Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 392

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : L. M.
Représentant : J. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (0) datée du 8 décembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Mark Leonard
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 28 avril 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Représentant de la partie appelante
Date de la décision : Le 12 mai 2022
Numéro de dossier : GE-21-2484
GE-21-2506

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La prestataire a volontairement pris deux congés de travail sans justification. Cela signifie qu’elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] La prestataire travaille comme chef d’équipe dans une cafétéria de collège. Chaque printemps, l’employeur de la prestataire met à pied une partie de sa main-d’œuvre. La prestataire est une employée syndiquée. Sa convention collective permet aux membres de choisir d’être mis à pied par ordre d’ancienneté.   

[3] La prestataire dit qu’elle faisait valoir les dispositions de sa convention collective lorsqu’elle a demandé d’être mise à pied en 2017 et en 2018. Elle dit qu’elle aurait été mise à pied de toute façon, peu importe qu’elle ait choisi de se porter volontaire.  

[4] La Commission affirme que la prestataire a pris volontairement deux congés de travail en 2017 et 2018. La Commission dit que la prestataire n’était pas fondée à prendre congé, donc elle a décidé de ne pas lui verser de prestations d’assurance-emploi.     

Question préliminaire que je dois examiner en premier

Joindre les appels

[5] Il y a deux appels pour décision devant le Tribunal. Les deux découlent d’un ensemble similaire de faits qui ont eu lieu en 2017 et 2018. En vue de traiter efficacement les deux appels, j’ai demandé à la prestataire et à la Commission si on pouvait joindre les appels afin de les entendre ensemble.    

[6] Les deux parties étaient d’accord. Les appels seront donc entendus ensemble et une seule décision s’appliquera aux deux.

Question en litige

[7] Est-ce que la prestataire a volontairement pris deux congés de travail respectivement en 2017 et 2018, lorsqu’elle a demandé une mise à pied de son employeur?

[8] Si c’est le cas, est-ce que la prestataire était fondée à prendre congé lorsqu’elle l’a fait?   

Analyse

Le droit

[9] Les prestataires sont inadmissibles au bénéfice de prestations d’assurance-emploi lorsqu’ils prennent un congé de travail sans justificationNote de bas de page 1. Premièrement, la Commission doit prouver que la prestataire a volontairement pris son congé. Ensuite, la prestataire doit établir qu’elle est fondée à quitter volontairement son emploi en démontrant que, compte tenu des circonstances, elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où elle l’a faitNote de bas de page 2.

Question 1 : Est-ce que la prestataire a volontairement pris deux congés, respectivement en 2017 et 2018, lorsqu’elle a demandé à son employeur d’être mise à pied?  

[10] Pour décider si la prestataire a volontairement quitté son emploi, je dois décider si elle avait le choix de rester. Après avoir examiné les circonstances, j’estime que la prestataire a volontairement demandé d’être mise à pied en 2017 et en 2018. Elle avait le choix de resterNote de bas de page 3.

[11] Pour prendre un congé volontaire, on doit répondre aux critères. La prestataire doit avoir demandé de prendre le congé. L’employeur doit autoriser le congé. L’employeur et la prestataire doivent s’entendre sur la date de retour au travailNote de bas de page 4.    

[12] L’employeur de la prestataire gère des cafétérias sur le campus d’un établissement postsecondaire. Il a l’habitude, chaque année, de mettre à pied une partie de sa main-d’œuvre pendant le semestre d’été lorsqu’il y a moins d’étudiants. L’employeur avise les employés des mises à pied imminentes et demande que les employés l’avertissent s’ils souhaitent faire valoir leur droit de se porter volontaire pour la mise à pied.   

[13] Les employés sont assujettis à une convention collective qui prévoit des mises à pied par ordre d’ancienneté. En bref, ceux qui ont moins d’ancienneté sont mis à pied en premier. Toutefois, la même convention collective permet à ceux qui ont plus d’ancienneté de choisir d’être mis à pied en premier. En substance, cela signifie que si un employé avec plus d’ancienneté choisit d’être mis à pied, cela ferait en sorte qu’un employé avec moins d’ancienneté resterait probablement au travail.   

[traduction] Article 12.7 Lorsqu’une mise à pied ne dépassant pas cinq (5) mois doit avoir lieu, les employés peuvent choisir d’être mis à pied par ordre d’ancienneté et, à défaut d’un nombre suffisant, les employés sont mis à pied par ordre inverse d’ancienneté.

[14] La même convention collective confère aux employés ayant plus d’ancienneté le droit de « supplanter » les employés qui ont moins d’ancienneté. En substance, cela signifie que si un employé ayant plus d’ancienneté était choisi pour être mis à pied et souhaitait continuer à travailler, il pourrait faire valoir son droit de « supplanter » l’employé ayant moins d’ancienneté. L’employé ayant plus d’ancienneté occuperait alors le poste occupé par l’employé ayant moins d’ancienneté. L’employé ayant moins d’ancienneté serait alors susceptible d’être mis à pied ou pourrait faire valoir son droit de supplanter une autre personne se trouvant plus bas dans la liste d’ancienneté. Toujours est-il que l’employé qui fait valoir son droit de supplanter un autre employé doit être capable (et qualifié) d’occuper le poste de l’employé ayant moins d’ancienneté.

[15] La Commission affirme que la prestataire a pris deux périodes de congé : la première du 17 avril 2017 au 4 juillet 2017; la seconde du 27 avril 2018 au 6 juillet 2018. La Commission soutient que le critère pour décider si la prestataire a volontairement pris un congé est de savoir si elle avait le choix de rester. Elle dit que la prestataire a volontairement pris un congé lorsqu’elle a demandé la mise à pied. La Commission dit qu’il y avait une date de départ et un retour prévu. L’employeur a dit à la Commission que la prestataire n’était pas obligée de prendre le congé. C’était strictement son choix.

[16] La Commission affirme que la prestataire n’avait pas besoin de se porter volontaire pour la mise à pied. La Commission dit qu’il n’y a qu’un seul employé qui a plus d’ancienneté que la prestataire parmi les chefs d’équipe. La prestataire aurait pu simplement attendre que son employeur lui dise si elle allait être mise à pied. En outre, la Commission soutient que lorsque la possibilité d’une mise à pied est survenue, la prestataire aurait pu faire valoir son droit de « supplanter » un autre employé et de continuer à travailler. Par conséquent, la Commission estime que la prestataire avait le choix de rester.       

[17] La prestataire ne conteste pas le fait qu’elle s’est portée volontaire pour la mise à pied. Elle a convenu qu’elle a averti son employeur qu’elle souhaitait faire valoir son droit d’être mise à pied avant les autres employés ayant moins d’ancienneté. Elle a également convenu qu’elle aurait pu faire valoir son droit de supplanter un autre employé pour continuer à travailler, mais il y a de bonnes raisons pour lesquelles elle ne l’a pas fait.

[18] Je conclus que la prestataire a volontairement pris deux périodes congé de travail, soit en 2017 et en 2018. Il est clair, d’après la preuve contenue dans sa convention collective et son témoignage, qu’elle avait le choix de rester. De plus, la demande de départ volontaire répond à tous les critères permettant d’établir un congé tel que c’est décrit dans la Loi.

Question 2 : Est-ce que la prestataire était fondée à prendre volontairement deux périodes de congé lorsqu’elle l’a fait?

[19] La prestataire n’était pas fondée à prendre ses deux périodes de congé lorsqu’elle l’a fait. Une solution raisonnable s’offrait à elle. Elle aurait pu choisir de rester au travail et attendre que son employeur lui dise si elle allait être mise à pied. Si on avait choisi de la mettre à pied, elle aurait pu faire valoir son droit de supplanter, en vertu de sa convention collective, un autre employé et de continuer à travailler.

[20] La loi énonce qu’une personne n’a pas droit aux prestations si elle prend un congé sans avoir de motif valable. Il ne suffit pas d’avoir un motif valable (c’est-à-dire une bonne raison) de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé. Le critère pour décider si la prestataire est fondée à prendre un congé est, compte tenu de toutes les circonstances, de voir si elle n’avait pas de solutions raisonnables autre que celle de prendre le congé au moment où elle l’a fait. Il incombe à la prestataire de le prouver.  

[21] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances entourant le congé de la prestataire. Parmi celles-ci, il y en a quelques-unes qui sont prévues par la loi. Une fois que j’aurai décidé quelles circonstances s’appliquent à la prestataire, je dois décider si la prestataire avait une solution raisonnable autre que celle de prendre un congé au moment où elle l’a fait.     

[22] La Loi sur l’assurance-emploi énonce 14 circonstances qui peuvent appuyer le fait qu’une personne était fondée à démissionner ou prendre un congé de travail. 

[23] La prestataire laisse entendre en témoignant que les circonstances suivantes s’appliquent spécifiquement à sa situation :  

  1. a)  Adhésion aux dispositions de sa convention collective.
  2. b)  Modification importante de ses conditions de rémunérationNote de bas de page 5.        
  3. c)  Modification importante des fonctionsNote de bas de page 6.

Convention collective

[24] L’argument principal de la prestataire est que sa convention collective contient des dispositions qui permettent aux employés de se porter volontaires pour une mise à pied. La prestataire affirme qu’elle faisait simplement valoir ses droits conformément à sa convention collective et cela lui permet de se porter volontaire pour une mise à pied. Elle soutient que cette entente a force de loi et qu’en faisant valoir son droit de demande de mise à pied, elle établit l’obligation qu’on lui verse des prestations d’assurance-emploi.

[25] La Commission affirme qu’il n’y a pas de conflit entre la convention collective de la prestataire et la Loi. Elle affirme que la prestataire a le droit de faire valoir ses droits conformément à la convention collective, mais que cela n’entraîne pas l’obligation qu’on lui verse des prestations d’assurance-emploi. La Commission affirme que la prestataire doit se conformer aux exigences de la Loi. Elle affirme que la prestataire a pris des congés volontaires lorsqu’elle a demandé une mise à pied et que la Loi prévoit que la prestataire n’est pas admissible au bénéfice de prestations si elle n’a pas de justification.   

[26] La convention collective de la prestataire n’indique nulle part qu’une personne aura droit à des prestations d’assurance-emploi si elle accepte volontairement d’être mise à pied. Il s’agit simplement de la pratique habituelle entre l’employeur et les employés en raison de la convention collective. Le fait que la Commission n’ait jamais remis en question cette pratique a amené la prestataire à croire que les prestations d’assurance-emploi seraient versées, peu importe qu’elle se soit portée volontaire pour une mise à pied ou qu’elle ait reçu un avis de mise à pied involontaire.    

[27] Je ne suis pas convaincu que les dispositions contenues dans la convention collective supplantent celles de la Loi. J’estime que le simple fait d’exercer la disposition de la convention de pour choisir la mise à pied volontaire n’oblige pas la Commission de verser des prestations d’assurance-emploi. Cela ne justifie pas non plus le fait que la prestataire ait pris un congé quand elle l’a fait. Bien que deux parties soient généralement libres de négocier, elles ne peuvent pas négocier en vue d’éliminer des exigences et des protections inscrites dans des lois telles que la Loi sur l’assurance-emploi.

Quelqu’un aurait été mis à pied de toute façon

[28] La prestataire laisse entendre que, toutes choses étant égales, si quelqu’un devait être mis à pied de toute façon, elle aimerait bien que ce soit elle. La prestataire a dit à la Commission qu’en se portant volontaire pour une mise à pied, elle permettait aux employés subalternes qui ne pourraient pas obtenir d’assurance-emploi d’avoir la possibilité de travailler (GD3-44).   

[29] Elle a laissé entendre que puisque sa convention collective lui permet de se porter volontaire pour la mise à pied, et puisque quelqu’un devait être mis à pied de toute façon, il est raisonnable qu’elle ait choisi cette option et elle devrait donc être admissible au bénéfice de prestations d’assurance-emploi.

[30] Je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la prestataire avait droit d'exercer les dispositions de sa convention. Mais la question est de savoir quelles sont les conséquences lorsqu’elle le fait. D’ailleurs, il n’avait pas été confirmé que toutes les choses étaient égales lorsqu’elle s’est portée volontaire pour la mise à pied. Seul un examen objectif des dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi telles qu’elles s’appliquent à chaque personne à ce moment précis peut permettre de décider correctement de l’admissibilité aux prestations.

[31] La prestataire a accepté la mise à pied volontaire croyant fermement qu’elle recevrait des prestations. Elle avait de bonnes raisons de le croire, car elle l’avait fait au cours des années précédentes sans problème. Mais cette pratique fait obstacle à la bonne application de la Loi. Seules les personnes véritablement sans emploi devraient recevoir des prestations. De plus, ceux qui font une demande doivent répondre aux exigences minimales pour être admissibles. La prestataire était convaincue qu’elle était admissible. Mais tous les employés ayant moins d’ancienneté étaient-ils également admissibles? On ne peut pas le savoir, car la progression naturelle de la mise à pied a été interrompue par la décision de la prestataire. L’action de la prestataire a empêché le déroulement naturel de la mise à pied qui aurait identifié les employés ayant le moins d’ancienneté pour qu’ils reçoivent les avis de mise à pied en premier.

[32] Si elle avait choisi de rester au travail, quelqu’un d’autre ayant moins d’ancienneté aurait reçu un avis de mise à pied. Ce n’est qu’à ce moment-là, et en fonction des circonstances précises de l’employé, que l’on peut décider de l’admissibilité aux prestations.

[33] Il se peut que cet employé soit admissible aux prestations. Toutefois, il est possible qu’il ne soit pas admissible puisqu’il n’a pas suffisamment d’heures ou est inadmissible ou exclu du bénéfice des prestations. Que se passe-t-il si le montant des prestations dues aux autres employés devait être inférieur à celui que la prestataire aurait reçu?

[34] En permettant à la prestataire de se porter volontaire pour la mise à pied, on devance le processus de mise à pied et on accorde à la prestataire des prestations d’assurance-emploi qui, autrement, n’auraient peut-être pas été payables à un autre prestataire.

[35] L’employeur et la prestataire sont libres d’interpréter à leur guise leur entente dans la mesure où cela les affecte. Cependant, ils ne jouissent pas de la même liberté lorsque leur interprétation affecte les droits des tiersNote de bas de page 7. Dans la présente affaire, leur interprétation fait porter le fardeau de la décision de la prestataire aux tiers qui cotisent au régime d’assurance-emploi.  

[36] J’estime que l’argument voulant que quelqu’un aurait été mis à pied de toute façon n’équivaut pas à une justification qui appuierait le fait que la prestataire a volontairement pris congé (mise à pied volontaire).

La prestataire aurait été mise à pied de toute façon

[37] Selon la prestataire, qu’elle se soit portée volontaire ou non, elle aurait été mise à pied de toute façon.   

[38] Elle a affirmé que tous les employés reçoivent un avis de mise à pied puisque même une réduction d’une heure de l’horaire de travail est considérée comme une mise à pied (sauf en été).   

[39] La prestataire a expliqué que le processus de mise à pied est coordonné. Essentiellement, à mesure que la population étudiante diminue, le personnel reçoit des avis de mise à pied par vagues. En acceptant volontairement d’être mise à pied, elle a fait partie de la première vague de mises à pied. Cependant, qu’elle se soit portée volontaire ou non, elle aurait fini par recevoir un avis de mise à pied, car tout le monde a des heures réduites et même une réduction d’une heure des heures prévues est considérée comme une mise à pied selon sa convention collective. Elle dit qu’une mise à pied aurait entraîné une réduction d’heures de travail et de rémunération.

[40] Il y a trois groupes au sein de l’unité de travail : les chefs d’équipe, les cuisiniers et l’aide générale. Les chefs d’équipe donnent des instructions aux cuisiniers et à l’aide générale. Il existe une liste de tous les employés classés par ordre d’ancienneté, du plus haut au plus bas, sans égard au rôle de l’employé. La prestataire est au deuxième rang de cette liste. En 2017 et 2018, il y avait cinq chefs d’équipe, cinq cuisiniers et trente-huit aides sur la liste d’ancienneté.

[41] La prestataire affirme que si elle ne s’était pas portée volontaire pour une mise à pied et n’avait pas exercé son droit de supplanter, elle aurait été inscrite à l’horaire en tant que chef d’équipe avec des heures réduites. Elle affirme que cela aurait entraîné une réduction de salaire. Elle a expliqué qu’elle est la chef des caissières. Son rôle consiste à superviser les caissières (groupe d’aide générale) et à effectuer d’autres tâches de gestion d’argent.    

[42] La prestataire a déclaré que pendant l’été il n’y a souvent qu’un seul chef d’équipe responsable de toutes les activités sur le campus principal. De plus, il y a déjà une chef d’équipe qui doit travailler tout l’été parce qu’elle est la seule qui a la formation requise pour travailler dans un domaine spécialisé. La prestataire affirme que cette autre chef d’équipe est la seule employée qui ne reçoit jamais d’avis de mise à pied et qui travaille tout l’été. Elle dit que cela signifie qu’elle n’aurait pas été admissible à un poste de chef d’équipe. Sa seule option aurait été de supplanter un employé dans la catégorie d’aide générale pour continuer à travailler.

[43] Elle a précisé qu’elle ne pouvait pas supplanter certains postes d’aide générale, comme celui de cuisinier, car elle n’est pas qualifiée pour effectuer ces tâches. Elle a confirmé qu’elle pouvait remplacer une caissière parce qu’elle est capable d’effectuer les tâches. Elle dit que pendant l’été, on n’a besoin que d’une seule caissière.

[44] De plus, elle dit que si elle avait supplanté une caissière, elle n’aurait probablement travaillé que quatre heures par jour et aurait touché un salaire inférieur (3 $ de moins) à celui qu’elle gagnait en tant que chef d’équipe. De plus, elle dit qu’elle aurait dû parcourir 70 kilomètres chaque jour pour travailler seulement quatre heures. Elle dit que cela n’en valait pas la peine et que personne ne voulait être dans cette situation. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle la majorité des employés ayant de l’ancienneté acceptent la mise à pied volontaire.

[45] Par conséquent, la prestataire est de l’avis qu’elle aurait été mise à pied de toute façon et que c’est une des raisons pour lesquelles elle s’est portée volontaire en premier. Mais même si elle était restée au travail, elle aurait remplacé quelqu’un qui effectue des tâches inférieures pendant moins d’heures et qui gagne moins d’argent. Elle dit qu’elle est fondée à avoir volontairement choisi la mise à pied puisque le fait de rester au travail n’était pas une solution raisonnable, étant donné la réduction des heures et de la rémunération qu’elle aurait été obligée d’accepter.  

[46] La Commission a soumis des déclarations de l’employeur. Il confirme qu’en tant que chef d’équipe la prestataire est au deuxième rang dans la liste d’ancienneté. L’employeur a fourni des détails concernant plusieurs semaines de l’été 2017 et de l’été 2018 pour savoir si la prestataire aurait pu travailler :     

  1. a)  La prestataire était au deuxième rang de la liste d’ancienneté en tant que chef d’équipe.
  2. b)  La prestataire aurait gardé son titre de chef d’équipe et il n’y aurait pas eu de réduction de rémunération.
  3. c)  Plusieurs semaines durant l’été des chefs d’équipe avec moins d’ancienneté travaillaient.  
  4. d)  La prestataire aurait pu travailler pendant ces semaines.
  5. e)  Pendant certaines semaines, un autre chef d’équipe avec plus d’ancienneté travaillait. Donc, la prestataire n’aurait pas pu travailler comme chef, mais elle aurait pu remplacer quelqu’un exerçant un emploi avec un salaire inférieur. Toutefois, elle n’était pas tenue à le faire.
  6. f)   La différence salariale entre les emplois de chef d’équipe et d’aide générale était de 1,55 $ par heure.

[47] La Commission a soumis des éléments de preuve de l’employeur qui appuient l’argument selon lequel la prestataire aurait été mise à pied sans égard au fait qu’elle s’est portée volontaireNote de bas de page 8. Le représentant de l’employeur a dit que tout le monde reçoit un avis de mise à pied, car toute modification de l’horaire – même une réduction d’une heure – constitue une mise à pied selon la convention collective.  

[48] Toutefois, le même représentant de l’employeur a fourni à la Commission des détails concernant les conséquences qu’aurait subies la prestataire si elle avait choisi de rester au travail au lieu de se porter volontaire pour la mise à pied.  

[49] La Commission affirme que l’information de l’employeur montre que la prestataire aurait pu travailler la majorité de l’été en tant que chef d’équipe. Selon la Commission, elle savait qu’elle allait probablement travailler moins d’heures et qu’elle gagnerait moins d’argent, donc elle a choisi volontairement d’être mise à pied. De sorte qu’elle a rejeté la possibilité de travailler moins d’heures afin de ne pas travailler du tout.  

[50] Je suis convaincu que si la prestataire avait choisi de rester au travail, elle aurait éventuellement reçu un avis de mise à pied. Une fois l’avis reçu, toutefois, il y avait deux possibilités. La prestataire aurait été exclue de l’horaire de travail jusqu’au rappel au travail ou elle aurait fait partie de l’horaire de travail comme chef d’équipe ou dans un autre rôle.

[51] Je préfère la preuve de la Commission selon laquelle l’employeur a déclaré que la prestataire aurait fait partie de l’horaire de travail en tant que chef d’équipe, car les autres chefs avec moins d’ancienneté travaillaient durant ces semaines d’été. L’employeur a précisé que pendant plusieurs semaines la prestataire aurait travaillé comme chef d’équipe sans que son salaire en soit modifié.

[52] Compte tenu des déclarations de l’employeur, je suis convaincu que la prestataire aurait pu travailler un certain temps comme chef d’équipe, car il n’y a qu’un seul employé qui a plus d’ancienneté qu’elle. De plus, si un emploi de chef d’équipe n’était pas disponible, elle aurait pu supplanter quelqu’un ayant moins d’ancienneté tant qu’elle est capable d’effectuer le travail.    

[53] Il n’y a qu’un seul employé qui avait plus d’ancienneté que la prestataire et qui travaillait comme chef d’équipe. L’employeur a indiqué quelques semaines pendant lesquelles la prestataire n’aurait pas pu travailler comme chef d’équipe, puisque le seul chef avec plus d’ancienneté qu’elle travaillait à ce moment-là. L’employeur a aussi confirmé que pendant ces semaines la prestataire aurait pu supplanter un employé exerçant un emploi avec un salaire inférieur (aide générale). Mais, elle n’était pas tenue à le faire.

[54] Compte tenu des renseignements fournis par l’employeur, je suis convaincu qu’il n’y a pas de modification importante des conditions relatives au salaire ou au traitement. La prestataire aurait travaillé la grande majorité du temps en tant que chef d’équipe sans que cela ait d’incidence sur son taux salarial. Il n’y a pas eu non plus de changements importants dans ses tâches professionnelles. Elle est la chef d’équipe des caissières. Elle connaît le rôle de caissière et est qualifiée pour le remplir. En fait, sa convention collective prévoit expressément la possibilité qu’elle puisse remplacer quelqu’un de ce rang.

[55] La prestataire pensait que si elle avait été mise à pied, elle n’aurait pas été en mesure de travailler comme chef d’équipe et il y aurait eu des changements importants quant à ses tâches, ses heures et son salaire. Mais elle ne pouvait pas savoir avec certitude quand elle serait mise à pied, pour combien de temps ni quelles auraient été ses tâches et son salaire dans une semaine donnée.

[56] Ses spéculations ne sont pas suffisantes pour conclure qu’elle était fondée à accepter une mise à pied volontaire lorsqu’elle l’a fait, puisqu’avant d’exercer son droit de rester, il n’y avait aucun moyen de savoir quelle serait la conséquence d’une future mise à pied. La spéculation ne peut constituer un fondement solide pour conclure qu’elle aurait été mise à pied dans la mesure où ses fonctions, ses heures de travail et son salaire auraient été affectés de façon importante.

Je suis convaincu que si la prestataire n’avait pas volontairement accepté la mise à pied, elle aurait travaillé beaucoup comme chef d’équipe pendant les périodes estivales de 2017 et 2018. Si elle avait choisi de faire valoir son droit de travailler, conformément à sa convention collective, son niveau d’ancienneté pouvait quasiment garantir un emploi régulier lors de ces périodes.

[57] Pour le nombre limité de semaines pendant lesquelles elle n’aurait pas pu travailler comme chef d’équipe, elle aurait pu accepter de remplacer une personne ayant moins d’ancienneté. Je suis convaincu que cela aurait duré un nombre limité d’heures pendant la période estivale, et que cela n’aurait pas eu d’effet négatif important sur elle.

[58] Je suis également convaincu que les fonctions de chef d’équipe des caissières et celles de caissière sont suffisamment similaires; elles ne peuvent pas être considérées comme significativement différentes. Je considère qu’il aurait été raisonnable pour la prestataire d’accepter les tâches moins importantes qu’elle était capable d’effectuer et de continuer à travailler plutôt que de décider que les tâches étaient si différentes qu’elles l’empêchaient de rester. J’estime que la possibilité d’une réduction des heures et du salaire n’a pas rendu son emploi si intolérable qu’il était impossible pour elle de continuer à travailler et de justifier son congé lorsqu’elle l’a pris.

[59] Je dois maintenant décider si la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi au moment où elle l’a fait.

Est-ce que la prestataire avait une solution raisonnable autre que celle d’accepter volontairement la mise à pied au moment où elle l’a fait?

[60] Je conclus que la prestataire avait une solution raisonnable autre que celle de prendre congé au moment où elle l’a fait. J’ai déjà expliqué ma conclusion selon laquelle au moment qu’elle a demandé la mise à pied volontaire, cela équivalait à la prise d’un congé de travail en 2017 et 2018.

[61] La prestataire dit qu’elle n’avait pas de solution raisonnable, car si elle avait remplacé quelqu’un, elle aurait dû accepter un emploi avec moins d’heures et une rémunération réduite. J’ai aussi expliqué ci-dessus que je ne suis pas convaincu que les circonstances qui seraient survenues si elle ne s’était pas portée volontaire pour la mise à pied auraient été si intolérables qu’elle n’aurait pas pu continuer à travailler.

[62] Elle avait une solution raisonnable autre que celle de prendre congé au moment où elle l’a fait. Elle aurait pu choisir de ne pas accepter la mise à pied volontaire et de rester au travail. D’après mes conclusions ci-dessus, elle aurait travaillé comme chef d’équipe la plupart du temps. Même si elle avait choisi de supplanter un autre employé et d’accepter le travail de caissière, elle aurait probablement travaillé beaucoup plus que la plupart des gens, compte tenu de son ancienneté.

[63] J’ai noté que l’idée de faire valoir son ancienneté afin de se porter volontaire pour la mise à pied est fondée sur la croyance qu’il est souhaitable de ne pas travailler pendant l’été. Ceux qui ont le plus d’ancienneté préfèrent ne pas faire partie de l’horaire de travail. Que ce soit pour des raisons personnelles ou d’autres circonstances, il n’en reste pas moins qu’ils choisissent de se mettre en situation de chômage.

[64] La Loi sur l’assurance-emploi ne le permet pas. Les prestations d’assurance-emploi doivent indemniser les prestataires dont l’emploi a pris fin involontairementNote de bas de page 9. Elles ne peuvent pas être utilisées pour indemniser les employés qui souhaitent simplement s’absenter du travail parce qu’ils préfèrent ne pas travailler ou simplement parce que cela est commode.  

Autres préoccupations soulevées par la prestataire

[65] La prestataire a exprimé ses préoccupations quant au fait qu’elle était la seule employée « ciblée » par la Commission et à qui on a demandé de rembourser les prestations. La prestataire affirme que la pratique de demander un congé volontaire se poursuit et que d’autres personnes n’ont pas été exclues du bénéfice de prestations. Elle dit que ce n’est pas juste et que la Commission devrait se pencher sur tous les cas où quelqu’un s’est porté volontaire pour une mise à pied, non pas seulement elle.

[66] Je n’ai pas compétence pour examiner ou résoudre cette question. Je compatis avec la prestataire sur cette question. Une fois que la Commission a été mise au courant de cette pratique, elle avait l’obligation de s’assurer qu’elle enquêtait sur tous les cas similaires et d’assurer une application uniforme de la loi. Si elle n’agit pas ainsi, un abus continu est possible et on verra diminuer la confiance dans le programme d’assurance-emploi.

[67] La prestataire a aussi avancé qu’il ne devrait pas avoir de dette puisque le délai de deux ans pour recouvrer une dette, prévu par le délai de prescription de l’Ontario, s’était écoulé. La Commission a commencé son enquête dans des délais autorisés par la loiNote de bas de page 10. Une fois débutés, tous les processus d’appel développés par la suite mettent fin au délai de 72 mois fixé pour recouvrer une detteNote de bas de page 11. La prestataire ne peut pas se fier au délai de prescription de l’Ontario pour radier la dette.

Conclusion

[68] La prestataire n’était pas fondée à prendre deux congés de travail sous forme de mise à pied volontaire. Au moment où elle a pris un congé, elle n’avait pas épuisé toutes les options raisonnables. Cela signifie qu’elle n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi pendant ces périodes de congé.

[69] L’appel de la prestataire est rejeté.

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