Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 936

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (435148) datée du 29 septembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Suzanne Graves
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 1er novembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 8 novembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-1921

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Cela signifie que le prestataire peut recevoir 7 semaines de prestations parentales standards.

Aperçu

[2] L’enfant du prestataire est né le 25 août 2020. Le prestataire et sa conjointe ont décidé de se partager le nombre maximal de semaines de prestations parentales standards permis par la Loi sur l’assurance-emploi. Puisqu’ils se partagent les prestations parentales, la Loi leur permet de recevoir jusqu’à 5 semaines supplémentaires de prestations standards.

[3] Les deux parents ont décidé de demander 40 semaines de prestations parentales partagées. Le prestataire a compris qu’il pouvait recevoir des prestations parentales, y compris les semaines supplémentaires de prestations partagées, immédiatement après que sa conjointe ait terminé de recevoir ses prestations de maternité et 33 semaines de prestations parentales. Il a donc demandé à recevoir 7 semaines de prestations parentales à compter du 8 août 2021.

[4] La Commission affirme que le prestataire ne peut pas recevoir toutes les 7 semaines de prestations parentales qu’il a demandées parce que les prestations standards ne sont payables que pendant la « période de prestations parentales » de 52 semaines prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. La Commission dit que la période de prestations parentales du prestataire se termine le 28 août 2021.

[5] Le prestataire a reçu 3 semaines de prestations parentales du 8 août au 28 août 2021. Il demande de recevoir 4 semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à compter de la semaine du 29 août 2021. Il fait appel de la décision de la Commission devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[6] Le prestataire peut-il recevoir 7 semaines de prestations parentales standards, dont 4 semaines de prestations parentales partagées, plus de 52 semaines après la naissance de son enfant?

Analyse

[7] Les prestations parentales sont payables aux prestataires qui veulent prendre soin de leur nouveau-néNote de bas de page 1. Selon la Loi sur l’assurance-emploi, les prestations parentales sont habituellement payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui commence la semaine de la naissance de l’enfant ou de son placement chez le parent en vue de son adoption, et se termine 52 semaines plus tardNote de bas de page 2.

[8] La période de 52 semaines suivant la naissance ou le placement d’un enfant est appelée la « période de prestations parentales ». Cette période peut être prolongée dans certaines circonstances. Par exemple, elle peut être prolongée de 26 semaines pour permettre à une partie prestataire de recevoir des prestations prolongées.

[9] Lorsqu’une partie prestataire demande plus d’un type de prestations spéciales, la période de prestations parentales est prolongée pour lui permettre de recevoir le nombre maximal de semaines de prestations spéciales prévu par la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 3. La période de prestations parentales peut également être prolongée lorsque l’enfant d’une partie prestataire est hospitalisé.

[10] Le nombre maximal de semaines de prestations parentales qu’une partie prestataire peut recevoir au cours de sa période de prestations est de 35 semaines de prestations standards ou de 61 semaines de prestations prolongées, selon le choix de la partie prestataireNote de bas de page 4.

Semaines supplémentaires de prestations parentales partagées

[11] En 2018, le gouvernement a adopté la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, qui permet à deux parents de recevoir des semaines supplémentaires de prestations parentales lorsqu’ils se partagent les prestationsNote de bas de page 5. Je ferai référence à cette loi modificative comme étant le projet de loi C-86. Les nouveaux articles ajoutés par le projet de loi C‑86 disent que lorsque deux parents se partagent les prestations, ils peuvent recevoir 5 semaines supplémentaires de prestations standards ou 8 semaines supplémentaires de prestations prolongéesNote de bas de page 6.

Le prestataire peut-il recevoir des prestations parentales partagées plus de 52 semaines après la naissance de son enfant?

[12] Le prestataire peut recevoir 7 semaines de prestations parentales, dont 4 semaines de prestations partagées plus de 52 semaines après la naissance de son enfant. La période de prestations parentales ne l’empêche pas de recevoir les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées prévues à l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Les motifs de ma décision sont exposés ci-dessous.

Le libellé de la Loi sur l’assurance-emploi est-il clair?

[13] J’estime que le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair quant à savoir si la période de prestations parentales peut empêcher les prestataires de recevoir les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées prévues à l’article 23(4) de la Loi.

[14] Le prestataire affirme avoir consulté le site Web de Service Canada avant de demander des prestations. Il dit avoir fait une interprétation raisonnable et logique des renseignements disponibles en les interprétant comme disant que deux parents pouvaient recevoir leurs prestations l’un après l’autre. Il soutient que le site Web du gouvernement ne présente aucun exemple de parents ayant reçu des prestations partagées en même temps. Les parties conviennent que la Commission n’a pas avisé le prestataire qu’elle cesserait de lui verser des prestations le 28 août 2021.

[15] La Commission affirme que la Loi sur l’assurance-emploi est claire. Elle soutient que les prestations parentales ne sont payables que pendant la période de prestations parentales, qui commence la semaine de la naissance de l’enfant ou de son placement chez la partie prestataire, et se termine 52 semaines plus tard.

[16] La Commission fait valoir que la Loi sur l’assurance-emploi doit être interprétée dans son sens ordinaire et que les décideurs n’ont pas le pouvoir de la modifier, même en cas de mauvaise communication entre la Commission et une partie prestataireNote de bas de page 7. La Commission s’appuie également sur la décision CUB 46747 d’un ancien juge-arbitre selon laquelle une partie prestataire n’avait pas droit à des prestations parce qu’elle les avait demandé plus de 52 semaines après le placement de l’enfantNote de bas de page 8.

[17] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que la Loi sur l’assurance-emploi doit être appliquée telle qu’elle est rédigée, même si elle est communiquée en ligne d’une façon qui porte à confusion. Cependant, en toute déférence, je suis en désaccord avec son argument selon lequel le libellé de l’article 23 de la Loi est clair sur cette question. En fait, il semble régner une grande confusion quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations partagées prévues à l’article 23(4) de la Loi.

[18] Dans un certain nombre d’appels précédents devant ce Tribunal, des prestataires ont affirmé que les agents de la Commission leur avaient dit qu’ils avaient le droit de demander des prestations parentales partagées l’un après l’autre, au-delà de la période de prestations parentales de 52 semaines ou de 78 semainesNote de bas de page 9. Il s’agit là d’une indication importante que le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair.

[19] Je note également que la décision CUB 46747 a été rendue avant l’adoption du projet de loi C-86 visant à ajouter les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à la Loi sur l’assurance-emploi. Pour l’instant, ni les tribunaux ni la division d’appel du Tribunal n’ont établi de lignes directrices sur l’interaction entre la période de prestations parentales et les semaines supplémentaires de prestations partagées.

[20] Je reconnais que le Tribunal a jugé dans la plupart de ses décisions antérieures que la période de prestations parentales s’applique aux demandes de prestations parentales partagées supplémentaires. Cependant, je ne suis pas tenue de suivre ces décisions antérieures du Tribunal et j’ai décidé de ne pas les suivre. J’estime que la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas claire pour les trois raisons suivantes.

Conflit entre la période de prestations parentales et les prestations supplémentaires

[21] Premièrement, la Commission soutient que les prestations parentales standards doivent être demandées pendant la période de prestations parentales de 52 semaines. Cependant, si la période de prestations parentales de 52 semaines doit être respectée, il n’est mathématiquement pas possible pour deux parents de recevoir l’un après l’autre les 40 semaines de prestations standards partagées après que la mère ait reçu 15 semaines de prestations de maternité. Cela s’explique par le fait que 15 semaines de prestations de maternité, suivies de 40 semaines de prestations standards partagées, donnent un total de 55 semaines de prestations. Ce nombre ne comprends pas de semaine de délai de carence.

[22] La Loi sur l’assurance-emploi ne dit pas que deux parents doivent demander les semaines supplémentaires de prestations partagées en même temps pour pouvoir les recevoir. Le prestataire fait remarquer que parmi les exemples de prestations partagées présentés sur le site Web de Service Canada, il n’y en a aucun de deux parents qui restent à la maison et qui reçoivent des semaines supplémentaires de prestations partagées en même temps.

[23] Je pense donc que la période de prestations parentale prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi entre en conflit avec les semaines supplémentaires de prestations partagées prévues aux articles 12(4) et 23(4) de la Loi.

[24] Je juge peu probable que le gouvernement ait permis aux parents de recevoir des semaines supplémentaires de prestations partagées, pour ensuite exiger qu’ils les demandent en même temps. Le fait d’autoriser l’octroi de semaines supplémentaires de prestations, mais d’exiger que ces semaines soient demandées en même temps, ne permet pas nécessairement à un parent de retourner au travail plus tôt.

Il n’y a aucune référence aux semaines supplémentaires de prestations partagées dans les dispositions de la Loi sur l’assurance‑emploi relatives à la période de prestations parentales

[25] Deuxièmement, les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi relatives à la période de prestations parentales, soit les articles 23(2) à 23(3.4), ne font pas référence aux semaines supplémentaires de prestations partagées. Il est vrai que l’article 23(2)(b) dit que des prestations sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui « se termine 52 semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou […] celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption ».

[26] Cependant, le libellé de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi ajouté par le projet de loi C-86, qui permet aux parents de recevoir des semaines supplémentaires de prestations partagées, fait expressément référence au nombre de semaines de prestations partagées en ces termes : « les semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article [...] jusqu’à concurrence de quarante semainesNote de bas de page 10 ». Cela laisse entendre qu’il est possible de recevoir les semaines supplémentaires de prestations partagées, indépendamment de la période de prestations parentales. Cet article ne précise pas qu’il est assujetti à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[27] J’estime donc que la Loi sur l’assurance-emploi est au mieux muette sur la question de savoir si les semaines supplémentaires de prestations partagées sont assujetties à la période de prestations parentales.

Les dispositions du projet de loi C-86 relatives aux prestations parentales contiennent des précisions importantes

[28] Troisièmement, des précisions importantes ont été intégrées au projet de loi C‑68 lorsque les semaines supplémentaires de prestations partagées ont été ajoutées à la Loi sur l’assurance-emploi, apparemment pour s’assurer qu’il n’y avait pas de malentendu au sujet de l’admissibilité des prestataires aux prestations.

[29] L’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit lorsque deux prestataires de la première catégorie présentent chacun une demande de prestations parentales standards, les semaines de prestations payables peuvent être partagées entre eux, jusqu’à concurrence de 40 semaines. L’article 23(4.1) précise qu’« Il est entendu que » le nombre total de semaines de prestations parentales pouvant être versées pour le ou les mêmes enfants est limité à 40 semaines de prestations standards ou 69 semaines de prestations prolongées.

[30] L’article 23(4.11) de la Loi sur l’assurance-emploi dit que le nombre maximal de semaines de prestations pouvant être versées à une partie prestataire est de 35 ou de 61 semaines, même si le nombre de semaines de prestations est divisé conformément aux articles 23(4) et 23(4.1).

[31] Toutefois, bien que le législateur a pris soin de souligner le nombre maximal de semaines supplémentaires de prestations partagées pouvant être versées, le projet de loi C-86 ne mentionne pas de « période de prestations parentale », ni que ces semaines supplémentaires de prestations parentales partagées doivent être demandées en même temps.

[32] Si le législateur avait eu l’intention de limiter les semaines supplémentaires de prestations partagées prévues à l’article 23(4) à un période de prestations parentales de 52 ou de 78 semaines, je pense qu’il l’aurait fait. Il suffisait d’une simple clarification. La Loi sur l’assurance-emploi ne précise toutefois pas les parents doivent demander les semaines supplémentaires de prestations en même temps.

L’ambiguïté de la Loi sur l’assurance-emploi doit être résolue en faveur du prestataire

[33] La Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur l’assurance-emploi est conçue pour permettre aux personnes en chômage qui sont admissibles aux prestations de les recevoir rapidement et qu’elle devrait donc être interprétée d’une façon assez large à cette finNote de bas de page 11.

[34] La Cour suprême du Canada a également déclaré qu’une loi prévoyant des prestations doit être interprétée de façon large et généreuse, et que « tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeurNote de bas de page 12 ».

[35] Il y a un conflit apparent entre la période de prestations parentales prévue aux articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’assurance-emploi et les dispositions énoncées à l’article 23(4) de la Loi qui permettent aux parents de recevoir des semaines supplémentaires de prestations partagées. Puisque ces dispositions législatives ne sont pas claires, l’ambiguïté causée par ce conflit doit être résolue en faveur du prestataire.

Somme toute, le prestataire peut-il recevoir 7 semaines de prestations parentales standards?

[36] Oui, le prestataire peut recevoir 7 semaines de prestations parentales. Je conclus que la Loi sur l’assurance-emploi permet à deux parents de recevoir l’un après l’autre des prestations parentales partagées, y compris les semaines supplémentaires de prestations standards.

[37] J’ai examiné le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi et l’intention de la Loi. Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la Commission selon lequel la période de prestations parentales peut empêcher deux parents de recevoir l’un après l’autre les semaines supplémentaires de prestations partagées prévues à l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

Conclusion

[38] L’appel est accueilli.

[39] Cela signifie que le prestataire peut recevoir 7 semaines de prestations parentales standards, immédiatement après que sa conjointe a terminé de recevoir ses prestations de maternité et ses prestations parentales.

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