Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 338

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie demanderesse : M. W.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision interlocutoire rendue par la division générale le 21 février 2022 (GE-21-2165)

Membre du Tribunal : Shirley Netten
Date de la décision : Le 2 mai 2022
Numéro de dossier : AD-22-141

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Décision

[1] La demande est rejetée parce qu’elle est prématurée.

Aperçu

[2] M. W., le prestataire, a déposé un appel à la division générale au sujet de son droit aux prestations d’assurance-emploi. L’appel est toujours en cours. Il désire porter en appel une décision interlocutoire rendue par la division générale, sans attendre la conclusion de son appel devant la division générale.

[3] Cette demande soulève la question de savoir si, ou quand, la division d’appel doit instruire l’appel d’une décision interlocutoire. J’ai décidé qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, la division d’appel doit attendre la fin de la procédure de la division générale avant d’examiner les appels de décisions interlocutoires. Comme il n’y a pas de circonstances exceptionnelles dans la présente affaire, j’ai rejeté la demande parce qu’elle était prématurée.

Question en litige

[4] La présente demande soulève les questions suivantes :

  • La division d’appel doit-elle juger les appels de décisions interlocutoires avant la fin de la procédure de la division générale?
  • La demande du prestataire est-elle prématurée?

Analyse

[5] Une décision interlocutoire est une décision rendue au cours d’une procédure. Elle ne tranche pas l’appel de façon définitive. La décision interlocutoire que le prestataire veut porter en appel disait que la membre de la division générale ne se retirerait pas de son dossier d’appel.

La division d’appel doit juger les appels de décisions interlocutoires sans tarder seulement dans des circonstances exceptionnelles

[6] Je reconnais que la division générale a dit au prestataire qu’il pouvait contester la décision interlocutoire devant la division d’appelNote de bas de page 1. Cependant, la plupart du temps, la division d’appel a déclaré qu’une décision interlocutoire ne peut pas faire l’objet d’un appel avant la fin de la procédure de la division générale, sauf dans des circonstances exceptionnellesNote de bas de page 2. Cette affirmation suit l’approche adoptée par les cours fédéralesNote de bas de page 3.

[7] Dans quelques affaires, la division d’appel a examiné l’appel, car elle affirmait que la règle interdisant la révision des décisions interlocutoires s’applique seulement aux cours et non aux tribunaux et que la division d’appel a la compétence nécessaire pour juger les appels de décisions interlocutoiresNote de bas de page 4. Je conviens que cette règle émane des cours, et je conviens que la division d’appel a le pouvoir d’instruire de tels appels. Néanmoins, je conclus qu’à moins de circonstances exceptionnelles, la division d’appel doit attendre la fin de la procédure de la division générale avant d’examiner l’appel d’une décision interlocutoire.

Ce n’est pas une question de compétence, il s’agit plutôt de déterminer le bon moment

[8] Je suis d’accord avec le prestataire : la division d’appel a la compétence nécessaire pour instruire les appels de « toute décision » rendue par la division générale, ce qui peut comprendre les décisions interlocutoiresNote de bas de page 5. Sans un tel pouvoir, la division d’appel ne pourrait pas juger les appels des décisions interlocutoires, peu importe les circonstances.

[9] Les cours fédérales sont dans une situation semblable. Elles ont le pouvoir de se prononcer sur les demandes de contrôle judiciaire, sans réserve quant au type de décisionNote de bas de page 6. Cette vaste compétence ne les a pas empêchées d’établir une règle interdisant le contrôle judiciaire prématuré des décisions interlocutoires.

[10] La question n’est pas de savoir si la division d’appel peut juger l’appel d’une décision interlocutoire. Il s’agit plutôt de savoir si la division d’appel doit se prononcer sur cet appel immédiatement, avant la fin de la procédure de la division générale. L’autre option est que la partie soulève ses objections à l’égard de toute décision interlocutoire en même temps qu’elle porte la décision finale en appel.

L’approche des cours n’est pas obligatoire, mais convaincante

[11] Les décisions des cours sur la façon de traiter les décisions interlocutoires ne sont pas d’application obligatoire dans une affaire comme celle-ci. Cependant, quand une partie cherche à contester une décision interlocutoire, la division d’appel a le loisir d’adopter une approche semblable à celle des cours. La Cour suprême du Canada a confirmé que les tribunaux contrôlent leurs propres procédures, car ils sont « maîtres chez euxNote de bas de page 7 ».

[12] Les cours fédérales n’examineront pas la décision interlocutoire d’un tribunal tant que le processus administratif ne sera pas terminé, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Je juge que la justification de la Cour d’appel fédérale est convaincante :

On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […]. De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaireNote de bas de page 8 […].

[13] Pour les mêmes raisons, il est logique que la division d’appel adopte cette approche : en l’absence de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent pas porter des questions interlocutoires en appel devant la division d’appel avant la fin de la procédure de la division générale.

[14] Voilà l’approche que je vais adopter. Elle favorise la rapidité et l’efficacité. Elle permet à la division générale de traiter l’appel dans son ensemble avant que la division d’appel ne s’en mêle. Ensuite, la division d’appel peut voir l’ensemble de la situation, et pas seulement quelques éléments.

La demande du prestataire est prématurée

[15] Après avoir décidé que la division d’appel doit instruire les appels des décisions interlocutoires seulement dans des circonstances exceptionnelles, je dois vérifier s’il y a des circonstances exceptionnelles dans la présente affaire. Si la réponse est non, alors la demande est prématurée.

Les circonstances ne sont pas exceptionnelles

[16] Les tribunaux ont dit, et je suis d’accord, que les préoccupations relatives à la partialité ne constituent pas en général des circonstances exceptionnellesNote de bas de page 9. Traiter la présente demande à ce moment-ci ne serait pas l’approche la plus efficace ou la plus juste. De toute évidence, le prestataire a déjà d’autres préoccupations au sujet de la procédure de la division générale, mais le fait de s’adresser à la division d’appel pour chaque préoccupation individuelle fragmenterait et retarderait la procédure. De plus, si le prestataire gagne sa cause à la division générale, il n’aura pas besoin de faire appel à la division d’appel.

[17] Il est également à l’avantage du prestataire que la division d’appel examine ses préoccupations après la conclusion de l’instance de la division générale (si le résultat lui est défavorable). En effet, la division d’appel pourra alors tenir compte de toutes les conclusions de la membre de la division générale et de leur incidence sur la décision. Le prestataire peut alors présenter un plus large éventail d’arguments.

[18] Par exemple, dans la présente demande, le prestataire explique pourquoi la membre de la division générale devrait insister pour que la Commission fournisse le dossier complet pour son appel et comment elle a agi de façon partiale, non professionnelle et injuste. Mais la division d’appel ne trancherait pas nécessairement la question de la partialité et ne pourrait pas régler la question des documents manquants à ce stade-ci. L’appel de la décision interlocutoire se limiterait à la question de savoir si la division générale a commis certaines erreurs lorsqu’elle a décidé de ne pas se retirer du dossier. En revanche, après avoir reçu la décision finale de la division générale, le prestataire peut faire valoir directement que la membre a fait preuve de partialité ou qu’il n’a pas pu présenter ses arguments de façon équitable en raison des renseignements manquant au dossier de la CommissionNote de bas de page 10.

Conclusion

[19] En l’absence de circonstances exceptionnelles, la division d’appel doit attendre la fin de la procédure de la division générale avant de juger les appels de décisions interlocutoires. Dans la présente affaire, les circonstances ne sont pas exceptionnelles. La demande est rejetée parce qu’elle est prématurée.

[20] Le prestataire peut toujours demander la permission de faire appel de la décision finale de la division générale, une fois celle-ci rendue.

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