Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : ZL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 308

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Z. L.
Représentante ou représentant : Y. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : J. Lachance

Décision portée en appel : Canada Employment Insurance Commission reconsideration decision (442546) dated January 7, 2022 (issued by Service Canada)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 10 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Personne représentant la partie appelante
Personne représentant la partie intimée
Date de la décision : Le 21 avril 2022
Numéro de dossier : AD-21-290 et AD-21-378

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La demande de prestations du prestataire devrait être traitée comme si elle avait été reçue le 31 janvier 2021.

Aperçu

[2] Z. L. est le prestataire dans la présente affaire. Son employeur l’a mis à pied pour environ deux mois. Il souhaite recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi pendant cette période.

[3] La Commission de l'assurance-emploi du Canada déclare que le prestataire n'est pas admissible aux prestations pendant cette période parce qu'il a soumis sa demande en retard, soit le 6 avril 2021Note de bas de page 1. Elle précise également qu'elle ne peut pas antidater sa demande, car il n'a pas démontré qu’il avait un motif valable pour son retardNote de bas de page 2.

[4] Par contre, le prestataire affirme qu’il a tenté de présenter une demande de prestations de la même façon qu’il l’avait fait auparavant. Cependant, il a dit que le processus avait changé et qu’il trouvait que l’information sur le site Web de la Commission n’était pas claire. Il a également mentionné des problèmes techniques et l’existence d’une barrière linguistique. De plus, le prestataire affirme qu’il a tenté d’obtenir des renseignements de son employeur et de Service Canada.

[5] Le prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale du Tribunal, mais celle-ci a rejeté son appelNote de bas de page 3. Le prestataire a par la suite demandé à la division générale de rouvrir sa décision en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve, mais la division générale a également rejeté cette demandeNote de bas de page 4.

[6] Le prestataire fait maintenant appel des deux décisions de la division générale.

[7] Le prestataire soutient que, dans sa première décision, la division générale a ignoré des mesures importantes qu’il a prises pour tenter d’obtenir plus de renseignements sur son admissibilité aux prestations. Je suis d’accord. La division générale a commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve de façon significative.

[8] Compte tenu des circonstances, j’accueille l’appel et je rends la décision que la division générale aurait dû rendre. Le prestataire avait un motif valable pour ne pas avoir présenté une demande de prestations plus tôt. Par conséquent, la Commission devrait traiter sa demande comme si elle avait été reçue le 31 janvier 2021.

[9] Puisque j’accueille l’appel de la première décision de la division générale, je n’ai pas à examiner la deuxième décision de la division générale.

Je n’ai pas tenu compte des « nouveaux éléments de preuve » du prestataire

[10] Je n’ai pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve que le prestataire a présentés après la première décision de la division générale. Des nouveaux éléments de preuve sont des éléments de preuve que la division générale n’avait pas devant elle lorsqu’elle a rendu cette décision. Les nouveaux éléments de preuve du prestataire comprennent des courriels échangés avec son employeur et une lettre de Service CanadaNote de bas de page 5.

[11] La loi limite les pouvoirs de la division d'appelNote de bas de page 6. Ce n’est pas un endroit où les parties appelantes peuvent plaider à nouveau leur cause et combler les lacunes dans la preuve en cours de route. La division d’appel se concentre plutôt sur la question de savoir si la division générale a commis une erreur pertinente. Je fonde cette évaluation sur les renseignements dont disposait la division générale.

[12] Il existe des exceptions à la règle générale interdisant d'examiner de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 7. Par exemple, je peux tenir compte de nouveaux éléments de preuve s’ils fournissent des renseignements généraux, s’ils mettent en lumière des conclusions que la division générale a tirées sans éléments de preuve à l’appui, ou s’ils révèlent des façons dont la division générale a agi de façon inéquitable.

[13] Aucune de ces exceptions ne s’applique dans la présente affaire. Le prestataire a plutôt présenté de nouveaux éléments de preuve à l’appui de ses arguments, qui ont quelque peu évolué au fil du temps.

Questions en litige

[14] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve de façon significative?
  2. b) Si oui, comment devrais-je corriger l’erreur de la division générale?
  3. c) Le prestataire avait-il un motif valable pour ne pas avoir présenté sa demande plus tôt?

Analyse

[15] Les personnes qui souhaitent recevoir des prestations d'assurance-emploi doivent en faire la demande rapidementNote de bas de page 8. Autrement, elles risquent de perdre des prestations qu’elles auraient pu recevoir avant la date de leur demande.

[16] Toutefois, la loi offre une certaine souplesse. La Commission traitera une demande comme si elle avait été reçue à une date antérieure si la personne peut démontrer qu'elleNote de bas de page 9 :

  • était admissible aux prestations à la date antérieure;
  • avait un « motif valable » pour le retard.

[17] La personne doit démontrer qu’elle avait un « motif valable » pendant toute la période du retard.

[18] Prouver que l’on avait un « motif valable » peut être difficileNote de bas de page 10. Une personne doit démontrer qu'elle a fait ce qu'une personne raisonnable dans sa situation aurait fait pour s'acquitter de ses droits et obligations au titre de la loiNote de bas de page 11. Cela comprend l’obligation de prendre des mesures raisonnablement rapides pour vérifier si elle est admissible aux prestations. L’ignorance de la loi, même si elle est combinée à la bonne foi, ne peut aider une personne à établir un « motif valable » pour son retard.

La division générale a commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve de façon significative

[19] La première décision de la division générale porte sur la question de savoir si le prestataire avait un motif valable pour avoir tardé à présenter sa demande pendant environ deux mois, soit du 31 janvier au 6 avril 2021.

[20] En fin de compte, la division générale a conclu que le prestataire n'avait pas pris des mesures raisonnablement rapides pour savoir s'il était admissible aux prestations d'assurance-emploiNote de bas de page 12. Par conséquent, sa demande ne pouvait pas être antidatée.

[21] Pour en arriver à sa conclusion, la division générale a conclu que les démarches du prestataire s’étaient limitées à :

  • chercher de l’information sur le site Web de la Commission;
  • communiquer avec son employeur;
  • téléphoner à Service Canada une fois à la fin de février ou en mars.

[22] Toutefois, le prestataire soutient que la division générale a ignoré d’autres mesures importantes qu’il a prises pour vérifier s’il était admissible aux prestations. Par exemple, le prestataire mentionne les parties suivantes de sa preuve de l’audience devant la division générale :

  • Le prestataire a essayé de présenter une demande de prestations en ligne, comme il l’avait fait une fois auparavant. Toutefois, il a dit que le processus avait changé, qu’il ne le trouvait pas clair, et qu’il avait eu des problèmes techniques. Le prestataire a dit qu'il semblait que sa demande n'avait pas été acceptéeNote de bas de page 13.
  • Le prestataire a tenté de joindre Service Canada par téléphone à plusieurs reprises. Cependant, il a dit que la ligne était parfois occupée. À d’autres occasions, il dit avoir attendu au téléphone pendant plusieurs heures et s’être fait raccrocher la ligne. Lorsque le prestataire a finalement réussi à parler à quelqu'un, on lui a dit qu'il devait attendre parce qu’il y avait une panne du systèmeNote de bas de page 14.
  • Finalement, le prestataire s’est rendu dans un centre de Service Canada, où on lui a dit que le processus avait changé de façon importante. Le personnel de Service Canada l’a redirigé vers le site Web, ce qu'il a trouvé inutile parce qu'il n'avait pas été en mesure de commencer une demande en ligneNote de bas de page 15.

[23] En règle générale, je peux présumer que la division générale a tenu compte de tous les éléments de preuve, même si elle n'a pas spécifiquement mentionné chaque élémentNote de bas de page 16. Toutefois, je n'ai pas à appliquer cette règle si, par exemple, la division générale omet de mentionner des éléments de preuve importants, surtout ceux qui contredisent sa conclusionNote de bas de page 17.

[24] Cela fait partie du devoir de la division générale d’évaluer la preuve et de fournir les motifs de sa décision. D’un autre côté, la division générale peut commettre une erreur de droit si elle n'analyse pas la preuve de manière significativeNote de bas de page 18.

[25] Dans la présente affaire, la division générale a commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve de façon significative. Bien que je reconnaisse que la preuve du prestataire était parfois difficile à suivre, je reconnais qu’il a pris des mesures importantes pour communiquer avec la Commission et vérifier s’il était admissible aux prestations.

[26] La division générale aurait dû tenir compte de cette preuve. Elle démontre que le prestataire a tenté de faire une demande en ligne et de communiquer avec la Commission à plusieurs reprises, par téléphone et en personne. Cependant, la division générale n’a jamais cherché à voir si ces mesures permettaient d’établir un motif valable justifiant le retard du prestataire à présenter une demande de prestations.

[27] Puisque la division générale a commis une erreur de droit, j'ai le pouvoir d'intervenir dans cette affaireNote de bas de page 19.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[28] Lors de l'audience devant moi, les deux parties ont dit que si la division générale avait commis une erreur, je devrais rendre la décision qu’elle aurait dû rendreNote de bas de page 20.

[29] Je suis d’accord. Le prestataire ne soutient pas que la division générale l’a empêché de présenter pleinement sa cause. De plus, j’ai la preuve nécessaire pour rendre une décision dans la présente affaire.

[30] Cela signifie que je peux décider si le prestataire avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande de prestations d’assurance-emploi.

Le prestataire a démontré un motif valable pour son retard

[31] Pour évaluer correctement les raisons du retard du prestataire, il est important de reconnaître certains des faits particuliers de son dossierNote de bas de page 21.

[32] Le prestataire est un immigrant récent au Canada avec des compétences limitées en anglaisNote de bas de page 22. De plus, comme il avait récemment déménagé dans une nouvelle, il n’avait pas beaucoup d’amis ou de contacts qui pouvaient l’aider avec le processus de demande.

[33] À plusieurs reprises dans son témoignage, le prestataire a également fait référence à la pandémie de COVID-19. En raison de la pandémie, le prestataire a dit qu’il était plus difficile de demander de l’aide. De plus, le prestataire affirme que le personnel de Service Canada et son employeur lui ont souvent dit d’être patient, car tout était retardé en raison de la pandémie.

[34] Je reconnais que le prestataire avait déjà présenté une demande de prestations d’assurance-emploi avec succès. Toutefois, il est également vrai que les types de prestations offertes à la population canadienne ont changé rapidement pendant la pandémie de COVID-19.

[35] Compte tenu de ces facteurs, j’estime que le prestataire a fait ce qu’une personne raisonnable dans sa situation aurait fait pour s’assurer de ses droits et obligations au titre de la loi. Pour en arriver à cette conclusion, je me suis surtout fondé sur les mesures suivantes que le prestataire a prises en février et en mars 2021 pour établir s’il était admissible aux prestations :

  • Le prestataire a cherché de l’information sur le site Web de la Commission et a tenté de présenter une demande en ligne. Toutefois, le prestataire a trouvé que l’information n’était pas claire et il a eu des problèmes techniques sur le site Web.
  • Le prestataire a tenté de communiquer avec la Commission, par téléphone et en personne. Toutefois, ces efforts ont été entravés par de longues périodes d’attente et des problèmes techniques. De plus, la pandémie de COVID-19 semblait limiter l’aide que pouvait fournir la Commission, car celle-ci n’a fait que rediriger le prestataire vers son site Web.
  • Parallèlement à cela, le prestataire demandait régulièrement de l’aide à son employeur. En fait, il soupçonnait que son employeur avait pu contribuer au retard parce qu’il avait envoyé son relevé d’emploi en retard. Le prestataire a dit qu’il ne pouvait pas voir son relevé d’emploi en ligne et qu’un agent de Service Canada lui avait dit qu’ils ne l’avaient pas reçu non plus.
  • Le prestataire a également demandé de l’aide à son épouse et à ses collègues de travail. Cependant, ils se trouvaient tous dans à peu près la même situation que lui.

[36] Tout compte fait, le prestataire a démontré qu’entre le 31 janvier et le 6 avril 2021, il a pris des mesures raisonnablement rapides pour vérifier s’il était admissible aux prestations. Autrement dit, il a fait ce qu’une personne raisonnable dans sa situation aurait fait pour s’assurer de ses droits et obligations au titre de la loi.

Conclusion

[37] J’accueille l’appel du prestataire. La division générale a commis une erreur de droit en n’analysant pas la preuve de façon significative. Cela me permet de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Dans les circonstances de la présente affaire, le prestataire avait un motif valable justifiant son retard à présenter une demande de prestations. Cela signifie que la Commission devrait traiter sa demande comme si elle avait été reçue le 31 janvier 2021.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.