Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 249

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (443301) datée du 14 décembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 25 janvier 2022 et le 7 février 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 11 février 2022
Numéro de dossier : GE-21-2561

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante a prouvé qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à X le 20 septembre 2021.

[3] Par conséquent, l’appelante n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification prévue par la loi.

Aperçu

[4] L’appelante a fait une demande de prestations régulières d’AE. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle avait quitté son emploi à X (l’école) en raison de problèmes de santé causés par ses conditions de travail. La Commission a examiné la raison derrière sa cessation d’emploi et a décidé qu’elle avait quitté son emploi le 20 septembre 2021 sans justification. Par conséquent, elle n’a pas pu recevoir de prestations d’AE.

[5] L’appelante a demandé à la Commission de réviser sa décision. Elle a affirmé que l’administratrice scolaire changeait ses tâches sans préavis, faisait des allégations non fondées à son égard, et créait un milieu de travail toxique ayant un impact négatif sur sa santé. La Commission a discuté avec l’administratrice. Celle-ci a nié les allégations portées par l’appelante et a affirmé que cette dernière a simplement quitté le travail sans donner de raison. Plus tard, l’administratrice a envoyé un texto à l’appelante, mais n’a pas reçu de réponse. Un relevé d’emploi (RE) a été produit le 29 septembre 2021 avec le code de « départ volontaire ».

[6] La Commission a maintenu sa décision d’exclure l’appelante. Cette dernière a porté la décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Je dois décider si l’appelante a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.

[8] L’appelante affirme qu’elle a démissionné à cause des comportements abusifs de l’administratrice. Ceux-ci représentaient un danger à sa santé et ont rendu les conditions de travail si toxiques qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de démissionner.  

[9] La Commission affirme que l’appelante aurait pu tenter de résoudre ses conflits avec l’administratrice et garder son emploi en répondant à son texto. Elle affirme aussi que l’appelante aurait pu consulter son médecin au sujet d’un congé de maladie pour son stress et évaluer son état de santé objectivement avant de décider de démissionner.

[10] Je suis d’accord avec l’appelante. J’estime aussi que l’appelante a épuisé toutes les solutions raisonnables avant de quitter son emploi le 20 septembre 2021. Par conséquent, l’appelante n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’AE.

[11] Voici les motifs de ma décision.

Question préliminaire

[12] L’audience a débuté le 25 janvier 2022, mais elle a été ajournée à la demande de l’appelante parce qu’elle recueillait des preuves et envoyait toujours des documents au Tribunal. Elle avait aussi quelqu’un qui allait témoigner au sujet des comportements abusifs de l’administratrice et du milieu de travail toxique à l’école. Cependant, la témoin n’avait pas reçu le lien de la vidéoconférence pour participer à l’audience.

[13] La demande d’ajournement a été accordée et l’audience a repris le 7 février 2022.

[14] L’appelante a envoyé des documents jusqu’au 6 février 2022. Ce ne sont pas tous les documents qui ont été téléchargés et rendus accessibles avant que l’audience commence le 7 février 2022. Je pouvais seulement visionner et prendre en considération jusqu’à GD11. Le document à GD11 a été transmis à la Commission le 7 février 2022, et celle-ci a confirmé qu’elle n’avait pas d’observations supplémentairesNote de bas de page 1.

[15] L’appelante a affirmé qu’elle avait envoyé deux autres documents la nuit avant l’audience. Ceux-ci n’ont pas été téléchargés à son dossier à temps pour l’audience. J’ai dit à l’appelante que je n’admettrais ou n’examinerais pas les documents qui pourraient encore être dans les mains du greffe du Tribunal parce qu’ils n’ont pas été traités à temps pour être partagés avec la Commission. L’appelante a affirmé qu’elle avait compris et qu’elle voulait quand même poursuivre l’audience.

Question en litige

[16] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?

[17] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelante. Je dois ensuite décider si elle était fondée à quitter son emploi.

Analyse

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[18] Selon le relevé d’emploi de l’appelante, elle travaillait comme aide-comptable à X jusqu’au 20 septembre 2021, le jour de sa démission.

[19] Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelante a quitté volontairement son emploi. Je n’ai aucune preuve du contraire.

[20] L’appelante a entrepris la rupture de sa relation de travail quand elle a quitté le travail le 20 septembre 2021 et n’est pas retournée travailler quand il lui restait du travail à faire pour son employeur. J’estime donc qu’elle a volontairement quitté son emploi après sa dernière journée de travail le 20 septembre 2021.

L’appelante était-elle fondée à quitter volontairement son emploi?

[21] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[22] La loi prévoit qu’une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 2.

[23] Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.

[24] La loi explique ce que veut dire « être fondée à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.

[25] L’appelante est responsable de prouver que son départ était fondéNote de bas de page 4.

[26] Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi le 20 septembre 2021 était la seule solution raisonnable.

[27] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand elle a quitté son emploi.

[28] L’appelante affirme que son départ était fondé parce que les comportements abusifs de l’administratrice ont rendu le milieu de travail si toxique qu’il est devenu intolérable. De plus, le stress résultant de la conduite de l’administratrice représentait un danger pour sa santé.

[29] Je considérerai chacune de ces raisons une à une.

Question en litige 1 : Les comportements abusifs de l’administratrice ont-ils rendu le milieu si toxique que l’appelante n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de démissionner?

[30] L’appelant a soulevé deux motifs liés : les comportements abusifs envers elle et les conditions de travail toxiques qui résultent des comportements abusifs de l’administratrice. J’examinerai les deux.

[31] L’appelante prétend que l’administratrice scolaire adoptait des comportements abusifs envers elle. La loi dit qu’une partie prestataire sujette à du harcèlement de nature sexuelle ou autre est fondée à quitter son emploi si elle n’a pas d’autre solution raisonnable que celle de démissionnerNote de bas de page 5.

[32] L’appelante prétend aussi que les comportements abusifs de l’administratrice ont rendu le milieu de travail si toxique qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de démissionner. Les tribunaux ont énoncé qu’une partie prestataire est fondée à quitter son emploi en raison de conditions de travail insatisfaisantes uniquement quand celles-ci sont si manifestement intolérables que le départ est la seule solution raisonnableNote de bas de page 6. Par contre, il y a une attente que la partie prestataire cherche des solutions aux conditions intolérables avant son départNote de bas de page 7.

La preuve à l’audience

[33] L’appelante a invité une ancienne collègue à témoigner au sujet des comportements abusifs de l’administratrice et de leurs effets sur le milieu de travail. Elle a aussi déposé des documents supplémentaires comme éléments de preuve à l’appui des renseignements qu’elle avait fournis à la Commission, en plus de livrer son propre témoignage détaillé.

[34] Je vais commencer avec le témoignage de la témoin de l’appelante, car celle-ci a fourni des renseignements de base importants à propos de l’école et des comportements de l’administratrice avant et après que l’appelante était embauchée.

  1. a)  Témoignage de E. L., la témoin

[35] La témoin de l’appelante, E. L., a déclaré ce qui suit :

La période d’emploi de E. L. à l’école

  • E. L. a travaillé à l’école en tant que professeure de mathématiques pour une durée de 25 ans, avant de démissionner en décembre 2017.
  • L’appelante a commencé à travailler à l’école en tant qu’aide-comptable en 2014Note de bas de page 8.

Renseignements sur l’école

  • L’école était initialement associée aux X, une communauté autochtone à X, et était destinée aux enfants de la réserve mohawk.
  • Les salles de cours étaient petites. L’enseignement et la gestion avaient une approche collaborative. Tout le monde se concentrait à combler les besoins particuliers de ces enfants. C’était un endroit très spécial où elle adorait enseigner, jusqu’à ce que « A. » arrive.  
  • Quand le premier responsable de l’administration scolaire est décédé en 2014, « A. », l’administratrice actuelle, a pris la relève.
  • A. ne s’entendait pas bien avec les X et a finalement rompu sa relation avec euxNote de bas de page 9.

Le lieu de travail sous la direction de A.

  • A. a changé l’approche collaborative pour un « système autocratique », pour que seulement elle puisse exercer son autorité sur chaque petit détail.
  • A. a retiré la salle du personnel et a dit aux enseignants qu’ils ne pouvaient plus se rassembler, même à l’intérieur des salles de classe. Elle a installé des caméras en circuit fermé à travers l’école et regardait constamment le flux vidéo. Elle surveillait même les pages Facebook des enseignants et les confrontait s’ils avaient publié quelque chose sur l’école.
  • Pendant la première année de A. en tant qu’administratrice (2014), quatre des neuf enseignants ont démissionné à cause d’elle et des changements radicaux qu’elle a apportés à l’école. Comme E. L., ces quatre enseignants étaient des employés de longue date et n’avaient aucune intention de partir avant l’arrivée de A.
  • Cela a marqué le début d’un roulement du personnel annuel, du jamais vu avant l’arrivée de A.

Les comportements abusifs de A.

  • Quand elle interagissait avec le personnel, A. était une intimidatrice. Elle rabaissait régulièrement le personnel devant d’autres collègues et des parents. Elle montait les membres du personnel les uns contre les autres et semait délibérément la discorde au travail. Elle manipulait le personnel et profitait de celui-ci.
  • Les comportements de A. étaient abusifs et ont rendu le lieu de travail toxique. Les employés n’avaient pas le moral et leur niveau de stress était toujours très élevé.
  • A. a même tenté de « discréditer » E. L. parce que son programme de mathématiques était reconnu et attirait des étudiants à l’école. Elle dénigrait E. L. à l’école et dans la communauté. De plus, elle a refusé d’offrir le soutien éducatif alloué au programme de mathématiques et l’a donné au cours de langue.

Résolution des conflits avec A.

  • Il n’y a pas de vrai conseil d’administration à l’écoleNote de bas de page 10.
  • Il n’y a personne envers qui A est responsable.
  • Au début, quand E. L. avait un conflit, elle essayait d’en parler à A. Cependant, elle s’est vite rendu compte que A. ne l’écouterait pas et qu’elle n’avait pas envie de trouver de solution. A. ne produirait qu’un « ordre direct », mais ça ne réglait jamais le problème « parce qu’elle n’écoutait jamais ».
  • Parfois, A. empirait même les choses. Une fois, E. L. était en conflit avec un autre membre du personnel enseignant. La solution de A. était de les réunir, mais au lieu de tirer les choses au clair et de tenter de résoudre le problème, A. les a montés l’une contre l’autre. Ensuite, A. a dit à E. L. « c’était amusant de vous voir aller ».
  • Le milieu de travail était toxique parce que ce genre de chose arrivait régulièrement.
  • À l’école, il y avait des réunions du personnel chaque semaine. Cependant, chaque fois que E. L. soulevait un problème ou une préoccupation qu’elle avait, A. disait que « ce n’est pas dans l’ordre du jour » et refusait d’en discuter. Quand E. L. tentait d’inscrire le problème dans l’ordre du jour pour la prochaine réunion, sa demande était refusée. A. disait « on ne discutera pas de cela ». 
  • L’approche de A. était de « refuser catégoriquement et ça finissait là ».
  • Ce genre de chose est arrivé à E. L. à maintes reprises. A. « ne céderait jamais », donc il n’y avait aucune façon de résoudre des problèmes avec elle. 
  • E. L. a enfin écrit une longue lettre adressée à A. décrivant tous ses problèmes et ses préoccupations au sujet de la façon dont elle était traitée et ce dont elle avait besoin pour son programme. A. n’y a jamais porté attention ni répondu. 
  • En décembre 2017, le médecin de E. L. était préoccupé par l’impact que le stress causé par les comportements abusifs de A. et par le milieu de travail toxique avait sur sa santé. Son médecin lui a conseillé de démissionner en raison de l’effet que son travail avait sur elle.
  • E. L. a décidé de démissionner et a donné deux semaines de préavis qui tombaient pendant les fêtes. Elle a quitté son emploi à l’école à la fin de décembre 2017. Elle se sent encore mal d’avoir laissé ses étudiants comme ça, au beau milieu de l’année scolaire et sans leur avoir dit au revoir. Cependant, elle n’avait « pas d’autre moyen » que celui de partir.
  • Quand elle a démissionné, E. L. était déjà au courant que l’appelante avait aussi « de la difficulté » à son travail avec A.
  • L’appelante faisait très bien son travail et était rapide et efficace, mais E. L. voyait à quel point elle était stressée à cause des comportements de A. et de sa façon de traiter les gens. Elles ont essayé d’être là l’une pour l’autre, mais en fin de compte E. L. n’avait « pas le choix » de démissionner.

[36] J’accorde une grande importance au témoignage de E. L. et je le considère comme crédible dans son entièreté.

[37] Grâce à sa longue expérience de travail à l’école et à ses interactions personnelles avec l’administratrice, elle était bien qualifiée pour témoigner au sujet des comportements de l’administratrice et des conditions de travail résultant de ceux-ci, à la fois avant et après que l’appelante a commencé à travailler à l’école.

[38] Je reconnais que E. L. et l’appelante sont amies. Cependant, je suis convaincue que leur relation d’amitié n’était pas le fondement du témoignage de E. L. Comme E. L. était émotive pendant son témoignage, j’ai pu constater que ses expériences avec l’administratrice étaient réelles et toujours troublantes. E. L. a livré son témoignage volontairement et spontanément, sans avoir entendu celui de l’appelanteNote de bas de page 11.

[39] Les renseignements fournis par E. L. sont très pertinents aux questions que je dois traiter. Son témoignage a aussi corroboré les éléments de preuve de l’appelante et le fait qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi le 20 septembre 2021.

[40] Maintenant, je vais passer au témoignage de l’appelante.

  1. b) Témoignage de l’Appelante

[41] L’appelante a déclaré ce qui suit :

Renseignements

  • Elle fait partie de la communauté mohawk de X.
  • Elle travaillait dans la réserve mohawk depuis 20 ans.
  • Elle a commencé à travailler à l’école en 2014.
  • Elle aimait travailler à l’école, voir les enfants chaque jour et servir sa communauté de cette façon.
  • Elle ne voulait pas quitter son emploi à l’école, mais après sept ans de stress et de conflits avec A., elle n’en pouvait plus.
  • Elle s’est rendu compte que sa relation de travail avec A. était une relation de violence, car elle était similaire à sa relation avec son père alcoolique pendant son enfance. Elle était toujours à fleur de peau et ne pouvait rien faire correctement. Le stress constant a nui à sa santé.
  • « La violence, c’est de la violence ».
  • Elle a fourni des extraits de texto qu’elle a reçus de A. à GD9-2 et à GD9-10. Ceux-ci démontrent le langage abusif que A. utilisait avec l’appelante en plus de ses demandes. Ils montrent aussi que A. se plaignait au sujet du personnel, des parents et même des étudiants à leur insu. Elle essayait de faire participer l’appelante. Ces extraits montrent aussi que A. était préoccupée par des « théories du complot » et croyait qu’on voulait lui prendre son emploi.

Été 2021

  • L’appelante travaillait de la maison entre mars et juin 2021, quand les écoles étaient fermées à cause de la pandémie. Cependant, la « tyrannie » exercée par A. « était pareille ».
  • La situation des employés au bureau administratif de l’école était hautement toxique à cause de l’intimidation et des comportements abusifs de A.
Note : l’appelante a fait une description détaillée de l’intimidation et des comportements abusifs dans une plainte portée à la santé et la sécurité au travail concernant A. en vertu du Code canadien du travail le 24 octobre 2021 (de GD8-2 à GD8-3). Elle a répété ces détails pendant son témoignage. Par souci de concision, je ne les énumérerai pas ici. Par contre, j’accepte la plainte et le témoignage de l’appelante au sujet de celle-ci en tant qu’éléments de preuve pour cette question.
  • Quand l’appelante est retournée au travail en personne à la fin de juin 2021, la situation n’a fait que s’empirer.
  • Une éruption cutanée a « explosé » sur son bras. Elle en avait déjà eu une dans le passé. Ce problème de santé est causé par des niveaux de stress extrêmement élevés.
  • Elle avait souvent cette éruption pendant les « audits annuelsNote de bas de page 12 », parce qu’il y avait beaucoup de travail à faire. A. lui confiait toujours plus de tâches et de demandes au même moment.
  • Par exemple, A. a commandé un camion plein de meubles pour l’école. Ceux-ci allaient être livrés en juillet, juste avant la date limite du rapport d’audit. Faire livrer des meubles en juillet est problématique, car pendant l’été il n’y a pas d’employé à l’école pour les décharger et les installer. Les seules personnes présentes à l’école à ce moment-là étaient l’appelante et l’administrateur de bureau. A. leur a dit que c’était à eux de déplacer les meubles à l’intérieur une fois livrés par camion, car ils seraient ruinés s’ils les lassaient dehors jusqu’à ce que le reste du personnel revienne en septembre. L’appelante a perdu deux jours de préparation pour l’audit parce qu’elle devait décharger les meubles. Cette situation n’était pas raisonnable ni nécessaire et était extrêmement stressante étant donné que la date limite de l’audit approchait à grands pas.
  • Un autre exemple concerne le conseil d’administration de l’école.
  • Le conseil d’administration est un conseil « par désignation seulement ». Il est formé de trois personnes : A, son mari, et son beau-frèreNote de bas de page 13. Le beau-frère est le prétendu « président du conseil », mais c’est A. qui décide de tout.
  • Le conseil n’a jamais eu de réunion. Cependant, A. voulait faire semblant que c’était le cas pour le rapport d’audit. A. a demandé à l’appelante de rédiger des procès-verbaux en fonction des registres comptables, puis elle lui disait qu’il y avait des personnes présentes aux réunions. Cependant, c’était faux parce qu’il n’y a jamais eu de réunion du conseil.
  • De juin à juillet 2021, l’éruption cutanée de l’appelante est devenue un grave problème. Cependant, elle savait par expérience que d’attendre d’être référée à un dermatologue prendrait trop de temps, donc elle a traité son éruption à l’aide de la crème de cortisone qui lui restait après sa dernière crise.
  • Elle éprouvait aussi de terribles céphalées de tension chaque jour et « ne dormait pas ». Les dimanches soir étaient particulièrement difficiles, car elle redoutait terriblement l’humeur de A. le lundi.
  • Cependant, elle ne voulait pas aller à l’hôpital pour ces problèmes de santé parce qu’elle avait terminé une radiothérapie pour son cancer en février 2019 et son système immunitaire était toujours considéré comme fragile. Elle ne « voulait pas prendre de risque avec la COVID ».
  • À deux reprises, une fois en juillet et une fois en août 2021, elle a visité la demeure du beau-frère de A. et lui a demandé s’il pouvait parler à A. pour [traduction] « qu’elle fasse preuve d’un peu d’indulgence » à son égard » parce que la « situation à l’école était vraiment mauvaise ».
  • Il a dit NON. Il lui a dit qu’il recevait des plaintes au sujet du comportement de A. de la part d’autres personnes aussi, dont les concierges qui travaillaient à l’école, mais il refusait de parler à A. ou de s’en mêler.
  • En août 2021, elle a déposé une plainte à Services aux Autochtones Canada (SAC) au sujet des comportements de A. en tant qu’administratrice de l’écoleNote de bas de page 14. Le représentant de SAC lui a dit que la dernière « évaluation et révision » de l’école était en 2017, et que la prochaine n’allait pas être faite avant 2022.
  • Au moment où l’école a recommencé en septembre 2021, elle avait contacté un membre du conseil d’administration (deux fois) et SAC pour tenter de résoudre ses conflits au travail avec A. Par contre, ces tentatives n’ont abouti à rien.
  • Elle ne savait plus vers qui se tourner.

Le dernier incident : du 17 au 20 septembre 2021

  • En tant qu’aide-comptable, l’appelante communiquait régulièrement avec SAC à propos d’une variété de sujets incluant la préparation de rapports, l’audit annuel et d’autres initiatives. Elle utilisait toujours son adresse courriel professionnelle pour ces communications.
  • Le 17 septembre 2021, l’administrateur de bureau, C., a envoyé un courriel à SAC les informant que l’adresse courriel professionnelle de l’appelante n’était « plus valide » et qu’à partir de maintenant, toutes les communications au sujet de l’école devaient être envoyées à une adresse courriel générique à l’attention de A. (à GD6-3).
  • Ce courriel a effectivement dit à SAC qu’ils n’avaient plus le droit de communiquer avec l’appelante, sans leur donner de raison.
  • L’appelante n’a pas reçu de copie conforme du courriel adressé à SAC ou été informée de celui-ci à ce moment-là.
  • L’autre « moitié » des tâches de l’appelante était d’acheter des fournitures pour les enseignants et pour l’école.
  • De plus, C. a envoyé une note de service au personnel le 17 septembre 2021 énonçant qu’à compter de ce jour, toutes les demandes de fournitures seraient traitées par C. (à GD6-4).
  • L’appelante n’a pas reçu de copie de cette note de service. Cependant, trois enseignants lui ont envoyé ce jour-là, donc elle a pu prendre connaissance que la « moitié » de son travail serait confiée à C.
  • La note de service au personnel et le courriel adressé à SAC ont tous deux étés envoyés le vendredi 17 septembre 2021. L’appelante ne travaillait pas les vendredis donc elle n’était pas à l’école.
  • Quand l’appelante est arrivée au travail le lundi 20 septembre 2021, A. l’a accusée d’avoir demandé à SAC d’envoyer des courriels de nature professionnelle à son adresse courriel personnelle. L’appelante a répliqué que la seule personne qui envoyait des courriels de nature professionnelle à son adresse courriel personnelle, c’était A.
  • L’appelante a préparé le courriel qu’elle a envoyé à SAC le 1er juin 2021 (à GD6-5) dans lequel elle les informe des nouvelles adresses courriel pour elle-même, pour A. et pour « l’administration » et a dit [traduction] « celle pour l’administration sert à acheminer tous les courriels avec une c. c. adressée soit à A. ou à moi-même » (à GD6-5).
  • Ensuite, l’appelante a découvert que son adresse courriel professionnelle avait été « annulée » avec SAC. Elle était sous le choc et fâchée. A. a essayé de lui faire croire que c’était une erreur de C., mais l’appelante ne la croyait pas. C. n’avait jamais communiqué avec SAC et ne l’aurait pas fait à moins que A. ne le lui demandeNote de bas de page 15.
  • L’appelante savait que A. faisait tout ça parce qu’elle avait honte d’avoir raté une réunion avec SAC pour le financement. A. se cherchait un bouc émissaire et s’en est prise à l’appelante.
  • C’est à ce moment-là qu’elle a décidé qu’elle ne pouvait plus rester dans cette relation de violence et elle est partie.
  • A. a envoyé un texto à l’appelante environ 90 minutes après que l’appelante a quitté les lieux (à GD6-2). Elle a encore tenté d’accuser C. dans celui-ci. L’appelante savait que ce n’était que d’autres mensonges et de tentatives de monter les employés les uns contre les autres, alors elle l’a ignoré.
  • Son éruption cutanée de « stress » a « disparu » dans les deux semaines suivant sa démission. Elle n’est pas réapparue.

[42] J’accorde la plus haute importance au témoignage de l’appelante à l’audience. En effet, les faits concernant ce qui se passait au travail ont été obtenus grâce à la prise de décision active lors de l’audience, et ils correspondent, quoique plus détaillés, à ce qu’elle a déclaré à la Commission avant et après son exclusion du bénéfice des prestationsNote de bas de page 16.

[43] À l’ouverture de l’audience le 25 janvier 2022, l’appelante avait de la difficulté avec les faits. Elle formulait le même genre d’énoncés vagues qu’elle avait donné à la Commission, tel que « l’administratrice n’a pas fait son travail » et « elle n’écoutait pas ». Je reconnais que les renseignements fournis à la Commission étaient parfois trop généraux et inutiles. Cependant, en participant dans le processus de prise de décision active pendant l’audience et en répondant à des questions concernant les autres solutions soulevées dans les observations de la Commission (à GD4), l’appelante a pu décrire les démarches qu’elle a faites pour résoudre les problèmes au travail et a pu expliquer pourquoi elle ne pouvait plus tolérer les comportements abusifs de l’administratrice et le milieu de travail toxique à l’école.

[44] En revanche, j’accorde moins d’importance aux éléments de preuve que la Commission a obtenus de l’employeur. Les énoncés de A. dans la première entrevueNote de bas de page 17 sont directement contredits par les preuves documentaires fournies par l’appelante à GD6. Les énoncés formulés par A. pendant l’entrevue de révisionNote de bas de page 18 appuient le témoignage de l’appelante que c’était A. et non C. qui était derrière la note de service et le courriel transmis le 17 septembre 2021. Les énoncés formulés par A. lors de cette entrevue sont aussi directement contredits par les preuves documentaires fournies par l’appelante à GD6. Ce que A. a dit à la Commission qu’elle avait écrit dans son courriel adressé à SAC est en fait très différent de ce qui était réellement écrit dans le courriel.

[45] Je conclus que l’appelante a subi du harcèlement au sens du paragraphe 29(c)(i) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[46] Le terme « harcèlement » n’est pas défini dans la Loi sur l’AE. Cependant, le concept de harcèlement en tant qu’intimidation au travail est normalement considéré comme des gestes ou des commentaires qui peuvent blesser psychologiquement, causer de la gêne ou isoler une personne au travail. Cela inclut souvent des incidents répétés ou un comportement qui porte à intimider, offenser, dénigrer ou humilier une personne ou un groupe de personnes. Un examen de la jurisprudence dans laquelle les juges-arbitres ont déterminé qu’il y avait justification en raison de harcèlement au titre du paragraphe 29(c)(i) de la Loi sur l’AE révèle de nombreux incidents similaires et/ou un comportement similaire sur une certaine périodeNote de bas de page 19.

[47] La division d’appel du Tribunal a examiné la question du harcèlement en milieu de travail et elle a énoncé une série de « principes clés »Note de bas de page 20 qui me guident lorsque je dois établir si une partie prestataire a subi du harcèlement. Ces principes directeurs sont les suivants :

  1. a)  les harceleurs peuvent agir seuls ou en groupe, et n’ont pas à occuper de postes de supervision ou de gestion;
  2. b)  le harcèlement peut prendre de nombreuses formes, y compris des actes, des commentaires relatifs à une conduite, de l’intimidation et des menaces;
  3. c)  parfois, un seul incident suffit pour constituer du harcèlement;
  4. d)  l’accent est mis sur le harceleur présumé et sur la question de savoir si cette personne savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement offenserait, causerait de la gêne, une humiliation ou un autre type de blessure psychologique ou une blessure physique à l’autre personne.

[48] Les circonstances décrites par l’appelante correspondent parfaitement à la jurisprudence sur le harcèlement aux termes du paragraphe 29(c)(i) de la Loi sur l’AE.

[49] L’appelante a subi des commentaires et des gestes qui avaient comme but de l’humilier et de l’isoler au travail. La personne au centre de tout ça était sa superviseure. Les comportements abusifs suivaient une tendance presque tout le long des sept ans de sa période d’emploi, qui ont abouti à un dernier incident typique. De plus, la harceleuse aurait raisonnablement dû savoir que son comportement offenserait et causerait du stress à l’appelante.

[50] J’estime que l’appelante a subi du harcèlement au sens du paragraphe 29(c)(i) de la Loi sur l’AE parce qu’elle était sujette à un type de comportement marqué par des gestes insultants et humiliants de la part de sa superviseure, A., qui savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement offenserait, causerait de la gêne ou un autre type de blessure psychologique à l’appelante. C’est particulièrement évident, car A. a essayé de faire croire que C. était la personne dernière le courriel adressé à SAC et la note de service au personnel à la source du dernier incident.

[51] De plus, j’estime que le harcèlement vécu par l’appelante constitue une justification pour quitter son emploi quand elle l’a fait. Étant donné que les comportements abusifs venaient du supérieur immédiat de l’appelante, cette dernière ne pouvait pas faire autrement que faire part de ses préoccupations au supérieur de A. C’est exactement ce qu’elle a fait. L’appelante a fait part de ses préoccupations à la haute direction (au président du conseil d’administration) et à l’agence gouvernementale qui finance et supervise l’école (SAC) avant de démissionner, mais ses efforts ont été vains. Ni l’une ni l’autre n’a voulu lui prêter assistance ou s’en mêler. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante continue d’endurer ce niveau d’intimidation et d’hostilité grandissante en considérant que SAC aurait pu prendre de 6 à 12 mois avant même de jeter un œil à la situation.

[52] La Commission a soutenu que l’appelante aurait pu essayer de garder son emploi en répondant au dernier message texte de A. Je ne suis pas d’accord. Le message était simplement un autre exemple des comportements abusifs, égoïstes et harcelants adoptés par A. depuis des années. Ce n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante reprenne son emploi et continue de subir ces comportements quand c’est exactement la raison pour laquelle elle a démissionné.

[53] L’appelante a épuisé toutes les solutions raisonnables, donc elle était fondée à quitter son emploi quand elle l’a fait. Par conséquent, elle n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’AE.

[54] Étant arrivée à cette conclusion, je n’ai pas besoin de tirer d’autres conclusions. Cependant, je terminerai l’analyse des autres circonstances soulevées par l’appelante.

[55] J’estime aussi que l’appelante a réussi à prouver que son milieu de travail était devenu si manifestement intolérable que son départ le 20 septembre 2021 était la seule solution raisonnable.

[56] Les témoignages de E. L. et de l’appelante étaient particulièrement convaincants à ce sujet. Les deux ont décrit qu’elles se sentaient exploitées, manipulées et montées contre d’autres collègues par A. Les deux ont décrit les démarches prises par A. qui ont fait passer le milieu de travail d’un espace collaboratif à un milieu hostile. Je conclus sans hésitation que ce genre de comportements abusifs crée un milieu de travail pouvant être légitimement décrit comme « toxique ».

[57] Le fait que E.L. a démissionné en raison du stress causé par ce lieu de travail toxique, sur recommandation de son médecin, est aussi très convaincant. L’appelante a tenu le coup pendant presque quatre ans après le départ de E. L. et il n’est pas surprenant qu’elle en soit finalement arrivée au même point. J’accepte le témoignage de l’appelante selon lequel elle ne pouvait plus rester à son travail parce que le milieu de travail est devenu véritablement intolérable.

[58] Selon les motifs énumérés au paragraphe 51 ci-dessous, je conclus aussi que l’appelante avait épuisé toutes les solutions raisonnables et par conséquent était justifiée de quitter son emploi quand elle l’a fait.

Question 2 : Est-ce que les préoccupations de l’appelante au sujet de sa santé signifiaient que son départ était la seule solution raisonnable?

[59] L’appelante affirme que le stress causé par les comportements abusifs de l’administratrice et par le milieu de travail toxique constituait un danger pour sa santé. La loi dit qu’une partie prestataire qui vit des conditions de travail constituant un danger pour sa santé ou sa sécurité est fondée à quitter son emploi si elle n’avait pas d’autre solution raisonnableNote de bas de page 21.

[60] Normalement, lorsque l’effet préjudiciable sur la santé d’une partie prestataire est invoqué comme justification, une partie prestataire doit : a) fournir des preuves médicales (décision CUB 11045); b) tenter de régler le problème avec l’employeur (Hernandez, 2007 CFA 320 et décision CUB 21817); et c) tenter de trouver un autre emploi avant de quitter son emploi (Murugaiah, 2008 CAF 10 et décisions CUB 18965 et 27787).

[61] L’appelante a témoigné au sujet de l’effet néfaste que le stress causé par les comportements de A. avait sur sa santé. E. L. en a témoigné aussi. À l’opposé de E. L., l’appelante n’a pas consulté son médecin avant de démissionner, donc elle n’a pas de billet du médecin. Cependant, l’appelante a promis de dire la vérité dans son témoignage, a répondu à toutes mes questions avec précision et a fourni des détails concernant ses problèmes de santé, de son cancer en 2019 et ses crises précédentes d’éruption cutanée causée par le stress. J’accepte la crédibilité de son témoignage. Je reconnais aussi qu’elle avait des raisons valides de ne pas aller à l’hôpital à ce moment-là.

[62] Je ne crois pas qu’un billet du médecin ajouterait quoi que ce soit à mon analyse. Je crois déjà la prestataire, et elle répond déjà aux deux autres exigences décrites au paragraphe 60. En effet, j’ai déjà déterminé qu’elle a tenté de résoudre son conflit avec l’employeur avant de démissionner (sans succès, alors cette solution était épuisée). De plus, j’ai déjà déterminé qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle garde son emploi et continue de tolérer du harcèlement et un milieu de travail toxique (donc, insister pour qu’elle garde l’emploi pendant qu’elle en cherche un autre avant de démissionner ne peut pas être considéré comme une solution raisonnable).

[63] La Commission soutient que prendre un congé de maladie pour traiter son stress et évaluer son était de santé de façon objective avant de décider de démissionner aurait été une solution raisonnable. Je ne suis pas d’accord. Rien ne prouve qu’un congé de maladie aurait résolu le problème. Dans le meilleur des cas, l’appelante aurait obtenu un soulagement temporaire. Rien ne prouve que A. était sensible aux préoccupations de l’appelante ou aurait changé ses comportements abusifs de façon à ce que l’appelante sente une différence. Par conséquent, selon les mêmes motifs décrits précédemment à la Question en litige 1, j’estime qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante prenne un congé de maladie ou garde son emploi en toute circonstance.

[64] L’appelante a prouvé que quitter son emploi le 20 septembre 2021 était la seule solution raisonnable. Par conséquent, elle a prouvé qu’elle était fondée à démissionner.

Conclusion

[65] L’appelante a prouvé que quitter son emploi à X le 20 septembre était la seule solution raisonnable.

[66] Par conséquent, elle était fondée à quitter volontairement son emploi et n’est donc pas exclue du bénéfice des prestations d’AE pour cette raison.

[67] L’appel est accueilli.

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