Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c PG & autres, 2022 TSS 388

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Anick Dumoulin
Partie intimée : P. G. et autres
Représentante : Kevin McDonald

Décision portée en appel : Décisions rendues par la division générale le 13 janvier 2022 (GE-21-2163, GE-21-2131, GE-21-2160, GE-21-2127, GE-21-2133, GE-21-2181, GE-21-2124, GE-21-2125)

Membre du Tribunal : Shirley Netten
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience : Le 19 avril 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimées et intimés D. M., E. K., R. B., S. P.
Représentant de la partie intimée
Date de la décision : Le 6 mai 2022
Numéro de dossier : AD-22-70, AD-22-71, AD-22-72, AD-22-73, AD-22-74, AD-22-75, AD-22-77, AD-22-78

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit. Les prestataires n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] Grâce à une mesure temporaire liée à la pandémie, les personnes qui demandaient des prestations pouvaient obtenir un crédit de 300 heures d’emploi assurableNote de bas de page 1. Elles pouvaient donc recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi après avoir travaillé pendant seulement 120 heures, car il fallait avoir accumulé 420 heures d’emploi assurable durant la période de référenceNote de bas de page 2.

[3] Le présent appel porte sur la période durant laquelle on pouvait obtenir les 300 heures additionnelles. L’article prévoyant les heures additionnelles était en vigueur jusqu’au 25 septembre 2021.

[4] Dans la présente affaire, les huit prestataires ont accumulé 120 heures de travail chez le même employeur du 7 septembre 2021 au 22 septembre 2021. Toutes ces personnes ont demandé des prestations d’assurance-emploi le 23 septembre 2021. Selon la division générale, elles pouvaient bénéficier des 300 heures additionnelles parce qu’elles ont présenté leur demande avant le 25 septembre 2021. Elles avaient donc plus de 420 heures pour établir une période de prestations commençant le dimanche 26 septembre 2021.

[5] La Commission de l’assurance-emploi du Canada porte les décisions de la division générale en appel. Elle affirme que les 300 heures additionnelles étaient offertes seulement pour établir les périodes de prestations jusqu’au 25 septembre 2021 au plus tard. Selon la Commission, les prestataires ne peuvent pas obtenir les 300 heures additionnelles pour établir une période de prestations à compter du 26 septembre 2021, même si la présentation de leur demande et l’arrêt de rémunération sont survenus plus tôt.

[6] J’ai conclu que la division générale avait mal interprété la loi. L’interprétation de la Commission est juste : les heures additionnelles sont offertes seulement aux personnes dont la période de prestations a commencé durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021. Malheureusement, les prestataires n’ont pas accumulé assez d’heures pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a interprété les dispositions temporaires de la Loi sur l’assurance-emploi qui portaient sur les heures additionnelles? Si oui, comment faut-il corriger l’erreur?

Analyse

[8] L’un des moyens d’appel à la division d’appel est que la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droitNote de bas de page 3. Comme ces termes sont catégoriques, je suis d’accord avec la Commission sur un point : je n’ai pas à m’en remettre à la division générale en ce qui a trait aux questions de droit. Par conséquent, je vais devoir décider si la division générale a bien ou mal interprété la loi. Je vais donc passer directement à l’interprétation des dispositions relatives aux heures additionnelles.

[9] Pour déterminer le sens d’un article de loi, je dois examiner les mots, leur contexte et l’objet de la loi. La Cour suprême du Canada a dit ceci :

[i]l faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas de page 4.

La division générale a mal interprété la loi

Les mots, pris en contexte, sont clairs

[10] Les articles 153.17 et 153.196 figurent tous deux dans la partie VIII.5 de la Loi, qui s’intitule « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations ».

[11] L’article 153.17(1) dit ceci :

153.17 (1) Le prestataire qui présente une demande initiale de prestations à l’égard de prestations visées à la partie I le 27 septembre 2020 ou après cette date, ou à l’égard d’un arrêt de rémunération qui survient à cette date ou par la suite, est réputé avoir, au cours de sa période de référence :

  1. a) si la demande initiale de prestations est présentée à l’égard de prestations visées à l’un des articles 21 à 23.3Note de bas de page 5, 480 heures additionnelles d’emploi assurable;
  2. b) dans les autres cas, 300 heures additionnelles d’emploi assurable. [c’est moi qui mets en évidence]

[12] L’article 153.196(1) prévoit que la partie VIII.5 « cesse d’avoir effet le 25 septembre 2021 ou, si elle est antérieure, à la date d’abrogation de l’Arrêté provisoire no 8 modifiant la Loi sur l’assurance-emploi (accès facilité aux prestations)Note de bas de page 6 ». L’Arrêté provisoire no 8 n’a pas été abrogé. Ainsi, la partie VIII.5, qui comprend l’article 153.17, ne s’applique plus après le 25 septembre 2021Note de bas de page 7.

[13] Ensemble, ces dispositions prévoient :

  • qu’on obtient les heures additionnelles si l’on présente une demande initiale de prestations le 27 septembre 2020 ou après cette date ou si la demande découle d’un arrêt de rémunération survenu le 27 septembre 2020 ou après cette date,
  • mais qu’on n’obtient pas les heures additionnelles si l’on présente une demande initiale de prestations après le 25 septembre 2021.

[14] Pour la division générale, présenter une demande initiale de prestations équivalait à demander des prestations. Hors contexte, cette interprétation serait juste. Mais aux termes de la Loi, « demande initiale » a un sens précis.

[15] Une « demande initiale de prestations » est une « demande formulée aux fins d’établir une période de prestations au profit du prestataireNote de bas de page 8 ». Autrement dit, une demande initiale se rapporte à une période de prestations bien précise.

[16] Les périodes de prestations commencent toujours le dimancheNote de bas de page 9. Elles commencent :

  • le dimanche où survient l’arrêt de rémunération ou le dimanche précédant le jour où survient l’arrêt de rémunération;
  • le dimanche où la demande initiale est formulée ou le dimanche précédant le jour où la demande initiale est formulée, s’il tombe après l’arrêt de rémunérationNote de bas de page 10.

[17] Par conséquent, si une personne perd son emploi et demande des prestations d’assurance-emploi au cours de la semaine se terminant le samedi 25 septembre 2021, elle présente nécessairement une demande initiale pour établir une période de prestations à son profit à compter du dimanche 19 septembre 2021. Pour que la période de prestations commence la semaine suivante, il faut présenter la demande initiale le dimanche 26 septembre 2021 ou après cette date.

[18] En fait, comme la demande initiale de prestations est liée à une période de prestations bien précise, on peut obtenir les heures additionnelles seulement si l’on a présenté une demande initiale pour établir une période de prestations qui commence durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021. Comme les périodes de prestations commencent toujours le dimanche, la dernière période de prestations pour laquelle il était possible d’obtenir les heures additionnelles commençait le 19 septembre 2021.

[19] Je vais expliquer tout cela d’après la situation des prestataires.

Les demandes initiales des prestataires se rapportaient à une période de prestations commençant le 19 septembre 2021

[20] L’arrêt de rémunération des prestataires a eu lieu le 22 septembre 2021Note de bas de page 11. Le dimanche précédent était le 19 septembre 2021. Les prestataires ont déposé leurs demandes initiales le 23 septembre 2021. Le dimanche précédent était également le 19 septembre 2021. Ainsi, les demandes initiales des prestataires étaient des demandes formulées pour établir une période de prestations à leur profit à compter du 19 septembre 2021.

[21] Les demandes initiales ont été présentées pendant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021. Les prestataires ont donc droit aux 300 heures additionnelles, mais seulement pour la période de prestations commençant le 19 septembre 2021.

[22] Malheureusement, même avec les 300 heures additionnelles, les prestataires n’avaient pas les 420 heures requises pour établir une période de prestations à compter du 19 septembre 2021. En effet, les prestataires n’ont pas accumulé 120 heures de travail en date du 18 septembre 2021, et les heures travaillées après cette date ne pouvaient pas faire partie du calculNote de bas de page 12.

Pour que la période de prestations commence le 26 septembre 2021, les prestataires devaient présenter leur demande initiale au plus tôt le 26 septembre 2021

[23] En présentant leur demande le 23 septembre 2021, les prestataires n’ont pas présenté des demandes initiales pour établir une période de prestations à compter du 26 septembre 2021. Les prestataires ne pouvaient pas présenter de telles demandes avant le 26 septembre 2021, pour que leur période de prestations commence le dimanche précédant la présentation des demandes initialesNote de bas de page 13. La Loi sur l’assurance-emploi ne contient aucune disposition qui permet aux prestataires de présenter une demande initiale pour établir une période de prestations à compter du dimanche suivant l’arrêt de leur rémunération et la présentation de leur demande.

[24] Service Canada a pour pratique d’accepter une demande initiale comme si elle avait été présentée la semaine suivante, au lieu d’exiger une nouvelle demande. Cela s’appelle postdater la demande de prestations. Service Canada le fait par courtoisie, quand il est impossible d’établir une période de prestations, mais que ce serait possible de l’établir si la demande était présentée une semaine plus tard. Une telle pratique peut donner aux prestataires l’impression que leur demande initiale se rapporte à une période de prestations qui commence après la présentation de la demande, mais ce n’est pas le cas. En fait, Service Canada reporte la demande initiale à une date ultérieure. La pratique de Service Canada ne modifie pas la période de prestations associée à une demande initiale aux termes de la Loi.

[25] Dans la présente affaire, Service Canada a envisagé de reporter les demandes initiales des prestataires au 26 septembre 2021 afin de compter toutes leurs heures d’emploi pour établir une période de prestations commençant le 26 septembre 2021Note de bas de page 14. Toutefois, comme il s’agirait alors de demandes initiales faites après le 25 septembre 2021, les 300 heures additionnelles ne s’appliqueraient plus. Les prestataires n’avaient pas accumulé le nombre d’heures requis pour établir une période de prestations à compter du 26 septembre 2021.

La disposition transitoire appuie l’interprétation de la Commission

[26] La Loi no 1 d’exécution du budget de 2021 a apporté une série de modifications temporaires à la Loi sur l’assurance-emploi à compter du 26 septembre 2021Note de bas de page 15. Cela comprenait diverses dispositions transitoires. L’article 333 est entré en vigueur le 29 juin 2021Note de bas de page 16. Il prévoit que la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi, dans sa version antérieure au 26 septembre 2021, continuera de s’appliquer aux personnes « dont la période de prestations commence durant la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 25 septembre 2021 ».

[27] Lorsqu’elle a interprété les dispositions sur la période d’application des heures additionnelles, la division générale n’a pas tenu compte de cette disposition. Je suis d’accord avec la Commission : l’article 333 appuie l’interprétation voulant que les heures additionnelles peuvent servir à établir des périodes de prestations seulement jusqu’au 25 septembre 2021.

L’objet de la loi ne facilite pas l’interprétation

[28] La disposition sur les heures additionnelles visait à faciliter l’admissibilité à l’assurance-emploi de façon temporaire. Ainsi, on reconnaissait les répercussions de la pandémie et de la fermeture des lieux de travail qui en découlait sur la capacité de travailler et d’accumuler des heures d’emploi assurable.

[29] Les heures additionnelles, ainsi que d’autres mesures temporaires, étaient applicables pendant environ un an. Toutes les mesures temporaires ont une date de début et une date de fin. Les deux interprétations — les heures additionnelles s’appliquent tant qu’on présente la demande au plus tard le 25 septembre 2021 (selon la division générale) ou seulement pour établir les périodes de prestations jusqu’au 25 septembre 2021 (selon la Commission) — sont conformes à l’objet de la disposition relative aux heures additionnelles. Autrement dit, celui-ci ne permet pas de savoir exactement quand la mesure temporaire prend fin.

Les renseignements que Service Canada communique au public ne changent pas l’interprétation

[30] Je comprends la colère des prestataires quant au fait que le site Web de Service Canada n’indiquait pas clairement qu’il fallait travailler pendant 120 heures avant le 19 septembre 2021 pour présenter une demande initiale avant la date limite du 25 septembre 2021. Comme le fait remarquer leur représentant, ce fait n’était pas évident à comprendre, tant pour les prestataires que pour les personnes qui ne sont pas des spécialistes du domaine.

[31] Les communications de Service Canada auraient certainement pu être plus claires, mais elles n’étaient pas inexactes. L’extrait déposé à la division générale disait qu’il fallait [traduction] « établir une période de prestations » au plus tard le 25 septembre 2021. Malheureusement, les prestataires ne savaient pas que cela voulait dire que la dernière période de prestations permettant d’obtenir les heures additionnelles serait la semaine commençant le 19 septembre 2021. De toute façon, les renseignements publiés sur le site Web ne changent pas le sens de la loi. Et les prestataires ne peuvent pas recevoir le crédit d’heures additionnelles (ne serait-ce que quelques heures) en raison d’une mauvaise compréhension de la loi.

La division générale a fait une erreur de droit

[32] La division générale a décidé, à tort, qu’il suffisait de demander des prestations avant la date limite du 25 septembre 2021, peu importe la période de prestations associée à la demande initiale. Ensemble, le texte, le contexte et l’objet des dispositions relatives aux heures additionnelles mènent à une interprétation différente : les heures additionnelles servent à établir les périodes de prestations qui ont commencé durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021.

[33] En ne prenant pas le texte de l’article 153.17 de la Loi dans son contexte global, la division générale en a mal interprété le sens. C’était une erreur de droit.

Correction de l’erreur de la division générale

[34] Lorsque la division générale fait une erreur révisable, la division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 17. C’est généralement ce que fait la division d’appel quand la division générale a commis une erreur de droit et que les faits ne sont pas contestés, comme dans ce cas-ci. Il n’y a donc aucune raison de renvoyer l’affaire à la division générale.

[35] Comme je l’ai expliqué plus haut, les heures additionnelles servent à établir les périodes de prestations qui commencent durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021.

[36] Les prestataires obtiennent les heures additionnelles pour établir une période de prestations à compter du 19 septembre 2021, mais le nombre d’heures accumulées à cette date n’est pas suffisant pour remplir les conditions requises. Les prestataires ne peuvent pas utiliser les heures additionnelles pour établir une période de prestations à compter du 26 septembre 2021, parce qu’il leur était impossible de présenter une demande initiale pour cette période avant la date limite du 25 septembre 2021.

Conclusion

[37] L’appel est accueilli. Les 300 heures additionnelles sont offertes aux personnes dont la période de prestations a commencé durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021. Les prestataires n’ont pas accumulé assez d’heures pour recevoir des prestations d’assurance-emploi, que la période de prestations commence le 19 septembre 2021 ou le 26 septembre 2021.

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