Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 124

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division général, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. W.
Représentante ou représentant : N. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (437588) datée du 15 novembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Charlotte McQuade
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 5 janvier 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 11 janvier 2022
Numéro de dossier : GE-21-2524

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté avec modification.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné son congédiement) le 21 décembre 2020. Cela signifie que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 20 décembre 2020 plutôt que du 13 décembre 2020Note de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire était camionneur. Il a perdu son emploi. Son employeur a dit qu’il avait été congédié parce qu’il avait été insubordonné envers son superviseur et qu’il lui avait fait des menaces.

[4] Le prestataire soutient qu’il n’a pas fait de menaces à son superviseur, mais il avoue lui avoir envoyé un message texte qui disait [traduction] « va te faire foutre » deux fois. Par contre, le prestataire affirme que ce texte n’est pas la vraie raison pour laquelle l’employeur l’a congédié. Il dit que l’employeur l’a congédié parce qu’il avait soulevé à maintes reprises des préoccupations concernant la sécurité du camion qu’il conduisait et parce que, trois semaines avant son congédiement, il n’avait pas accepté de se faire payer au kilomètre plutôt qu’à l’heure.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement fournie par l’employeur. Elle a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la Commission a décidé que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[6] Je dois décider pourquoi le prestataire a perdu son emploi, s’il a adopté la conduite pour laquelle il a été congédié et si cette conduite constitue une inconduite au titre de la loi.

Question que je dois examiner en premier

La représentante du prestataire voulait également témoigner

[7] La représentante du prestataire, qui était son épouse, voulait également témoigner. Je lui ai permis de le faire.

La représentante du prestataire a présenté une affaire pour laquelle elle avait présenté des observations après l’audience

[8] La représentante du prestataire a présenté des observations au sujet d’une affaire, mais cette affaire ne figurait pas au dossier. J’ai demandé à la représentante du prestataire de fournir cette affaire au Tribunal après l’audience. Elle l’a fait le 7 janvier 2021Note de bas de page 2 et elle a aussi fourni une copie à la Commission.

Partie mise en cause potentielle

[9] Le Tribunal a désigné l’employeur du prestataire comme une personne pouvant être mise en cause. Une lettre a donc été envoyée à l’employeur pour lui demander s’il voulait être mis en cause. Pour être mis en cause, l’employeur devait démontrer qu’il avait un intérêt direct dans l’appel. L’employeur n’a pas répondu à la lettre du Tribunal. Comme il n’y a rien dans le dossier d’appel qui montre que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie mise en cause.

Question en litige

[10] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[11] Pour répondre à la question de savoir si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois d’abord établir pourquoi le prestataire a perdu son emploi et s’il a adopté la conduite pour laquelle il a été congédié. Je dois ensuite décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il perdu son emploi et a-t-il adopté la conduite pour laquelle il a été congédié?

[12] J’estime que le prestataire a perdu son emploi parce qu’il a envoyé un message texte contenant des injures à son superviseur le 18 décembre 2020. Le prestataire convient avoir envoyé ce message texte.

[13] La Commission et le prestataire ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle ce dernier a perdu son emploi. La Commission soutient que la raison que l’employeur a donnée est la vraie raison du congédiement. L’employeur a dit à la Commission que le prestataire avait été congédié pour insubordination parce qu’il lui avait fait des menacesNote de bas de page 3. L’employeur n’a fourni aucun autre détail.

[14] Le prestataire n’est pas d’accord. Le prestataire affirme que la vraie raison pour laquelle il a perdu son emploi est qu’il s’était plaint à plusieurs reprises au superviseur de problèmes de sécurité et que, trois semaines avant son congédiement, le prestataire n’avait pas accepté une proposition de changement visant à le payer au kilomètre plutôt qu’à l’heure. Le prestataire croit que le congédiement était une forme de représailles pour ce refus et ne voulait pas laisser tomber ses préoccupations liées à la sécurité.

[15] Il incombe à la Commission d’établir que la perte d’emploi par le prestataire est [traduction] « attribuable à sa propre inconduite ». La Commission doit démontrer que cela est plus probable qu’improbable. Pour s’acquitter de ce fardeau, le Tribunal doit être convaincu que l’inconduite était le motif du congédiement et non l’excuse. Cette exigence nécessite une détermination factuelle après avoir apprécié l’ensemble de la preuveNote de bas de page 4.

[16] Le prestataire a déclaré qu’il avait été embauché environ un an avant son congédiement. Son travail consistait à conduire un camion semi-remorque et à transporter des produits chimiques vers des fermes. Le prestataire a expliqué que l’endroit où il travaillait était petit, avec 11 ou 12 employés, y compris son superviseur. Il y avait des cadres supérieurs à un autre emplacement.

[17] Le prestataire a dit que son superviseur et un certain nombre d’employés vivaient dans la même petite ville et se connaissaient très bien. Il a dit qu’il était traité comme un étranger par les autres employés, et il a fourni des exemples de cela. Un membre du personnel lui a dit qu’il ne pouvait pas s’asseoir dans une certaine chaise. Un autre employé fumait dans un bureau et, lorsqu’il a demandé s’il pouvait se joindre à lui, on lui a dit de fumer à l’extérieur. Un autre employé lui a dit qu’il ne pouvait pas boire le café que lui et un autre collègue avaient acheté. Quelques-uns d’entre eux parlaient de sport et il ne s’intéressait pas vraiment aux sports. Il avait aussi l’impression qu’un autre collègue lui attribuait tout le travail physique à faire dans la cour. Un des collègues disait des choses comme [traduction] « tu ne connais pas (le superviseur). Tu vas te faire mettre à la porte. » Le prestataire a dit qu’il avait l’impression que les autres employés formaient un cercle et qu’il regardait de l’extérieur. Le prestataire a expliqué que quelques mois après son embauche, il avait dit au superviseur qu’il allait démissionner, mais que le superviseur lui avait assuré que son emploi n’était pas en danger, alors le prestataire est resté. Le prestataire a affirmé qu’il avait un très bon rendement et qu’il était parmi les trois meilleurs conducteurs de l’Ouest canadien.

[18] Le prestataire a déclaré qu’il croit que son congédiement était attribuable à ses plaintes au sujet de la sécurité de son camion et à son refus d’accepter un changement à la façon dont il était payé. Le prestataire a dit que lorsqu’il a été embauché, son superviseur lui avait dit [traduction] « rien ne va jamais au-dessus de moi ». Le prestataire a dit qu’il avait compris cela comme signifiant qu’il devait seulement traiter avec le superviseur pour tout problème. Le prestataire a dit que le camion qu’il conduisait était vieux et que beaucoup de choses commençaient à briser. Il a dit, par exemple, qu’il avait perdu un plateau d’embrayage.

[19] Le prestataire a dit avoir porté des préoccupations concernant la sécurité de son camion à l’attention de son superviseur à plusieurs reprises. Le superviseur l’écoutait, mais il ne faisait rien par la suite. Le prestataire a dit que c’était parce que le superviseur prévoyait de remplacer le camion, mais qu’il ne l’avait pas fait. Le prestataire a affirmé, par exemple, qu’il ne cessait de demander de nouveaux phares, car il avait de la difficulté à voir sur les routes. Il a dit qu’il avait fallu six mois au superviseur pour s’en occuper et qu’il avait seulement acheté des phares antibrouillard et non de nouveaux phares. Le prestataire a affirmé qu’il s’était plaint à plusieurs reprises pendant des mois de l’état de ses pneus et que le problème avait seulement été réglé deux mois avant son congédiement. Pourtant, un autre membre du personnel a seulement demandé une fois de faire réparer ses pneus, et ils ont été réparés immédiatement. Le prestataire a déclaré qu’un changement d’huile requis avait seulement été effectué cinq mois après la date d’échéance.

[20] Le prestataire a expliqué que trois semaines avant son congédiement, sa mère âgée avait fait une chute grave et qu’elle avait été hospitalisée. Il a dit à son superviseur ce qui s’était passé et celui-ci lui a répondu qu’ils seraient là pour le soutenir et lui donner tout ce dont il aurait besoin.

[21] Le prestataire a aussi dit qu’environ trois semaines avant son congédiement, le superviseur avait tenté de le convaincre de changer la façon dont il était payé. Il voulait payer le prestataire au kilomètre plutôt qu’à l’heure. Le prestataire a dit que cela lui aurait donné moins d’argent et qu’il avait donc dit à son superviseur qu’il n’était pas d’accord. Le prestataire a dit que le superviseur n’aimait pas cela, mais qu’il n’avait pas accepté de continuer à le payer à l’heure. Le superviseur lui a toutefois dit de ne pas dire aux autres conducteurs de quelle façon il était payé. Le prestataire a dit qu’il avait découvert dix mois après son entrée en fonction que d’autres chauffeurs étaient payés pour leur heure de dîner, mais que lui ne l’était pas. Le prestataire a dit qu’il pense que son congédiement était une mesure de représailles pour ses plaintes continues liées à la sécurité et son refus de changer la façon dont il se faisait payer.

[22] Le prestataire a témoigné du dernier incident qui a eu lieu avant son congédiement. Le prestataire a dit avoir vu un préposé au quai conduire son camion assigné la veille de sa dernière journée. Ils étaient occupés à ce moment-là et ces travailleurs étaient arrivés plus tôt. Le prestataire a expliqué qu’il était arrivé plus tard parce qu’il a des restrictions légales quant au moment où il peut conduire. Il est entré au moment où il avait le droit de conduire. Le prestataire a dit que le préposé au quai qui conduisait son camion assigné n’avait pas le permis de classe 1 requis pour conduire ce camion. Cependant, le prestataire affirme n’avoir rien dit ce jour-là.

[23] Le prestataire a affirmé que le lendemain, soit le 18 décembre 2020, le préposé au quai conduisait de nouveau le camion. Le prestataire affirme qu’il ne le conduisait pas correctement. Il faisait rebondir le camion en appliquant les freins, et il traînait une remorque neuve et coûteuse. Le prestataire a dit au préposé au quai qu’il ne devrait pas conduire le camion. Le préposé au quai a répondu que le prestataire aurait dû se présenter au travail plus tôt. Le prestataire a dit qu’il avait répondu [traduction] « Pardon? J’ai des responsabilités. » Après cela, le préposé au quai a téléphoné au superviseur qui était à la maison et qui n’était pas sur place à ce moment-là. Le prestataire a dit que le superviseur lui a ensuite téléphoné et lui a dit « tu cries après mon préposé au quai ». Le prestataire a expliqué qu’il n’avait pas crié et qu’il essayait d’expliquer pourquoi le préposé au quai ne devrait pas faire ce qu’il faisait. Le prestataire a dit avoir dit au superviseur [traduction] « vous êtes fâché contre moi », et que celui-ci a dit qu’il l’était.

[24] Le prestataire a affirmé que pendant que le superviseur se rendait au travail en voiture, le prestataire se trouvait près de la barrière en train de faire une inspection avant départ pour se préparer à prendre la route. Il a envoyé un message texte au superviseur dans lequel il disait [traduction] « va te faire foutre… va te faire foutre ». Le prestataire a expliqué qu’il l’avait fait parce qu’il était contrarié au sujet des problèmes de sécurité et qu’il se sentait frustré par tout. Le prestataire a dit qu’il n’y avait rien de menaçant dans son message texte. Il avait simplement texté ces injures.

[25] Lorsque le superviseur est entré dans la cour, il a dit au prestataire de faire sa journée. Le prestataire a dit qu’il refusait de conduire. Il a dit au superviseur qu’il était trop contrarié pour conduire. Il a dit au superviseur qu’il [traduction] « en avait assez » et qu’il n’allait pas conduire de cette façon. Le superviseur lui a ensuite dit de nettoyer son camion et de rentrer chez lui. Le prestataire a dit que pendant qu’il nettoyait le camion, le superviseur lui a dit de se dépêcher et le prestataire lui a dit qu’il réagissait de façon démesurée.

[26] Le prestataire a dit que le superviseur a ensuite brandi son téléphone cellulaire en souriant et qu’il a dit [traduction] « j’ai reçu le message texte… j’ai reçu le message texte », ce que le prestataire a trouvé moqueur. Le prestataire a répondu au superviseur qu’il se fichait qu’il ait reçu le message texte puisque le superviseur ne l’écoutait pas. Le superviseur lui a dit de rentrer chez lui de nouveau.

[27] Le prestataire a dit avoir alors dit au superviseur que c’était de sa faute, qu’il ne gérait pas correctement, qu’il avait créé cette animosité et ce problème, et qu’il devait s’en occuper. Le superviseur lui a dit de sortir tout de suite et le prestataire est alors parti. Le prestataire a dit qu’il n’y avait pas d’autres travailleurs lorsque cet échange a eu lieu, car son camion était garé où la barrière.

[28] Le prestataire a déclaré qu’il avait envoyé le texte au superviseur par frustration. Il a dit qu’il était furieux. Il se sentait dans une situation sans issue et il en avait assez. Le prestataire a dit qu’il n’avait jamais eu d’incident de cette nature auparavant avec son superviseur et qu’il n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires auparavant.

[29] Le prestataire a dit que lorsqu’il est rentré à la maison, il a reçu un appel lui disant qu’il avait été suspendu le temps qu’une enquête soit menée. Il a dit qu’il avait ensuite envoyé une longue lettre au vice-président et chef de la direction de l’entreprise pour lui faire part de ses préoccupations. Le prestataire affirme qu’il n’a participé à aucune enquête. Au début de janvier, il a reçu un appel d’un membre de la direction. Il a demandé à cette personne s’il devait se trouver un avocat et elle lui a répondu qu’il pouvait s’il le voulait. Le prestataire lui a dit que c’était correct. Le prestataire affirme qu’on lui a dit qu’il serait congédié en raison du message texte qu’il avait envoyé et qu’il y avait une tolérance zéro pour ce genre de chose. On a dit au prestataire que son superviseur n’aimait pas qu’on lui envoie des injures. Le prestataire a dit qu’on lui avait également dit qu’il recevrait une petite indemnité de départ. Cependant, il n’a jamais reçu d’indemnité ni de lettre de congédiement.

[30] Le prestataire et l’employeur conviennent que le prestataire a envoyé un message texte inapproprié à son superviseur le 18 décembre 2020. L’employeur a dit à la Commission que le prestataire était insubordonné parce qu’il avait envoyé un message texte menaçant et que c'était pour cette raison qu'il avait été congédié. Le prestataire affirme que le message texte disait seulement [traduction] « va te faire foutre… va te faire foutre » et qu’il n’était pas menaçant. Le message texte dont il est question ne figure pas au dossier. Je conclus que le prestataire a envoyé un message texte à l’employeur qui disait [traduction] « va te faire foutre… va te faire foutre ».

[31] La Commission affirme que le prestataire avait des préoccupations liées à son milieu de travail, mais le prestataire n’a pas quitté son emploi pour cette raison et il n’a pas démontré qu’elles étaient la raison de son congédiement. La Commission affirme que la raison du congédiement, selon les renseignements que le prestataire a fournis à la Commission, est le message texte qu’il a envoyé à son superviseur.

[32] Le prestataire affirme qu’il n’a pas été congédié à cause du message texte, mais parce qu’il ne voulait pas laisser tomber les questions de sécurité, et qu’il a refusé de se faire payer au kilomètre plutôt qu’à l’heure.

[33] J’estime que le prestataire a été congédié en raison du message texte inapproprié qu’il a envoyé à son superviseur.

[34] Il ne fait aucun doute que le prestataire a envoyé un message texte à son superviseur contenant une injure le 18 décembre 2020, et que lui et le superviseur se sont disputés ce jour-là. Immédiatement après cet incident, le prestataire s’est fait dire de rentrer chez lui, et on lui a dit que ce jour-là qu’il était suspendu le temps qu’une enquête soit menée. Un représentant de l’employeur a dit au prestataire qu’il était congédié en raison de son message texte et qu’il y avait une tolérance zéro à cet égard. Ces faits appuient la conclusion selon laquelle le congédiement était directement lié au message texte. La mesure disciplinaire a été imposée tout de suite après l’incident.

[35] Les renseignements initiaux fournis par le prestataire à la Commission disaient également que le message texte était la raison du congédiementNote de bas de page 5.

[36] Le prestataire pense que le message texte était une excuse pour le congédier. Il dit que c’est parce qu’il avait fait des plaintes au sujet de la sécurité et qu’il refusait de changer la façon dont il était payé. Toutefois, je crois qu’il s’agit seulement d’une présomption de la part du prestataire. À cet égard, le prestataire travaillait pour l’employeur depuis près d’un an et il se plaignait de la sécurité depuis de nombreux mois avant son congédiement. Il n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire antérieure malgré ces plaintes. En effet, le prestataire affirme dans sa demande de révision qu’il a reçu des avis fréquents de son superviseur disant qu’il était un de leurs meilleurs conducteurs dans l’Ouest canadien, et que le superviseur lui avait confié la responsabilité de fermer à clé la nuitNote de bas de page 6. Il a aussi écrit dans sa demande de prestations qu’on lui avait récemment dit qu’il avait de bonnes pratiques de travailNote de bas de page 7. Le prestataire a déclaré qu’il n’avait jamais eu d’incident comme celui du 18 décembre 2020 avec le superviseur.

[37] En ce qui concerne la question de la paie, bien que le prestataire se soit opposé à un changement dans la façon dont il était payé, le superviseur a accepté que le prestataire continue d’être payé à l’heure. Je remarque également que le prestataire a fourni des renseignements un peu différents dans son témoignage et dans sa demande de révision quant au moment de la demande de changement relative à sa paie. Il a dit dans sa demande de révision que la demande de changement avait été faite quelques mois après son embauche. Il a toutefois déclaré que cette demande avait été présentée trois semaines avant son congédiement. Cette divergence d’information sur le moment de la demande m’amène à m’interroger sur le lien entre la question de la paie et le congédiement. Je ne sais pas exactement quand cette demande a été faite.

[38] Le prestataire a également fourni une explication assez différente de ce qui s’est produit le 18 décembre 2020 dans sa demande de révision par rapport à ce qu’il avait déclaré. Il a dit dans sa demande de révision que son superviseur lui avait dit de [traduction] « se la fermer » et qu’il l’avait réprimandé devant d’autres membres du personnel, ce qui l’avait amené à envoyer un message texte avec des injures au superviseur. Cependant, le prestataire n’a rien dit dans son témoignage voulant que le superviseur lui ait dit de se taire ou qui l’avait réprimandé devant d’autres membres du personnel, ou que c’était la raison pour laquelle il lui avait envoyé un message texte avec des injures. Il a dit que le superviseur n’était même pas sur place quand il a envoyé le message texte et que c’est après une conversation téléphonique qu’il l’avait envoyé. Il a également expliqué que l’échange qu’il avait eu avec le superviseur avant de partir avait eu lieu dans la cour près de la barrière à un moment où personne d’autre n’était présent.

[39] J’ai de la difficulté à concilier ces deux versions de ce qui s’est passé. Elles sont très différentes. Je note que dans sa demande de prestations, le prestataire a écrit : [traduction] « en raison d’une surcharge de travail, de l’utilisation de matériel non sécuritaire et d’un sentiment d’anxiété pour des raisons de maladie dans la famille, il y a eu un conflit entre mon superviseur et moi. Cette situation m’a amené à envoyer un message texte avec un langage inapproprié à mon patron. Je me suis rendu compte par la suite que ce n’était pas la meilleure option, mais que j’avais été provoqué par mon superviseurNote de bas de page 8». 

[40] J’accepte le témoignage du prestataire concernant ce qui s’est passé, car il a été fait sous serment et il est conforme aux renseignements initiaux qu’il a fournis dans sa demande. L’information dans la demande a été fournie plus près de l’événement en question et par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’une description plus fiable de ce qui s’est passé.

[41] Le prestataire laisse entendre que le fait que l’employeur lui ait montré le message texte de façon moqueuse a une certaine importance. Cependant, je ne peux pas déduire de cet incident que le superviseur utilisait le message texte comme excuse pour congédier le prestataire pour d’autres raisons. Il est possible qu’il ne faisait que reconnaître le caractère inapproprié du message texte. Rien n’indique que, sauf pour le message texte que le prestataire a envoyé le 18 décembre 2021, l’emploi du prestataire ne se serait pas poursuivi. Je conclus donc que le message texte était la raison de la cessation d’emploi.

[42] J’estime que la Commission s’est acquittée de son fardeau. Je conclus que le prestataire a été congédié pour avoir envoyé à son superviseur un message texte inapproprié contenant des injures le 18 décembre 2020. Personne ne conteste le fait qu’il a envoyé ce message texte.

[43] Le prestataire affirme qu’il a seulement été congédié au début de janvier 2021, quand un membre de la direction lui a téléphoné pour l’en informer. Toutefois, le prestataire a demandé des prestations le 31 décembre 2020, et a expliqué dans sa demande qu’il avait déjà été congédié 13 jours après sa dernière journée de travailNote de bas de page 9. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire ait été congédié le 21 décembre 2020.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite au titre de la loi?

[44] La raison pour laquelle le prestataire a été congédié est une inconduite au titre de la loi.

[45] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 10. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 11. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (en d’autres mots, il n’est pas nécessaire de conclure qu’il voulait faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 12.

[46] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pourrait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’en conséquence, son congédiement était une possibilité bien réelleNote de bas de page 13.

[47] Il faut que la Commission prouve que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 14.

[48] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que le prestataire a eu une conduite irrespectueuse envers son employeur et qu’il a délibérément compromis son emploi en le faisant. La Commission affirme que la provocation, les propos obscènes et abusifs adressés à un employeur constituent une inconduite.

[49] Le prestataire a dit dans sa demande de prestations que l’employeur avait une politique contre l’intimidation et le harcèlement. Il a dit qu’il avait suivi un cours d’informatique lorsqu’il a été embauché, mais qu’il ne se souvenait pas des détails. Il a confirmé qu’il avait été informé de la politique de l’employeur concernant la violence et les comportements inappropriés envers un collègue ou un supérieur sur ordinateur et par un test qu’il devait passerNote de bas de page 15. Il a dit dans sa demande qu’il n’avait pas respecté la politique en raison de problèmes de sécurité et d’une série de pratiques de travail injustes où il a été pointé du doigt, qui ont mené à son comportementNote de bas de page 16.

[50] Le prestataire a déclaré qu’il avait fait un quiz à l’ordinateur concernant l’intimidation, mais que son superviseur ne l’avait informé d’aucune politique sur l’intimidation. Il dit qu’il n’était au courant d’aucune politique qui parlait de mesures disciplinaires lors de l’usage (verbal ou par message texte) du langage qu’il avait utilisé. Il affirme qu’il ne pensait pas qu’envoyer un message texte pouvait entraîner l’imposition de mesures disciplinaires ou son congédiement. Il dit qu’il était tout simplement en colère et frustré. Il en est arrivé au point où il n’y avait rien qui fonctionnait et il en avait assez alors il a envoyé le message texte. Il dit qu’il n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires.

[51] La représentante du prestataire a déclaré qu’elle avait entendu la conversation que le prestataire avait eue avec l’agent de révision et elle a affirmé que les notes de l’agent de révision indiquaient que le prestataire avait déclaré avoir un trouble bipolaire. Elle affirme que le prestataire n’a pas de trouble bipolaire et qu’il n’en a jamais eu. Elle a dit que son conjoint faisait référence à un autre incident, mais qu’il trouvait difficile de communiquer. Elle affirme que l’agent de révision essayait d’établir une croyance préconçue selon laquelle le prestataire avait volontairement agi de façon irrespectueuse. Elle affirme que l’agent a également dit que le prestataire ne répondait pas, mais qu’il n’a pas rappelé plusieurs fois. Elle dit que l’agent présente l’incident avec le collègue qui conduisait son camion comme un événement mineur, mais ce n’était pas le cas. La personne conduisait le camion de façon agressive, ce qui a été un événement majeur. Elle dit qu’il n’était pas seulement en colère contre son gestionnaire, mais qu’il était dans un état d’esprit où il ne comprenait pas pourquoi d’autres employés ne s’occupaient pas de l’équipement et pourquoi les questions de sécurité, comme les phares, n’étaient pas abordées. Il y avait aussi des problèmes de paie. Elle dit que les conducteurs sont ceux qui sont le plus durement touchés lorsqu’il y a un accident. Elle affirme que le prestataire s’est également fait harceler de façon subtile, mais sournoise. Elle affirme que l’incident était le résultat de pressions incessantes. Elle affirme qu’en raison de tous ces facteurs, il ne s’est pas soucié de ce qui constituait un comportement approprié.

[52] La représentante du prestataire soutient qu’il n’y a eu aucune inconduite parce que les gestes du prestataire n’étaient pas délibérés. Elle soutient que le prestataire a posé ces gestes parce que son employeur refusait d’aborder ses préoccupations liées à la sécurité et parce qu’il se faisait harceler par ses collègues. Elle soutient que le prestataire avait beaucoup de pression, qu’il était préoccupé par des problèmes de sécurité chroniques le touchant et mettant le public en général à risque, et qu’il se faisait harceler sans relâche. Il était dans un tel état d’esprit qu’il ne pensait pas que ce comportement pouvait entraîner une perte d’emploi. Elle dit que le dernier incident qui a entraîné le message texte était la conduite agressive de son véhicule par un collègue. Elle affirme que les gestes du prestataire doivent être considérés dans leur contexte global et non comme un événement isolé. Elle dit que, dans ce moment de frustration, il a eu un moment qu’il regrette maintenant où il s’est adressé à son superviseur de façon irrespectueuse.

[53] La représentante du prestataire soutient que l’importance des gestes de l’employeur a été diminuée. La représentante du prestataire affirme que le point culminant des événements est pertinent au fait que le prestataire a envoyé le message texte. Il a perdu le sens de ce qui était approprié à ce moment-là.

[54] La représentante du prestataire soutient également que l’enquête de l’employeur n’a pas été approfondie. Elle affirme que les gestes de l’employeur n’ont pas été pris en considération et que le prestataire n’avait pas été consulté dans le cadre de l’enquête. La représentante du prestataire a fait référence à une affaireNote de bas de page 17 de la Cour supérieure de justice de l’Ontario où il a été décidé que le défaut d’un employeur de mener une enquête appropriée sur la plainte de harcèlement d’un employé constituait un congédiement déguisé. La Cour a conclu que l’employeur avait le devoir de veiller à ce que le milieu de travail favorise le bien-être de ses employés. La Cour a décidé qu’en ne s’attaquant pas au harcèlement de la personne par ses collègues, l’employeur avait manqué à son obligation de fournir à ses employés un milieu de travail exempt de harcèlement. Elle a également présenté une affaireNote de bas de page 18 où un employé avait fait l’objet de mesures disciplinaires en raison de commentaires non sollicités formulés par d’autres employés dans le cadre d’un sondage sur la satisfaction des employés. La Cour a conclu que les actions de l’employeur équivalaient à un congédiement déguisé parce qu’il avait décidé que l’employé était coupable d’inconduite sans jamais mener d’enquête et sans donner à l’employé la possibilité de se défendre contre les allégations du sondage.

[55] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

[56] Le prestataire a dit à la Commission qu’il avait été informé de la politique de l’employeur concernant les comportements inappropriés à l’égard d’un collègue ou d’un supérieur par ordinateur et lors d’un test, et qu’il n’avait pas suivi cette politique. Le prestataire a déclaré qu’il avait fait un cours à l’ordinateur sur l’intimidation. Cependant, il affirme qu’il ne savait pas que ses gestes pourraient entraîner son congédiement. Le prestataire affirme également qu’il n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires antérieures avant son congédiement.

[57] La position du prestataire est que ses actions n’étaient pas délibérées. Il affirme avoir agi dans un moment de frustration en raison de l’inattention du superviseur à l’égard de graves problèmes de sécurité, de régimes de rémunération variables et du harcèlement de ses collègues.

[58] J’accepte la preuve du prestataire selon laquelle il a fait l’objet de comportements indésirables de la part de ses collègues qui l’ont fait sentir exclu. Je ne sais pas dans quelle mesure le prestataire a essayé d’aborder ces questions avec son superviseur. Toutefois, compte tenu de la petite taille de l’emplacement où travaillait le prestataire, je crois qu’il est plus probable que le contraire que le superviseur était au courant de la situation et qu’il ne l’a pas abordée avec les autres travailleurs. J’accepte également la preuve du prestataire selon laquelle il ressentait de la pression parce qu’il devait conduire un camion non sécuritaire pendant de longues périodes et qu’il s’inquiétait pour sa propre sécurité ainsi que celle du public. De plus, j’accepte son témoignage selon lequel d’autres employés étaient payés pour leur pause de dîner, alors que lui ne l’était pas. Je reconnais qu’il avait toutes ces questions à l’esprit au moment de l’incident. Il souligne dans sa demande qu’il était également préoccupé par la santé de sa mère à l’époque.

[59] Cependant, je n’accepte pas que l’effet cumulatif de ces questions sur le prestataire ait été tel qu’il n’a pas été en mesure de prendre une décision éclairée quant à l’envoi ou non du message texte. Aucune preuve médicale ne démontre que le fardeau qui lui incombait était tel qu’il n’était pas en mesure de prendre une décision consciente concernant ses gestes, et les circonstances entourant l’incident ne donnent pas à penser que ces gestes n’étaient pas délibérés. Le message texte a été envoyé après un appel téléphonique avec le superviseur durant lequel ils ont un désaccord. Le prestataire a envoyé le message texte pendant que le superviseur se rendait au travail. Comme l’a dit le prestataire, il était frustré et furieux. Bien que le prestataire puisse avoir été frustré et fâché contre son superviseur en raison de l’accumulation de problèmes, et qu’il puisse avoir agi de façon impulsive, cela ne signifie pas que ses gestes n’étaient pas délibérésNote de bas de page 19. À tout le moins, ses gestes étaient si insouciants qu’ils frôlaient le caractère délibéré.

[60] La Cour d’appel fédérale a conclu que, même si une personne a été provoquée ou a agi sur un coup de tête, cela n’est pas pertinent pour établir s’il y a eu inconduiteNote de bas de page 20.

[61] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire était au courant de la politique de l’employeur sur le comportement des employés, étant donné qu’il a suivi un cours à l’ordinateur et qu’il a passé un test à ce sujet. Toutefois, qu’il ait été informé ou non de la politique de l’employeur sur les comportements inappropriés et les conséquences de ceux-ci, j’estime que le prestataire aurait dû savoir qu’en envoyant à son employeur un message texte irrespectueux contenant une injure, il pourrait être congédié. Ses gestes équivalent à de l’insubordination et ils vont à l’encontre de l’obligation implicite prévue dans chaque contrat de travail de se comporter de manière respectueuse envers ses collègues et ses superviseurs.

[62] Je reconnais que le prestataire avait des préoccupations importantes concernant la sécurité, que le comportement inapproprié de ses collègues n’avait pas été abordé, et qu’il avait aussi des préoccupations concernant une divergence entre sa rémunération et celle de ses collègues. Le prestataire a déclaré qu’il n’avait parlé à personne de plus haut placé que son superviseur, parce que celui-ci lui avait dit que c’est avec lui qu’il devait aborder tout problème qui survenait. Cependant, il y avait une direction au-dessus du superviseur du prestataire. L’entreprise avait aussi une politique contre l’intimidation. Il y avait donc des options que le prestataire aurait pu envisager. Plutôt que d’envoyer un message texte à son superviseur, le prestataire aurait pu essayer de demander de l’aide à la direction pour régler les problèmes auxquels il faisait face, étant donné que son superviseur ne l’avait pas aidé. Le fait que son employeur n’avait pas abordé les problèmes concernant la sécurité ou le milieu de travail ne signifie pas que le prestataire pouvait faire fi de son obligation d’agir de façon respectueuse dans le milieu de travail.

[63] Je reconnais la jurisprudence fournie par la représentante du prestataire. Toutefois, il s’agit de cas de congédiement déguisé et non d’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, et il est donc possible de faire une distinction pour cette raison. La représentante du prestataire avance que l’enquête de l’employeur était inadéquate, car le prestataire n’y a pas pris part et que les gestes de l’employeur n’ont pas été pris en compte. Cependant, l’envoi du message texte n’était pas contesté et c’est pour cette raison que le prestataire a été congédié. Je n’estime donc pas que l’absence d’une enquête plus approfondie ait une incidence sur ma conclusion concernant l’inconduite du prestataire.

Ainsi, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[64] Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, je juge que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[65] La Commission a prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Comme j’ai conclu qu’il a perdu son emploi le 21 décembre 2020, la date de l’exclusion est modifiée du 13 décembre 2020 au 20 décembre 2020.

[66] Cela signifie que l’appel est rejeté avec modification.

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