Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 277

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale,Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. C.
Représentation : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (441036) datée du 4 décembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 7 février 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant (prestataire)
Personne chargée de représenter l’appelant
Date de la décision : Le 21 février 2022
Numéro de dossier : GE-22-152

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec le prestataire.

[2] Le prestataire a démontré qu’il était fondé (autrement dit, qu’il avait une raison que la loi accepte) à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait. Cela signifie qu’il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le prestataire est un travailleur en résidence de soins de longue durée retraité. Un programme spécial était en place dans le cadre duquel les travailleurs retraités pouvaient retourner au travail pour un maximum de 450 heures. Peu après avoir commencé son contrat en janvier 2020, des mesures d’urgence liées à la pandémie de COVID-19 ont été mises en place pour permettre aux travailleurs retraités de travailler au-delà du maximum de 450 heures. Le prestataire a donc continué de travailler.

[4] À compter du 14 août 2021, les mesures d’urgence ont été levées par le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick. On a dit au prestataire que s’il voulait continuer à travailler, il devrait cesser de recevoir ses paiements de pension pendant qu’il travaillait. S’il ne voulait pas renoncer aux paiements de pension, il devrait démissionner.

[5] Le prestataire ne voulait pas abandonner ses paiements de pension. Il a donc signé une lettre de démission et a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a examiné les raisons du départ du prestataire. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement (ou avait choisi de quitter) son emploi sans justification, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de lui verser des prestations.

[6] Je dois décider si le prestataire a quitté volontairement son emploi et, dans l’affirmative, a-t-il prouvé qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de partir?

[7] La Commission affirme qu’au lieu de partir quand il l’a fait, le prestataire aurait pu continuer à travailler et ne pas continuer à toucher sa pension.

[8] Le prestataire n’est pas d’accord et affirme que son contrat a pris fin lorsque les mesures d’urgence ont été levées. La condition selon laquelle il devait cesser de toucher sa pension était un changement important dans ses conditions d’emploi et il n’aurait pas dû être obligé de les accepter.

Question en litige

[9] Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[10] Pour répondre à cette question, je dois d’abord traiter du départ volontaire du prestataire. Je dois ensuite décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties ne conviennent pas que le prestataire a volontairement quitté son emploi

[11] Il incombe à la Commission de démontrer que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Pour ce faire, elle doit démontrer que le prestataire avait le choix de rester à son emploi.

[12] Je conclus que la Commission est parvenue à démontrer que le prestataire est parti volontairement.

[13] Parfois, on ne sait pas clairement si un prestataire a quitté son emploi ou a cessé de travailler pour une autre raison. Les tribunaux ont déclaré qu’un prestataire a quitté volontairement son emploi s’il a le choix de rester ou de quitter son emploi et s’il choisit cette dernière option.Note de bas de page 1 Je dois donc décider si le prestataire avait le choix de rester dans son emploi.

[14] Le prestataire soutient qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi, mais que le contrat sur lequel il travaillait avait pris fin.

[15] La Commission prétend que le prestataire avait la possibilité de continuer à travailler avec son employeur au lieu de signer une lettre de démission.

[16] Le prestataire a signé une lettre de démission. Il explique qu’il n’avait pas le choix de signer cette lettre parce qu’il avait terminé ses 450 heures de travail et qu’il n’avait pas les moyens de rester et de renoncer à ses paiements de pension.

[17] J’accorde peu de poids à cette lettre de démission. Le prestataire croyait qu’il n’était embauché que pour 450 heures. Il travaillait plus d’heures lorsque les mesures d’urgence étaient en place parce qu’il n’était pas question de changement dans ses conditions de travail, sauf pour autoriser plus d’heures.

[18] Il a signé cette lettre parce qu’il croyait ne pas avoir le choix. Pour lui, son contrat était terminé, mais s’il ne signait pas cette lettre, il serait obligé de renoncer à ses paiements de pension.

[19] Malgré le peu de poids que j’accorde à la lettre, le prestataire reconnaît qu’il aurait pu continuer à travailler pour son employeur après la levée des mesures d’urgence. Toutefois, il croit qu’il aurait été assujetti à un contrat différent.

[20] Je conclus que le prestataire avait le choix de rester à son emploi. J’examinerai plus loin la question de savoir si les conditions de maintien en poste étaient raisonnables, mais le fait est qu’il avait bel et bien la possibilité de continuer. Son employeur lui offrait le choix de conserver son emploi.

[21] Je conclus que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

Les parties ne conviennent pas que le prestataire avait une justification

[22] Les parties ne conviennent pas que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il l’a fait.

[23] La loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi.Note de bas de page 2 Le fait d’avoir une bonne raison de partir n’est pas suffisant pour prouver l’existence d’une justification.

[24] La loi explique ce qu’elle entend par « justification ». La loi dit que le prestataire est fondé à quitter son emploi au moment où il le fait si son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. Il y est prévu qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.

[25] Il appartient au prestataire de prouver qu’il avait une justification. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que sa seule option raisonnable était de démissionnerNote de bas de page 4.

[26] Lorsque je décide si le prestataire était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionné. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 5.

[27] Après que j’ai décidé des circonstances qui s’appliquent au prestataire, il doit démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de partir à ce moment-làNote de bas de page 6.

Les circonstances qui existaient lorsque l’emploi du prestataire a pris fin.

[28] Le prestataire affirme que l’une des circonstances énoncées dans la loi s’applique. Plus précisément, il affirme qu’il y a eu des changements importants dans les conditions relatives à son salaire.

[29] Je conviens que les conditions concernant le salaire du prestataire étaient sur le point d’être très modifiées.

[30] Le contrat que le prestataire a signé le 2 janvier 2020 stipule que le prestataire est embauché pour un maximum de 450 heures. Il n’est pas mentionné dans le contrat que le prestataire devrait cesser de percevoir ses paiements de pension ou qu’il y aurait une déduction de son salaire pour une cotisation de pension.

[31] Le prestataire a fourni une copie de l’avis qui a été envoyé à son employeur, indiquant que les mesures temporaires mises en place par l’Association des foyers de soins du N.-B., le Conseil des foyers de soins du N.-B. et le Régime de retraite général et de service viendraient à échéance. Cet avis indique que si un pensionné réembauché avait travaillé 450 heures ou plus depuis sa réembauche, il devrait choisir entre les deux options suivantes :

  1. a) Continuer à travailler, cesser de recevoir sa rente mensuelle à compter du 14 août 2021 et commencer à verser les cotisations au régime de retraite à compter du 14 août 2021.
  2. b) Cesser de travailler le ou avant le 14 août 2021 et continuer de recevoir sa rente mensuelle.

[32] Le prestataire avait le choix de perdre ses paiements mensuels de pension et de se faire déduire des cotisations du salaire qu’il touchait déjà ou de voir son emploi prendre fin. Ces deux options représentent un changement important par rapport au contrat qu’il a signé le 2 janvier 2020. Soit son salaire serait réduit en raison des cotisations, soit il devrait cesser de travailler.

[33] La Commission ne fait pas valoir qu’il n’y a pas eu de changement important aux conditions d’emploi du prestataire.

[34] D’après la preuve de la Commission, je constate que l’employeur du prestataire a dit à la Commission qu’avec la façon dont la pension est gérée pour cette catégorie d’employés, le montant et la durée de sa pension auraient été touchés de façon disproportionnée si le prestataire avait choisi de rester en fonction une fois les mesures d’urgence levées.

[35] Je reconnais qu’un paiement de pension n’est pas un « salaire » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a souligné que la jurisprudence reconnaît que les situations énumérées dans la loi ne constituent pas un catalogue complet des circonstances dans lesquelles un employé peut être fondé à quitter son emploiNote de bas de page 7.

[36] Dans la présente affaire, le salaire du prestataire aurait été affecté par la retenue des cotisations de retraite. Je conclus donc que l’une des circonstances énumérées dans la loi, soit un changement important du salaire, existait au moment où le prestataire a quitté son emploi.

[37] Comme je l’explique ci-après, je conclus également que le fait de demeurer membre du personnel dans ces conditions n’était pas une solution de rechange raisonnable pour le prestataire.

Le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable

[38] Je dois maintenant décider si le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[39] Le prestataire affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable parce que la levée des mesures d’urgence a mis fin à son contrat. Les modalités du nouveau contrat offert auraient été déraisonnables.

[40] La Commission n’est pas d’accord et affirme que le prestataire aurait pu continuer à travailler et renoncer à sa pension.

[41] Je conclus que le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[42] Le contrat que le prestataire a signé était limité à 450 heures. Si les mesures d’urgence n’avaient pas été mises en place, l’emploi du prestataire aurait pris fin après qu’il eut terminé ces 450 heures. La prolongation n’a eu lieu que dans des circonstances spéciales et sans modification des modalités initiales. Il était alors raisonnable pour lui de continuer à travailler.

[43] Une fois les mesures d’urgence levées, le contrat du prestataire n’était plus prolongé aux mêmes conditions.

[44] La Commission soutient que le défaut de profiter d’une possibilité d’emploi en prolongeant ou en renouvelant un contrat équivaut à un départ volontaire.

[45] Dans le cas du prestataire, je ne suis pas d’accord pour dire que ce qui lui était offert était une prolongation ou un renouvellement de son contrat initial. On lui offrait un nouveau contrat à des conditions très différentes.

[46] Il était raisonnable pour le prestataire de ne pas continuer à travailler pour son employeur alors que l’acceptation des nouvelles modalités aurait entraîné une baisse importante de son revenu global. Le prestataire estime que son revenu diminuerait d’environ 50 % sans les paiements de pension et avec les déductions de son salaire pour le régime de pension. Il n’aurait pas recommencé à travailler avec un tel contrat.

[47] Le prestataire s’est vu accorder environ deux semaines pour faire un choix. Ce n’était pas assez de temps pour trouver un nouvel emploi avant de partir. Il n’était pas non plus en mesure de renégocier un contrat qui serait restreint par des conditions fixées par les négociations entre les syndicats, les employeurs et le gouvernement. C’était à prendre ou à laisser. Compte tenu de l’impact que cela aurait eu sur son revenu, je ne crois pas qu’il était raisonnable pour le prestataire de continuer à travailler selon les nouvelles modalités.

[48] Au vu des circonstances existantes lorsque le prestataire a quitté son emploi, le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait, pour les raisons susmentionnées.

[49] Cela signifie que le prestataire était fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[50] Je conclus que le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations.

[51] L’appel est donc accueilli.

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