Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 968

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : L. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission
de l’assurance-emploi du Canada (319999) datée du
21 décembre 2018 (communiquée par Service
Canada)

Décision découlant de la révision de la Commission
de l’assurance-emploi du Canada (324744) datée du
21 décembre 2018 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Christianna Scott
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 août 2021
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentante de la partie appelante
Date de la décision : Le 18 août 2021
Numéro de dossier : GE-20-1133
GE-20-1134

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec L. M. (la prestataire).

[2] J’estime que la prestataire a volontairement pris congé de son emploi du 17 avril 2017 jusqu’au 4 juillet 2017, et encore du 27 avril 2018 jusqu’au 6 juillet 2018. Toutefois, compte tenu de toutes les circonstances, j’estime que la prestataire était fondée à quitter temporairement son emploi puisqu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Cela signifie qu’elle n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi en raison d’un départ volontaire.

Questions préliminaires

[3] Deux questions préliminaires sont survenues dans cet appel. Il s’agit des questions suivantes : (1) celle de la jonction des appels et (2) celle de l’étendue de mes pouvoirs en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi.

[4] Premièrement, la Commission m’a demandé de joindre les appels. La prestataire a accepté la demande de la Commission. Après examen du dossier, j’ai accepté de joindre les appels afin qu’ils soient entendus ensemble et que je puisse rendre une seule décision. J’estime que c’est la meilleure façon d’entendre ces appels, car ils contiennent des faits similaires (ils traitent simplement de périodes différentes) et soulèvent les mêmes questions de droit.

[5] Deuxièmement, ces appels ont été entendus dans le cadre du processus d’appel ordinaire, même si la prestataire a inclus dans son avis d’appel des allégations en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. La prestataire a déposé deux appels initiaux pour lesquels un autre membre du Tribunal a rendu la décision. Ce membre a joint les deux appels et a rendu une seule décision; on a rejeté les appels. La prestataire n’était pas d’accord avec la décision et a fait appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal. L’un des moyens d’appel qu’a soulevé la prestataire était que la division générale a omis de prendre en compte les arguments qu’elle a avancés en vertu de la Charte. La division d’appel a accueilli les appels et a renvoyé l’affaire à la division générale aux fins de réexamen de l’ensemble des questions.

[6] J’ai expliqué à la prestataire les étapes qu’elle doit suivre pour soulever une contestation constitutionnelle en vertu de la Charte. Bien que la prestataire ait suivi certaines étapes et a déposé des observations écrites appuyant son intention de soulever une contestation constitutionnelle, elle a ensuite décidé de ne pas soulever une contestation constitutionnelle. Par conséquent, les présents appels ont suivi le processus ordinaire et j’ai tenu compte de tous les arguments de la prestataire, hormis ceux qui étaient liés à son intention de soulever une contestation constitutionnelle.

Aperçu

[7] Chaque printemps, l’employeur de la prestataire met à pied une partie de sa main-d’œuvre. La convention collective permet aux employés de choisir d’être mis à pied par ordre d’ancienneté lorsque la mise à pied dure moins de cinq mois. La prestataire a accepté d’être mise à pied temporairement par son employeur en 2017 et 2018. Elle a reçu des prestations régulières d’assurance-emploi pendant ces périodes.

[8] La Commission a mené une enquête sur la demande d’assurance-emploi de la prestataire en 2017 et 2018. La Commission a conclu que la prestataire a volontairement quitté son emploi en prenant un congé lorsqu’elle était mise à pied. Par conséquent, la Commission a déclaré la prestataire inadmissible au bénéfice des prestations pour ces deux périodes. Cela a entraîné un trop-payé.

[9] La prestataire n’est pas d’accord avec les décisions de la Commission. Donc, elle a fait appel des décisions devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

Analyse

Les faits sur lesquels les parties conviennent

[10] La prestataire travaille depuis environ 30 ans dans une cafétéria de collège. Elle est une employée syndiquée. Elle occupait le poste de chef d’équipe. L’employeur réduit le nombre d’heures de travail des employés de la cafétéria vers la fin du printemps et le début de l’été, puisqu’il y a moins d’étudiants sur campus. La convention collective prévoit des mises à pied dans l’ordre inverse de l’ancienneté. Toutefois, lorsqu’il y a des mises à pied temporaires, la convention collective permet aux employés ayant plus d’ancienneté d’accepter les mises à pied avant les employés ayant moins d’ancienneté (mise à pied dans l’ordre de l’ancienneté donc). 

[11] Comme elle le fait d’habitude, la prestataire a accepté en 2017 d’être mise à pied du 17 avril 2017 au 4 juillet 2017. En 2018, la prestataire a accepté d’être mise à pied du 27 avril 2018 au 6 juillet 2018.

Les parties ne conviennent pas que la prestataire a quitté volontairement son emploi ni qu’elle avait une justification

[12] La Commission soutient que la prestataire a volontairement pris congé de son emploi pendant les périodes où elle était mise à pied. La Commission dit que ce congé était sans justification puisqu’elle n’était pas obligée de quitter son emploi, elle devait plutôt choisir d’être mise à pied temporairement. La Commission soutient qu’une solution raisonnable s’offrait à la prestataire, soit de continuer à travailler. 

[13] La prestataire soutient qu’elle n’a pas volontairement pris congé de son emploi. Elle affirme que son employeur réduisait le nombre d’employés. Elle dit que sa convention collective lui permet de prendre un congé vu son ancienneté et donc qu’elle était fondée à accepter une mise à pied temporaire.  

Question que je dois trancher

[14] La loi prévoit que lorsqu’une partie prestataire prend volontairement congé de son emploi sans justification, elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1. Cela signifie que pendant une certaine période, la partie prestataire ne peut toucher de prestationsNote de bas de page 2. La loi énonce les critères dont je dois tenir compte pour les congés. Il incombe à la Commission de prouver que la prestataire a volontairement pris congé et qu’elle est donc inadmissible.

[15] Si la Commission prouve le caractère volontaire du congé, la partie prestataire doit ensuite démontrer qu’elle était fondée à prendre un congé de travail. La partie prestataire doit prouver cela selon la prépondérance des probabilités. Il n’est pas suffisant d’avoir une bonne raison de prendre un congé pour prouver qu’on était fondé à le faireNote de bas de page 3. La loi indique qu’une partie prestataire n’est fondée à prendre un congé que si elle démontre qu’elle n’avait « aucune solution raisonnable » autre que celle de prendre le congé au moment où elle l’a prisNote de bas de page 4.

[16] Je dois trancher les questions suivantes :

  • La prestataire a-t-elle pris volontairement un congé de son emploi?
  • Si la prestataire a pris volontairement un congé de son travail, était-elle fondée à le faire?

Question 1 : La prestataire a-t-elle pris volontairement un congé de son emploi?

[17] Oui, j’estime que la prestataire a volontairement pris un congé de son emploi.   

[18] La Commission soutient que la prestataire a volontairement pris un congé de son emploi. La Commission dit que la prestataire a accepté de quitter son lieu de travail pour une période déterminée. Malgré le contexte général de la réduction de la main-d’œuvre, la Commission dit que la prestataire a volontairement pris un congé puisqu’elle a accepté de quitter le lieu de travail en dépit du fait qu’elle aurait pu faire valoir son ancienneté.

[19] La prestataire n’est pas d’accord. La prestataire dit que chaque printemps son employeur met à pied une partie de sa main-d’œuvre. En 2017 et 2018, son employeur a distribué aux employés un document qui leur permettait de faire valoir leurs droits d’ancienneté conformément à la convention collective. La prestataire dit avoir rempli les formulaires et avoir accepté d’être mise à pied conformément à sa convention collective. Elle soutient qu’elle n’a pas pris volontairement un congé puisque l’employeur procédait à une mise à pied et que c’est lui qui a amorcé la réduction du travail.

[20] Premièrement, j’estime que la Commission a démontré que la prestataire a volontairement pris congé de son emploi.    

[21] En examinant si la prestataire a volontairement pris congé, je dois décider qui a amorcé l’absence du lieu de travail. La question sous-jacente est donc la suivante : la prestataire avait-elle le choix de rester au travail ou de partir?     

[22] Conformément à ce qu’énonce la convention collective, j’estime que la prestataire avait le choix de rester ou partir. La convention collective énonce que dans le cas de mises à pied temporaires pour une période de moins de cinq mois, [traduction] « les employés peuvent choisir d’être mis à pied par ordre d’ancienneté et à défaut d’un nombre suffisant, les employés seront mis à pied par ordre inverse d’anciennetéNote de bas de page 5 ».

[23] Par conséquent, même si l’employeur réduisait sa main-d’œuvre, la prestataire avait néanmoins à ce moment-là le choix de refuser d’être mise à pied. Les informations fournies par l’employeur indiquent clairement que la prestataire a demandé une mise à pied anticipéeNote de bas de page 6. Elle aurait pu faire valoir son ancienneté de sorte que son employeur aurait procédé à la mise à pied des autres employés par ordre inverse d’ancienneté. Je conclus donc que la convention collective et l’explication de la prestataire concernant le processus de la mise à pied démontrent que le départ de la prestataire était volontaire. Malgré le contexte général de la réduction de la main-d’œuvre, la prestataire a essentiellement [traduction] « levé sa main » et a accepté de quitter le lieu de travail.

[24] Il s’agit d’un départ volontaire chaque fois qu’une partie prestataire demande une mise à pied à son employeur, par exemple en choisissant volontairement d’être mise à pied pour permettre aux employés plus jeunes de continuer à travailler ou, conformément à une disposition de l’entente syndicale, en acceptant de quitter son emploi pour ce qu’elle appelle « l’ancienneté inversée ».

[25] Ainsi, je n’accepte pas l’argument de la prestataire selon lequel son départ n’était pas volontaire étant donné le contexte des mises à pied. L’argument selon lequel un employé devait être mis à pied de toute façon ne change pas le fait que le départ était volontaire.

[26] Deuxièmement, j’estime que les circonstances répondent aux exigences de la Loi sur l’assurance-emploi en matière de congé. Selon la loi, les congés n’ont lieu que si la période de congé a été approuvée par l’employeur et que la partie prestataire et l’employeur se sont mis d’accord sur la date du retour au travailNote de bas de page 7.

[27] Les documents signés par la prestataire en 2017 et 2018 montrent la date de commencement de la mise à pied et la date de retour au travail (en attendant une date anticipée de rappel au travail)Note de bas de page 8. Le représentant de l’employeur a aussi signé les documents. J’estime que les absences temporaires du lieu de travail de la prestataire répondent aux exigences du congé de travail selon la loi.   

[28] Par conséquent, je conclus que la Commission a démontré que la prestataire a volontairement pris un congé de travail.

[29] Je dois maintenant décider si la prestataire n’avait aucune solution raisonnable autre que celle de prendre le congé au moment où elle l’a pris.

La prestataire n’avait aucune solution raisonnable autre que celle de prendre le congé

[30] Compte tenu de toutes les circonstances, je conclus que la prestataire n’avait aucune solution raisonnable autre que celle de prendre le congé au moment où elle l’a pris.

[31] La Commission affirme que d’autres solutions raisonnables s’offraient à la prestataire au moment où elle a pris son congé. La Commission dit que la prestataire aurait pu faire valoir son ancienneté afin de rester au travail.   

[32] La prestataire n’est pas d’accord. Elle dit qu’elle n’avait aucune solution raisonnable autre que celle de prendre le congé. Elle dit qu’elle faisait simplement valoir ses droits découlant de la convention collective, comme elle le fait depuis plusieurs années. Elle dit qu’en tant que chef d’équipe elle aurait été mise à pied même si elle avait choisi de rester, car il n’y avait simplement pas de travail pour quelqu’un exerçant son emploi. Elle dit que si elle occupait un poste subalterne, elle aurait eu un emploi très différent avec des heures et une rémunération réduites.  

[33] J’accepte la déclaration de la prestataire selon laquelle en 2017 et 2018 elle aurait néanmoins été mise à pied vu son poste. La prestataire a expliqué qu’elle était l’une des quatre chefs d’équipe. Puisqu’il y avait moins d’étudiants, seuls les kiosques de nourritures spécialisées demeuraient ouverts dans la cafétéria. La prestataire a expliqué qu’elle n’était pas qualifiée pour travailler dans les kiosques spécialisés. Par conséquent, elle n’aurait pas pu travailler durant la période qui s’étend du printemps au début de l’étéNote de bas de page 9. La prestataire affirme qu’elle n’a pas quitté son poste puisque l’employé qui a plus d’ancienneté qu’elle était qualifié. De sorte que l’autre chef d’équipe et elle n’ont pas été mis à pied.  

[34] De plus, la prestataire a expliqué qu’elle aurait pu faire valoir son ancienneté afin de rester au travail au niveau d’aide générale (qui est un niveau plus bas au sein du syndicat). Toutefois, elle a expliqué que cela aurait entraîné une baisse considérable de salaire et d’heures de travail, ainsi qu’une réduction importante de ses responsabilités.

[35] J’accepte la déclaration de la prestataire selon laquelle elle savait au début du printemps 2017 et 2018 qu’elle serait forcément mise à pied au sein de sa classification, même si elle n’acceptait pas d’être mise à pied. La situation s’était répétée chaque année. L’explication de la prestataire portant sur la façon dont les mises à pied se produisaient au sein de sa classification a été confirmée par les dispositions relatives aux mises à pied de la convention collectiveNote de bas de page 10. De plus, la liste d’ancienneté déposée par l’employeur confirme l’explication de la prestataire concernant son niveau d’ancienneté dans sa classification ainsi que sa position dans la liste générale d’anciennetéNote de bas de page 11. La liste montre que dans cette classification, les quatre employés sont en place depuis au moins 2006, ce qui confirme la séquence des mises à pied.   

[36] De plus, je ne crois pas qu’accepter un poste dans la classification inférieure correspond à une alternative raisonnable pour la prestataire. Cela entraînerait une réduction importante de son niveau de responsabilitéNote de bas de page 12, des tâches qu’elle doit effectuer et de sa rémunération. La prestataire a expliqué que la seule classification inférieure qu’elle pouvait occuper était un emploi d’aide générale. Les heures qu’elle effectuerait seraient considérablement réduites, elle n’aurait pas de rôle de leadership et serait sujette à une réduction de 13 pour cent de son taux horaire.   

[37] J’ai examiné toutes les circonstances qui existaient au moment où la prestataire a quitté le lieu de travail, dont les points suivants :

  • le fait qu’elle savait qu’elle aurait forcément été mise à pied de sa classification si elle n’avait pas accepté l’offre de mise à pied anticipée; 
  • le fait que l’autre poste était dans une classification inférieure et aurait changé de façon importante son rôle, ses responsabilités, ses heures de travail et son salaire.

Je conclus que la prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de partir au moment où elle l’a fait.

[38] Cela signifie que la prestataire était fondée à prendre un congé de son emploi. 

[39] Enfin, la prestataire a soulevé des allégations de harcèlement de la part de la Commission. Elle a fait référence à la correspondance continue qu’elle a reçue, aux avis de dette qui se chevauchaient et à la confusion entourant les demandes ultérieures. Je n’ai pas le pouvoir d’obliger la Commission à communiquer avec la prestataire. Je n’ai pas non plus le pouvoir d’examiner les circonstances entourant les autres demandes d’assurance-emploi faites par la prestataire. Cependant, j’encourage fortement la Commission à faire un examen complet avec la prestataire de ses demandes d’assurance-emploi afin qu’elle puisse comprendre pleinement sa situation.

Conclusion

[40] Par conséquent, je conclus que la prestataire n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations, car j’estime qu’elle était fondée à prendre un congé de son emploi en 2017 et 2018.  

[41] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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