitement antérieur n’empêche pas de conclure qu’elle souffrait de déficience mentale au cours des dernières semaines de son emploi… » (recueil de jurisprudence de l’appelant, onglet 5, page 44).

[88] Cependant, les faits de l’affaire citée par l’appelant se distinguent clairement de ceux de l’espèce, car la prestataire dans cette affaire avait bel et bien présenté une attestation médicale de son diagnostic médical au cours des semaines ayant précédé son congédiement. En l’espèce, l’appelant n’a présenté aucune preuve documentaire de ce genre. Comme il a été souligné dans l’affaire du BCHRT citée par l’appelant, [traduction] « la simple affirmation qu’une personne est “déprimée” n’est pas forcément suffisante en soi pour établir l’existence d’une déficience mentale au sens du Code » (recueil de jurisprudence de l’appelant, onglet 5, page 44). En l’espèce, l’appelant n’a fourni au Tribunal que sa propre affirmation concernant sa santé mentale sans présenter de preuve documentaire corroborant ses dires.

[89] Comme l’a fait observer l’intimée en l’espèce, l’appelant n’est allé voir son médecin qu’après avoir démissionné de son poste, et même à ce moment‑là, il n’a pas obtenu de document attestant son état ou expliquant en quoi son état avait pu influer sur sa décision de démissionner de son emploi.

[90] La Cour d’appel fédérale a précisé l’importance de la preuve corroborante pour attester des raisons médicales ou un état de santé comme raison d’un départ volontaire d’un emploi (Canada (AG) c Dietrich, A-640-93; Canada (PG) c Brisebois, A-510-96).

[91] De plus, comme il a été mentionné précédemment, l’appelant s’est vu offrir la possibilité de présenter d’autres documents à l’intimée dans le cadre de la révision, et a même été informé du fait qu’une lettre pouvait être utile à sa cause. L’appelant n’a toutefois présenté aucune lettre et le Tribunal ne dispose par conséquent que du propre témoignage de l’appelant concernant sa déficience.

[92] Étant donné que l’appelant allègue qu’il a fait l’objet d’une discrimination fondée sur sa déficience mentale liée à sa dépression, le Tribunal peut raisonnablement s’attendre à ce que l’appelant fournisse une preuve médicale corroborant son allégation. Son omission de le faire rend difficilement justifiable une conclusion selon laquelle sa démission était nécessaire en raison de la discrimination dont il faisait l’objet en vertu de l’article 29 de la Loi.

[93] Cela est d’autant plus vrai que l’appelant n’a pas été en mesure de fournir un exemple précis d’une situation où son employeuse a exercé une discrimination contre lui. Étant donné que l’appelant a allégué qu’il avait démissionné de son poste en raison de la discrimination dont il faisait l’objet, le Tribunal se serait attendu à ce qu’il soit en mesure de fournir au moins un exemple de la discrimination dont il a été victime dans le cadre de son emploi et qui l’a amené à démissionner de son poste.

[94] L’appelant a toutefois allégué que son employeuse avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ses problèmes de santé mentale et que cette omission de prendre des mesures d’adaptation avait finalement donné lieu à sa démission. Cependant, l’argument de l’appelant sur ce point ne peut être retenu pour plusieurs raisons.

[95] D’abord, même s’il affirme que son employeuse a omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard, l’appelant a reconnu qu’il n’avait pas demandé de mesures d’adaptation à son employeuse avant de démissionner de son poste.

[96] Ensuite, le Tribunal ne sait pas très bien quand exactement l’employeuse – ou les membres de sa famille – a été informée des problèmes de santé mentale de l’appelant, mais la prépondérance de la preuve dont dispose le Tribunal donne à penser que c’est dans les jours ayant précédé la démission de l’appelant.

[97] Bien que l’appelant soutienne, d’une part, qu’il a toujours parlé ouvertement de ces problèmes, il a, d’autre part, tenu des propos qui donnent à penser que ce problème n’a été dévoilé qu’à l’une des rencontres qui ont eu lieu à la fin d’avril, quand il a dit aux parents de l’employeuse que, lorsqu’il se bat contre la dépression, il peut avoir l’air de ne pas être dans son état normal, mais qu’après cette rencontre il a eu l’impression qu’ils [traduction] « n’acceptaient pas ou ne comprenaient pas son trouble ». L’employeuse, quant à elle, allègue que l’appelant ne l’a jamais informée directement, au cours de son emploi, qu’il souffrait de dépression, et qu’elle ne l’a appris qu’après que celui-ci en a parlé à ses parents lors de la conversation qu’ils ont eue vers la fin de son emploi alors qu’elle était absente pour cause de maladie.

[98] Selon les notes de l’intimée, lorsqu’on lui a demandé précisément s’il lui avait déjà parlé de sa dépression, l’employeuse a répondu ceci : [traduction] « il ne m’a jamais parlé de sa dépression – elle a dit qu’il n’avait jamais parlé de sa dépression à qui que ce soit. Lorsque cette question a été soulevée lors de la conférence de règlement, le 6 mai, l’employeuse a affirmé qu’elle lui a dit qu’il ne lui en avait jamais parlé auparavant et qu’il a dit [traduction] “Je sais, je n’avais pas à le faireˮ ».

[99] Toutefois, l’appelant a également affirmé qu’il avait parlé ouvertement de ses problèmes à son employeuse et que celle-ci n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son égard selon ses besoins. À l’appui de son argument voulant qu’elle ait été au courant de sa dépression, il a déposé en preuve une photo d’un tatouage représentant un point-virgule qu’il avait reçu pour célébrer sa décision de ne pas donner suite à une tentative de suicide planifiée. L’employeuse a reconnu qu’elle avait reçu le courriel et qu’elle était au courant de son tatouage, mais qu’elle ne lui avait pas accordé beaucoup d’importance, car l’appelant lui montrait souvent ses tatouages.

[100] Le Tribunal n’estime pas que l’envoi par l’appelant d’une photo de son tatouage à son employeuse ainsi qu’une explication de la signification de celui-ci placent l’employeuse dans une situation où on peut dire qu’elle était au courant – ou aurait dû être au courant – de la profondeur de sa prétendue déficience mentale et des répercussions qu’elle pouvait avoir sur lui.

[101] Toutefois, l’appelant a également affirmé que, même s’il n’a pas tout dit au sujet de ses problèmes de santé mentale, l’employeuse a l’obligation de s’enquérir des besoins en matière d’adaptation. C’est peut-être le cas, mais, compte tenu du témoignage crédible présenté par l’employeuse sur ce point, le Tribunal convient que l’employeuse s’est enquise presque tous les jours si l’appelant allait bien lorsqu’elle avait l’impression qu’il était devenu résigné au travail et que quelque chose n’allait pas, et lui a demandé plusieurs fois si elle pouvait faire quelque chose pour l’aider à plusieurs reprises avant les événements qui ont mené à sa démission.

[102] De plus, les courriels échangés entre l’appelant et le père de l’employeuse indiquent également que ce dernier a pris des mesures pour intervenir dans la situation afin de tenter d’améliorer le climat de travail pour tout le monde lorsque les efforts de l’employeuse se sont avérés infructueux, compte tenu du courriel du père de l’employeuse dans lequel il dit [traduction] « tu sais, je veux vraiment vous aider, toi et [l’employeuse], à résoudre la situation dès que possible ».

[103] Bien que l’appelant soutienne que l’employeuse en l’espèce a omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard, la preuve dont dispose le Tribunal indique que l’employeuse a fait beaucoup d’efforts pour s’assurer que l’appelant avait un milieu de travail satisfaisant. Les exemples que donne l’employeuse à ce sujet vont notamment du fait de veiller à ce que l’appelant ait toujours à portée de la main ses breuvages et collations préférés au travail, à celui de bien l’accueillir à son retour au travail après qu’il soit parti plus tôt à plusieurs reprises parce qu’il était frustré.

[104] Étant donné que le témoignage de l’appelant manquait de cohérence quant au moment où il a informé son employeuse de ses problèmes de santé mentale, le Tribunal préfère dans ce cas‑ci le témoignage de l’employeuse, qui allègue que l’appelant a parlé ouvertement de ses problèmes de dépendance à l’alcool, mais qu’elle n’a pas été informée directement de la dépression de l’appelant au cours de sa période d’emploi, et qu’elle n’a été informée de ces problèmes que par ses parents lorsque ceux-ci ont rencontré l’appelant au cours des derniers jours de son emploi.

[105] Bien que les justifications prévues à l’article 29 comprennent les décisions prises en raison d’une discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’appelant n’a ni présenté de preuve corroborante concernant ses problèmes de santé mentale et la façon dont ils ont pu influer sur sa décision de démissionner, ni prouvé que son employeuse a exercé une quelconque discrimination contre lui.

[106] Par conséquent, le Tribunal n’estime pas que la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, était de quitter son emploi (Laughland, 2003 CAF 129). L’appelant aurait pu parler ouvertement et directement à son employeuse de ses problèmes de santé mentale et des besoins que ces problèmes engendraient chez lui.

Crainte d’être remplacé et de ne pas être payé

[107] L’appelant a également affirmé qu’il croit que la catégorie prévue à l’article 29c), à savoir « toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement » s’applique à la présente affaire.

[108] Toutefois, le Tribunal est conscient que les circonstances raisonnables qui sont prévues par règlement se rapportent aux motifs supplémentaires énoncés dans le Règlement. En l’espèce, l’appelant n’a pas prétendu qu’il y a des circonstances énumérées à l’article 51.1 du Règlement qui s’appliquent en l’espèce.

[109] Cependant, le Tribunal est également conscient que la liste figurant à l’article 29c) de la Loi n’est pas exhaustive, et que toutes les circonstances pertinentes d’une affaire doivent être prises en compte. Ainsi, le Tribunal examinera plus à fond les circonstances qui, selon l’appelant, auraient donné lieu à son congédiement déguisé.

[110] Plus précisément, l’appelant a déclaré qu’il avait démissionné de son poste parce qu’il avait l’impression qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé parce qu’il n’avait pas été payé et parce qu’il avait l’impression que son employeuse cherchait à le remplacer.

[111] Le Tribunal conclut que la présomption selon laquelle l’appelant allait être congédié et remplacé n’était que cela - une présomption. L’employeuse a plutôt présenté un témoignage crédible selon lequel l’appelant serait toujours à son service s’il n’avait pas démissionné de son poste. De plus, l’appelant a cru qu’il allait perdre son emploi parce qu’il avait vu une annonce sur Kijiji concernant un poste de parajuriste chez son employeuse qui comportait des responsabilités semblables aux siennes.

[112] Toutefois, comme l’a fait observer l’intimée, l’employeuse a fait paraître une annonce pour un poste de parajuriste agréé pour se faire aider dans les affaires relevant des petites créances, et l’appelant savait très bien qu’il ne pouvait pas accomplir toutes les tâches mentionnées dans l’annonce parce qu’il n’était pas un parajuriste agréé [mis en évidence par la soussignée]. En réponse à la préoccupation manifeste de l’appelant concernant son emploi, l’employeuse a tenté de rassurer l’appelant en lui indiquant que son emploi n’était pas en danger et qu’elle cherchait à louer un local pour bureau et à obtenir de l’aide pour certaines tâches auxquelles il ne pouvait pas contribuer parce qu’il n’était pas un parajuriste agréé. Toutefois, ces assurances n’ont pas suffi à convaincre l’appelant que son emploi n’était pas en jeu.

[113] Le Tribunal conclut qu’il n’y a aucune preuve fiable qui indique que l’emploi de l’appelant était en danger au moment où il a démissionné. De plus, le Tribunal souligne que, même si son emploi avait été en danger, cette préoccupation n’équivaut pas à une justification pour quitter son emploi, et qu’une solution raisonnable aurait été de continuer à travailler à cet endroit jusqu’à ce qu’il reçoive un avis quelconque l’informant qu’il était congédié.

[114] L’appelant a également déclaré qu’il avait l’impression qu’il allait être congédié parce qu’il n’avait pas été payé en date du 2 mai 2016. Toutefois, il a été révélé à l’audience que la question de savoir si l’appelant était payé à l’avance est présentement examinée dans le cadre d’une autre instance. Ainsi, on ne sait pas avec certitude si l’employeuse devait de l’argent à l’appelant pour le travail accompli ou si l’employeuse était simplement en retard dans le versement de l’avance que l’appelant avait l’habitude de recevoir.

[115] Quoi qu’il en soit, le Tribunal conclut que la décision de l’appelant de démissionner le jour suivant le jour où il a eu l’impression que sa paie lui était due n’était pas la seule solution raisonnable en l’espèce. La solution raisonnable en l’espèce était de rester au service de son employeuse et de travailler à régler les questions relatives à la paie. En effet, en s’engageant dans la voie qu’il a choisie, l’appelant est passé d’un revenu stable à une absence de revenu, ce qui ne constituait manifestement pas la seule solution raisonnable au moment où l’appelant a admis qu’il éprouvait des difficultés financières.

[116] Selon la jurisprudence dans ce domaine du droit, il incombe à l’assuré, comme contrepartie de sa participation au régime, de ne pas, sans justification, provoquer le risque de chômage et de ne pas transformer un simple risque en une certitude de chômage (Canada c Langlois 2008 CAF 18; Tanguay c Canada, 1458-84). Malheureusement, il semble que ce soit ce qui s’est produit en l’espèce.

[117] Même si l’appelant était insatisfait de certains aspects de son travail, le Tribunal conclut que l’une des solutions de rechange raisonnables à sa démission aurait été de discuter des problèmes qu’il croyait avoir avec son employeuse afin de les régler, et, si aucune solution n’était trouvée, de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi.

[118] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui était de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

Conclusion

[119] L’appel est rejeté.

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi
  1. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
    1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
    2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
    3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
      1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
      2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
      3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
    4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
      1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
      2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
      3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
      4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
      5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
      6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
      7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
      8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
      9. (ix) modification importante des fonctions,
      10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
      11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
      12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
      13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
      14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
  2. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
    1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
    2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  3. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  4. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
  5. (4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
  6. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.
  7. (6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  8. (7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.
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