Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : IF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 937

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : I. F.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (436666) datée du 18 octobre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Suzanne Graves
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 8 novembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante

Date de la décision : Le 18 novembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-2016

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire peut donc recevoir jusqu’à cinq semaines de prestations parentales.

Aperçu

[2] Le bébé du prestataire est né le 4 septembre 2020. Le prestataire et sa conjointe ont décidé de diviser le nombre maximum de prestations parentales standard autorisées conformément à la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Comme ils se partagent les prestations parentales, la Loi sur l’AE leur permet de prendre jusqu’à cinq semaines supplémentaires de prestations régulières.

[3] Les deux parents ont décidé de prendre 40 semaines de prestations parentales partagées. Son épouse a bénéficié de 15 semaines de prestations de maternité et de 35 semaines de prestations parentales. Le prestataire a cessé de travailler et a demandé cinq semaines de prestations parentales, qui devaient commencer immédiatement après la fin des prestations de maternité et des prestations parentales de son épouse.

[4] La Commission affirme que le prestataire ne peut pas recevoir de prestations parentales parce que les prestations parentales standard ne sont payables que pendant la [traduction] « période de prestations parentales » de 52 semaines prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’AE. Elle précise que la période de prestations parentales du prestataire se termine le 13 septembre 2021.

[5] Le prestataire affirme avoir fourni tous les renseignements pertinents sur son formulaire de demande, mais n’avoir reçu aucun message concernant un quelconque problème lié à sa demande. Il a commencé son congé parental et a appelé Service Canada lorsqu’il n’a pas reçu de prestations. L’agent lui a dit que son dossier était en cours d’examen. La semaine suivante, on lui a dit qu’il ne recevrait pas de prestations parentales. Il est retourné travailler dès qu’il a su qu’il n’aurait pas de prestations. Par conséquent, il dit qu’il n’a pas reçu de revenu pendant quatre semaines.

Question en litige

[6] Le prestataire peut-il recevoir les semaines supplémentaires de prestations parentales standard partagées plus de 52 semaines après la naissance de son enfant?

Analyse

[7] Les prestations parentales sont payables à une partie prestataire qui veut prendre soin de son nouveau-néFootnote 1. La Loi sur l’AE prévoit que les prestations parentales doivent habituellement être payées pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui commence la semaine de la naissance de l’enfant ou celle au cours de laquelle l’enfant est placé chez le parent en vue de son adoption, et qui se termine après 52 semainesFootnote 2.

[8] La période de 52 semaines qui suit la naissance ou le placement d’un bébé chez le parent est appelée « période de prestations parentales ». Cette période peut être prolongée dans certaines circonstances. Par exemple, elle peut être prolongée de 26 semaines pour permettre à une partie prestataire de recevoir des prestations parentales prolongées.

[9] Lorsqu’une partie prestataire demande plus d’un type de prestations spéciales, la période de prestations parentales est prolongée pour lui permettre de demander le nombre maximum de prestations spéciales autorisées par la Loi sur l’AEFootnote 3. La période peut également être prolongée lorsque le bébé d’une partie prestataire est hospitalisé.

[10] Le nombre maximal de semaines de prestations parentales comprises dans une période de prestations pour chaque partie prestataire est de 35 semaines de prestations parentales standard ou de 61 semaines de prestations parentales prolongées, selon le choix de la personneFootnote 4.

Semaines supplémentaires de prestations parentales partagées

[11] En 2018, le gouvernement a adopté la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, qui a autorisé des semaines supplémentaires de prestations parentales lorsque ces prestations sont partagées entre deux parentsFootnote 5. J’appellerai cette loi modificative le projet de loi C-86. Les nouveaux articles ajoutés par le projet de loi C-86 prévoient que lorsque les prestations sont partagées entre deux parents, ceux-ci peuvent recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations parentales régulières ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongéesFootnote 6.

Le prestataire peut-il recevoir des prestations parentales partagées plus de 52 semaines après la naissance de son bébé?

[12] Le prestataire peut recevoir jusqu’à cinq semaines de prestations parentales, lorsqu’elles sont demandées plus de 52 semaines après la naissance de son bébé. La période de prestations parentales ne s’applique pas pour l’empêcher de recevoir les prestations parentales partagées supplémentaires permises par l’article 23(4) de la Loi sur l’AE. Mes raisons sont énoncées ci-dessous.

La Loi sur l’AE empêche-t-elle clairement le prestataire de recevoir des prestations parentales partagées après le 13 septembre 2021?

[13] J’estime que le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’AE n’est pas clair quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique pour empêcher une partie prestataire de recevoir les semaines partagées supplémentaires de prestations parentales autorisées par l’article 23(4) de la Loi sur l’AE.

[14] La Commission affirme que la Loi sur l’AE l’empêche clairement de verser au prestataire des prestations parentales régulières après le 13 septembre 2021Footnote 7. Elle fait valoir que les prestations parentales ne sont payables que pendant la période de prestations parentales qui commence à la semaine au cours de laquelle l’enfant d’une partie prestataire est né ou placé chez la partie prestataire, et qui se termine 52 semaines plus tard.

[15] La Commission affirme que la Loi sur l’AE doit être interprétée conformément à son sens ordinaire et que les arbitres n’ont pas le pouvoir de modifier la Loi sur l’AE, même en cas de mauvaise communication entre la Commission et une partie prestataireFootnote 8. Elle s’appuie également sur la décision d’un ancien juge-arbitre dans l’affaire CUB 46747, selon laquelle une partie prestataire n’avait pas droit à des prestations parce qu’elle avait demandé des prestations plus de 52 semaines après le placement de l’enfantFootnote 9.

[16] Le prestataire dit qu’il a appelé la Commission avant de commencer son congé parental. On lui a dit qu’il devait faire une demande lorsqu’il allait quitter son emploi. Il a compris qu’il était admissible à cinq semaines de prestations. Il a fourni tous les renseignements requis à la Commission dans sa demande datée du 9 septembre 2021. Le système n’a donné aucune indication d’un quelconque problème concernant sa demande, et il a commencé son congé.

[17] N’ayant reçu aucun paiement, il a commencé par appeler Service Canada. On lui a d’abord dit que son dossier était en cours d’examen et qu’il commencerait bientôt à recevoir des prestations. Le 7 octobre 2021, un agent lui a dit qu’il n’était pas admissible aux prestations. Il est retourné travailler le 11 octobre 2021, après quatre semaines de congé sans solde.

[18] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que la Loi sur l’AE doit être appliquée telle qu’elle est écrite. Si le seul problème dans cette affaire était des renseignements trompeurs ou incomplets fournis par Service Canada, j’aurais été d’accord avec la position de la Commission.

[19] Mais je suis respectueusement en désaccord avec l’argument de la Commission selon lequel le libellé (les mots) de l’article 23 de la Loi sur l’AE est clair sur cette question. En fait, il y a eu une grande confusion quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique aux prestations partagées supplémentaires autorisées au titre de l’article 23(4) de la Loi sur l’AE.

[20] Dans un certain nombre d’appels précédents devant le Tribunal, des prestataires ont déclaré que les agentes ou les agents de la Commission leur avaient dit qu’ils avaient le droit de demander des prestations parentales partagées l’une après l’autre, au-delà de leur période de prestations parentales de 52 ou 78 semainesFootnote 10. En soi, cela constitue un indicateur important du manque de clarté du libellé de l’article 23 de la Loi sur l’AE.

[21] Je note également que la décision CUB 46747 a été rendue avant l’adoption du projet de loi C-86 visant à ajouter les prestations parentales partagées supplémentaires à la Loi sur l’AE. Il n’y a, à ce jour, aucune orientation de la part des tribunaux ou de la division d’appel du Tribunal sur l’interaction entre la période de prestations parentales et les prestations partagées supplémentaires.

[22] Je reconnais que, dans la plupart des décisions antérieures, le Tribunal a décidé que la période de prestations parentales était applicable aux demandes de prestations parentales partagées supplémentaires. Toutefois, je ne suis pas tenue de suivre les décisions antérieures du Tribunal et j’ai décidé de ne pas les suivre. J’estime que la loi n’est pas claire pour les trois raisons suivantes.

Conflit entre la période de prestations parentales et les prestations supplémentaires  

[23] Premièrement, la Commission fait valoir que les prestations parentales doivent être demandées dans un délai de 52 semaines. Toutefois, si une période de 52 semaines de prestations parentales doit être respectée, il n’est pas mathématiquement possible pour deux parents de prendre les 40 semaines de prestations partagées standard de façon séquentielle, après qu’un parent en âge de procréer ait terminé les 15 semaines de prestations de maternité suivant la naissance de l’enfant. En effet, 15 semaines de prestations de maternité, suivies de 40 semaines de prestations parentales standard partagées, donnent un total de 55 semaines de prestations. Ce chiffre ne comprend pas les semaines accordées pour le délai de carence.

[24] Rien dans la Loi sur l’AE ne précise que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées doivent chevaucher les prestations de l’autre parent pour que les parents puissent les recevoir. Ainsi, j’estime que la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’AE entre en conflit avec les prestations partagées supplémentaires autorisées par la combinaison des articles 12(4) et 23(4) de la Loi sur l’AE.

[25] J’estime qu’il est peu probable que le gouvernement ait introduit des semaines supplémentaires de prestations partagées, pour ensuite exiger que les prestations partagées soient prises par les deux parents en même temps. Le fait d’autoriser des semaines supplémentaires de prestations, mais d’exiger que ces semaines se chevauchent, ne permet pas nécessairement à un parent en âge de procréer de retourner au travail plus tôt.

Il n’y a aucune référence aux prestations partagées supplémentaires dans les dispositions de la Loi sur l’AE relatives à la période de prestations parentales

[26] Deuxièmement, il n’y a aucune référence aux semaines supplémentaires de prestations partagées aux articles 23(2) à (3.4) de la Loi sur l’AE (les dispositions relatives à la période de prestations parentales). Il est vrai que l’article 23(2)(b) prévoit que des prestations sont payables pour chaque semaine de chômage dans la période qui « se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle [ils] sont ainsi placés ».

[27] Cependant, le libellé utilisé à l’article 23(4) de la Loi sur l’AE, ajouté par le projet de loi C-86 (qui permet le partage des semaines supplémentaires de prestations), fait expressément référence au nombre de semaines supplémentaires de prestations parentales partagées comme étant « les semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article [...] jusqu’à concurrence de quarante semaines [...]Footnote 11 ».

[28] Cela semble indiquer que les semaines supplémentaires de prestations partagées sont autorisées, indépendamment de la période de prestations parentales. Cet article ne précise pas qu’il est soumis à l’article 23(2) de la Loi sur l’AE.

[29] J’estime donc que la Loi sur l’AE est ambiguë, ou au mieux muette, sur la question de savoir si les prestations partagées supplémentaires sont assujetties à la période de prestations parentales.

Les dispositions du projet de loi C-86 sur les prestations parentales contiennent des clarifications importantes

[30] Troisièmement, lorsque les prestations partagées supplémentaires ont été ajoutées à la Loi sur l’AE, le projet de loi C-86 a inclus des clarifications importantes, apparemment pour s’assurer qu’il n’y ait pas de malentendu sur le droit d’une partie prestataire aux prestations.  

[31] L’article 23(4) de la Loi sur l’AE précise que lorsque deux prestataires de la première catégorie présentent chacun une demande de prestations parentales régulières, les semaines de prestations payables peuvent être réparties entre eux, jusqu’à concurrence de 40 semaines. L’article 23(4.1) précise également qu’ « [i]l est entendu » que le nombre total de semaines qui peuvent être payées pour le même enfant ou les mêmes enfants est limité à 40 semaines de prestations parentales régulières, ou à 69 semaines de prestations parentales prolongées.

[32] L’article 23(4.11) de la Loi sur l’AE précise que le nombre maximal de semaines pouvant être versées à chaque prestataire est de 35 ou 61 semaines, même si le nombre de semaines de prestations est divisé conformément aux articles 23(4) et 23(4.1).

[33] Cependant, alors que le Parlement a semblé prendre soin de souligner toute limite aux prestations supplémentaires, le projet de loi C-86 ne contient aucune référence pour préciser qu’il existe une limite concernant la « période de prestations parentales » et que lorsque des prestations partagées sont demandées, ces prestations parentales peuvent devoir se chevaucher.

[34] Si le gouvernement avait eu l’intention de limiter les prestations parentales partagées supplémentaires, autorisées au titre de l’article 23(4), à une période de prestations parentales de 52 ou 78 semaines, je pense qu’il l’aurait fait. Cela aurait été une simple clarification. Toutefois, la loi ne prévoit pas que les prestations partagées supplémentaires, si elles sont prises, doivent vraisemblablement se chevaucher avec l’autre parent.

L’ambiguïté législative doit être résolue en faveur du prestataire

[35] La Cour suprême du Canada a déclaré que la Loi sur l’AE est conçue pour permettre aux personnes sans emploi d’avoir rapidement accès à des prestations lorsqu’elles y sont admissibles, si bien qu’on devrait en faire une interprétation libérale pour atteindre cette finFootnote 12.

[36] La Cour suprême du Canada a également jugé que, dans le contexte d’une loi conférant des prestations, une loi doit être interprétée de façon libérale et généreuse, et que « [t]out doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeurFootnote 13 ».

[37] Il y a un conflit apparent entre la période de prestations parentales énoncée aux articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’AE et les dispositions qui accordent des semaines partagées supplémentaires de prestations parentales prévues à l’article 23(4) de la Loi sur l’AE. Les dispositions législatives n’étant pas claires, l’ambiguïté causée par ce conflit doit être résolue en faveur du prestataire.

Alors, le prestataire peut-il recevoir les semaines supplémentaires de prestations parentales standard partagées?

[38] Oui. Le prestataire peut recevoir jusqu’à cinq semaines de prestations parentales partagées. J’estime que la Loi sur l’AE permet que les prestations parentales partagées, y compris les semaines supplémentaires de prestations parentales régulières, soient demandées de façon séquentielle lorsque les prestations sont partagées entre deux parents.

[39] J’ai examiné le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’AE et l’intention législative de la Loi sur l’AE. Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la Commission selon lequel la période de prestations parentales s’applique pour empêcher les prestataires de recevoir les semaines supplémentaires de prestations permises au titre de l’article 23(4) de la Loi sur l’AE, lorsque ces prestations sont partagées par deux parents et qu’ils présentent des demandes l’un à la suite de l’autre.

Conclusion

[40] L’appel est accueilli.

[41] Le prestataire peut donc recevoir jusqu’à cinq semaines de prestations parentales standard, prises immédiatement après que son épouse a terminé sa demande de prestations de maternité et de prestations parentales.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.