Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c JJ, 2022 TSS 262

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Jared Porter
Partie intimée : J. J.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du18 novembre 2021 (GE-21-1975)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 février 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Intimé
Date de la décision : Le 15 avril 2022
Numéro de dossier : AD-21-427

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Aperçu

[2] Le présent appel porte sur le moment où les parties prestataires partageant des prestations parentales peuvent recevoir ces prestations. Les semaines de prestations parentales partagées peuvent-elles être reçues en dehors de la période de prestations parentales prévue par la Loi sur l’assurance-emploi?

[3] En août 2021, l’intimé, J. J. (le prestataire), a demandé 12 semaines de prestations parentales prolongées. Il a déclaré dans sa demande que son enfant était né le 3 avril 2020. Le prestataire et son épouse avaient décidé de partager le nombre maximal de semaines de prestations parentales prolongées permis au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, soit 69 semaines.

[4] L’appelante (la Commission) a dit au prestataire qu’il ne pouvait pas recevoir les 12 semaines de prestations parce que la période de prestations parentales se termine 78 semaines après la date de naissance de l’enfant du prestataire. La période de prestations parentales a été prolongée de deux semaines pour une période pendant laquelle son enfant a été hospitalisé, de sorte que le prestataire avait une période de prestations parentales de 80 semaines.

[5] La Commission a décidé que le prestataire pouvait recevoir sept semaines de prestations pendant la période de prestations parentales. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais la Commission a maintenu sa décision.

[6] L’appel du prestataire à la division générale du Tribunal a été accueilli. La division générale a décidé que le prestataire et son épouse avaient droit à un total de 69 semaines de prestations parentales prolongées partagées permises au titre de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[7] La division générale a décidé que les semaines supplémentaires de prestations étaient permises, peu importe la période de prestations parentales, et que le prestataire pouvait recevoir des prestations plus de 80 semaines après la naissance de son enfant.

[8] La division générale a jugé qu’il y avait un conflit entre la période de prestations parentales établie dans la Loi sur l’assurance-emploi et l’article qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Elle a conclu que la législation (les lois du législateur) n’est pas claire et que l’ambiguïté devrait être résolue en faveur du prestataire.

[9] La Commission fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit.

[10] Je suis d’accord. La division générale a mal interprété la loi lorsqu’elle a décidé que la période de prestations parentales ne s’appliquait pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[11] Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Questions en litige

[12] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions sur le partage des prestations parentales de la Loi sur l’assurance-emploi?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?
  3. c) Le prestataire a-t-il droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales?

Analyse

[13] Je peux seulement intervenir dans la présente affaire si la division générale a commis une erreur pertinente, ce qu’on appelle un « motif d’appelNote de bas de page 1 ». L’un des motifs d’appel est que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision. L’interprétation des lois est une question de droitNote de bas de page 2.

Contexte

Prestations de grossesse et prestations parentales

[14] La Loi sur l’assurance-emploi offre des prestations de grossesse aux parties prestataires admissibles qui font la preuve de leur grossesseNote de bas de page 3. Les prestations parentales sont versées aux parties prestataires admissibles pendant qu’elles prennent soin d’un nouveau-né ou d’un enfant adoptéNote de bas de page 4. Les prestations parentales sont des prestations distinctes des prestations de grossesse. Ces prestations font partie des prestations spéciales offertes au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

[15] Les parties prestataires peuvent recevoir jusqu’à 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas de page 5. Les prestations de grossesse sont payables pendant la période qui commence 12 semaines avant la semaine au cours de laquelle la prestataire prévoit accoucher ou donne naissance à un enfant, et se termine 17 semaines plus tardNote de bas de page 6.

[16] Lorsqu’elles demandent des prestations de grossesse, les prestataires peuvent également demander des prestations parentales, qui leur seront versées après les 15 semaines de prestations de grossesse. Les parties prestataires doivent choisir entre deux types de prestations parentales :

  • Les prestations parentales standards - le taux des prestations s’élève à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable des parties prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 35 semaines.
  • Les prestations parentales prolongées - le taux des prestations s’élève à 33 % de la rémunération hebdomadaire assurable des parties prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 61 semaines.

[17] La Loi sur l’assurance-emploi précise également que lorsque deux parties prestataires demandent des prestations parentales pour le même enfant, elles peuvent partager des semaines supplémentaires de prestationsNote de bas de page 7. J’appellerai celles-ci des « prestations parentales partagées ». Lorsque deux parties prestataires choisissent de partager les prestations parentales, le nombre maximal de semaines qui peut être divisé entre eux est de 40 pour les prestations standards et de 69 pour les prestations prolongées.

[18] Aucun des parents ne peut recevoir plus de 35 semaines de prestations parentales standards ou 61 semaines de prestations parentales prolongées lorsqu’elles sont partagéesNote de bas de page 8. Cela signifie que deux parents qui reçoivent des prestations parentales partagées pourraient recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standards ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées.

La période de prestations parentales

[19] L’article de la Loi sur l’assurance-emploi qui prévoit les prestations parentales établit la période pendant laquelle elles peuvent être verséesNote de bas de page 9. C’est ce qu’on appelle souvent la « période de prestations parentales », bien que cette expression ne figure pas dans la Loi sur l’assurance-emploi. Dans les présents motifs, je parlerai donc de la « période de prestations parentales ».

[20] Le point de départ de la Loi sur l’assurance-emploi est que la période de prestations parentales se termine 52 semaines après la semaine de la naissance de l’enfant, ou la date du placement dans les cas d’adoptionNote de bas de page 10. La période peut être prolongée dans certaines circonstancesNote de bas de page 11 Lorsqu’une partie prestataire choisit de recevoir des prestations parentales prolongées, la période est prolongée de 26 semaines, pour un total de 78 semaines.

Décision de la division générale

[21] La division générale a accueilli l’appel du prestataire, concluant qu’il avait droit à 12 semaines de prestations parentales prolongées partagées, y compris les semaines qui ne font pas partie de la période de prestations parentales.

[22] La division générale a examiné les modifications apportées à la Loi sur l’assurance-emploi en 2018, qui ont apporté des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées (les modifications pertinentesNote de bas de page 12). Les modifications permettaient aux parents qui choisissaient de partager les prestations parentales de recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations standards et huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées. La division générale a conclu que la législation n’est pas claire quant à la question de savoir si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagéesNote de bas de page 13.

[23] La division générale a donné trois raisons pour avoir conclu que la loi n’est pas claire :

  • Il y a un conflit entre la période de prestations parentales et la disposition qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi relatives à la période de prestations parentales ne font pas référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les modifications pertinentes qui ajoutaient des semaines supplémentaires de prestations comprenaient des précisions importantes, mais ne faisaient pas référence à la période de prestations parentales.

[24] Après avoir conclu que la loi n’est pas claire, la division générale a examiné le but et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a également tenu compte de l’intention législative derrière les modifications pertinentes qui ajoutent les semaines supplémentaires de prestations parentales partagéesNote de bas de page 14. De plus, elle a examiné les commentaires formulés au cours du débat législatif. Elle s’est fondée sur ces commentaires et a conclu que l’intention du législateur était de prolonger la période de prestations parentales de cinq semaines pour les prestations standards et de huit semaines pour les prestations prolongéesNote de bas de page 15.

[25] Ayant conclu qu’il y avait une ambiguïté dans la loi, la division générale a décidé que celle-ci devait être résolue en faveur du prestataireNote de bas de page 16. Elle a conclu que le prestataire pouvait recevoir la totalité des 12 semaines de prestations parentales prolongées qu’il avait demandées.

[26] La division générale a décidé que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées (cinq semaines pour les prestations standards ou huit semaines pour les prestations prolongées) lorsque deux parents les prennent de façon successiveNote de bas de page 17.

Appel de la Commission à la division d’appel

[27] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions relatives à la période de prestations parentales. Elle dit que le libellé de la Loi sur l’assurance-emploi est précis et sans équivoque, c’est-à-dire que les parties prestataires ne peuvent pas recevoir de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

[28] La Commission soutient que la division générale n’a pas suivi la bonne approche pour interpréter les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle dit que le libellé de la loi est clair et qu’il aurait dû jouer un rôle dominant dans l’interprétation de la division générale. La Commission soutient qu’au lieu de se concentrer sur le libellé clair de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi, la division générale a conclu à tort à un conflit dans la législation.

[29] La Commission affirme également que la division générale s’est fondée sur une idée fausse au sujet des prestations de grossesse lorsqu’elle a conclu que deux parents ne pouvaient pas prendre les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de façon successive si la période de prestations parentales s’appliquait. Elle s’est fondée sur des renseignements non pertinents fournis par des agentes et agents de Service Canada, et a formulé des hypothèses erronées au sujet de l’intention législative derrière les modifications pertinentes à la Loi sur l’assurance-emploi.

[30] Le prestataire soutient que la décision de la division générale selon laquelle la Loi sur l’assurance-emploi est ambiguë ou, au mieux, silencieuse quant à la question de savoir si les prestations partagées sont assujetties à la période de prestations parentales est exacte.

[31] Le prestataire affirme que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit. Il soutient que la division générale a exposé les conflits et l’ambiguïté de la loi de façon claire. La position du prestataire est que la division générale a eu raison de résoudre l’ambiguïté en sa faveur, et que je devrais rejeter l’appel.

La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi

[32] La division générale a fondé son interprétation de la loi sur un conflit perçu entre l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, et la période de prestations parentales à l’article 23(2). J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du texte de l’article 23(2) dans l’exercice de son interprétation législative.

[33] En ce qui concerne l’interprétation de la loi, les cours ont déclaré que le Tribunal doit examiner le texte, le contexte et l’objet de la loiNote de bas de page 18. La décision de la division générale était axée sur l’objet de la loi et sur le conflit perçu entre les articles. Cependant, la division générale n’a pas bien examiné le libellé réel des articles 23(2) et 23(4). Cela constitue une erreur de droit.

[34] Dans sa décision, la division générale a rejeté l’argument de la Commission selon lequel le libellé de l’article est clair. Toutefois, la division générale n’a pas inclus le texte de l’article 23(2) dans sa décision ni interprété les mots utilisés dans cet article.

[35] La division générale a déclaré que de nombreuses décisions du Tribunal font état de circonstances dans lesquelles les agentes et agents de la Commission ont dit aux parties prestataires qu’elles avaient le droit de demander des prestations parentales partagées au-delà de la période de prestations parentalesNote de bas de page 19. Elle s’est fondée sur ce fait pour déclarer que le libellé n’est pas clair.

[36] Comme il a été mentionné précédemment, la division générale a donné trois raisons pour conclure que la loi n’est pas claire. Premièrement, la division générale a constaté qu’il y avait un conflit entre la période de prestations parentales et les semaines supplémentaires de prestations. Elle a fondé cette constatation sur la conclusion qu’il est mathématiquement impossible, à l’intérieur d’une période de prestations parentales de 78 semaines, que deux parents prennent 69 semaines de prestations parentales prolongées de façon successive après que le parent qui porte l’enfant reçoit 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas de page 20.

[37] La division générale fait remarquer que rien dans la Loi sur l’assurance-emploi ne dit que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées doivent chevaucher les prestations de l’autre parent afin que les parents puissent être certains de les recevoir. Pour cette raison, elle a conclu qu’il y avait un conflit entre les articlesNote de bas de page 21.

[38] La division générale a commis une erreur de droit en concluant que les articles sont contradictoires parce qu’il n’est pas nécessaire que les prestations soient versées simultanément. Il y a des situations où deux parents pourraient prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon successive durant la période normale de 52 semaines ou de 78 semaines de prestations parentales :

  • Les semaines supplémentaires de prestations s’appliquent aux parties prestataires qui adoptent et qui n’auraient pas à prendre en compte des semaines de prestations de grossesse. Ces parents peuvent prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon successive.
  • La division générale a commis une erreur en interprétant mal le fonctionnement des prestations de grossesse. Ces prestations peuvent être prises jusqu’à 12 semaines avant la date prévue de l’accouchement. Dans les cas où les prestations de grossesse sont prises avant la naissance, deux parents peuvent être en mesure de prendre une partie ou la totalité des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de façon successive.

[39] Je reconnais que de nombreuses parties prestataires se trouveront dans la même situation que le prestataire, c’est-à-dire que le parent qui aura porté l’enfant recevra des prestations de grossesse à partir de la naissance de l’enfant, ou près de cette date. Le prestataire soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur mathématique, comme l’affirme la Commission, lorsqu’elle a conclu que deux parents ne peuvent pas prendre les semaines supplémentaires de façon successive si les parents qui portent l’enfant reçoivent des prestations de grossesse à partir de la naissance de l’enfant. Pour ces parents, la période de prestations parentales empêcherait deux parties prestataires de prendre les semaines supplémentaires de façon successive.

[40] Cependant, la division générale a eu tort de conclure que le législateur aurait inclus une disposition exigeant que les semaines supplémentaires se chevauchent s’il avait l’intention que la période de prestations parentales s’applique. La division générale n’a pas tenu compte des circonstances dans lesquelles les parties prestataires peuvent prendre les semaines de façon successive.

[41] La division générale a également fait remarquer que la prolongation de la période de prestations parentales prévue à l’article 23(3.2) permettrait apparemment au parent qui porte l’enfant d’obtenir une prolongation de la période de prestations parentales afin de recevoir les semaines supplémentaires. Cela est dû au fait que cet article permet de prolonger la période de prestations parentales lorsqu’une partie prestataire reçoit plus d’une prestation spécialeNote de bas de page 22.

[42] La division générale a conclu qu’il est peu probable que le gouvernement aurait permis d’avoir des semaines supplémentaires de prestations partagées seulement pour empêcher le parent qui ne porte pas l’enfant de les recevoir, lorsqu’elles sont prises de façon successiveNote de bas de page 23.

[43] L’article 23(3.2) permet de prolonger la période de prestations parentales lorsqu’une partie prestataire reçoit plus d’un type de prestations spéciales, en l’occurrence des prestations de maternité et des prestations parentales. Toutefois, cet article ne serait pas utile lorsque deux parents partagent les semaines de prestations parentales supplémentaires.

[44] On peut présumer que le parent qui porte l’enfant prendra 15 semaines de prestations de maternité, suivies du nombre de semaines choisi de prestations parentales prolongées. Chaque partie prestataire peut seulement prendre 61 semaines de prestations parentales prolongées. Un parent ayant porté un enfant atteindrait le nombre maximal de semaines permises pour une partie prestataire à la fin de la période de 78 semaines.

[45] Deuxièmement, la division générale a conclu qu’il n’y avait aucune référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées dans les articles sur la période de prestations parentales (articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 24). Pour cette raison, elle a conclu que la Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations partagéesNote de bas de page 25.

[46] Cependant, aucun de ces articles ne fait spécifiquement référence à un certain nombre de semaines de prestations. En disant « [s]ous réserve de l’article 12 », l’article 23(2) renvoie aux maximums applicables.

[47] L’article 12 de la Loi sur l’assurance-emploi établit le nombre maximal de semaines de prestations pouvant être versées à une partie prestataire. L’article 12(1) se lit comme suit :

12 (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

[48] L’article 12(4) parle des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. On y lit :

(4) Les prestations ne peuvent être versées :

  1. a) pour une grossesse unique, 15; dans le cas d’une seule et même grossesse, pendant plus de quinze semaines;
  2. b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement d’un ou de plusieurs enfants en vue de leur adoption pendant plus du nombre de semaines ci-après :
    1. (i)  dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(i), trente-cinq semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, quarante semaines
    2.  (ii)  dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(ii), soixante et une semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, soixante-neuf semainesNote de bas de page 26. (mis en évidence par la soussignée)

[49] La division générale n’a pas tenu compte du texte intégral de l’article, en particulier des mots « [s]ous réserve de l’article 12 » à l’article 23(2).

[50] Enfin, la division générale a souligné que les modifications qui introduisaient les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées comprenaient des précisions. Plus précisément, elle a noté que l’article 23(4.1) précise « [qu’]il est entendu que » le nombre total de semaines de prestations parentales pouvant être versées pour le même enfant ou les mêmes enfants est de 40 pour les prestations standards ou de 69 pour les prestations prolongéesNote de bas de page 27. L’article 23(4.11) dit de façon claire que chaque prestataire ne peut recevoir plus de 35 ou 61 semaines lorsque les prestations sont partagéesNote de bas de page 28.

[51] La division générale a conclu que ces précisions n’établissaient pas de limite pour la période de prestations parentales et ne disaient pas que les prestations devaient se chevaucher. Elle a conclu que le législateur aurait inclus une disposition précisant que la période de prestations parentales s’applique ou que les prestations doivent se chevaucher, si telle était l’intentionNote de bas de page 29. Le fait qu’elle n’ait pas inclus cette précision démontre que la loi n’est pas claire.

[52] Comme nous l’avons vu plus haut, la division générale n’a pas tenu compte des situations dans lesquelles les parties prestataires peuvent prendre les semaines de façon successive lorsqu’elle a décidé que le législateur aurait inclus une disposition exigeant que les prestations se chevauchent.

[53] L’interprétation de l’article 23(4) par la division générale est que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standards ou aux huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées lorsque les prestations parentales partagées sont prises de façon successive, mais on peut présumer que cela s’applique aux 35 ou 61 semaines qu’une partie prestataire peut recevoir.

[54] Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas à ces semaines supplémentaires, rien dans le libellé de l’article 23 ne laisse entendre que les semaines devraient être prises immédiatement après la fin des prestations de l’autre partie prestataire. Cela voudrait dire qu’une partie prestataire pourrait prendre les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales à n’importe quel moment.

[55] La division générale a jugé que seules les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas couvertes par la période de prestations parentales. Les articles 23(4), 23(4.1) ou 23(4.11) ne font pas explicitement référence à cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations. Deux parties prestataires peuvent choisir de diviser les 40 ou 69 semaines comme bon leur semble.

[56] J’estime que le libellé de l’article 23 ne peut appuyer l’interprétation de la division générale selon laquelle la période de prestations parentales s’applique à 35 ou 61 semaines de prestations parentales partagées, mais non aux semaines supplémentaires.

[57] La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23 lorsqu’elle a conclu que le libellé n’était pas clair et que les dispositions relatives à la période de prestations parentales entraient en conflit avec l’article qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[58] La division générale n’a pas tenu compte du libellé réel des articles 23(2) et 23(4). Elle s’est concentrée sur l’objet de la loi lorsqu’elle a conclu que les articles n’étaient pas clairs, plutôt que sur l’examen du texte de la loi.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[59] La division générale a fondé sa décision sur une mauvaise interprétation de la loi, ce qui constitue une erreur de droit. Cela signifie que je peux remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamenNote de bas de page 30. Je peux trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour régler l’appel du prestataireNote de bas de page 31.

[60] Dans la présente affaire, j’estime qu’il convient que je substitue ma propre décision. Les parties conviennent que je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Le dossier est complet et les parties ont eu pleinement l’occasion de présenter leurs arguments à la division généraleNote de bas de page 32.

Le prestataire ne peut pas recevoir de prestations en dehors de la période de prestations parentales

[61] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur dans son interprétation des articles 23(4) et 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Je dois maintenant interpréter la loi. Pour ce faire, je dois examiner les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas de page 33.

[62] La Commission soutient que le libellé de l’article 23(2) est précis et sans équivoque. Elle dit que l’interprétation de la division générale aurait dû se terminer par la conclusion que le libellé de l’article est clair et qu’aucune autre analyse n’est requise.

[63] Le prestataire soutient que le libellé de l’article 23(2) ne fait pas référence aux semaines supplémentaires de prestations partagées. Il dit que les semaines supplémentaires sont permises par l’effet conjugué des articles 12(4)b)(ii) et 23(4). Il dit que le formulaire de demande de prestations mentionne seulement que deux parents peuvent recevoir jusqu’à un total combiné de 69 semaines de prestations prolongées. Il ne fait aucune mention d’une période de prestations parentales ni du fait que ces semaines doivent être prises dans une période de 78 semaines après la naissance de l’enfant.

[64] Le prestataire soutient que la décision de la division générale selon laquelle la Loi sur l’assurance-emploi est ambiguë ou, au mieux, silencieuse quant à la question de savoir si les prestations partagées sont assujetties à la période de prestations parentales est exacte. Si la Loi sur l’assurance-emploi est silencieuse à cet égard, cela explique pourquoi le formulaire de demande de prestations l’est également, et pourquoi les agentes et agents de Service Canada ne leur ont pas parlé, à lui ou à son épouse, de la période de prestations parentales. Il dit que la période de prestations parentales ne s’applique pas.

[65] Le prestataire affirme également qu’il y a de nombreux autres appels portant sur cette question parce que la Loi sur l’assurance-emploi porte à confusion. La division générale a effectué une analyse minutieuse et approfondie de la loi et elle n’a pas commis d’erreur.

[66] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le libellé de l’article 23(2) est clair. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que cela met fin à l’exercice d’interprétation législative. Je dois tenir compte du contexte global des articles à interpréterNote de bas de page 34.

[67] La Commission s’appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Trustco Canada. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que le libellé précis et non équivoque jouerait un rôle primordial dans le processus d’interprétationNote de bas de page 35. Lorsque le libellé est clair, son sens ordinaire joue effectivement un rôle plus important dans l’interprétationNote de bas de page 36.

[68] Cependant, la Cour a également déclaré qu’il faut « [aller] au‑delà du simple texte des dispositions et adopte[r] une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositionsNote de bas de page 37 ».

[69] Le libellé de la Loi sur l’assurance-emploi ne peut être interprété indépendamment de son contexte et de son objet. Dans l’affaire Trustco Canada, la Cour a également déclaré que le contexte et l’objet peuvent révéler une ambiguïté dans la loi lorsque le libellé semble clair et clairNote de bas de page 38.

[70] Je vais examiner le libellé des articles 23(2) et 23(4), le contexte de ces articles de la Loi sur l’assurance-emploi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Le libellé de la loi est clair

[71] La Commission soutient que le libellé de la législation est précis et sans équivoque, de sorte que les mots devraient jouer un rôle primordial dans l’interprétation des dispositions. Comme le libellé des articles est important, j’inclurai le texte intégral des articles pertinents.

[72] La période de prestations parentales est prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi :

(2) Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées - Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :

  1. a) commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption;
  2. b) se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés.

[73] La Loi sur l’assurance-emploi précise ensuite les circonstances dans lesquelles la période de prestations parentales peut être prolongée :

  • lorsque l’enfant est hospitalisé;
  • lorsqu’une partie prestataire est déployée;
  • lorsqu’une partie prestataire reçoit plusieurs prestations spéciales;
  • lorsqu’une partie prestataire choisit de recevoir des prestations parentales prolongées;
  • lorsqu’il y a certaines combinaisons de prestations régulières et de prestations spécialesNote de bas de page 39.

[74] En 2018, la Loi sur l’assurance-emploi a été modifiée pour ajouter l’article qui permet à deux parties prestataires de partager jusqu’à 40 semaines de prestations parentales standards ou 69 semaines de prestations parentales prolongéesNote de bas de page 40. Cet article permet de verser cinq semaines supplémentaires de prestations standards ou huit semaines supplémentaires de prestations prolongées lorsqu’elles sont partagées. L’article 23(4) se lit comme suit :

Partage des semaines de prestations

(4) Si deux prestataires présentent chacun une demande de prestations au titre du présent article — ou si un prestataire présente une telle demande et qu’un particulier présente une demande de prestations au titre de l’article 152.05 — relativement au même enfant ou aux mêmes enfants, les semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article, de l’article 152.05 ou de ces deux articles peuvent être partagées entre eux, jusqu’à concurrence de quarante semaines lorsque le nombre maximal de semaines choisi aux termes des paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1) est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(i) ou 152.14(1)b)(i) ou de soixante-neuf semaines lorsque ce nombre est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(ii) ou 152.14(1)b)(ii). S’ils n’arrivent pas à s’entendre, le partage des semaines de prestations doit être effectué conformément aux règles prévues par règlement.

[75] Les modifications précisent également qu’une partie prestataire ne peut recevoir plus de 35 ou 61 semaines de prestations. L’article 23(4.11) se lit comme suit :

(4.11) Même lorsqu’il y a partage conformément aux paragraphes (4) et (4.1), le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations peuvent être versées à un prestataire est de trente-cinq ou de soixante et une semaines, conformément au choix visé aux paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1).

[76] Le début de l’article 23(2) se lit comme suit : « [s]ous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui […] » (mis en évidence par la soussignée). Les semaines supplémentaires de prestations partagées sont prévues à l’article 23(4), qui les rend admissibles au titre de l’article 23.

[77] Selon le libellé de l’article 23, les prestations payables au titre de l’article se limitent à la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2). Il n’y a rien dans la loi qui laisse entendre que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas des prestations au titre de l’article 23.

[78] J’ai également examiné les mots « [s]ous réserve de l’article 12 » à l’article 23(2). Les sections pertinentes de l’article 12 sont énoncées aux paragraphes 46 et 47 ci-dessus. Comme je l’ai expliqué, je juge que les semaines supplémentaires sont mentionnées à l’article 12(4).

[79] J’estime que le libellé de l’article 23 est clair. Cet article traite de toutes les prestations parentales. Cela comprend les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à l’article 23(4).

[80] L’article 23(2) précise à quel moment les prestations prévues à l’article 23 peuvent être versées. Une simple lecture de l’article révèle que la période de prestations parentales s’applique à toutes les prestations prévues à l’article 23, y compris les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Cela est également confirmé par l’utilisation de l’expression « [s]ous réserve de l’article 12 », car les semaines supplémentaires sont mentionnées à l’article 12(4).

[81] Je comprends l’argument du prestataire selon lequel la loi n’est pas claire parce qu’il n’a jamais été informé de la période de prestations parentales, et qu’il n’en est pas fait mention dans le formulaire de demande de prestations. J’estime qu’il est plus probable que cela soit dû à la confusion dans l’application de la loi, qui entraîne de la désinformation. Cela ne signifie pas que le libellé de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair.

[82] Comme il a été mentionné, l’analyse ne s’arrête pas au sens ordinaire du texte. Puisque j’ai conclu que le libellé est clair, celui-ci jouera un rôle primordial dans l’interprétationNote de bas de page 41. Cependant, je dois aussi examiner le contexte pour vérifier si cette interprétation est conforme à l’objet de la loi et à l’intention du législateur.

Contexte et objet des dispositions relatives aux prestations parentales

[83] Les prestations prévues par la Loi sur l’assurance-emploi sont payables au cours d’une période de prestations. L’article 10 de la Loi sur l’assurance-emploi porte sur le début, la durée et la fin de la période de prestations. Cette période commence lorsqu’une partie prestataire subit un arrêt de rémunération. Une partie prestataire doit avoir établi une période de prestations pour recevoir des prestations.

[84] La période de prestations parentales définit le moment où les prestations parentales peuvent être versées. La prolongation de la période de prestations parentales permise par la Loi sur l’assurance-emploi a une prolongation correspondante de la période de prestations à l’article 10Note de bas de page 42. Cela signifie qu’une partie prestataire qui a droit à une prolongation de sa période de prestations parentales obtiendra aussi une prolongation de sa période de prestations, afin qu’elle puisse recevoir des prestations.

[85] Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas aux semaines supplémentaires de prestations, comme l’a conclu la division générale, on peut supposer qu’une partie prestataire s’appuierait sur sa période de prestations prévue à l’article 10 pour s’assurer de son admissibilité.

[86] Cependant, le paiement des prestations parentales dépend de la période de prestations parentales et non de la période de prestations. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

S’il ne fait aucun doute que la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi est établie en fonction spécifiquement du prestataire, il n’en est pas ainsi pour la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées au titre du paragraphe 23(2). L’établissement de cette dernière période se rattache à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (voir le paragraphe 23(2)). Par conséquent, même si deux prestataires peuvent chacun demander des prestations parentales pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants, et si une période de prestations doit être établie au profit de chacun des prestataires séparément, les prestations parentales ne peuvent versées que pendant la période visée par le paragraphe 23(2), peu importe quand commence et se termine la période de prestations de l’un ou l’autre prestataireNote de bas de page 43.

[87] Les prestations parentales ont pour but de venir en aide aux parents admissibles qui subissent un arrêt de rémunération parce qu’ils doivent prendre soin d’un nouveau-né ou d’un enfant adopté. Ces dispositions ne sont pas dictées par les besoins des parents. L’objectif de la loi est de fournir à ces parents un revenu de remplacement pour une période limitéeNote de bas de page 44.

[88] J’ai examiné les commentaires émis lors du débat législatif dont a fait mention la division généraleNote de bas de page 45. Il est évident que la modification de la Loi sur l’assurance-emploi pour prévoir des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées visait à encourager les parents à partager plus équitablement leurs responsabilités parentales et professionnelles et à leur donner plus de souplesse.

[89] Je reconnais qu’un commentaire a été fait au cours du débat législatif selon lequel les modifications permettraient aux nouvelles mères de retourner au travail plus tôt si elles le souhaitentNote de bas de page 46. Cet objectif pourrait être entravé en limitant les semaines de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales. Cependant, l’objectif consistant à encourager les parents à partager les obligations parentales est conforme à l’application de la période de prestations parentales.

[90] Comme nous en avons discuté plus haut, il peut y avoir des circonstances où les parents peuvent prendre les semaines de façon successive, tandis que d’autres devront faire en sorte qu’elles se chevauchent pour recevoir les 40 ou 69 semaines. Que les semaines de prestations soient prises de façon successive ou simultanée, deux parents ont plus de semaines disponibles pour partager les obligations parentales. Deux parents ont des semaines supplémentaires de prestations parentales à partager, qui n’étaient pas disponibles avant les modifications pertinentes.

[91] Le prestataire soutient que l’intention de partager équitablement les responsabilités parentales est entravée si les parents doivent chevaucher leurs semaines de prestations, ou si le parent qui porte l’enfant doit prendre quelques semaines de prestations de grossesse avant la naissance. Je reconnais qu’il aurait peut-être été préférable que le législateur prolonge la période de prestations parentales pour permettre à tous les parents de prendre les semaines supplémentaires de façon successive.

[92] Cependant, on ne peut ignorer le libellé de la loi pour interpréter une disposition d’une façon qui correspond mieux à l’objet de la loiNote de bas de page 47. Le langage simple du texte est conforme à l’objectif consistant à encourager les parents à partager les obligations parentales.

[93] J’ai examiné la modification du Code canadien du travail, qui a été mentionnée par la division générale et soulevée par le prestataire à l’audience devant la division d’appel. Cette modification a été apportée en même temps que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. La modification a porté à 86 semaines le nombre total de jours de congés pour deux employés à l’occasion de la même naissanceNote de bas de page 48.

[94] Cependant, je remarque que le Code canadien du travail prévoit également une limite quant au moment où le congé parental peut être prisNote de bas de page 49. Cette période n’a pas été modifiée lorsque le nombre total de semaines a été augmenté et limite le congé parental à la période de 78 semaines commençant à la naissance ou à l’adoption d’un enfant. Cela signifie que deux employés peuvent prendre ensemble 86 semaines de congé pour le même enfant, mais qu’ils seront également limités à une période de congé de 78 semaines.

[95] La modification au Code canadien du travail ne laisse pas entendre que le législateur avait l’intention de prolonger la période de prestations parentales.

[96] Je juge que le libellé de l’article 23 est clair. Bien qu’il soit vrai que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse, cette méthode d’interprétation ne peut exclure les restrictions expressément prévues dans une loiNote de bas de page 50. En interprétant l’article 23(4) comme permettant d’avoir cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales, on exclurait effectivement les restrictions expresses de l’article 23(2).

[97] De plus, les tribunaux ont dit que pour qu’il y ait ambiguïté dans un texte, l’ambiguïté doit être réelle. Cela signifie que le texte doit être raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétationNote de bas de page 51.

[98] Je ne pense pas que l’on puisse raisonnablement interpréter le texte comme signifiant que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Le contexte et l’objet ne révèlent aucune ambiguïté dans ce langage clair. Le sens ordinaire de l’article est conforme à l’objet de la loi et à l’intention du législateur.

[99] Lorsque la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, de nombreux parents dans la même situation que le prestataire ne pourront pas prendre ces semaines de façon successive. Le prestataire soutient qu’il n’est pas conforme à l’intention du législateur d’exiger que certains parents prennent ces semaines simultanément, ou d’exiger que le parent qui porte l’enfant prenne des semaines de prestations de grossesse avant la naissance de l’enfant afin de prendre les semaines successivement.

[100] J’ai réfléchi à la question de savoir si le fait de limiter les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales constitue une absurdité ou, potentiellement, une erreur de rédaction législative.

[101] Une interprétation peut être qualifiée d’absurde si elle « mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatifNote de bas de page 52 ».

[102] J’estime que, bien qu’il soit plus conforme aux objectifs énoncés de la législation de prolonger la période de prestations parentales pour les parents qui se partagent des semaines supplémentaires de prestations, cela ne constitue pas une absurdité.

[103] Bien que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées soient offertes aux parties prestataires, certaines pourront les prendre de façon successive, alors que d’autres devront les prendre simultanément. Cela révèle une incohérence potentielle dans l’application de la loi, selon la situation de la partie prestataire. Toutefois, cette incohérence n’équivaut pas à une absurdité.

[104] Comme nous l’avons vu plus haut, si la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, les parties prestataires pourraient prendre cinq ou huit semaines de prestations parentales en tout temps. J’estime que ce serait un résultat illogique et incompatible avec les autres articles de la Loi sur l’assurance-emploi.

[105] J’ai réfléchi à la question de savoir si le fait que la période de prestations parentales n’ait pas été modifiée pour inclure une prolongation afin que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées puissent être prises simultanément pourrait être considéré comme une erreur de rédaction législative. En général, une erreur de rédaction peut être corrigée lorsque trois critères sont respectés :

  • l’erreur aboutit à une absurdité manifeste;
  • il est possible d’en retracer l’origine;
  • il est possible d’y remédier par une correction évidente Note de bas de page 53.

[106] Comme nous en avons discuté, je ne crois pas que l’erreur potentielle aboutit à une absurdité manifeste.

[107] Il y a aussi une différence entre une erreur de rédaction et une lacune dans la législation. Cette dernière se produit lorsqu’une loi n’est pas suffisamment inclusive et entraîne une application plus étroite qu’elle ne le devrait. Dans le présent cas, la loi ne permet pas à certaines parties prestataires de prendre les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de façon consécutive. Une portée trop limitative est corrigée par la loi et non par l’interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi comme si elle comprenait une exception, alors que cela n’est pas le cas. Cela est considéré comme une modification qu’il convient de laisser à la loiNote de bas de page 54.

[108] Le législateur n’a pas modifié la période de prestations parentales ni prévu d’exception pour les semaines supplémentaires. Si cette décision n’était pas intentionnelle, j’estime que l’absence d’une prolongation de la période de prestations parentales constituerait une lacune dans la législation plutôt qu’une erreur de rédaction.

[109] Étant donné que le législateur avait déjà prolongé la période de prestations parentales, comme lorsqu’il a introduit les prestations parentales prolongées, il faut tenir compte de la probabilité que le législateur n’ait pas eu l’intention de modifier la période de prestations parentales, tout comme il n’a pas modifié la période de congé prévue dans le Code canadien du travail.

[110] Le libellé de l’article 23(2) est clair : la période s’appliquera aux prestations au titre de cet article. Cela laisse entendre que les rédacteurs législatifs auraient su que l’article 23(2) s’appliquerait aux semaines de prestations au titre de l’article 23(4).

[111] Je remarque que le prestataire a fait tous les efforts possibles pour s’assurer de respecter la loi lorsqu’il a présenté une demande de prestations parentales partagées. Dans la présente affaire, le prestataire et son épouse ont communiqué à plusieurs reprises avec la Commission pour obtenir des renseignements et des conseils. On ne lui a jamais parlé de la période de prestations parentales. Il s’est appuyé sur ces renseignements pour planifier son congéNote de bas de page 55. Il n’y avait pas grand-chose que le prestataire aurait pu faire de plus.

[112] Je comprends la frustration du prestataire. Je suis sensible à sa situation et à celle des nombreuses autres parties prestataires qui se trouvent dans la même situation. Cependant, je dois interpréter et appliquer la loi, et je ne peux pas la réécrireNote de bas de page 56.

[113] J’estime que la loi est claire. Les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées sont des prestations au titre de l’article 23. Cela signifie que la période de prestations parentales s’applique et que les prestations ne peuvent pas être versées en dehors de cette période.

Conclusion

[114] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales au-delà de la période de prestations parentales.

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