Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TY c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 940

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. Y.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (435395) datée du 28 septembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Suzanne Graves
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 novembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelant

Date de la décision : Le 21 novembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-2023

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Cela signifie que le prestataire peut recevoir cinq semaines de prestations parentales partagées, immédiatement après la fin du versement des prestations de maternité et des prestations parentales de son épouse.

Aperçu

[2] Le bébé du prestataire est né le 13 août 2020. Le prestataire et son épouse ont décidé de diviser le nombre maximal de prestations parentales standards permis par la Loi sur l’assurance-emploi. Puisqu’ils se partagent les prestations parentales, la Loi sur l’assurance-emploi leur permet de prendre jusqu’à cinq semaines supplémentaires de prestations standards.

[3] Les deux parents ont décidé de prendre 40 semaines de prestations parentales partagées. Le prestataire affirme avoir compris que, tant qu’il commençait son congé avant le premier anniversaire de son enfant, il recevrait les cinq semaines supplémentaires de prestations partagées. Il prévoyait de prendre son congé pour combler l’écart après le retour au travail de son épouse.

[4] Le prestataire a présenté une demande de prestations le 11 août 2021. Il a demandé cinq semaines de prestations, mais n’en a reçu qu’une seule. Après la fin du versement, il a appelé Service Canada. On lui a dit que les prestations ne pouvaient pas être versées une fois que son enfant avait atteint l’âge d’un an.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada soutient que le prestataire ne peut pas recevoir les cinq semaines de prestations parentales qu’il a demandées parce que les prestations parentales standards ne sont payables qu’au cours de la « période de prestations parentales » de 52 semaines prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle affirme que la période de prestations parentales du prestataire prend fin le 14 août 2021.

Question en litige

[6] Le prestataire peut-il recevoir cinq semaines de prestations parentales partagées, dont quatre semaines réclamées plus de 52 semaines après la naissance de son enfant?

Analyse

[7] Les prestations parentales sont payables à une partie prestataire qui prend soin de son nouveau-néNote de bas de page 1. La Loi sur l’assurance-emploi précise que les prestations parentales sont habituellement payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui commence avec la semaine de la naissance de l’enfant ou celle au cours de laquelle l’enfant est placé chez le parent en vue de son adoption et qui se termine après 52 semainesNote de bas de page 2.

[8] La période de 52 semaines suivant la naissance ou le placement d’un bébé est appelée « période de prestations parentales ». Cette période peut être prolongée dans certaines circonstances. Par exemple, elle peut être prolongée de 26 semaines pour permettre à une partie prestataire de recevoir des prestations parentales prolongées.

[9] Lorsqu’une partie prestataire demande plus d’un type de prestations spéciales, la période de prestations parentales est prolongée pour lui permettre de demander le nombre maximal de prestations spéciales permises par la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 3. La période peut également être prolongée lorsque le bébé de la partie prestataire est hospitalisé.

[10] Le nombre maximal de semaines de prestations parentales pouvant être versées à une partie prestataire individuelle au cours d’une période de prestations est de 35 semaines pour les prestations parentales standards ou de 61 semaines pour les prestations parentales prolongées, selon le choix de la partie prestataireNote de bas de page 4.

Semaines supplémentaires de prestations parentales partagées

[11] En 2018, le gouvernement a adopté la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, qui prévoit des semaines supplémentaires de prestations parentales lorsque ces prestations sont partagées entre deux parentsNote de bas de page 5. J’appellerai cette loi modificative « projet de loi C‑86 ». Les nouveaux articles ajoutés par le projet de loi C‑86 précisent que lorsque les prestations sont partagées entre deux parents, ceux-ci peuvent recevoir cinq semaines supplémentaires de prestations parentales standards ou huit semaines supplémentaires de prestations parentales prolongéesNote de bas de page 6.

Le prestataire peut-il recevoir des prestations parentales partagées plus de 52 semaines après la naissance de son bébé?

[12] Le prestataire peut recevoir les cinq semaines de prestations parentales partagées. La période de prestations parentales ne s’applique pas pour l’empêcher de recevoir les prestations parentales partagées supplémentaires permises au titre de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Mes motifs sont exposés ci-dessous.

La Loi sur l’assurance-emploi est-elle claire quant à l’interaction entre la période de prestations parentales et les prestations partagées supplémentaires permises par le projet de loi C‑86?

[13] Je pense que le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique pour empêcher une partie prestataire de recevoir les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées permises par l’article 23(4) de la loi.

[14] La Commission soutient que les prestations parentales ne sont payables que pendant la période de prestations parentales, qui commence avec la semaine de la naissance de l’enfant ou celle au cours de laquelle l’enfant est placé chez la partie prestataire en vue de son adoption et qui se termine après 52 semaines. Elle affirme que la Loi sur l’assurance-emploi doit être interprétée selon son sens ordinaire et que les arbitres n’ont pas le pouvoir de la modifierNote de bas de page 7. De plus, la Commission s’appuie sur la décision CUB 46747, rendue par un ancien juge-arbitre, selon laquelle une partie prestataire n’était pas admissible aux prestations parce qu’elle a demandé des prestations plus de 52 semaines après le placement de l’enfant dans son domicileNote de bas de page 8.

[15] Le prestataire affirme qu’il a agi en fonction des renseignements dont il disposait et que le site Web du gouvernement n’est pas clair. Il a compris qu’il pouvait demander des prestations s’il en faisait la demande avant que son enfant ait un an. Il avait prévu de prendre son congé lorsque son épouse retournerait au travail. Il a seulement reçu un versement de prestations. Il a appelé Service Canada et on lui a dit qu’il y avait eu une erreur dans le système et qu’elle serait corrigée. La semaine suivante, Service Canada lui a dit qu’il aurait dû recevoir toutes les prestations au plus tard le 14 août 2021. Le prestataire était surpris, car c’était la première fois qu’on lui en parlait.

[16] La Commission reconnaît ne pas avoir avisé le prestataire de sa décision et regrette son erreur administrative. Elle affirme toutefois qu’un malentendu entre la Commission et une partie prestataire ne peut pas modifier les dispositions et l’interprétation de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[17] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que la Loi sur l’assurance-emploi doit être appliquée telle qu’elle est rédigée, même si la Commission a commis des erreurs en communiquant avec le prestataire. Si le problème de communication était la seule question en litige dans le cas présent, j’aurais été d’accord avec la Commission.

[18] Toutefois, je suis en désaccord avec l’argument de la Commission selon lequel le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi à cet égard est clair. En fait, il y a eu une grande confusion quant à savoir si la période de prestations parentales s’applique aux prestations partagées supplémentaires permises par l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[19] Dans un certain nombre d’appels précédents devant le Tribunal de la sécurité sociale, les parties prestataires ont déclaré au Tribunal que les agentes et agents de la Commission leur avaient dit qu’elles pouvaient demander des prestations parentales partagées l’une après l’autre, au-delà d’une période de prestations parentales de 52 ou de 78 semainesNote de bas de page 10. Il s’agit, en soi, d’un indicateur important que le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas clair.

[20] Je note également que la décision CUB 46747 a été rendue avant l’adoption du projet de loi C‑86, qui ajoute les prestations parentales partagées supplémentaires à la Loi sur l’assurance-emploi. Pour l’instant, ni les tribunaux ni la division d’appel du Tribunal ne donnent de directives sur l’interaction entre la période de prestations parentales et les prestations partagées supplémentaires.

[21] Je reconnais que dans la plupart des décisions précédentes, le Tribunal a conclu que la période de prestations parentales s’applique aux demandes de prestations parentales partagées supplémentaires. Cependant, je ne suis pas tenue de suivre les décisions antérieures du Tribunal et j’ai décidé de ne pas le faire parce que je ne crois pas que la loi est claire.

[22] J’estime que la loi n’est pas claire pour les trois raisons suivantes.

Conflit entre la période de prestations parentales et les prestations supplémentaires

[23] Premièrement, la Commission soutient que les prestations parentales partagées doivent être réclamées au cours d’une période de prestations parentales de 52 semaines. Toutefois, s’il faut respecter une période de prestations parentales de 52 semaines, il n’est pas mathématiquement possible pour deux parents de prendre les 40 semaines de prestations partagées standards de façon séquentielle, si le versement des 15 semaines de prestations de maternité du parent ayant donné naissance prend fin après la naissance du bébé. En effet, 15 semaines de prestations de maternité, suivies de 40 semaines de prestations parentales standards partagées donnent un total de 55 semaines de prestations. Cela ne comprend pas les semaines autorisées pour un délai de carence.

[24] Rien dans la Loi sur l’assurance-emploi n’indique que les semaines supplémentaires de prestations parentales partagées doivent chevaucher les prestations de l’autre parent pour que les parents puissent les recevoir. Le prestataire soutient qu’aucun des exemples de prestations partagées présentés sur le site Web de Service Canada ne comprend des situations où deux parents se partagent les prestations supplémentaires en demeurant à la maison et en demandant des prestations en même temps.

[25] J’estime donc que la période de prestations parentales prévue à l’article 23(2) de la Loi sur l’assurance-emploi entre en conflit avec les prestations partagées supplémentaires permises par la combinaison des articles 12(4) et 23(4) de la loi.

[26] Je trouve improbable que le gouvernement ait introduit des semaines supplémentaires de prestations partagées pour exiger seulement que les deux parents prennent les prestations partagées en même temps. Le fait d’autoriser des semaines supplémentaires de prestations, mais d’exiger que les semaines se chevauchent, ne permet pas nécessairement au parent ayant donné naissance de retourner au travail plus tôt.

Les dispositions relatives à la période de prestations parentales ne mentionnent pas les prestations parentales partagées supplémentaires

[27] Deuxièmement, les articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’assurance-emploi (dispositions relatives à la période de prestations parentales) ne font pas référence aux semaines supplémentaires de prestations partagées.

[28] Il est vrai que l’article 23(2)(b) de la Loi sur l’assurance-emploi précise que des prestations sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui « se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants [de la partie] prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés ».

[29] Toutefois, le libellé de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, ajouté plus tard par le projet de loi C‑86 (qui autorise les semaines supplémentaires de prestations partagées), fait expressément référence au montant des semaines de prestations parentales partagées comme étant les « semaines de prestations qui doivent être payées au titre du présent article [...] jusqu’à concurrence de quarante semainesNote de bas de page 11 ».

[30] Le libellé de l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi donne à penser que les semaines supplémentaires de prestations partagées sont permises, indépendamment de la période de prestations parentales.

[31] J’estime donc que la Loi sur l’assurance-emploi est ambiguë et, au mieux, n’aborde pas le fait de savoir si les prestations supplémentaires partagées sont assujetties à la période de prestations parentales.

Les dispositions relatives aux prestations parentales du projet de loi C‑86 contiennent des précisions importantes

[32] Troisièmement, lorsque les prestations partagées supplémentaires ont été ajoutées à la Loi sur l’assurance-emploi, le projet de loi C‑86 comprenait d’importantes précisions, apparemment pour s’assurer qu’il n’y avait pas de malentendu au sujet de l’admissibilité des parties prestataires aux prestations.

[33] L’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi précise que, lorsque deux parties prestataires de la première catégorie présentent chacune une demande de prestations parentales standards, les semaines de prestations qui doivent être payées peuvent être divisées entre elles, jusqu’à concurrence de 40 semaines. L’article 23(4.1) ajoute « [i]l est entendu que » le nombre total de semaines pouvant être payées pour le même enfant ou les mêmes enfants est limité à 40 semaines de prestations parentales standards ou à 69 semaines de prestations parentales prolongées.

[34] L’article 23(4.11) de la Loi sur l’assurance-emploi précise que le nombre maximal de semaines pouvant être payées à une partie prestataire est de 35 ou de 61 semaines, même si le nombre de semaines de prestations est divisé conformément aux articles 23(4) et 23(4.1).

[35] Toutefois, bien que le législateur ait pris soin d’insister sur les limites des prestations supplémentaires, le projet de loi C‑86 ne précise pas qu’il y a une « période de prestations parentales » et que lorsque des prestations partagées sont demandées, ces prestations parentales doivent se chevaucher.

[36] Si le législateur avait eu l’intention de limiter les prestations parentales partagées supplémentaires permises par l’article 23(4) à une période de prestations parentales de 52 ou de 78 semaines, je pense qu’il l’aurait fait. Cela aurait été une simple clarification. Cependant, la loi ne prévoit pas que les prestations partagées, si elles sont prises, doivent généralement chevaucher celles de l’autre parent.

L’ambiguïté législative doit se résoudre en faveur du prestataire

[37] La Cour suprême du Canada a déclaré que la loi est conçue pour rendre les prestations accessibles rapidement aux personnes sans emploi qui y sont admissibles et qu’elle devrait être interprétée de façon libérale à cette finNote de bas de page 12.

[38] La Cour suprême du Canada a également déclaré, dans le contexte d’une loi conférant des avantages, qu’une loi doit être interprétée de façon libérale et généreuse et que « tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur [de la partie prestataire]Note de bas de page 13 ».

[39] Il y a un conflit apparent entre la période de prestations parentales prévue aux articles 23(2) à 23(3.4) de la Loi sur l’assurance-emploi et les dispositions qui permettent le partage des semaines supplémentaires de prestations parentales visées à l’article 23(4) de la loi. Comme les dispositions législatives ne sont pas claires, l’ambiguïté causée par ce conflit doit se résoudre en faveur du prestataire.

Le prestataire peut-il donc recevoir les cinq semaines de prestations parentales standards partagées?

[40] Oui. Le prestataire peut recevoir les cinq semaines de prestations parentales partagées. Je conclus que la Loi sur l’assurance-emploi permet le versement de prestations parentales partagées, y compris les semaines supplémentaires de prestations parentales standards, de façon séquentielle lorsque les prestations sont partagées entre deux parents.

[41] J’ai examiné le libellé de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi et l’intention de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la Commission selon lequel la période de prestations parentales s’applique pour empêcher les parties prestataires de recevoir les semaines supplémentaires de prestations permises par l’article 23(4) de la Loi sur l’assurance-emploi, lorsque ces prestations sont partagées entre deux parents et prises l’une après l’autre.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli.

[43] Cela signifie que le prestataire peut recevoir les cinq semaines de prestations parentales standards partagées, immédiatement après la fin du versement des prestations de maternité et des prestations parentales de son épouse.

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