Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 163

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. J.
Représentante ou représentant/témoin : C. J.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (439186) datée du 22 novembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 février 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant/témoin de l’appelante
Date de la décision : Le 11 février 2022
Numéro de dossier : GE-21-2602

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel.

[2] L’appelante a démontré qu’elle était fondée (c.-à-d., qu’elle avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi quand elle l’a fait. Cela signifie qu’elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi, pour cette raison.

[3] L’appelante peut communiquer avec la Commission pour vérifier si elle a droit à d’autres prestations de maladie pendant qu’elle se rétablit de ses problèmes de santé.

Aperçu

[4] L’appelante travaillait pour X comme défenseure des droits des patients. Elle aidait les patients de sa Première Nation qui résidaient temporairement dans une autre ville pendant qu’ils suivaient des traitements médicaux.

[5] L’appelante a quitté son emploi chez X le 17 août 2021. Elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi le 18 août 2021.

[6] La Commission a examiné les motifs du départ de l’appelante. Elle a conclu que l’appelante était inadmissible aux prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle avait volontairement quitté (ou choisi de quitter) son emploi, sans motif valable.

[7] L’appelante n’est pas d’accord et fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Elle dit avoir été harcelée et intimidée, et que c’est pour cette raison qu’elle a démissionné. Elle avait prévu de prendre un congé de maladie, mais elle avait manqué le rendez-vous téléphonique avec son médecin.

Questions que je dois examiner en premier

[8] Le Tribunal a désigné l’employeur de la prestataire comme partie mise en cause potentielle à l’appel. Il a envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il voulait être mis en cause dans l’appelNote de bas de page 1.

[9] Pour être mis en cause, l’employeur doit démontrer qu’il a un intérêt direct dans l’appel. L’employeur n’a pas répondu à la lettre du Tribunal. Puisqu’il n’y a rien au dossier d’appel qui montre que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme mis en cause à l’appel.

Questions en litige

[10] L’appelante a-t-elle volontairement quitté son emploi?

[11] Dans l’affirmative, avait-elle un motif valable de partir?

Analyse

Départ volontaire

Les parties sont d’accord sur le fait que la prestataire a quitté volontairement son emploi

[12] Je reconnais que la prestataire a quitté volontairement son emploi. L’appelante convient qu’elle a mis fin à son emploi lorsqu’elle a démissionné le 17 août 2021. Aucune preuve ne semble contredire cela. Je vais donc maintenant établir si l’appelante avait un motif valable pour son départ volontaire.

Motif valable

[13] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi lorsqu’elle l’a fait.

[14] La loi précise qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans motif valableNote de bas de page 2. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que l’on avait un motif valable.

[15] La loi explique ce qu’on entend par « motif valable ». La loi dit qu’une personne a un motif valable de quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. On dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances au moment où la personne a démissionnéNote de bas de page 3.

[16] La prestataire est responsable de prouver que son départ était fondé. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (qu’il y a plus de chances) que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 4.

[17] Pour décider si l’appelante avait un motif valable, je dois examiner toutes les circonstances entourant son départ. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 5.

[18] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent à l’appelante, elle devra alors démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans ces circonstancesNote de bas de page 6.

Les circonstances dans lesquelles l’appelante a démissionné

[19] L’appelante dit avoir quitté son emploi parce que le milieu de travail nuisait à sa santé mentale et physiqueNote de bas de page 7. Elle affirme également avoir démissionné parce qu’elle se faisait harceler et intimider au travailNote de bas de page 8.

[20] Pour établir si l’appelante a été harcelée, je me suis laissée persuader par une décision récente de la division d’appel du TribunalNote de bas de page 9. Dans cette décision, le membre de la division d’appel a énoncé certains principes que le Tribunal peut appliquer pour déterminer si une personne a été harcelée :

  1. a) les auteurs du harcèlement peuvent agir seuls ou en groupe et n’occupent pas nécessairement un poste de supervision ou de gestion;
  2. b) le harcèlement peut prendre plusieurs formes, notamment un acte, un comportement, un propos, de l’intimidation et une menace;
  3. c) dans certains cas, un seul incident suffit pour être considéré comme du harcèlement;
  4. d) l’accent est mis sur le prétendu auteur du harcèlement et sur le fait de savoir si celui‐ci savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pourrait offenser, embarrasser ou humilier une autre personne ou lui causer toute autre blessure psychologique ou physique.

[21] Dans la présente affaire, l’appelante affirme qu’elle prenait son travail de défenseure des droits des patients très au sérieux. Elle a soulevé les plaintes des patients auprès de sa superviseure C.P., mais celle-ci n’a jamais pris les plaintes au sérieux. Au lieu de cela, C.P. croyait toujours ce que sa collègue K. M. disait.

[22] L’appelante affirme que ses problèmes avec sa collègue de travail, K. M., et sa superviseure, C. P., ont commencé il y a longtemps. Ces problèmes se sont aggravés lorsqu’elle est retournée au travail en février 2021, après avoir été absente en raison d’une blessure au dos.

[23] L’appelante a expliqué en détail comment K. M. agissait envers elle en l’intimidant et en donnant de faux renseignements à son sujet à C. P. Elle affirme que C. P. ne lui avait jamais donné l’occasion d’expliquer sa situation.

[24] Par exemple, l’appelante affirme que le 11 juin 2021, C. P. s’est présentée sans préavis et lui a remis un avertissement écrit, qu’elle a appelé un avertissement verbal. Cet avertissement énumérait des incidents signalés à C. P. par K. M. L’appelante affirme que C. P. ne lui a jamais donné l’occasion de répondre aux fausses plaintes formulées par K. M. ou de défendre ses actions. Au lieu de cela, C. P. a simplement cru K. M. sur parole et lui a donné l’avertissement.

[25] L’appelante affirme que le 11 août 2021, C. P. s’est présentée à son emplacement avec des gens des ressources humaines. Ils l’ont ensuite convoquée à une réunion après avoir parlé avec K. M. L’appelante affirme ne pas avoir été avisée de la réunion et ne pas avoir eu l’occasion de se préparer. Elle s’est fâchée pendant la réunion et est partie.

[26] À l’audience, l’appelante et son témoin ont parlé de certaines des choses inappropriées que K. M. avait faites. L’appelante a expliqué en détail comment son travail consistait à défendre et à aider les patients. Elle admet avoir aidé des patients à rédiger une pétition pour que K. M. soit congédiée. Elle se sentait mal que la situation en soit arrivée là, mais elle a senti qu’elle devait aider les patients. Elle dit que personne d’autre ne parlait au nom des patients. Lorsque ses plaintes à C. P. sont demeurées sans réponse, elle a même essayé de parler au chef et au conseil, mais ils n’ont rien fait.

[27] Lorsqu’elle a assisté à la réunion du 11 août 2021, elle affirme que C. P. et F. D. lui ont demandé de leur fournir les noms des patients qui lui avaient demandé de rédiger la pétition. Elle a refusé et leur a dit que c’était une question de confidentialité des patients. Elle dit que lorsqu’elle s’est arrivée à la réunion, elle a eu l’impression que C. P. et F. D. avaient déjà pris le parti de K. M. Elle s’est alors fâchée et est partie.

[28] L’appelante affirme qu’elle n’est pas retournée au travail après la réunion du 11 août 2021. Elle a plutôt continué à aider les patients sans rentrer au travail. Elle dit être devenue encore plus contrariée lorsque son employeur n’a pas téléphoné pour vérifier pourquoi elle n’était pas au travail. Par conséquent, le 17 août 2021, elle a envoyé un courriel de démission.

[29] L’appelante affirme qu’elle était stressée avant la réunion du 11 août 2021. Elle pleurait tout le temps. Elle ne dormait pas bien. Elle se sentait [traduction] « si petite », mais elle savait qu’elle devait continuer à faire le travail pour les patients.

[30] L’appelante affirme qu’elle avait envisagé de prendre un congé de maladie. Elle avait pris un rendez-vous téléphonique avec son médecin. Elle a raté l’appel du médecin parce qu’elle aidait un patient. Elle dit avoir ensuite été [traduction] « prise de court » lorsqu’elle a été convoquée à la réunion du 11 août 2021. Comme elle ne pouvait plus supporter le stress mentalement ou physiquement, elle a démissionné le 17 août 2021.

[31] J’ai examiné chaque déclaration écrite présentée par l’appelante. Je reconnais qu’elles présentent un portrait semblable du milieu de travail, comme expliqué par l’appelante. Je reconnais que l’appelante admet volontiers que son fils et sa fille ont chacun rédigé une des déclarations, car ils travaillaient tous les deux pour X lorsqu’elle y travaillait. Sa volonté d’être franche au sujet des auteurs de ces déclarations appuie leur crédibilité.

[32] J’ai également accordé tout le poids aux notes médicales présentées par l’appelante. La Commission a soumis une copie de sa note médicale datée du 19 octobre 2021. Cette note précise que l’appelante est incapable de se présenter au travail depuis le 17 août 2021 en raison de son état de santé. Elle mentionne également que le médecin a conclu qu’il y avait des preuves objectives pour confirmer son état, qui l’aurait obligée à s’absenter du travail pendant cette périodeNote de bas de page 10.

[33] La Commission soutient que l’appelante n’a pas quitté le travail parce qu’elle était malade. Elle dit que la preuve obtenue de l’employeur montre qu’elle a quitté son emploi brusquement parce qu’elle n’aimait pas la réponse de son employeur à ses préoccupations concernant son milieu de travail.

[34] Toutefois, la Commission reconnaît également que des éléments prouvent l’existence d’un conflit au travail de l’appelante. Elle affirme que des éléments de preuve montrent que le milieu de travail était difficile pour l’appelante. Toutefois, elle dit que celle-ci y a contribué en participant à une pétition visant à faire congédier une collègue.

[35] La Commission dit reconnaître que l’appelante a envisagé de prendre un congé pour des raisons médicales, mais qu’elle n’a pas demandé ce congé avant de quitter son emploi. La Commission dit plutôt qu’elle a [traduction] « choisi » de rater le rendez-vous avec son médecin.

[36] Je ne suis pas d’accord avec la Commission lorsqu’elle dit qu’il faut accorder moins de poids à la note médicale simplement parce que l’appelante l’a obtenue des mois après avoir quitté son emploi. Je ne suis pas d’accord étant donné que le médecin de l’appelante dit clairement dans sa note du 19 octobre 2021 qu’il y a des éléments de preuve objectifs pour confirmer que son état l’aurait obligée à s’absenter du travail à compter du 17 août 2021.

[37] L’appelante a présenté une deuxième note médicale à l’appui de son appel. Cette note datée du 8 février 2022 précise qu’elle est encore aux prises avec des symptômes de ses problèmes émotionnels et physiques antérieurs. Elle dit également qu’en raison de ses problèmes de santé mentale et physique, l’appelante a dû quitter son emploi. Ces problèmes continuent de l’empêcher de retourner au travailNote de bas de page 11.

[38] À la lumière de l’ensemble de la preuve présentée ci-dessus, je conclus que l’appelante a démontré qu’elle a été harcelée et que son milieu de travail ainsi que ses conditions de travail ont nui à sa santé mentale et physiqueNote de bas de page 12. Je dois maintenant évaluer si la seule solution raisonnable qui s’offrait à l’appelante était de quitter son emploi quand elle l’a fait.

D’autres solutions raisonnables

[39] Je conclus que la seule solution raisonnable qui s’offrait à l’appelante était de quitter son emploi au moment où elle l’a fait.

[40] Une partie appelante n’a pas besoin d’établir que ses conditions de travail étaient si intolérables qu’elle n’avait d’autre choix que de démissionner immédiatementNote de bas de page 13. La question est plutôt de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait.

[41] La Commission affirme qu’une autre solution raisonnable aurait été que l’appelante prenne part au processus de médiation amorcé par l’employeur. Elle aurait aussi pu consulter son médecin au sujet de sa capacité de continuer à travailler, ou demander une période de congé pour des raisons personnelles ou médicales.

[42] Je ne suis pas d’accord avec la Commission. Je reconnais plutôt que l’appelante n’était plus en mesure de gérer le stress mental et physique de son milieu de travail. Elle n’était donc pas capable de participer à la médiation.

[43] J’estime que l’appelante a bel et bien tenté de parler à son médecin avant de démissionner. Malheureusement, elle a manqué son téléphone parce qu’elle aidait un patient. Les problèmes de santé liés à des problèmes de santé mentale ne se présentent pas toujours d’une manière qui permet à une partie prestataire d’obtenir un avis médical avant de démissionner.

[44] L’appelante a présenté des éléments de preuve crédibles sur la façon dont les conditions de son milieu de travail ont nui à sa santé mentale et physique. Ces éléments de preuve comprennent des notes médicales, des déclarations de témoins et des témoignages cohérents au sujet de son milieu de travail.

[45] L’appelante a tenté de remédier aux problèmes qui avaient une incidence sur elle et sur les patients qu’elle défendait. Elle a signalé les problèmes persistants à sa superviseure, C. P. Lorsque celle-ci n’a rien fait, l’appelante a parlé avec F. D., le superviseur de C. P. Elle a également fait part de ses préoccupations au chef et au conseil. Lorsqu’elle a constaté que les problèmes persistaient, elle admet avoir aidé des patients à rédiger une pétition.

[46] Je suis d’accord avec l’appelante lorsqu’elle dit qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. Malgré ses efforts soutenus pour défendre les intérêts des patients, il est devenu trop difficile pour sa propre santé mentale et physique de continuer à travailler pour X.

[47] Après avoir examiné l’ensemble des circonstances, je juge que l’appelante n’avait pas d’autre choix raisonnable que de démissionner lorsqu’elle l’a fait. Cela signifie que l’appelante avait un motif valable de quitter son emploi.

Conclusion

[48] L’appel est accueilli.

[49] L’appelante a démontré qu’elle avait un motif valable de quitter volontairement son emploi.

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