Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 281

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – Section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : D. L.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (448088) datée du 4 février 2022 rendue par la Commission de l’assuranceemploi du Canada (communiquée par Service Canada).

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Date de la décision : Le 14 mars 2022
Numéro de dossier : GE-22-510

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’employeur de la prestataire a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19.

[3] Suivant cette politique, tout employé devait être entièrement vacciné contre la COVID-19 avant le 29 octobre 2021 ou, s’il en était empêché pour des raisons religieuses, il devait fournir une lettre de son chef religieux.

[4] La prestataire affirme qu’elle ne peut pas se faire vacciner pour des raisons religieuses et a fourni à son employeur une lettre de son chef religieux le 1er novembre 2021.

[5] L’employeur a déclaré qu’après avoir examiné la lettre qu’elle avait fournie, il a jugé que celle-ci ne constituait pas un fondement valable pour mettre en place des mesures d’accommodement, car on laisse entendre dans cette lettre que l’impossibilité pour la prestataire de se faire vacciner repose simplement sur une conviction personnelle et ne fait pas partie de sa religion.

[6] L’employeur a mis fin à l’emploi de la prestataire le 2 novembre 2021, déclarant que le refus de cette dernière de se faire vacciner et de respecter la politique de vaccination constituait de l’insubordination.

[7] Par la suite, la prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE).

[8] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a examiné les raisons pour lesquelles la prestataire avait perdu son emploi et a jugé qu’elle avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui verser de prestations.

[9] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision selon laquelle elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[10] La Commission a examiné de nouveau sa décision, mais a refusé de la modifier, confirmant sa décision initiale d’exclure la prestataire du bénéfice des prestations parce qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[11] Le 14 février 2022, la prestataire a interjeté appel de la décision de révision de la Commission. La question que je dois trancher est donc celle de savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[12] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 1. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 2. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 3.

[13] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 4.

[14] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 5.

[15] La prestataire affirme avoir respecté toutes les politiques relatives à la COVID-19 de son employeur.

[16] Elle soutient qu’aux termes de la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur, tout employé qui n’est pas vacciné pour des raisons religieuses ne fera pas l’objet de mesures disciplinaires et doit fournir une lettre de son chef religieux. La prestataire affirme avoir fourni une lettre de son chef religieux à son employeur, mais que celui-ci n’en a pas tenu compte et l’a congédiéeNote de bas de page 6.

[17] La prestataire souligne qu’elle a remis sa lettre peu après la date limite, mais qu’on ne pouvait pas lui reprocher ce retard puisqu’elle a été malade du 18 octobre 2021 au 29 octobre 2021Note de bas de page 7.

[18] Le 28 février 2022, la Commission a déposé des observations dans lesquelles elle reconnaissait le bien-fondé de l’appel.

[19] La Commission soutient qu’elle avait précédemment conclu que la prestataire avait commis une inconduite, même si elle était au courant de sa lettre d’exemption pour motifs religieux, parce que la prestataire a remis la lettre après la date limite fixée par l’employeur pour les demandes d’exemption. Toutefois, l’employeur a accepté la lettre malgré le retard et a congédié la prestataire en partie en raison de son incapacité à accommoder la prestataire pour ses croyances religieuses. Il n’y a donc aucun lien entre le moment de la remise de la lettre et le congédiement de la prestataireNote de bas de page 8.

[20] La Commission fait valoir que la prestataire n’a pas pu respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employé en raison de ses croyances religieuses.

[21] La Commission soutient que la lettre du chef religieux fournie par la prestataire révèle que c’est une croyance fondamentale de la religion qui empêche la prestataire de se faire vacciner et qu’il n’y a pas de liberté de choix au sein de la congrégation puisque la lettre expose clairement la position de l’église contre les vaccins.

[22] J’ai examiné les éléments de preuve et les observations au dossier et je suis d’accord avec la Commission pour dire que l’appel devrait être accueilli.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été congédiée?

[23] Pour savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, nous devons premièrement déterminer pourquoi elle a été congédiée.

[24] Dans la lettre de congédiement envoyée à la prestataire, l’employeur affirme que la prestataire a été congédiée pour insubordination, à savoir pour ne pas avoir respecté sa politique de vaccination contre la COVID-19, la prestataire ayant refusé de s’y conformer en fournissant une exemption valideNote de bas de page 9.

[25] La politique de vaccination contre la COVID-19 fournie par l’employeur à la Commission est rédigée en ces termes :

[Traduction]

  • Les employés qui ne sont pas vaccinés pour des raisons médicales ou religieuses ne seront pas sanctionnés pour cette décision.
  • Toute raison invoquée pour ne pas se faire vacciner devra être communiquée aux ressources humaines, soit au moyen d’un billet du médecin pour des raisons médicales ou d’une lettre d’un chef religieux pour des raisons religieuses.
  • Tout employé non vacciné devra présenter la preuve d’un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID-19 deux fois par semaine et assister à une séance d’information sur la vaccination contre la COVID-19.

[26] En ce qui concerne la conformité à la politique de vaccination contre la COVID‑19 de l’employeur, il n’y a aucun élément de preuve démontrant que la prestataire n’a pas respecté la directive relative aux tests à effectuer deux fois par semaine et à la séance d’information. Je conclus donc que la prestataire n’a pas omis de se conformer à cette partie de la politique.

[27] Deuxièmement, je constate que la prestataire a choisi l’une des deux raisons acceptées pour ne pas se faire vacciner, à savoir pour des motifs religieux. Elle s’est donc conformée à cette partie de la politique.

[28] Troisièmement, je constate que la prestataire a fourni une lettre d’un chef religieux à son employeur, bien qu’elle l’ait fait le 1er novembre 2021, ce qui, selon son employeur, était en retard. L’employeur a toutefois accepté la lettre et a affirmé qu’il en tiendrait compteNote de bas de page 10, ce qui tend à confirmer que ce n’est pas le fait que la lettre ait été fournie en retard qui a entraîné le congédiement de la prestataire.

[29] Je suis d’avis que la prestataire a respecté la politique relative à la COVID-19 de l’employeur, et que le non-respect de cette politique n’est pas la raison pour laquelle elle a été congédiée.

[30] Dans ces conditions, pourquoi la prestataire a-t-elle été congédiée si ce n’est pas pour avoir omis de respecter la politique relative à la COVID-19 de l’employeur?

[31] Selon moi, la prestataire a été congédiée parce qu’elle n’était pas vaccinée et qu’elle a demandé une exemption pour des motifs religieux.

[32] L’employeur a refusé d’accommoder la prestataire pour son exemption fondée sur des motifs religieux. À mon avis, il est clair que l’employeur avait l’intention de refuser la demande d’exemption pour motifs religieux de la prestataire, puis de la congédier, avant même que la prestataire ne lui remette la lettre de son chef religieux.

[33] Dans un courriel interne daté du 23 septembre 2021, l’employeur demandait à un avocat comment ils pourraient rejeter une exemption pour des motifs religieux. J’estime que le fait que l’employeur cherchait à trouver un moyen de rejeter les exemptions pour motifs religieux de façon générale, sans même avoir lu la demande de la prestataire à ce moment-là, témoigne d’un plan général visant à rejeter tous accommodements religieuxNote de bas de page 11. Je tiens à faire remarquer que dans son courriel adressé à l’avocat, l’employeur ne se questionne pas sur la façon de rejeter les exemptions médicales de manière générale.

[34] De plus, élément encore plus convaincant, l’employeur a dit à la Commission qu’il n’allait accepter aucune lettre de nature religieuse. Selon moi, cette déclaration révèle que l’employeur avait déjà décidé de rejeter la lettre du chef religieux de la prestataire avant même que cette dernière ne la fournisse.Note de bas de page 12

[35] Dans le document de communication interne de l’employeur, il est indiqué qu’au cours de la première semaine de novembre 2021, l’employeur a communiqué avec tous les employés qui n’étaient pas vaccinés et qui n’avaient pas de raison médicale approuvée pour les aviser de leur congédiement.

[36] À mon avis, il s’agit là d’une preuve supplémentaire que l’employeur n’allait accepter aucune demande d’exemption pour motifs religieux, car on y précise expressément que tout employé qui ne fournit pas de raison médicale approuvée sera congédié, et non pas tout employé qui ne fournit pas de raison religieuse ou médicale approuvée, ou tout employé qui ne fournit pas de raison approuvée.

[37] Cet élément démontre que l’employeur n’allait accepter d’un employé que des raisons médicales pour refuser de se faire vacciner.

[38] Le fait que l’employeur ait déjà décidé de rejeter les lettres de nature religieuse avant même que la prestataire n’ait fourni sa lettre révèle que la façon dont l’employeur allait traiter tout employé qui allait demander une exemption pour motifs religieux était planifiée à l’avance. Dans le cas de la prestataire, la façon dont son cas a été traité n’était donc pas liée au contenu de la lettre qu’elle a fournie, à la date à laquelle elle l’a fournie ou à un refus quelconque de la prestataire de se conformer à la politique relative à la COVID-19 de l’employeur.

La façon d’agir de la prestataire révélait-elle une inconduite?

[39] Maintenant que j’ai établi la raison pour laquelle la prestataire a été congédiée, je dois déterminer si la prestataire a posé les gestes qui ont mené à son congédiement.

[40] La réponse est oui. La prestataire a refusé de se faire vacciner et a demandé une exemption pour motifs religieux.

[41] La dernière partie du critère visant à déterminer si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite consiste à déterminer si la prestataire savait, ou aurait dû savoir, qu’elle serait congédiée pour ne pas s’être fait vacciner et avoir demandé une exemption pour motifs religieux.

[42] Je conclus que la prestataire ne pouvait pas le savoir, et qu’elle n’avait pas à le savoir.

[43] Je conclus que la prestataire ne pouvait pas savoir que son employeur avait déjà décidé qu’il allait rejeter toutes les demandes d’exemption pour motifs religieux.

[44] La politique relative à la COVID-19 de l’employeur prévoit qu’un motif religieux pour ne pas se faire vacciner est une raison valable et que tout employé qui invoque pareil raison ne sera pas sanctionnéNote de bas de page 13.

[45] À mon avis, compte tenu de cette politique, la prestataire ne s’attendait à subir aucune mesure disciplinaire, et encore moins un congédiement, si elle décidait de ne pas se faire vacciner en invoquant une exemption pour motifs religieux.

[46] De plus, dans les lettres datées du 28 septembre 2021Note de bas de page 14 et du 14 octobre 2021Note de bas de page 15 que la prestataire a reçues de son employeur, ce dernier indique que tout employé qui ne peut pas fournir de preuve de vaccination, et qui refuse la vaccination pour une raison autre que médicale, est tenu de faire des tests deux fois par semaine et d’assister à une séance d’information.

[47] Je conclus que cette information ainsi communiquée laisse également croire à la prestataire qu’elle peut ne pas se faire vacciner et demander une exemption pour motifs religieux sans s’attendre à être congédiée. En effet, ces lettres s’appuient de manière continue sur la politique écrite relative à la COVID-19 de l’employeur selon laquelle le fait de ne pas se faire vacciner pour des raisons religieuses est une option valable puisqu’on offre la possibilité de ne pas se faire vacciner pour une raison autre que médicale.

[48] Par conséquent, comme la prestataire ne savait pas, et n’avait pas à savoir, qu’elle serait congédiée pour ne pas s’être fait vacciner et avoir demandé une exemption pour motifs religieux – puisqu’elle ne pouvait pas savoir que son employeur avait déjà décidé de rejeter toutes les exemptions religieuses –, ses gestes ne constituent pas en soi une inconduite et elle ne devrait donc pas être exclue du bénéfice des prestations.

[49] L’appel est accueilli.

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