Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c RN, 2022 TSS 304

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentantes ou représentants : Jessica Grant et Ian McRobbie
Partie intimée : R. N.
Représentantes ou représentants : N. N.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 3 septembre 2021 GE-21-1154)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 19 janvier 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentantes ou représentants de la partie appelante
Partie intimée
Représentante ou représentant de la partie intimée

Date de la décision : Le 14 avril 2022
Numéro de dossier : AD-21-319

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire n’est pas admissible à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Aperçu

[2] Le présent appel porte sur le moment où les prestataires partageant des prestations parentales peuvent recevoir ces prestations. Les semaines de prestations parentales partagées peuvent-elles être reçues en dehors de la période de prestations parentales prévue par la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE)?

[3] Le 14 mai 2021, l’intimé, R. N. (le prestataire), a demandé de recevoir huit semaines de prestations parentales prolongées. Il a déclaré dans sa demande que son enfant est né le 14 novembre 2019. Le prestataire et sa conjointe avaient décidé de partager le nombre maximal de semaines de prestations parentales prolongées permis par la Loi sur l’AE, soit 69 semaines.

[4] L’appelante (la Commission) a dit au prestataire qu’il ne pouvait recevoir aucune des semaines de prestations qu’il avait demandées parce que la période de prestations parentales se termine 78 semaines après la date de naissance de son enfant. Le prestataire a demandé la révision de sa décision, mais la Commission a maintenu sa décision.

[5] L’appel du prestataire à la division générale a été accueilli. La division générale a conclu que le prestataire était admissible à huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées partagées, comme le permet l’article 23(4) de la Loi sur l’AE.

[6] La division générale a décidé que les semaines supplémentaires de prestations étaient permises indépendamment de la période de prestations parentales. Le prestataire pourrait recevoir des prestations plus de 78 semaines après la naissance de son enfant.

[7] La division générale a jugé qu’il y a un conflit entre la période de prestations parentales établie par la Loi sur l’AE et l’article qui accorde des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Elle a conclu que la législation (les lois du Parlement) n’est pas claire et que l’ambiguïté devrait être résolue en faveur du prestataire.

[8] La Commission veut maintenant porter la décision de la division générale en appel à la division d’appel du Tribunal. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit.

[9] Je suis d’accord. La division générale a mal interprété la loi lorsqu’elle a décidé que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[10] Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : le prestataire n’est pas admissible à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Questions préliminaires

[11] Le présent appel a été instruit en même temps que quatre autres affaires portant sur la même question. La question est de savoir si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. J’ai préparé des motifs distincts pour chaque appel.

Questions en litige

[12] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions de la Loi sur l’AE portant sur le partage des prestations parentales?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?
  3. c) Le prestataire est-il admissible à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales?

Analyse

[13] Je ne peux intervenir dans la présente affaire que si la division générale a commis une erreur pertinente, ce que l’on appelle un « moyen d’appel »Note de bas page 1. L’un des moyens d’appel est que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision. L’interprétation de la législation est une question de droitNote de bas page 2.

Contexte

Prestations de grossesse et prestations parentales

[14] La Loi sur l’AE accorde des prestations de grossesse aux prestataires admissibles qui prouvent leur grossesseNote de bas page 3. Les prestations parentales sont versées aux prestataires admissibles pendant qu’elles ou ils s’occupent d’un nouveau-né ou d’un enfant adoptéNote de bas page 4. Les prestations parentales sont des prestations distinctes des prestations de grossesse. Ces prestations font partie des prestations spéciales offertes par la Loi sur l’AE.

[15] Les prestataires peuvent recevoir jusqu’à 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas page 5. Les prestations de grossesse sont payables pendant la période qui commence 12 semaines avant la semaine où la partie prestataire prévoit d’accoucher ou accouche réellement et se termine 17 semaines plus tardNote de bas page 6.

[16] Lorsqu’elles demandent des prestations de grossesse, les parties prestataires peuvent également demander des prestations parentales, lesquelles suivront les 15 semaines de prestations de grossesse qu’elles reçoivent. Les prestataires doivent choisir entre deux types de prestations parentales :

  • Les prestations parentales standard : Le taux de prestations est de 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable de la partie prestataire, à concurrence d’un montant maximal. Jusqu’à 35 semaines de prestations sont payables à un parent.
  • Les prestations parentales prolongées : Le taux de prestations est de 33 % de la rémunération hebdomadaire assurable de la partie prestataire, à concurrence d’un montant maximal. Jusqu’à 61 semaines de prestations sont payables à un parent.

[17] La Loi sur l’AE prévoit également que, lorsque deux parties prestataires demandent des prestations parentales pour le même enfant, elles peuvent partager des semaines supplémentaires de prestationsNote de bas page 7. C’est ce que j’appellerai les « prestations parentales partagées ». Lorsque deux parties prestataires choisissent de partager des prestations parentales, le nombre maximal de semaines qui peuvent être réparties entre elles est de 40 pour les prestations standard et de 69 pour les prestations prolongées.

[18] Aucun des deux parents ne peut recevoir plus de 35 semaines de prestations parentales standard ou plus de 61 semaines de prestations parentales prolongées lorsqu’elles sont partagéesNote de bas page 8. Ainsi, deux parents recevant des prestations parentales partagées pourraient bénéficier de cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standard ou de huit semaines de prestations parentales prolongées.

Période de prestations parentales

[19] L’article de la Loi sur l’AE qui porte sur les prestations parentales définit la période pendant laquelle les prestations parentales peuvent être verséesNote de bas page 9. Cette période est souvent appelée « période de prestations parentales », bien que cette expression n’apparaisse pas dans la Loi sur l’AE. J’appellerai cette période la « période de prestations parentales » dans les motifs de la présente décision.

[20] Le point de départ de la Loi sur l’AE est que la période de prestations parentales se termine 52 semaines après la semaine de la naissance de l’enfant, ou la date du placement en cas d’adoptionNote de bas page 10. Cette période peut être prolongée dans certaines circonstancesNote de bas page 11. Lorsque les prestataires choisissent de recevoir des prestations parentales prolongées, la période est prolongée de 26 semaines, pour un total de 78 semaines.

Décision de la division générale

[21] La division générale a accueilli l’appel du prestataire, concluant qu’il était admissible à huit semaines de prestations parentales partagées et qu’il pouvait recevoir ces prestations en dehors de la période de prestations parentales.

[22] La division générale a examiné les modifications apportées à la Loi sur l’AE en 2018 (les modifications pertinentes). Ces modifications ont introduit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagéesNote de bas page 12. Les modifications ont permis aux parents qui ont choisi de partager les prestations parentales de recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standard et huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées. La division générale a conclu que la législation n’est pas claire quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagéesNote de bas page 13.

[23] La division générale a fourni trois motifs pour conclure que la législation n’est pas claire :

  • Il y a un conflit entre la période de prestations parentales et la disposition qui accorde les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les dispositions de la Loi sur l’AE relatives à la période de prestations parentales ne font pas référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les modifications pertinentes qui ont ajouté les semaines supplémentaires de prestations comprenaient des précisions importantes, mais ne faisaient pas référence à la période de prestations parentales.

[24] Après avoir conclu que la législation n’est pas claire, la division générale a examiné l’objet et le but de la Loi sur l’AE. Elle a également examiné l’intention législative qui sous-tend les modifications pertinentes ajoutant les semaines supplémentaires de prestations parentales partagéesNote de bas page 14. En outre, elle a examiné les commentaires faits au cours du débat législatif. Elle s’est appuyée sur ces commentaires et a conclu que l’intention du législateur était de prolonger la période de prestations parentales de cinq semaines pour les prestations standard et de huit semaines pour les prestations prolongéesNote de bas page 15.

[25] Ayant conclu à l’existence d’une ambiguïté dans la législation, la division générale a décidé que l’ambiguïté devait être résolue en faveur du prestataireNote de bas page 16. Elle a jugé que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées (cinq semaines pour les prestations standard ou huit semaines pour les prestations prolongées).

Appel de la Commission devant la division d’appel

[26] La Commission fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions relatives à la période de prestations parentales. La Commission affirme que les termes de la Loi sur l’AE sont précis et sans équivoque (non ambigus) : ils énoncent clairement que les prestataires ne peuvent pas recevoir de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

[27] La Commission soutient que la division générale n’a pas suivi la bonne approche pour interpréter les dispositions de la Loi sur l’AE. Elle affirme que le texte de la législation est clair et aurait dû jouer un rôle dominant dans l’interprétation de la division générale. La Commission soutient que, au lieu de se concentrer sur le texte clair de l’article 23 de la Loi sur l’AE, la division générale a conclu à tort à un conflit dans la législation.

[28] La Commission affirme également que la division générale s’est appuyée sur une conception erronée des prestations de grossesse lorsqu’elle a conclu que deux parents ne pouvaient pas prendre de manière séquentielle les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées si la période de prestations parentales s’appliquait. Elle s’est appuyée sur des renseignements non pertinents fournis par des agents de Service Canada et a fait des suppositions incorrectes sur l’intention législative derrière les modifications pertinentes de la Loi sur l’AE.

[29] Le prestataire soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des articles. Il dit que le texte de la Loi sur l’AE et les articles concernant les prestations de maternité et les prestations parentales ne sont clairement pas précis et sans équivoque. Le prestataire affirme que l’appel devrait être rejeté.

La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’AE

[30] La division générale a fondé son interprétation de la législation sur un conflit perçu entre l’article 23(4) de la Loi sur l’AE, qui autorise des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, et la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2). J’estime que la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du texte de l’article 23(2) dans son exercice d’interprétation des lois.

[31] Au moment d’interpréter une loi, les tribunaux ont dit que le Tribunal doit tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de la loiNote de bas page 17. La décision de la division générale s’est concentrée sur l’objectif de la législation et sur le conflit perçu entre les articles. Cependant, la division générale n’a pas examiné correctement le texte actuel des articles 23(2) et 23(4). Cela constitue une erreur de droit.

[32] Dans sa décision, la division générale a rejeté l’argument de la Commission selon lequel le texte de l’article est clair. Cependant, la division générale n’a pas inclus le texte de l’article 23(2) dans sa décision ni interprété les mots utilisés dans cet article.

[33] La division générale a déclaré que de nombreuses décisions du Tribunal font état de circonstances dans lesquelles les agentes et agents de la Commission ont dit aux parties prestataires qu’elles étaient admissibles à des prestations parentales partagées au-delà de la période de prestations parentalesNote de bas page 18. Elle s’est appuyée sur ce fait pour affirmer que le texte n’est pas clair.

[34] Comme mentionné ci-dessus, la division générale a donné trois motifs pour conclure que la législation n’est pas claire. Premièrement, la division générale a conclu qu’il y a un conflit entre la période de prestations parentales et les semaines supplémentaires de prestations. Elle a fondé cette conclusion sur le fait qu’il est mathématiquement impossible, dans une période de 52 semaines de prestations parentales, que deux parents prennent 40 semaines de prestations parentales standard successivement après que le parent qui a donné naissance à l’enfant ait reçu 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas page 19.

[35] La division générale a fait remarquer que rien dans la Loi sur l’AE ne dit que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées doivent chevaucher les prestations de l’autre parent pour que les parents soient sûrs de les recevoir. Pour ce motif, elle a constaté qu’il y a un conflit entre les articlesNote de bas page 20.

[36] La division générale a commis une erreur de droit en concluant que les articles sont en conflit parce qu’il n’y a aucune exigence que les prestations soient prises simultanément. Dans certaines situations, les deux parents peuvent prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon séquentielle dans le cadre de la période standard de 52 ou de 78 semaines de prestations parentales :

  • Les semaines supplémentaires de prestations s’appliquent aux prestataires qui adoptent, et n’auraient pas à tenir compte des semaines de prestations de grossesse. Ces parents peuvent prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon séquentielle.
  • La division générale a commis une erreur en interprétant de manière erronée le fonctionnement des prestations de grossesse. Ces prestations peuvent être perçues jusqu’à 12 semaines avant la date prévue de l’accouchement. Dans les situations où les prestations de grossesse sont perçues avant la naissance de l’enfant, les deux parents peuvent être en mesure de prendre une partie ou la totalité des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de manière séquentielle.

[37] Je reconnais que de nombreux prestataires se trouveront dans la même situation que le prestataire, le parent qui donne naissance ayant touché des prestations de grossesse à partir de la date de la naissance de l’enfant ou aux alentours de cette date. Pour ces parents, la période de prestations parentales empêcherait deux prestataires de prendre les semaines supplémentaires de façon séquentielle.

[38] Toutefois, la division générale a eu tort de conclure que le législateur aurait inclus une disposition exigeant le chevauchement des semaines supplémentaires s’il avait voulu que la période de prestations parentales s’applique. La division générale a ignoré les circonstances dans lesquelles les prestataires peuvent prendre les semaines de manière séquentielle.

[39] La division générale a également fait remarquer que la prolongation de la période de prestations parentales prévue à l’article 23(3.2) permettrait apparemment au parent qui donne naissance d’obtenir une prolongation de la période de prestations parentales afin que les semaines supplémentaires puissent être reçues. En effet, cet article permet de prolonger la période de prestations parentales d’une partie prestataire qui reçoit plus d’une prestation spécialeNote de bas page 21.

[40] La division générale a conclu qu’il est peu probable que le gouvernement aurait accordé des semaines supplémentaires de prestations partagées seulement pour empêcher le parent qui ne donne pas naissance de les recevoir lorsqu’elles sont prises de façon séquentielleNote de bas page 22.

[41] L’article 23(3.2) permet de prolonger la période de prestations parentales lorsqu’une partie prestataire reçoit plus d’un type de prestations spéciales, en l’occurrence les prestations de maternité et les prestations parentales. Toutefois, cet article ne serait pas utile pour deux parents qui partagent les semaines de prestations parentales supplémentaires.

[42] On peut présumer que le parent qui donne naissance prendra 15 semaines de prestations de grossesse, suivies du nombre de semaines de prestations parentales choisi. Chaque prestataire ne peut prendre que 61 semaines de prestations parentales prolongées. Le parent qui donne naissance atteindrait le nombre maximal de semaines permises pour chaque prestataire à la fin de la période de 78 semaines.

[43] Deuxièmement, la division générale a conclu qu’il n’y a aucune référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées dans les articles concernant la période de prestations parentales (articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’AE). Pour ce motif, elle a conclu que la Loi sur l’AE ne dit pas si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations partagéesNote de bas page 23.

[44] Toutefois, aucun de ces articles ne fait expressément référence à un certain nombre de semaines de prestations. En incluant « [s]ous réserve de l’article 12 », l’article 23(2) fait référence aux maximums applicables.

[45] L’article 12 de la Loi sur l’AE établit le nombre maximal de semaines de prestations qui peuvent être versées à une partie prestataire. L’article 12(1) énonce ce qui suit :

12 (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

[46] L’article 12(4) fait référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Il se lit comme suit :

(4) Les prestations ne peuvent être versées :

  1. a) dans le cas d’une seule et même grossesse, pendant plus de quinze semaines;
  2. b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement d’un ou de plusieurs enfants en vue de leur adoption pendant plus du nombre de semaines ci-après :
    1. (i) dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(i), trente-cinq semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, quarante semaines,
    2. (ii) dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(ii), soixante et une semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, soixante-neuf semaines.Note de bas page 24

      [mis en évidence par la soussignée]

[47] La division générale n’a pas tenu compte du texte intégral de l’article, en particulier des mots « [s]ous réserve de l’article 12 » à l’article 23(2).

[48] Finalement, la division générale a noté que les modifications qui ont introduit les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées comprenaient des précisions. Plus précisément, elle a noté que l’article 23(4.1) précise qu’ « [i]l est entendu que » le nombre total de semaines de prestations parentales qui peuvent être versées pour le même enfant ou les mêmes enfants est de 40 pour les prestations standard ou de 69 pour les prestations prolongéesNote de bas page 25. L’article 23(4.11) établit clairement que chaque prestataire ne peut pas obtenir plus de 35 ou 61 semaines lorsque les prestations sont partagéesNote de bas page 26.

[49] La division générale a estimé que ces précisions ne fixaient pas de limite à la période de prestations parentales et ne mentionnaient pas que les prestations devaient se chevaucher. Elle a jugé que, si telle était l’intention, le législateur aurait inclus une disposition précisant que la période de prestations parentales s’applique ou que les prestations doivent se chevaucherNote de bas page 27. Le fait qu’il n’ait pas inclus cette précision montre que la législation n’est pas claire.

[50] Comme nous l’avons vu plus haut, la division générale n’a pas tenu compte des situations dans lesquelles les prestataires peuvent prendre les semaines de façon séquentielle lorsqu’elle a décidé que le législateur aurait inclus une disposition exigeant le chevauchement des prestations.

[51] Selon l’interprétation de la division générale de l’article 23(4), la période de prestations parentales ne s’applique pas aux cinq semaines supplémentaires de prestations standard ou aux huit semaines supplémentaires de prestations prolongées lorsque les prestations parentales sont partagées, mais elle semble s’appliquer aux 35 ou 61 semaines qu’une partie prestataire peut recevoir.

[52] Cela signifie qu’une partie prestataire pourrait prendre les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales à tout moment. Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas à ces semaines supplémentaires, rien dans le texte de l’article 23 n’indique que ces semaines devraient être prises immédiatement après la fin des prestations de l’autre partie prestataire.

[53] La division générale a conclu que seules les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas couvertes par la période de prestations parentales. Les articles 23(4), 23(4.1) et 23(4.11) ne font pas explicitement référence à cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations. Deux parties prestataires peuvent choisir de diviser les 40 ou 69 semaines comme elles l’entendent.

[54] J’estime que le texte de l’article 23 ne peut pas soutenir l’interprétation de la division générale selon laquelle la période de prestations parentales s’applique aux 35 ou 61 semaines de prestations parentales partagées, mais pas aux semaines supplémentaires.

[55] La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23 lorsqu’elle a conclu que le texte n’est pas clair et que les dispositions relatives à la période de prestations parentales entrent en conflit avec l’article qui autorise des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[56] La division générale n’a pas tenu compte du texte même des articles 23(2) et 23(4). Elle s’est concentrée sur l’objectif de la législation lorsqu’elle a conclu que les articles n’étaient pas clairs plutôt que d’examiner le texte de la législation.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[57] La division générale a fondé sa décision sur une mauvaise interprétation de la législation, ce qui constitue une erreur de droit. Cela signifie que je peux substituer ma propre décision à celle de la division générale ou lui renvoyer l’affaire pour réexamenNote de bas page 28. Je peux trancher toute question de droit ou de fait qui est nécessaire pour résoudre l’appel du prestataireNote de bas page 29.

[58] Dans la présente affaire, j’estime qu’il est approprié que je substitue ma propre décision à celle de la division générale. Le dossier est complet et les parties ont eu l’occasion de présenter leurs arguments à la division généraleNote de bas page 30.

Le prestataire ne peut pas recevoir de prestations en dehors de la période de prestations parentales

[59] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur dans son interprétation des articles 23(4) et 23(2) de la Loi sur l’AE. Je dois maintenant interpréter la législation. Pour ce faire, je dois considérer les mots de la législation au regard de leur contexte général, selon leur sens grammatical et ordinaire et en harmonie avec l’économie de la Loi sur l’AE et son objet, ainsi qu’avec l’intention du législateurNote de bas page 31.

[60] La Commission soutient que le texte de l’article 23(2) est précis et sans équivoque. Elle affirme que l’interprétation de la division générale aurait dû se terminer par une conclusion selon laquelle le texte de l’article est clair et qu’aucune autre analyse n’est requise.

[61] Le prestataire soutient que le texte de la Loi sur l’AE n’est pas clair. Le prestataire mentionne que la Commission utilise dans ses observations un langage qui ne figure pas dans la Loi sur l’AE, comme « période de prestations parentales » et « prestations de maternité ». Le prestataire affirme que les termes de la Loi sur l’AE ne nécessiteraient pas d’interprétation si le texte était clair.

[62] Le prestataire soutient que les parties prestataires dont la grossesse est en bonne santé, qui n’ont pas besoin de recevoir de prestations de grossesse avant la naissance, sont pénalisées parce qu’elles ne peuvent pas prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon séquentielle.

[63] Le prestataire soutient également qu’il existe une jurisprudence selon laquelle la désinformation de la Commission est pertinente et qu’elle devrait l’être dans la présente situation.

[64] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le texte de l’article 23(2) est clair. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que cela met fin à l’exercice d’interprétation des lois. Je dois tenir compte du contexte global des articles à interpréterNote de bas page 32.

[65] La Commission s’appuie sur la décision Trustco Canada de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que les mots précis et non équivoques joueront un rôle prédominant dans le processus d’interprétationNote de bas page 33. Lorsque les mots utilisés sont clairs, leur sens ordinaire joue un rôle plus important dans l’interprétationNote de bas page 34.

[66] Cependant, la Cour a également déclaré que nous devons aller « au-delà du simple texte des dispositions et adopte[r] une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositionsNote de bas page 35 ».

[67] Le texte de la Loi sur l’AE ne peut pas être interprété indépendamment de son contexte et de son objet. Dans la décision Trustco Canada, la Cour a également déclaré que le contexte et l’objet peuvent révéler une ambiguïté dans la législation alors que le langage semble être clair et simpleNote de bas page 36.

[68] J’examinerai le texte des articles 23(2) et 23(4), le contexte de ces articles dans la Loi sur l’AE, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Le texte de la loi est clair

[69] La Commission soutient que le texte de la loi est précis et sans équivoque, de sorte que les mots devraient jouer un rôle dominant dans l’interprétation des dispositions. Puisque le texte des articles est important, je vais y inclure le texte intégral des articles pertinents.

[70] La période de prestations parentales est prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’AE :

((2) Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées – Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :

  1. a) commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption;
  2. b) se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés.

[71] La Loi sur l’AE décrit ensuite certaines circonstances dans lesquelles la période de prestations parentales peut être prolongée :

  • lorsque l’enfant est hospitalisé;
  • lorsqu’une partie prestataire est déployée;
  • lorsque la partie prestataire reçoit plusieurs prestations spéciales;
  • lorsqu’une partie prestataire choisit de recevoir des prestations parentales prolongées;
  • lorsqu’il existe certaines combinaisons de prestations régulières et spécialesNote de bas page 37.

[72] En 2018, la Loi sur l’AE a été modifiée pour ajouter l’article qui permet à deux prestataires de partager jusqu’à 40 semaines de prestations parentales standard ou jusqu’à 69 semaines de prestations parentales prolongéesNote de bas page 38. Cet article permet de payer cinq semaines supplémentaires de prestations standard ou huit semaines supplémentaires de prestations prolongées lorsqu’elles sont partagées. L’article 23(4) se lit comme suit :

Partage des semaines de prestations

(4) Si deux prestataires présentent chacun une demande de prestations au titre du présent article — ou si un prestataire présente une telle demande et qu’un particulier présente une demande de prestations au titre de l’article 152.05 — relativement au même enfant ou aux mêmes enfants, les semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article, de l’article 152.05 ou de ces deux articles peuvent être partagées entre eux, jusqu’à concurrence de quarante semaines lorsque le nombre maximal de semaines choisi aux termes des paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1) est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(i) ou 152.14(1)b)(i) ou de soixante-neuf semaines lorsque ce nombre est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(ii) ou 152.14(1)b)(ii). S’ils n’arrivent pas à s’entendre, le partage des semaines de prestations doit être effectué conformément aux règles prévues par règlement.

[73] Les modifications précisent également qu’une partie prestataire ne peut pas recevoir plus de 35 ou 61 semaines de prestations. L’article 23(4.11) se lit comme suit :

(4.11) Même lorsqu’il y a partage conformément aux paragraphes (4) et (4.1), le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations peuvent être versées à un prestataire est de trente-cinq ou de soixante et une semaines, conformément au choix visé aux paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1).

[74] Les premiers mots de l’article 23(2) sont : « [s]ous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui [...] » [mis en évidence par la soussignée]. Les semaines supplémentaires de prestations partagées sont énoncées à l’article 23(4), ce qui en fait des prestations au titre de l’article 23.

[75] Le texte clair de l’article 23 est que les prestations payables au titre de l’article 23 sont limitées à la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2). Rien dans la législation ne laisse entendre que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas des prestations au titre de l’article 23.

[76] J’ai également tenu compte des mots « [s]ous réserve de l’article 12 » à l’article 23(2). Les parties pertinentes de l’article 12 sont énoncées aux paragraphes 43 et 44 ci-dessus. Comme je l’ai mentionné, j’estime que les semaines supplémentaires sont visées à l’article 12(4).

[77] Comme l’a fait remarquer le prestataire, certains mots et expressions utilisés dans les observations de la Commission ne figurent pas dans la Loi sur l’AE. Le terme « période de prestations parentales » est couramment utilisé pour décrire la période au cours de laquelle les prestations parentales peuvent être versées, comme le prévoit l’article 23(2). Ce terme est utilisé comme moyen plus court et plus facile de faire référence à la période prévue à l’article 23(2). De même, la Loi sur l’AE utilise le texte portant sur les prestations de grossesse à l’article 22, mais on les appelle communément des prestations de maternité.

[78] Je peux comprendre la frustration du prestataire lorsqu’il tente de trouver dans la Loi sur l’AE la définition de certains termes utilisés dans les observations de la Commission et qu’il ne trouve pas le même texte. Toutefois, il s’agit ici de décider si le texte de la Loi sur l’AE est clair.

[79] J’estime que le texte de l’article 23 est clair. L’article traite de toutes les prestations parentales. Cela comprend les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à l’article 23(4).

[80] L’article 23(2) précise quand les prestations prévues à l’article 23 peuvent être versées. Une simple lecture de cet article indique que la période de prestations parentales s’applique à toutes les prestations prévues à l’article 23, y compris les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Cela est également étayé par l’utilisation de l’expression « [s]ous réserve de l’article 12 », car les semaines supplémentaires sont mentionnées à l’article 12(4).

[81] Comme je l’ai mentionné, l’analyse ne se limite pas au sens ordinaire du texte. Puisque j’ai conclu que les mots sont clairs, ceux-ci joueront un rôle prépondérant dans l’interprétationNote de bas page 39. Toutefois, je dois également examiner le contexte pour établir si cette interprétation est compatible avec l’objectif de la législation et l’intention du législateur.

Contexte et objectif des dispositions relatives aux prestations parentales

[82] Les prestations prévues par la Loi sur l’AE sont payables au cours d’une période de prestations. L’article 10 de la Loi sur l’AE porte sur le début, la durée et la fin de la période de prestations. Cette période commence lorsqu’une partie prestataire subit un arrêt de rémunération. Une partie prestataire doit avoir établi une période de prestations pour recevoir des prestations.

[83] La période de prestations parentales définit le moment où les prestations parentales peuvent être versées. Les prolongations de la période de prestations parentales autorisées par la Loi sur l’AE correspondent à des prolongations de la période de prestations prévues à l’article 10Note de bas page 40. Cela signifie qu’une partie prestataire qui a droit à une prolongation de sa période de prestations parentales verra également sa période de prestations prolongée afin de pouvoir recevoir des prestations.

[84] Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas aux semaines supplémentaires de prestations, comme l’a conclu la division générale, une partie prestataire se fonderait vraisemblablement sur sa période de prestations aux termes de l’article 10 pour être admissible.

[85] Toutefois, le versement des prestations parentales dépend de la période de prestations parentales et non de la période de prestations. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré :

S’il ne fait aucun doute que la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi est établie en fonction spécifiquement du prestataire, il n’en est pas ainsi pour la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées au titre du paragraphe 23(2). L’établissement de cette dernière période se rattache à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (voir le paragraphe 23(2)). Par conséquent, même si deux prestataires peuvent chacun demander des prestations parentales pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants, et si une période de prestations doit être établie au profit de chacun des prestataires séparément, les prestations parentales ne peuvent versées que pendant la période visée par le paragraphe 23(2), peu importe quand commence et se termine la période de prestations de l’un ou l’autre prestataireNote de bas page 41.

[86] Les prestations parentales visent à indemniser les parents admissibles qui subissent un arrêt de rémunération lorsqu’ils prennent soin d’un ou de plusieurs enfants nouveau-nés ou adoptés. Ces dispositions ne dépendent pas des besoins des parents. L’objectif de la législation est d’offrir à ces parents un revenu de remplacement pour une durée limitéeNote de bas page 42.

[87] J’ai examiné les commentaires du débat parlementaire tel qu’il a été mentionné par la division généraleNote de bas page 43. Il est clair que l’intention, en modifiant la Loi sur l’AE pour accorder des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, était d’encourager les parents à partager plus équitablement les responsabilités parentales et professionnelles et de leur donner une plus grande souplesse.

[88] Je reconnais qu’un commentaire a été fait au cours du débat législatif selon lequel les modifications donneraient aux nouvelles mères plus de souplesse pour retourner au travail plus tôt si elles le souhaitentNote de bas page 44. Cet objectif pourrait être contrecarré en limitant les semaines de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales. Toutefois, l’objectif d’encourager les parents à partager leurs obligations parentales n’est pas incompatible avec l’application de la période de prestations parentales.

[89] Comme indiqué ci-dessus, il peut y avoir des circonstances où les parents peuvent prendre les semaines de manière séquentielle, tandis que d’autres devront se chevaucher pour recevoir les 40 ou 69 semaines. Que les semaines de prestations soient prises de façon séquentielle ou simultanée, deux parents disposent de plus de semaines pour partager leurs obligations parentales. Deux parents ont des semaines supplémentaires de prestations parentales à partager, qui n’étaient pas disponibles avant les modifications pertinentes.

[90] Le prestataire affirme qu’il est illogique d’ajouter des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées et d’exiger ensuite que de nombreux parents prennent ces semaines en même temps. Toutefois, le langage clair du texte est conforme à l’objectif d’encourager les parents à partager leurs obligations parentales. Il aurait peut-être été préférable que le législateur ait prévu une prolongation de la période de prestations parentales pour permettre à tous les parents de prendre les semaines supplémentaires de façon séquentielle.

[91] Cependant, les termes de la législation ne peuvent pas être ignorés pour interpréter une disposition d’une manière qui corresponde mieux à l’objectif de la législationNote de bas page 45. Le langage clair du texte est conforme à l’objectif d’encourager les parents à partager les obligations parentales.

[92] J’ai examiné la modification apportée au Code canadien du travail, qui a été mentionnée par la division générale et soulevée lors de l’audience devant la division d’appel. Cette modification a été apportée en même temps que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées prévues par la Loi sur l’AE. La modification a porté à 86 semaines le nombre total de congés pour deux employés pour le même enfant ou les mêmes enfantsNote de bas page 46.

[93] Cependant, je note que le Code canadien du travail contient également une limite quant au moment où le congé parental peut être prisNote de bas page 47. Cette période n’a pas été modifiée lorsque le nombre total de semaines a été augmenté et limite le congé parental à la période de 78 semaines commençant à la naissance de l’enfant ou à son placement en vue de son adoption. Ainsi, deux employés peuvent prendre 86 semaines de congé combinées pour le même enfant, mais seront également limités à une période de congé de 78 semaines.

[94] La modification apportée au Code canadien du travail ne laisse pas entendre que le législateur avait l’intention de prolonger la période de prestations parentales.

[95] J’estime que le texte de l’article 23 est clair. S’il est vrai qu’une loi conférant des prestations devrait être interprétée de manière large et libérale, cette approche interprétative ne peut pas être utilisée pour exclure une limitation expressément prévue dans la législationNote de bas page 48. Lire l’article 23(4) comme autorisant cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales annulerait effectivement la limitation expressément prévue à l’article 23(2).

[96] De plus, les tribunaux ont déclaré que, pour qu’il y ait ambiguïté dans un texte, l’ambiguïté doit être réelle. Cela signifie que le texte doit être capable de soutenir raisonnablement plus d’une significationNote de bas page 49.

[97] J’estime que le texte ne peut raisonnablement pas étayer le sens selon lequel la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Le contexte et l’objet ne révèlent aucune ambiguïté dans ce texte clair. Le sens ordinaire de l’article est compatible avec l’objectif de la législation et l’intention du législateur.

[98] Lorsque la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, de nombreux parents qui se trouvent dans la même situation que le prestataire ne seront pas en mesure de prendre ces semaines de manière séquentielle. Il ne semble servir aucun objectif logique d’exiger que certains parents prennent ces semaines simultanément tandis que d’autres peuvent les prendre séquentiellement, ou d’exiger qu’un parent qui donne naissance reçoive certaines semaines de prestations de grossesse avant la naissance de l’enfant afin de prendre les semaines de manière séquentielle.

[99] J’ai réfléchi à la question de savoir si le fait de limiter les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales constitue une absurdité ou, potentiellement, une erreur de rédaction législative.

[100] L’on « qualifiera d’absurde [un résultat] qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif [...]Note de bas page 50 ».

[101] J’estime que, bien que cela aurait semblé plus conforme aux objectifs énoncés dans la législation d’avoir augmenté la période de prestations parentales pour les parents qui partagent des semaines supplémentaires de prestations, cela ne constitue pas une absurdité.

[102] Les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées sont disponibles pour les parties prestataires, et certaines d’entre elles pourront les prendre séquentiellement, tandis que d’autres devront les prendre simultanément. Il s’agit d’une incohérence potentielle dans l’application de la loi selon les circonstances de la partie prestataire. Toutefois, cette incohérence n’est pas absurde.

[103] Comme il a été mentionné précédemment, si la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, les prestataires pourraient recevoir cinq ou huit semaines de prestations parentales à tout moment. J’estime qu’il s’agirait d’un résultat illogique incompatible avec les autres articles de la Loi sur l’AE.

[104] J’ai examiné la question de savoir si le fait que la période de prestations parentales n’a pas été modifiée pour inclure une prolongation permettant que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées soient prises en même temps pourrait être considéré comme une erreur de rédaction législative. En général, une erreur de rédaction peut être corrigée lorsque trois critères sont réunis :

  • l’erreur mène à une absurdité manifeste;
  • l’absurdité est causée par une erreur traçable;
  • une correction évidente est disponibleNote de bas page 51.

[105] Comme je l’ai dit, je ne crois pas que l’erreur potentielle mène à une absurdité manifeste.

[106] Il y a aussi une différence entre une erreur de rédaction et une lacune législative. Une lacune législative survient lorsqu’une loi est trop limitative et qu’elle entraîne une application plus restreinte qu’elle ne le devrait. Dans la présente affaire, la législation ne permet pas à certaines parties prestataires de prendre simultanément les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Une portée trop restrictive est corrigée par la législation et non par l’introduction d’une exception qui ne figure pas dans la Loi sur l’AE. Il s’agit d’une modification dont il convient de laisser la réalisation au législateurNote de bas page 52.

[107] Le législateur n’a pas modifié la période de prestations parentales ni prévu une exception à cette période pour les semaines supplémentaires. Si cette décision n’était pas intentionnelle, j’estime que l’absence de prolongation de la période de prestations parentales constituerait une lacune législative plutôt qu’une erreur de rédaction.

[108] Étant donné que le législateur avait prolongé la période de prestations parentales auparavant, comme lorsqu’il a introduit des prestations parentales prolongées, il faut tenir compte de la probabilité que le législateur n’ait pas eu l’intention de modifier la période de prestations parentales, tout comme il n’a pas modifié la période de congé dans le Code canadien du travail.

[109] Le texte de l’article 23(2) est clair : le délai s’appliquera aux prestations prévues par cet article. Cela donne à penser que les rédacteurs législatifs savaient que l’article 23(2) s’appliquerait aux semaines de prestations au titre de l’article 23(4).

[110] Je souligne que tous les prestataires dont les appels ont été instruits ensemble ont fait tout leur possible pour s’assurer qu’ils respectaient la loi lorsqu’ils ont présenté une demande de prestations parentales partagées. Dans la présente affaire, le prestataire et sa conjointe ont communiqué avec la Commission pour obtenir des renseignements et des conseils. Ils se sont fiés à ces conseils. Il n’y avait pas grand-chose que le prestataire aurait pu faire de plus.

[111] Le prestataire soutient que la jurisprudence appuie la position selon laquelle la désinformation de la Commission peut être pertinenteNote de bas page 53. Les affaires qu’il cite concernent le choix qu’une partie prestataire fait entre les prestations régulières et les prestations parentales. Dans ces décisions, le Tribunal a tenu compte de la désinformation de la Commission pour décider si une partie prestataire avait fait un choix valide entre les prestations parentales standard et les prestations parentales prolongées. Malheureusement, ces affaires ne sont pas utiles au prestataire. Il est bien établi que la désinformation de la Commission n’a pas préséance sur la loiNote de bas page 54.

[112] Tous les prestataires dont les appels ont été instruits ensemble demandent à la Commission de rendre compte des renseignements inexacts qui leur ont été fournis. Je comprends leur frustration. Je comprends leur frustration. Je compatis à leur situation et à celle de nombreux autres prestataires dans la même situation. Cependant, je dois interpréter et appliquer la loi, et je ne peux pas réécrire la législationNote de bas page 55.

[113] Je conclus que la loi est claire. Les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées sont des prestations au titre de l’article 23. Ainsi, la période de prestations parentales s’applique et les prestations ne peuvent pas être versées en dehors de cette période.

Conclusion

[114] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’AE. Le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations parentales au-delà de la période de prestations parentales.

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