Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CV c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 99

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. V.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (438529) datée du 18 novembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Paul Dusome
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 janvier 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 17 janvier 2022
Numéro de dossier : GE-21-2481

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, il n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, sa demande initiale ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôtNote de bas page 1.

[3] Le prestataire n’a pas démontré qu’il avait travaillé assez d’heures pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi au moment où il a présenté sa demande.

Aperçu

[4] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 12 octobre 2021. Il demande maintenant que la demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 15 novembre 2020. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a déjà rejeté cette demande.

[5] Je dois décider si le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable de ne pas demander des prestations plus tôt.

[6] La Commission affirme que le prestataire n’avait pas de motif valable parce qu’il n’a pas pris de mesures pour s’informer sur les prestations d’assurance‑emploi avant septembre 2021, même s’il a été en mesure d’intenter une poursuite contre son ancien employeur, de chercher du travail et d’obtenir un emploi en avril 2021.

[7] Le prestataire n’est pas d’accord et affirme qu’il était très anxieux et stressé parce que son ancien employeur l’avait forcé à quitter son emploi, qu’il n’avait pas de revenu et qu’il avait dû faire face à la poursuite. Il n’a pas envisagé les prestations d’assurance-emploi avant que son avocat ne lui en parle en septembre 2021.

[8] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi, mais la Commission a décidé qu’il n’avait pas travaillé assez d’heures pour être admissible au moment où il a présenté sa demande le 12 octobre 2021Note de bas page 2.

[9] Je dois décider si le prestataire a travaillé assez d’heures pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[10] La Commission affirme que le prestataire n’a pas accumulé assez d’heures parce qu’il a besoin de 420 heures, mais il en a seulement accumulé 194.

[11] Le prestataire n’est pas d’accord et affirme qu’il a accumulé 1 468 heures du 1er mars au 13 novembre 2020, sans compter que ses 12 années d’emploi consécutives devraient suffire pour le rendre admissible aux prestations. À l’audience, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas contesté cette question.

Questions en litige

[12] La demande de prestations du prestataire peut‑elle être traitée comme si elle avait été présentée le 15 novembre 2020? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande, c’est-à-dire en faire avancer la date.

[13] Le prestataire a-t-il travaillé assez d’heures pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi?

Analyse

Antidatation

[14] Pour que sa demande de prestations soit antidatée, une personne doit prouver les deux choses suivantesNote de bas page 3 :

  1. a) Elle avait un motif valable justifiant le retard durant toute la période écoulée. Autrement dit, elle avait une explication acceptable selon la loi.
  2. b) Elle était admissible aux prestations à la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle elle veut que sa demande soit antidatée).

[15] Les principaux arguments dans la présente affaire servent à décider si le prestataire avait un motif valable. C’est donc par cela que je commencerai.

[16] Pour démontrer qu’il avait un motif valable, le prestataire doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas page 4. Autrement dit, il doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et réfléchie aurait agi dans une situation semblable.

[17] Le prestataire doit prouver qu’il a agi de la sorte pour toute la période du retardNote de bas page 5. Cette période s’étend du jour où il veut que sa demande initiale soit antidatée au jour où il a présenté cette demande. Par conséquent, la période de retard du prestataire est du 15 novembre 2020 au 12 octobre 2021.

[18] Le prestataire doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement s’il avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas page 6. Autrement dit, le prestataire doit démontrer qu’il a fait de son mieux pour essayer de s’informer sur ses droits et ses responsabilités dès que possible. Si le prestataire ne l’a pas fait, il doit alors démontrer les circonstances exceptionnelles qui l’en ont empêchéNote de bas page 7.

[19] Le prestataire doit le démontrer selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait un motif valable justifiant son retard.

[20] Le prestataire affirme qu’il avait un motif valable justifiant son retard parce qu’il était très anxieux et stressé, et qu’il se concentrait sur la poursuite et sur la recherche d’un nouvel emploi. Dans son cas, il ne pourrait pas être considéré comme une personne raisonnable selon la loi.

[21] La Commission affirme que le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant son retard parce que ni son état de santé ni sa poursuite ne l’ont empêché de s’informer sur les prestations d’assurance-emploi et d’en faire la demande. Sa capacité de se concentrer sur la poursuite et sa recherche d’emploi, puis de commencer un nouvel emploi en avril 2021, montre qu’il était en mesure de s’informer sur ses droits et ses responsabilités en matière d’assurance-emploi.

[22] J’estime que le prestataire n’a pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant la présentation tardive de sa demande de prestations parce qu’il n’a pris aucune mesure avant octobre 2021 pour s’informer sur les prestations d’assurance-emploi ou en faire la demande. Une personne raisonnable qui aurait perdu sa source de revenus pour sa famille se serait informée sur les prestations d’assurance-emploi et en aurait fait la demande. Le prestataire était anxieux et stressé à cause de son ancien emploi. La lettre médicale qu’il a remise à la Commission ne suffisait pas à démontrer que son état de santé était si grave qu’il ne pouvait pas communiquer avec la Commission pour s’informer sur les prestations d’assurance-emploi et en faire la demande.

[23] Le prestataire a témoigné au sujet de son ancien emploi. Il a travaillé pour l’employeur pendant 12 ans. En plus d’avoir contribué au succès de l’employeur, il avait une très bonne réputation dans son domaine. Il y a toutefois eu un changement de direction. Son nouveau patron était agressif et le harcelait. Il a promu les collègues subalternes du prestataire (qui relevaient de lui) à des postes supérieurs. Le prestataire relevait maintenant de ces personnes. Le patron a rétrogradé le prestataire, sans toutefois lui donner de raison. La rétrogradation et le climat de travail ont causé beaucoup de stress et d’anxiété au prestataire. C’était insultant et cela nuisait à sa réputation. Il a donc démissionné. Au début, il restait au lit toute la journée à cause du stress et de l’anxiété. En novembre et en décembre 2020, le prestataire a brièvement réfléchi à l’assurance‑emploi, mais il n’a pas communiqué avec la Commission parce qu’il n’était pas dans le bon état d’esprit. À un moment donné, il pensait qu’il ne recevrait pas de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait quitté son emploi.

[24] Son besoin de subvenir aux besoins de sa famille et la façon dont il avait été traité par l’employeur ont incité le prestataire à retenir les services d’un avocat et à intenter une poursuite pour congédiement déguisé. Il se concentrait uniquement sur la bataille juridique. L’ensemble du processus judiciaire était stressant et angoissant. Sur recommandation de son avocat, le prestataire a commencé à chercher du travail. Cela appuierait sa poursuite. Il a commencé ses recherches vers le début de janvier 2021. Celles-ci étaient aussi stressantes et décourageantes, car les possibilités d’emploi étaient limitées en raison de la COVID‑19. En février 2021, le prestataire a commencé à recevoir des réponses à ses demandes d’emploi. Il a commencé un nouvel emploi le 18 avril 2021.

[25] Entre le 13 novembre 2020 et la fin d’avril 2021, le prestataire n’avait aucun revenu. Son épouse travaillait à temps partiel, mais son revenu n’était pas suffisant. Ils ont dû utiliser une marge de crédit pour payer leurs dépenses pendant cette période et ont aujourd’hui une dette importante à rembourser.

[26] Lorsque le prestataire a commencé son nouvel emploi en avril 2021, il a dit qu’il n’avait pas demandé de prestations d’assurance-emploi pour différentes raisons. Cela ne faisait pas partie de ses intentions et il ne savait pas s’il avait droit à des prestations. Il avait maintenant un emploi et un revenu pour subvenir aux besoins de sa famille. Il a consacré toute son énergie à la poursuite et à son nouvel emploi. Il travaillait de 10 à 12 heures par jour, du lundi au vendredi, pour impressionner son nouvel employeur et conserver son poste.

[27] En septembre 2021, la poursuite avec l’ancien employeur s’est réglée. À ce moment-là, l’avocat du prestataire lui a dit qu’il pouvait demander des prestations d’assurance-emploi, sans toutefois lui dire de le faire immédiatement. Le prestataire a fait des recherches en ligne et a présenté une demande trois semaines plus tard. Le retard était dû au fait qu’il était très occupé au travail.

[28] Le prestataire a dit qu’il avait consulté son médecin de famille avant, pendant et après sa démission de l’ancien employeur. Il a obtenu une ordonnance pour de l’Ativan en septembre et en octobre 2020 en raison de son stress et de son anxiété. Il ne l’a pas renouvelée et a arrêté de prendre sa médication pour éviter toute dépendance éventuelle. Il a déclaré que son état de santé ne l’avait pas empêché de demander des prestations d’assurance-emploi. Il se concentrait uniquement sur la poursuite et son nouvel emploi. La lettre du médecin du prestataire est datée du 18 novembre 2021. Elle précise que le prestataire est sous les soins du médecin depuis 2015. Le prestataire a démissionné de son emploi précédent le 13 novembre 2020 en raison du stress et de l’anxiété liés à son milieu de travail. Le médecin a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Veuillez noter qu’il n’a pas pu demander de prestations d’assurance‑emploi au moment opportun en raison d’un stress accablant et d’une instabilité mentale ».

[29] Je dois maintenant appliquer le critère juridique lié à l’antidatation aux faits mentionnés précédemment.

[30] Le prestataire a-t-il agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les circonstances pour s’informer sur ses droits et ses obligations? Non, il ne l’a pas fait pour les raisons suivantes.

[31] Le prestataire avait perdu sa seule source de revenus. Sa famille s’est donc retrouvée dans une situation financière difficile. Une personne raisonnable et prudente aurait essayé de s’informer sur d’autres sources de revenus, y compris les prestations d’assurance-emploi. Le prestataire n’avait pas demandé de prestations d’assurance‑emploi auparavant, mais il était au courant de l’assurance-emploi. En novembre et en décembre 2020, il a brièvement réfléchi à l’assurance-emploi, mais il n’a pas communiqué avec la Commission parce qu’il n’était pas dans le bon état d’esprit. À un moment donné, il pensait qu’il ne recevrait pas de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait quitté son emploi. Une personne raisonnable aurait fait des démarches pour en savoir plus sur l’assurance-emploi dans ces circonstances. Une recherche sur le Web aurait permis au prestataire de s’informer sur ses droits et ses obligations.

[32] Le prestataire doit avoir agi comme une personne raisonnable pour toute la période du retard. Selon la preuve, le prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait jusqu’à ce que son avocat lui ait dit de demander des prestations d’assurance-emploi. C’est seulement à ce moment-là qu’il a fait des recherches en ligne sur l’assurance-emploi.

[33] Le prestataire a‑t‑il vérifié assez rapidement quels étaient ses droits et ses obligations? Non, il ne l’a pas fait pour les raisons suivantes.

[34] La demande de prestations d’assurance-emploi du prestataire a été présentée avec presque un an de retard, soit du 13 novembre 2020 au 12 octobre 2021. Le prestataire était au courant des prestations d’assurance-emploi dès le début, mais il les a oubliées ou n’était pas dans le bon état d’esprit pour faire la demande. Il n’a présenté aucune demande jusqu’à ce que son avocat lui dise de le faire en septembre 2021. C’est seulement à ce moment-là que le prestataire a commencé à faire des recherches en ligne sur l’assurance-emploi et qu’il a présenté une demande. Comme il n’a rien fait avant septembre 2021, le prestataire ne peut pas avoir « vérifié assez rapidement » quoi que ce soit.

[35] Si le prestataire n’a pas vérifié assez rapidement quels étaient ses droits et ses obligations, existe-t-il des circonstances exceptionnelles qui l’en auraient empêché? Non, pour les raisons suivantes.

[36] L’état de santé du prestataire, sa poursuite et son nouvel emploi sont tous des circonstances exceptionnelles possibles.

[37] Les problèmes médicaux du prestataire étaient le stress et l’anxiété. La lettre du médecin est très brève : elle mentionne le stress, l’anxiété et l’instabilité mentale du prestataire. Elle ne précise pas comment le médecin a diagnostiqué ces problèmes, ni s’il s’est simplement fié aux déclarations que le prestataire lui a faites. L’opinion du médecin selon laquelle le prestataire ne peut pas présenter de demande de prestations d’assurance‑emploi ne précise pas quel était le [traduction] « moment opportun ». Elle ne fournit pas non plus de fondement à la nature [traduction] « accablant[e] » des problèmes de santé du prestataire. La lettre n’appuie pas fortement une conclusion de circonstances exceptionnelles pour justifier le retard. De plus, l’opinion du médecin est minée par le fait que le prestataire a pu participer à la poursuite contre son ancien employeur, qu’il a pu chercher du travail et qu’il a pu obtenir et conserver un nouvel emploi. Ce fait nuit également à la poursuite et au nouvel emploi en tant que facteurs qui pourraient être suffisamment exceptionnels pour empêcher une personne raisonnable de s’informer sur ses droits et ses obligations en matière d’assurance‑emploi. La preuve ne me permet pas de conclure que des circonstances exceptionnelles ont justifié le retard.

[38] Je n’ai pas besoin d’examiner si le prestataire remplissait les conditions requises, à la date antérieure, pour recevoir des prestations. S’il n’a pas de motif valable, sa demande ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt. Je dois toutefois décider si le prestataire a accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations le 12 octobre 2021.

Nombre d’heures suffisant pour être admissible aux prestations

[39] Toute personne qui cesse de travailler ne reçoit pas nécessairement des prestations d’assurance‑emploi. Cette personne doit démontrer qu’elle remplit les conditions requises pour recevoir des prestationsNote de bas page 8. Le prestataire doit prouver cela selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il remplissait les conditions requises.

[40] Pour recevoir des prestations d’assurance-emploi, le prestataire doit avoir travaillé pendant un nombre d’heures suffisant au cours d’une certaine période. Cette période s’appelle la « période de référenceNote de bas page 9 ».

[41] Le nombre d’heures dépend du taux de chômage régional du prestataireNote de bas page 10.

[42] À l’audience, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas contesté la décision de la Commission selon laquelle il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi lorsqu’il a présenté sa demande le 12 octobre 2021.

[43] J’ai examiné la preuve de la Commission à ce sujet. La Commission a correctement établi la période de référence habituelle de 52 semaines du 11 octobre 2020 au 9 octobre 2021. Elle a aussi correctement établi que le taux de chômage du prestataire était de 8,9 % et que le nombre d’heures nécessaire était de 420. La Commission a estimé le nombre d’heures pendant les cinq semaines du 11 octobre au 13 novembre 2020 à 194, en fonction de la moyenne des heures figurant dans le relevé d’emploi. Cette estimation est raisonnable. Au cours de la période de cinq semaines, une semaine de 37,5 heures donne 187,5 heures, et une semaine de 40 heures donne 200 heures.

[44] Étant donné que le prestataire ne conteste pas cette question et que la preuve appuie la position de la Commission, je conclus que le prestataire n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi d’après sa demande du 12 octobre 2020. L’assurance‑emploi est un régime d’assurance et, comme pour tout autre régime d’assurance, il faut satisfaire à des conditions pour toucher des prestations. Je compatis à la situation du prestataire, mais je ne peux pas modifier la loiNote de bas page 11.

Conclusion

[45] Le prestataire n’a pas prouvé qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période écoulée. Il n’a pas non plus prouvé qu’il était admissible aux prestations d’assurance-emploi dans le cadre de cette demande datée du 12 octobre 2020.

[46] L’appel est rejeté.

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