Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c CA, 2022 TSS 306

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante et représentant : Jessica Grant et Ian McRobbie
Partie intimée : C. A.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 20 septembre 2021 (GE-21-1433)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 19 janvier 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante et représentant de la partie appelante
Intimé

Date de la décision : Le 14 avril 2022
Numéro de dossier : AD-21-323

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Aperçu

[2] Le présent appel porte sur le moment où les prestataires partageant des prestations parentales peuvent recevoir ces prestations. Les semaines de prestations parentales partagées peuvent-elles être versées en dehors de la période de prestations parentales prévue dans la Loi sur l’assurance-emploi?

[3] Le 30 juin 2021, l’intimé, C. A. (le prestataire), a demandé neuf semaines de prestations parentales standards partagées à compter du 4 juillet 2021. Il a déclaré dans sa demande que son enfant était né le 26 juin 2020. Le prestataire et son épouse avaient décidé de partager le nombre maximal de semaines de prestations parentales standards permis en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, soit 40 semaines.

[4] L’appelante (la Commission) a dit au prestataire qu’il ne pouvait pas recevoir de semaines de prestations parce que la période de prestations parentales prenait fin 52 semaines après la naissance de son enfant. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais elle a décidé de la maintenir.

[5] Le prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal. À l’audience de la division générale, le prestataire a dit qu’il voulait six semaines de prestations au lieu de neuf. La division générale a accueilli son appel en partie, ayant décidé qu’il avait droit à cinq semaines de prestations parentales standards partagées en vertu de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[6] La division générale a décidé que les semaines supplémentaires de prestations pouvaient être accordées, peu importe la période de prestations parentales. Le prestataire pouvait recevoir des prestations plus de 52 semaines après la naissance de son enfant.

[7] La division générale a décidé qu’il y avait une incohérence entre la période de prestations parentales établie dans la Loi sur l’assurance-emploi et l’article qui accorde des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Elle a conclu que la législation (les lois adoptées par le Parlement) n’est pas claire et que l’ambiguïté devrait se résoudre en faveur du prestataire.

[8] La Commission veut maintenant porter la décision de la division générale en appel à la division d’appel du Tribunal. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit.

[9] Je suis d’accord. La division générale a mal interprété la loi lorsqu’elle a décidé que la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[10] Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : Le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

Questions préliminaires

[11] Le présent appel a été entendu conjointement avec quatre autres affaires portant sur la même question. La question est de savoir si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. J’ai préparé des motifs distincts pour chaque appel.

Questions en litige

[12] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions sur le partage des prestations parentales de la Loi sur l’assurance-emploi?
  2. b) Dans l’affirmative, comment l’erreur devrait-elle être corrigée?
  3. c) Le prestataire a-t-il droit à des prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales?

Analyse

[13] Je ne peux intervenir ici que si la division générale a commis une erreur pertinente, ce qu’on appelle un « motif d’appelNote de bas page 1 ». L’un des motifs d’appel est que la division générale a commis une erreur de droit en rendant sa décision. L’interprétation des lois est une question de droitNote de bas page 2.

Contexte

Prestations de grossesse et prestations parentales

[14] La Loi sur l’assurance-emploi offre des prestations de grossesse aux prestataires admissibles qui prouvent leur grossesseNote de bas page 3. Les prestations parentales sont versées aux personnes admissibles pendant qu’elles prennent soin d’un nouveau-né ou d’un enfant adoptéNote de bas page 4. Les prestations parentales sont une prestation distincte des prestations de grossesse. Ces prestations font partie des prestations spéciales offertes au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

[15] Les prestataires peuvent recevoir jusqu’à 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas page 5. Les prestations de grossesse peuvent être versées pendant la période qui commence 12 semaines avant la semaine où la personne prévoit accoucher ou donne naissance à un enfant et se termine 17 semaines plus tardNote de bas page 6.

[16] Lorsqu’elles demandent des prestations de grossesse, les personnes peuvent également demander des prestations parentales, qui suivront les 15 semaines de prestations de grossesse qu’elles reçoivent. Les prestataires doivent choisir l’un des deux types de prestations parentales :

  • Les prestations parentales standards : le taux des prestations s’élève à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable des prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 35 semaines.
  • Les prestations parentales prolongées : le taux des prestations s’élève à 33 % de la rémunération hebdomadaire assurable des prestataires, jusqu’à concurrence d’un montant maximal, et un parent peut toucher des prestations pendant un maximum de 61 semaines.

[17] La Loi sur l’assurance-emploi dit aussi que, lorsque deux personnes demandent des prestations parentales pour le même enfant, elles peuvent partager des semaines supplémentaires de prestationsNote de bas page 7. Je les appellerai « prestations parentales partagées ». Lorsque deux personnes choisissent de partager les prestations parentales, le nombre maximal de semaines qu’elles peuvent se diviser est de 40 pour les prestations standards et de 69 pour les prestations prolongées.

[18] Aucun des parents ne peut recevoir plus de 35 semaines de prestations standards ou 61 semaines de prestations parentales prolongées lorsqu’elles sont partagéesNote de bas page 8. Par conséquent, deux parents qui reçoivent des prestations parentales partagées pourraient recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standards ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongées.

La période de prestations parentales

[19] L’article de la Loi sur l’assurance-emploi qui prévoit les prestations parentales établit la période pendant laquelle ces prestations peuvent être verséesNote de bas page 9. C’est ce qu’on appelle souvent la « période de prestations parentales », bien que cette expression ne figure pas dans la Loi sur l’assurance-emploi. Dans les présents motifs, c’est l’expression que j’emploie.

[20] Le point de départ de la Loi sur l’assurance-emploi est que la période de prestations parentales se termine 52 semaines après la semaine où l’enfant est né ou la date de placement dans les cas d’adoptionNote de bas page 10. La période peut être prolongée dans certaines circonstancesNote de bas page 11. Lorsque les prestataires choisissent de recevoir des prestations parentales prolongées, la période est prolongée de 26 semaines, pour un total de 78 semaines.

Décision de la division générale

[21] L’enfant du prestataire est né le 26 juin 2020. Lui et son épouse ont convenu de partager 40 semaines de prestations parentales standards. Son épouse a reçu 15 semaines de prestations de grossesse, suivies de 34 semaines de prestations parentales standards.

[22] Le 30 juin 2021, le prestataire a demandé neuf semaines de prestations parentales standards. À l’audience de la division générale, il a demandé six semaines de prestations. La division générale a accueilli son appel, concluant qu’il avait droit à cinq semaines de prestations parentales partagées, et non aux six semaines qu’il souhaitait. Elle a décidé que le prestataire pouvait recevoir ces prestations en dehors de la période de prestations parentales.

[23] La division générale a examiné les modifications apportées à la Loi sur l’assurance-emploi en 2018 qui ont établi des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées (les modifications pertinentes)Note de bas page 12. Ces modifications permettaient aux parents qui choisissent de partager les prestations parentales de recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations standards et huit semaines supplémentaires de prestations prolongées. La division générale a conclu que la législation ne dit pas clairement si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations partagéesNote de bas page 13.

[24] La division générale a donné trois raisons qui l’ont menée à conclure que la loi n’est pas claire :

  • Il y a une incohérence entre la période de prestations parentales et la disposition qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi relatives à la période de prestations parentales ne font pas référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.
  • Les modifications pertinentes qui ajoutaient des semaines supplémentaires de prestations comprenaient des précisions importantes, mais ne faisaient pas référence à la période de prestations parentales.

[25] Après avoir conclu que la loi n’était pas claire, la division générale a examiné l’objectif de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a aussi analysé l’intention législative derrière l’ajout de semaines de prestations parentales partagéesNote de bas page 14. De plus, elle a examiné les commentaires formulés au cours du débat législatif. Elle s’est fondée sur ces commentaires et a conclu que l’intention du législateur était de prolonger la période de prestations parentales de cinq semaines pour les prestations standards et de huit semaines pour les prestations prolongéesNote de bas page 15.

[26] Ayant conclu à une ambiguïté dans la loi, la division générale a décidé que l’ambiguïté devait se résoudre en faveur du prestataireNote de bas page 16. Elle a conclu que le prestataire pouvait recevoir cinq semaines de prestations parentales standards, mais pas les six semaines qu’il voulait.

[27] La division générale a donc décidé que la période de prestations parentales ne s’appliquait pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées (cinq semaines pour les prestations standards ou huit semaines pour les prestations prolongées). Le prestataire n’a pas pu recevoir toutes les semaines de prestations parentales partagées qu’il souhaitait parce qu’il avait présenté une demande plus de 52 semaines après la naissance de son enfantNote de bas page 17.

Appel de la Commission à la division d’appel

[28] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des dispositions relatives à la période de prestations parentales. Elle affirme que le texte de la Loi sur l’assurance-emploi est précis et sans équivoque (sans ambiguïté) : il dit clairement que les prestataires ne peuvent recevoir de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales.

[29] La Commission soutient que la division générale n’a pas suivi la bonne approche pour interpréter les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle dit que le texte est clair et qu’il aurait dû jouer un rôle déterminant dans l’interprétation de la division générale. La Commission soutient qu’au lieu de porter une attention particulière au texte clair de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi, la division générale a conclu à tort à une incohérence dans la législation.

[30] La Commission affirme également que la division générale s’est fondée sur une idée fausse au sujet des prestations de grossesse lorsqu’elle a conclu que les deux parents ne pouvaient pas prendre les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de façon consécutive si la période de prestations parentales s’appliquait. Elle s’est fondée sur des renseignements non pertinents fournis par le personnel de Service Canada et a formulé des hypothèses erronées au sujet de l’intention législative derrière les modifications pertinentes à la Loi sur l’assurance-emploi.

[31] Le prestataire soutient que la loi n’est pas claire et que la décision de la division générale était exacte. Il affirme que l’appel devrait être rejeté.

La division générale a commis une erreur de droit en interprétant les articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi

[32] La division générale a fondé son interprétation sur la perception qu’il existait une incohérence entre l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, et la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2). Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du texte de l’article 23(2) dans l’exercice de son interprétation législative.

[33] En ce qui concerne l’interprétation de la loi, les cours de justice ont déclaré que le Tribunal doit examiner attentivement le texte, le contexte et l’objectif de la loiNote de bas page 18. La décision de la division générale était axée sur l’objectif de la loi et sur l’incohérence perçue entre les articles. Cependant, la division générale n’a pas bien tenu compte du texte réel des articles 23(2) et 23(4). C’est une erreur de droit.

[34] Dans sa décision, la division générale a rejeté l’argument de la Commission selon lequel le texte de l’article est clair. Toutefois, la division générale n’a pas inclus le texte de l’article 23(2) dans sa décision ni interprété les mots utilisés dans cet article.

[35] La division générale a déclaré que de nombreuses décisions du Tribunal font état de circonstances dans lesquelles le personnel de la Commission a dit à des personnes qu’elles avaient le droit de demander des prestations parentales partagées au-delà de la période de prestations parentalesNote de bas page 19. Selon elle, ce fait était une indication que le texte manque de clarté.

[36] Comme je l’ai mentionné précédemment, la division générale a donné trois raisons pour conclure que la loi n’est pas claire. Premièrement, elle a estimé qu’il y avait une incohérence entre la période de prestations parentales et les semaines supplémentaires de prestations. Elle a fondé ce raisonnement sur la conclusion qu’il est mathématiquement impossible, à l’intérieur d’une période de 52 semaines de prestations parentales, que 2 parents prennent 40 semaines de prestations parentales standards de façon consécutive après que le parent qui a porté l’enfant a reçu 15 semaines de prestations de grossesseNote de bas page 20.

[37] La division générale a conclu que l’article 23(4) ne précise pas qu’il se limite à la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2)Note de bas page 21. Elle a fait remarquer que rien dans la Loi sur l’assurance-emploi ne dit que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées et les prestations de l’autre parent doivent se chevaucher afin que les parents puissent s’assurer de les recevoir. Elle a donc conclu qu’il y avait une incohérence entre les articlesNote de bas page 22.

[38] La division générale a commis une erreur de droit en concluant que les articles sont contradictoires parce qu’il n’est pas nécessaire que les prestations soient versées en même temps. Il y a des situations où deux parents pourraient prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon consécutive dans les périodes normales de 52 ou de 78 semaines de prestations parentales :

  • Les semaines supplémentaires de prestations s’appliquent aux prestataires qui adoptent et qui n’auraient pas à prendre en compte des semaines de prestations de grossesse. Ces parents peuvent prendre les semaines supplémentaires de prestations de façon consécutive.
  • La division générale a commis une erreur en interprétant mal le fonctionnement des prestations de grossesse. Ces prestations peuvent être prises jusqu’à 12 semaines avant l’accouchement prévu. Dans les cas où les prestations de grossesse sont versées avant la naissance, deux parents ont la possibilité de prendre une partie ou la totalité des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de façon consécutive.

[39] Je reconnais que de nombreuses personnes se trouveront dans la même situation que le prestataire, le parent qui porte l’enfant ayant reçu des prestations de grossesse à partir du moment de la naissance ou vers ce moment. Pour ces parents, la période de prestations parentales empêcherait deux prestataires de prendre les semaines supplémentaires de façon consécutive.

[40] Cependant, la division générale a eu tort de conclure que le Parlement aurait inclus une disposition exigeant que les semaines supplémentaires se chevauchent s’il avait l’intention que la période de prestations parentales s’applique. La division générale n’a pas tenu compte des circonstances dans lesquelles les prestataires sont en mesure de prendre les semaines de façon consécutive.

[41] Deuxièmement, la division générale a conclu qu’il n’y avait aucune référence aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées dans les articles sur la période de prestations parentales (articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’assurance-emploi). Elle a donc conclu que la Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas si la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations partagéesNote de bas page 23.

[42] Toutefois, aucun de ces articles ne fait précisément référence à un certain nombre de semaines de prestations. Les mots « [s]ous réserve de l’article 12 » compris à l’article 23(2), renvoient au nombre maximal applicable.

[43] L’article 12 de la Loi sur l’assurance-emploi établit le nombre maximal de semaines de prestations pouvant être versées à une personne. L’article 12(1) prévoit ce qui suit :

12 (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

[44] L’article 12(4) parle des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Il dit ce qui suit :

(4) Les prestations ne peuvent être versées :

  1. a) dans le cas d’une seule et même grossesse, pendant plus de quinze semaines;
  2. b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement d’un ou de plusieurs enfants en vue de leur adoption pendant plus du nombre de semaines ci-après :
    1. (i) dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(i), trente-cinq semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, quarante semaines,
    2. (ii) dans le cas où le nombre maximal de semaines choisi aux termes du paragraphe 23(1.1) est prévu au sous-alinéa (3)b)(ii), soixante et une semaines ou, si les semaines de prestations qui peuvent être versées sont partagées en conformité avec cet article 23, soixante-neuf semainesNote de bas page 24.

      [mis en évidence par la soussignée]

[45] La division générale n’a pas tenu compte du texte intégral de l’article, en particulier des mots « [s]ous réserve de l’article 12 » compris à l’article 23(2).

[46] Enfin, la division générale a souligné que les modifications qui instauraient les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées comprenaient des précisions. Plus précisément, l’article 23(4.1) précise qu’« il est entendu que » le nombre total de semaines de prestations parentales pouvant être versées pour le même enfant ou les mêmes enfants est de 40 pour les prestations standards ou de 69 pour les prestations prolongéesNote de bas page 25. L’article 23(4.11) précise clairement que chaque prestataire ne peut recevoir plus de 35 ou 61 semaines lorsque les prestations sont partagéesNote de bas page 26.

[47] La division générale a conclu que ces précisions n’établissaient pas de limite à la période de prestations parentales ou ne disaient pas que les prestations devaient se chevaucher. Elle a conclu que le Parlement aurait inclus une disposition précisant que la période de prestations parentales s’applique ou que les prestations doivent se chevaucher, si telle était son intentionNote de bas page 27. Le fait qu’il n’ait pas inclus cette précision démontre que la loi n’est pas claire.

[48] Comme nous l’avons vu plus haut, la division générale n’a pas tenu compte des situations dans lesquelles les prestataires peuvent prendre les semaines de façon consécutive lorsqu’elle a décidé que le Parlement aurait inclus une disposition exigeant que les prestations se chevauchent.

[49] Selon l’interprétation de l’article 23(4) par la division générale, la période de prestations parentales ne s’appliquerait pas aux 5 semaines supplémentaires de prestations standards ou aux 8 semaines supplémentaires de prestations prolongées lorsque les prestations parentales sont partagées, mais elle s’appliquerait vraisemblablement aux 35 ou 61 semaines qu’une seule personne peut recevoir.

[50] Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas à ces semaines supplémentaires, rien dans l’article 23 ne laisse entendre que les semaines devraient être prises immédiatement après la fin des prestations de l’autre prestataire. Cela voudrait dire qu’une personne pourrait prendre les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales à tout moment.

[51] La division générale a constaté que seules les cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas couvertes par la période de prestations parentales. Elle a donc décidé que le prestataire pouvait recevoir cinq semaines de prestations, et non les six semaines qu’il voulait. Les articles 23(4), 23(4.1) ou 23(4.11) ne font pas explicitement référence à cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations. Deux prestataires peuvent choisir de diviser les 40 ou 69 semaines comme bon leur semble.

[52] J’estime que le texte de l’article 23 ne peut appuyer l’interprétation de la division générale selon laquelle la période de prestations parentales s’applique à 35 ou 61 semaines de prestations parentales partagées, mais pas aux semaines supplémentaires.

[53] La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23 lorsqu’elle a conclu que le texte n’était pas clair et qu’il y avait une incohérence entre les dispositions relatives à la période de prestations parentales et l’article qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées.

[54] La division générale n’a pas tenu compte du texte des articles 23(2) et 23(4) en tant que tel. Elle a mis l’accent sur l’objectif de la loi lorsqu’elle a conclu que les articles ne sont pas clairs, plutôt que sur l’examen du texte de la loi.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[55] La division générale a fondé sa décision sur une mauvaise interprétation de la loi, ce qui est une erreur de droit. Je peux donc remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamenNote de bas page 28. Je peux trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour régler l’appel du prestataireNote de bas page 29.

[56] Dans ce cas-ci, j’estime qu’il convient de remplacer la décision de la division générale par la mienne. Le dossier est complet et les parties ont eu amplement l’occasion de présenter leurs arguments à la division généraleNote de bas page 30.

Le prestataire ne peut pas recevoir de prestations en dehors de la période de prestations parentales

[57] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur dans son interprétation des articles 23(4) et 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Je dois maintenant interpréter la loi. Pour ce faire, je dois examiner le texte de la loi dans son ensemble, dans son sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’esprit et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et l’intention du ParlementNote de bas page 31.

[58] La Commission soutient que le texte de l’article 23(2) est précis et sans équivoque. Elle dit que l’interprétation de la division générale aurait dû conclure que le texte de l’article est clair et qu’aucune autre analyse n’est requise.

[59] Le prestataire soutient que le texte de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair. Il affirme que la Commission devrait être tenue responsable d’avoir fourni des renseignements incomplets. Le prestataire affirme que le gouvernement a fait la promotion des semaines supplémentaires de prestations pour permettre aux mères de retourner au travail plus tôt et qu’il n’est pas logique d’obliger les parents à prendre les semaines en même temps. Les règles devraient être plus claires pour que les personnes comprennent bien quand elles demandent des prestations.

[60] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le texte de l’article 23(2) est clair. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que cela met fin à l’exercice d’interprétation des lois. Je dois tenir compte du contexte global des articles à interpréterNote de bas page 32.

[61] La Commission s’appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada Trustco. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que les mots précis et sans équivoque jouent un rôle dominant dans le processus d’interprétationNote de bas page 33. Lorsque les mots utilisés sont clairs, leur sens ordinaire joue un rôle plus important dans l’interprétationNote de bas page 34.

[62] Cependant, la Cour a également déclaré que nous devons « [aller] au-delà du simple texte des dispositions et adopte[r] une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositionsNote de bas page 35 ».

[63] Le texte de la Loi sur l’assurance-emploi ne peut être interprété sans tenir compte de son contexte et de son objectif. Dans l’affaire Canada Trustco, la Cour a également déclaré que le contexte et l’objectif peuvent révéler une ambiguïté dans la loi lorsque le texte semble clair et simpleNote de bas page 36.

[64] Je vais examiner le texte des articles 23(2) et 23(4), le contexte de ces articles dans la Loi sur l’assurance-emploi, l’objectif de la loi et l’intention du Parlement.

Le texte de la loi est clair

[65] La Commission soutient que le texte de la législation est précis et sans équivoque, de sorte que les mots devraient jouer un rôle dominant dans l’interprétation des dispositions. Comme la formulation des articles est importante, j’inclurai le texte intégral des articles pertinents.

[66] La période de prestations parentales est établie à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi :

Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées

(2) Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :

  1. a) commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption;
  2. b) se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés.

[67] La Loi sur l’assurance-emploi précise ensuite les circonstances dans lesquelles la période de prestations parentales peut être prolongée :

  • lorsque l’enfant est hospitalisé;
  • lorsqu’une personne prestataire est déployée;
  • lorsqu’une personne prestataire reçoit plusieurs prestations spéciales;
  • lorsqu’une personne prestataire choisit de recevoir des prestations parentales prolongées;
  • lorsqu’il y a certaines combinaisons de prestations régulières et de prestations spécialesNote de bas page 37.

[68] En 2018, la Loi sur l’assurance-emploi a été modifiée pour ajouter l’article qui permet à deux prestataires de partager jusqu’à 40 semaines de prestations parentales standards ou 69 semaines de prestations parentales prolongéesNote de bas page 38. Cet article permet de verser cinq semaines supplémentaires de prestations standards ou huit semaines supplémentaires de prestations prolongées lorsqu’elles sont partagées. L’article 23(4) dit ce qui suit :

Partage des semaines de prestations

(4) Si deux prestataires présentent chacun une demande de prestations au titre du présent article — ou si un prestataire présente une telle demande et qu’un particulier présente une demande de prestations au titre de l’article 152.05 — relativement au même enfant ou aux mêmes enfants, les semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article, de l’article 152.05 ou de ces deux articles peuvent être partagées entre eux, jusqu’à concurrence de quarante semaines lorsque le nombre maximal de semaines choisi aux termes des paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1) est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(i) ou 152.14(1)b)(i) ou de soixante-neuf semaines lorsque ce nombre est prévu aux sous-alinéas 12(3)b)(ii) ou 152.14(1)b)(ii). S’ils n’arrivent pas à s’entendre, le partage des semaines de prestations doit être effectué conformément aux règles prévues par règlement.

[69] Les modifications précisent également qu’une seule personne ne peut recevoir plus de 35 ou 61 semaines de prestations. L’article 23(4.11) dit ce qui suit :

(4.11) Même lorsqu’il y a partage conformément aux paragraphes (4) et (4.1), le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations peuvent être versées à un prestataire est de trente-cinq ou de soixante et une semaines, conformément au choix visé aux paragraphes (1.1) ou 152.05(1.1).

[70] L’introduction de l’article 23(2) dit ce qui suit : « Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période […] » [mis en évidence par la soussignée]. Les semaines supplémentaires de prestations partagées sont prévues à l’article 23(4), ce qui fait en sorte qu’il s’agit de prestations au titre de l’article 23.

[71] Le sens ordinaire du texte de l’article 23 dit que les prestations qui peuvent être versées au titre de l’article 23 se limitent à la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2). Rien dans la loi ne laisse entendre que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées ne sont pas des prestations au titre de l’article 23.

[72] J’ai également examiné les mots « [s]ous réserve de l’article 12 » à l’article 23(2). Les passages pertinents de l’article 12 sont reproduits aux paragraphes 46 et 47 ci-dessus. Comme je l’ai dit, je conclus que les semaines supplémentaires sont mentionnées à l’article 12(4).

[73] Je suis d’avis que le texte de l’article 23 est clair. L’article traite de toutes les prestations parentales. Cela comprend les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées de l’article 23(4).

[74] L’article 23(2) précise à quel moment les prestations prévues à l’article 23 peuvent être versées. Dans son sens simple, l’article dit que la période de prestations parentales s’applique à toutes les prestations prévues à l’article 23, y compris les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. L’utilisation de l’expression « [s]ous réserve de l’article 12 » confirme ce sens, car les semaines supplémentaires sont mentionnées à l’article 12(4).

[75] Comme je l’ai indiqué, l’analyse ne se termine pas au sens simple du texte. Étant donné que les mots sont clairs, ils joueront un rôle déterminant dans l’interprétationNote de bas page 39. Cependant, je dois aussi examiner le contexte pour décider si cette interprétation est conforme à l’objectif de la loi et à l’intention du Parlement.

Contexte et objectif des dispositions relatives aux prestations parentales

[76] Les prestations prévues par la Loi sur l’assurance-emploi sont versées au cours d’une période de prestations. L’article 10 de la Loi sur l’assurance-emploi porte sur le début, la durée et la fin de la période de prestations. Cette période commence lorsqu’une personne prestataire subit un arrêt de rémunération. Une personne doit avoir établi une période de prestations pour recevoir des prestations.

[77] La période de prestations parentales établit le moment où les prestations parentales peuvent être versées. Les prolongations de périodes de prestations parentales permises par la Loi sur l’assurance-emploi ont des prolongations correspondantes à l’article 10Note de bas page 40. Par conséquent, une personne qui a droit à une prolongation de la période de prestations parentales verra également une prolongation de sa période de prestations, afin qu’elle puisse recevoir des prestations.

[78] Si la période de prestations parentales ne s’appliquait pas aux semaines supplémentaires de prestations, comme l’a conclu la division générale, on peut supposer qu’une personne s’appuierait sur sa période de prestations prévue à l’article 10 pour s’assurer de son admissibilité.

[79] Cependant, le versement des prestations parentales dépend de la période de prestations parentales et non de la période de prestations. La Cour d’appel fédérale a déclaré :

S’il ne fait aucun doute que la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi est établie en fonction spécifiquement du prestataire, il n’en est pas ainsi pour la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées au titre du paragraphe 23(2). L’établissement de cette dernière période se rattache à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (voir le paragraphe 23(2)). Par conséquent, même si deux prestataires peuvent chacun demander des prestations parentales pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants, et si une période de prestations doit être établie au profit de chacun des prestataires séparément, les prestations parentales ne peuvent être versées que pendant la période visée au paragraphe 23(2), peu importe quand commence et se termine la période de prestations de l’un ou l’autre prestataireNote de bas page 41.

[80] Les prestations parentales visent à indemniser les parents admissibles qui subissent un arrêt de rémunération lorsqu’ils prennent soin d’un ou plusieurs enfants nouveau-nés ou adoptés. Ces dispositions ne sont pas dictées par les besoins des parents. La loi vise à fournir à ces parents un revenu de remplacement pour une période limitéeNote de bas page 42.

[81] La division générale s’est penchée sur l’intention du Parlement lorsqu’il a adopté les dispositions relatives aux semaines supplémentaires de prestations. J’ai examiné les commentaires émis pendant le débat parlementaire dont a parlé la division généraleNote de bas page 43. Le prestataire soutient que le gouvernement à l’époque avait fait une grande promotion pour ces modifications qui visaient à favoriser l’égalité entre les sexes.

[82] D’après les commentaires mentionnés par la division générale, il est évident que l’intention derrière la modification de la Loi sur l’assurance-emploi pour accorder des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées était d’encourager les parents à partager plus équitablement leurs responsabilités parentales et professionnelles et de leur donner plus de souplesse.

[83] Je reconnais qu’une personne a commenté durant le débat législatif que les modifications permettraient aux nouvelles mères de retourner au travail plus tôt si elles le souhaitaientNote de bas page 44. Cet objectif pourrait être contrecarré en limitant les semaines de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales. Cependant, l’autre objectif, qui consiste à encourager les parents à partager les obligations parentales, est conforme à l’idée que la période s’applique.

[84] Comme je l’ai mentionné plus haut, il peut y avoir des circonstances où les parents peuvent prendre les semaines de façon consécutive, tandis que d’autres devront les faire se chevaucher pour recevoir les 40 ou 69 semaines. Que les semaines de prestations soient prises de façon consécutive ou simultanée, les deux parents ont plus de semaines disponibles pour partager les obligations parentales. Les deux parents ont des semaines supplémentaires de prestations parentales à partager, qui n’étaient pas disponibles avant les modifications pertinentes.

[85] Le prestataire soutient qu’il n’est pas logique d’instaurer des semaines supplémentaires de prestations parentales partagées et d’exiger ensuite que de nombreux parents prennent ces semaines en même temps. Il aurait peut-être été préférable que le Parlement prolonge la période de prestations parentales pour permettre à tous les parents de prendre les semaines supplémentaires de façon consécutive.

[86] Cependant, on ne peut ignorer le texte de la loi pour interpréter une disposition d’une façon qui correspond mieux à l’objectif de la loiNote de bas page 45. Le sens simple du texte est conforme à l’objectif d’encourager le partage des responsabilités parentales.

[87] J’ai examiné la modification apportée au Code canadien du travail, qui a été mentionnée par la division générale et soulevée à l’audience devant la division d’appel. Cette modification a été apportée en même temps que les modifications relatives aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, apportées à la Loi sur l’assurance-emploi. Elle a fait passer le nombre total de semaines de congé pour deux employés à 86 pour le ou les mêmes enfantsNote de bas page 46.

[88] Cependant, je souligne que le Code canadien du travail prévoit également une limite quant au moment où le congé parental peut être prisNote de bas page 47. Cette période n’a pas été modifiée lorsque le nombre total de semaines a augmenté et elle limite le congé parental à la période de 78 semaines commençant à la naissance ou à l’adoption d’un enfant. Deux employés peuvent donc prendre ensemble 86 semaines de congé pour le même enfant, mais seront également limités à une période de congé de 78 semaines.

[89] La modification au Code canadien du travail ne laisse pas entendre que le Parlement avait l’intention de prolonger la période de prestations parentales.

[90] J’estime que le texte de l’article 23 est clair. Bien qu’il soit vrai qu’une loi conférant des avantages devrait être interprétée de façon large et libérale, cette approche interprétative ne peut pas être utilisée pour ignorer une limitation expresse dans la loiNote de bas page 48. Si l’on interprète l’article 23(4) comme accordant cinq ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales en dehors de la période de prestations parentales, on ignore la limite expresse de l’article 23(2).

[91] De plus, les cours de justice ont dit que pour qu’il y ait ambiguïté dans un texte, l’ambiguïté doit être réelle. Cela signifie que le texte doit pouvoir raisonnablement soutenir plus d’un sensNote de bas page 49.

[92] Je ne suis pas d’avis que le texte pourrait raisonnablement soutenir le sens selon lequel la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. Le contexte et l’objectif ne révèlent aucune ambiguïté dans le texte clair. Le sens ordinaire de l’article est conforme à l’objectif de la loi et à l’intention du Parlement.

[93] Lorsque la période de prestations parentales s’applique aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, de nombreux parents dans la même situation que le prestataire ne pourront pas prendre ces semaines de façon consécutive. Il ne semble pas y avoir de logique pour obliger certains parents à prendre ces semaines simultanément, alors que d’autres peuvent les prendre de façon consécutive, ou d’obliger le parent qui porte l’enfant à prendre quelques semaines de prestations de grossesse avant la naissance de l’enfant si ce parent souhaite prendre les semaines de façon consécutive.

[94] J’ai réfléchi à la question de savoir si le fait de limiter les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées à la période de prestations parentales constitue une absurdité ou, potentiellement, une erreur de rédaction législative.

[95] Un résultat peut être absurde s’il « mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatifNote de bas page 50… ».

[96] J’estime que, bien qu’il soit plus conforme aux objectifs de la loi d’augmenter la période de prestations parentales pour les parents qui se partagent des semaines supplémentaires de prestations, cela ne constitue pas une absurdité.

[97] Les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées sont offertes aux personnes prestataires, dont certaines pourront prendre les semaines de façon consécutive, tandis que d’autres devront les prendre en même temps. Cela constitue un manque de cohérence potentiel dans l’application de la loi, selon la situation des prestataires. Toutefois, ce n’est pas une absurdité.

[98] Comme nous l’avons vu plus haut, si la période de prestations parentales ne s’applique pas aux semaines supplémentaires de prestations parentales partagées, les prestataires pourraient prendre cinq ou huit semaines de prestations parentales à n’importe quel moment. J’estime que ce serait un résultat illogique et incompatible avec les autres articles de la Loi sur l’assurance-emploi.

[99] J’ai réfléchi à la question de savoir si le fait que la période de prestations parentales n’ait pas été modifiée pour inclure une prolongation afin que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées puissent être prises simultanément pourrait être considéré comme une erreur de rédaction législative. En général, une erreur de rédaction peut être corrigée lorsque trois critères sont respectés :

  • l’erreur conduit à une absurdité manifeste;
  • l’absurdité est causée par une erreur dont on peut retracer l’origine;
  • une correction évidente est disponibleNote de bas page 51.

[100] Comme je l’ai dit, je ne crois pas que l’erreur potentielle mène à une absurdité manifeste.

[101] Il y a aussi une différence entre une erreur de rédaction et un vide juridique. Un vide juridique se produit lorsqu’une loi est trop restrictive et entraîne une application plus étroite qu’elle ne le devrait. Dans ce cas-ci, la loi ne permet pas à certaines personnes de prendre de façon consécutive les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées. On peut corriger une trop grande restriction au moyen d’une loi, mais pas en faisant l’interprétation selon laquelle il existe une exception qui ne figure pas dans la Loi sur l’assurance-emploi. Il s’agit d’une modification qui doit être laissée à l’assemblée législativeNote de bas page 52.

[102] Le Parlement n’a pas modifié la période de prestations parentales ni prévu d’exception pour les semaines supplémentaires. Si cette décision n’était pas intentionnelle, j’estime que l’absence d’une prolongation de la période de prestations parentales constituerait un vide juridique plutôt qu’une erreur de rédaction.

[103] Étant donné que le Parlement avait déjà prolongé la période de prestations parentales, comme lorsqu’il a instauré les prestations parentales prolongées, il faut tenir compte de la probabilité que le Parlement n’ait pas eu l’intention de modifier la période de prestations parentales, tout comme il n’a pas modifié la période de congé prévue dans le Code canadien du travail.

[104] Le texte de l’article 23(2) est clair : la période s’appliquera aux prestations prévues à cet article. Cela laisse croire que les rédacteurs législatifs auraient su que l’article 23(2) s’appliquerait aux semaines de prestations mentionnées à l’article 23(4).

[105] Je fais remarquer que tous les prestataires des appels traités ensemble ont fait tout leur possible pour se conformer à la loi au moment de présenter une demande de prestations parentales partagées. Ces prestataires demandent à la Commission de prendre la responsabilité de leur avoir fourni des renseignements inexacts. Je comprends leur frustration. Je comprends leur situation et celle de beaucoup d’autres prestataires qui se trouvent dans la même situation. Cependant, je dois interpréter et appliquer la loi, et je ne peux pas la réécrireNote de bas page 53.

[106] J’estime que la loi est claire. Les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées sont des prestations au titre de l’article 23. Par conséquent, la période de prestations parentales s’applique et les prestations ne peuvent pas être versées en dehors de cette période.

Conclusion

[107] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 23(2) et 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Le prestataire n’a pas droit à des prestations parentales au-delà de la période de prestations parentales.

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