Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ET c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 432

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : E. T.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (424 955) datée du 9 juin 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 février 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante

Date de la décision : Le 17 février 2022
Numéro de dossier : GE-21-1216

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Décision

[1] L’appel est rejeté. La prestataire a ou n’a pas [sic] prouvé que son travail indépendant était limité.

Aperçu

[1] La prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi le 2 octobre 2020Note de bas de page 1. La Commission a décidé qu’elle n’était pas une chômeuse parce qu’elle se concentrait sur son travail indépendant d’agente d’immobilier et donc qu’elle n’était pas admissible aux prestations du 27 septembre 2020 au 10 avril 2021Note de bas de page 2.  

[2] Après révision, la prestataire a affirmé qu’elle avait été honnête et avait toujours suivi toutes les directives concernant ses activités liées au travail indépendantNote de bas de page 3. Elle soutient que sa demande est due à une erreur de la Commission. Elle affirme également qu’il y a un manque de transparence.

[3] La Commission a maintenu sa décision selon laquelle la prestataire n’était pas chômeuse, car sa priorité était son travail indépendant et celui-ci n’était pas limitéNote de bas de page 4. Cela a entraîné un trop-payé de 12 033.00 $Note de bas de page 5. La prestataire a fait appel de cette décision auprès du TribunalNote de bas de page 6.

Questions que je dois examiner en premier

[4] La prestataire a écrit qu’on n’a pas inclus dans le dossier certaines conversations et des enregistrements audio importants avec la CommissionNote de bas de page 7. J’ai communiqué avec la prestataire et organisé une conférence préparatoire à l’audienceNote de bas de page 8. Il y a eu quelques ajournements nécessaires avec ce dossierNote de bas de page 9.

[5] Le dossier a été mis en suspens parce que la prestataire voulait déposer une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Plus précisément, elle cherchait de la documentation au sujet d’un appel téléphonique avec un agent de la Commission qui a eu lieu vers la fin de février 2021 ou au début marsNote de bas de page 10. Elle a dit que l’agent a accepté sa demande de travail indépendant.  

[6] Entretemps, j’ai communiqué avec la Commission pour voir si elle avait les documents et les enregistrements audio que la prestataire cherchaitNote de bas de page 11. La Commission a répondu en disant que les premiers documents ont été créés le 9 mars 2021 et le 12 avril 2021. De plus, la Commission a dit que les appels téléphoniques avec les agents ne sont pas enregistrésNote de bas de page 12.

Question en litige

[7] Je dois décider si la prestataire exécutait un travail pour son propre compte. Si c’est le cas, le travail était-il limité?

Analyse

[8] Un « travailleur indépendant » ou « une travailleuse indépendante » est tout particulier qui exploite ou exploitait une entreprise, ou tout employé qui n’exerce pas un emploi assurable par l’effet d’alinéa 5(2)(b)Note de bas de page 13.

[9] Lorsqu’une personne assurée présente une demande de prestations, la Loi sur l’assurance-emploi énonce que l’on doit établir une période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestationsNote de bas de page 14. Une semaine de chômage est une semaine pendant laquelle la partie prestataire n’effectue pas une semaine entière de travailNote de bas de page 15.

[10] On présume que la partie prestataire a travaillé une semaine entière de travail pendant cette semaine si elle exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son propre compte, soit à titre d’associé ou de coïntéressé, ou lorsque durant cette même semaine, elle exerce un autre emploi dans lequel elle détermine elle-même ses heures de travailNote de bas de page 16.

[11] Il y a une exception. Si la partie prestataire exerçait un emploi ou exploitait une entreprise qu’on considérerait limité et qui ne constituerait pas normalement son principal moyen de subsistance, on ne considère pas qu’elle a travaillé une semaine entière de travailNote de bas de page 17. 

[12] Si une partie prestataire est considérée comme une travailleuse indépendante, six facteurs permettent de déterminer si son emploi ou son exploitation d’une entreprise est limitéNote de bas de page 18. Les six facteurs sont les suivants :  

  1. a) le temps consacré;
  2. b) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;
  3. c) la réussite ou l’échec financiers de l’emploi ou de l’entreprise;
  4. d) le maintien de l’emploi ou de l’entreprise;
  5. e) la nature de l’emploi ou de l’entreprise;
  6. f) l’intention et la volonté de la partie prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi.

La prestataire convient qu’elle travaillait à son propre compte

[13] La prestataire travaillait comme assistante exécutive pour un agent d’immobilier jusqu’à sa mise à pied. Elle a commencé à étudier et elle travaillait en vue d’obtenir son permis d’agente d’immobilier. 

[14] Un mois avant d’obtenir son permis (le 1er septembre 2020), elle a lancé un partenariat. Ses droits de licence et ses cotisations sont devenus exigibles à compter du 1er septembre 2021. Elle a ensuite demandé des prestations d’assurance-emploi le 2 octobre 2021.

[15] Ainsi, j’accepte que la prestataire travaillait à son propre compte en tant qu’agente d’immobilier à compter du 1er septembre 2020. Aucune des parties ne conteste cela.  

Les « six facteurs »

Temps consacré

[16] Selon la Commission, la prestataire a indiqué dans sa demande de prestations qu’elle consacrait au moins 15 heures à son travail indépendant par semaineNote de bas de page 19. Quelques mois plus tard, lors d’une discussion avec la Commission, la prestataire a signalé qu’elle consacrait de 5 à 10 heures à son travail indépendant chaque jourNote de bas de page 20.  

[17] La prestataire conteste qu’elle consacrait de 5 à 10 heures chaque jour à son entreprise immobilière parce qu’il s’agissait pour elle d’un loisir. Elle affirme aussi qu’il n’y avait pas assez de travail pour qu’elle consacre de 5 à 10 heures par jour. La prestataire affirme qu’elle a toujours travaillé environ 15 heures par semaine; elle soutient que cela n’est pas une quantité de temps importante à consacrer à une entreprise immobilière.

[18] Je ne suis pas convaincue par le témoignage de la prestataire au sujet de ce facteur pour les raisons suivantes.

[19] Premièrement, je préfère les éléments de preuve tirés du formulaire de demande et de ses déclarations initiales à la Commission. Elle a indiqué dans sa demande qu’elle consacrait « 15 heures ou plus » par semaine à son travail indépendant peu de temps après avoir lancé l’entrepriseNote de bas de page 21. Elle aurait pu choisir l’option « 15 heures ou moins », mais elle a choisi l’option « 15 heures ou plus ». Environ cinq mois plus tard, elle a déclaré qu’elle consacrait environ de 11 à 20 heures par semaine à son travail indépendantNote de bas de page 22. Le mois suivant, elle a déclaré à la Commission qu’elle consacrait de 5 à 10 heures par jour à son travail indépendantNote de bas de page 23. J’estime que ces éléments de preuve indiquent qu’elle consacrait probablement un minimum de 15 heures par semaine à son travail indépendant, mais qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle ait travaillé plus de 15 heures par semaine.    

[20] Deuxièmement, j’ai examiné le fait que la prestataire déclare dans un premier temps qu’elle ne travaillait que 15 heures par semaine et ensuite dans un deuxième temps elle déclare qu’elle travaillait de 5 à 10 heures par jour. Cela semble avoir changé au moment où la Commission a décidé qu’elle devait rembourser ses prestations.  

[21] Troisièmement, la preuve montre que sa charge de travail en tant qu’agente d’immobilier augmentait progressivement au fil des mois. Elle a conclu des ententes de vente pour quatre maisons et gagné une commission entre le 26 janvier 2021 et le 10 mai 2021. Ce n’était que quelques mois après le lancement de son entreprise. Elle a envoyé une copie de son registre de paie des ventesNote de bas de page 24.    

[22] Je reconnais qu’elle a conclu les deux dernières ententes de vente inscrites dans le registre de paie en dehors de la période d’inadmissibilité en question, soit le 22 avril 2021 et le 10 mai 2021Note de bas de page 25. Elle était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 27 septembre 2021 au 10 avril 2021Note de bas de page 26. Toutefois, il est possible qu’elle ait travaillé jusqu’à la conclusion des ententes de vente des maisons avant le 10 avril 2021.

La nature et le montant du capital et des autres ressources investis

[23] La Commission affirme que la prestataire a déclaré plus de 10 000 $ de dépenses relatives à son entreprise pendant l’exercice fiscal 2020Note de bas de page 27. Elle a présenté des dépenses liées à la location de sa voiture, à son adhésion au conseil d’administration en immobilier, à l’assurance responsabilité, aux frais de courtage, à l’essence et à la publicité.

[24] La prestataire a déclaré que ses dépenses étaient seulement de 6 809.28 $ de septembre 2020 à avril 2021Note de bas de page 28. Elle affirme qu’elle n’a pas investi un montant important d’argent.

[25] Je ne suis pas convaincue par le témoignage de la prestataire au sujet de ce facteur parce qu’elle a omis d’inclure d’autres dépenses qu’elle a déclarées auparavant. Par conséquent, elle a sous-estimé ses dépenses.

[26] Par exemple, elle n’a pas déclaré son paiement pour la location de la voiture, l’assurance voiture et l’essence. Lorsque je l’ai interrogé au sujet de ces autres dépenses, elle était d’accord que ses dépenses auraient pu en effet être plus élevées si elle avait inclus les autres. Elle a ajouté qu’elle ne s’y connaît pas vraiment en finances.

[27] J’estime qu’il est probable que la prestataire avait des dépenses de plus de 10 000 $ étant donné sa déclaration initiale et son témoignage selon lequel certaines dépenses n’étaient pas incluses. 

La réussite ou l’échec financiers de l’emploi ou de l’entreprise

[28] Selon la Commission, lorsqu’elle a discuté avec la prestataire, celle-ci avait gagné environ 7 000 $ grâce à la vente d’une maisonNote de bas de page 29.

[29] La prestataire a déclaré qu’elle a réussi à vendre trois maisons avant le 22 avril 2021Note de bas de page 30. Elle affirme qu’elle continue à travailler, mais sa charge de travail a continûment diminué. Elle gagnait en moyenne 1 167.57 $ par mois, ce qui selon elle n’est pas suffisant pour gagner sa vie.     

[30] Je conclus qu’avant le 22 avril 2021, la prestataire avait des ventes brutes pour trois maisons qui totalisaient 9 198.79 $. Ce montant comprend la TVH qu’elle peut facturer. À mon avis, son entreprise était en pleine croissance et les ventes augmentaient. Elle a réalisé sa première vente quelques mois seulement après avoir lancé l’entreprise et elle en a réalisé d’autres. Ceci n’est pas un signe de l’échec financier de l’entreprise.  

Le maintien de l’emploi ou de l’entreprise

[31] La Commission affirme que la prestataire a signalé dans sa demande qu’elle consacrait tout son temps à son travail indépendantNote de bas de page 31. Elle a ensuite dit à la Commission qu’elle essayait de faire en sorte que son entreprise devienne sa source principale de revenuNote de bas de page 32. Lors de leur prochaine discussion, elle a dit à la Commission qu’elle aimerait poursuivre son travail indépendant à temps partielNote de bas de page 33.

[32] La prestataire a déclaré qu’elle s’est rendu compte que même si elle avait l’intention de se consacrer à temps plein à son travail indépendant, il était devenu plus difficile de mener ses affaires. Par exemple, au cours de la pandémie, il y avait plusieurs restrictions, donc elle ne pouvait pas faire du porte-à-porte ni organiser des visites libres, etc.

[33] J’ai demandé à la prestataire à quel moment elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait poursuivre son entreprise d’agente d'immobilier à temps partiel. En premier, elle a dit qu’elle ne savait pas, mais ensuite elle a dit que cela s’est produit autour de novembre 2021. 

[34] Je n’étais pas convaincue que la prestataire s’est rendu compte qu’elle poursuivrait son travail d’agente d’immobilier seulement à temps partiel à compter de novembre 2021. J’estime qu’il est probable que cela ne se soit produit qu’autour du 12 avril 2021 et qu’elle l’ait confirmé le 26 avril 2021 lorsqu’elle a dit à la Commission qu’elle cherchait un emploi à temps plein et elle aimerait avoir deux revenus, et donc poursuivre son travail indépendant à temps partielNote de bas de page 34.

La nature de l’emploi ou de l’entreprise

[35] Les parties ne contestent pas ce facteur. Les deux parties sont d’accord pour dire que la prestataire travaillait à son propre compte en tant qu’agente d’immobilier. Par conséquent, j’accepte cela comme un fait établi.  

L’intention et la volonté de la prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi

[36] La Commission affirme que la prestataire a indiqué dans sa demande qu’elle n’était pas disposée à exercer un autre emploi parce qu’elle voulait se consacrer à la création de son entrepriseNote de bas de page 35. Le 12 avril 2021, elle a dit à la Commission qu’elle cherchait un emploi à temps plein à l’extérieur du cadre de son travail indépendantNote de bas de page 36. La Commission affirme que la prestataire n’a pas pu fournir de détail au sujet des organismes auprès desquels elle a fait une demande d’emploi ni des postes qu’elle a postulés.

[37] La prestataire a déclaré qu’elle cherchait un emploi à temps plein, mais ne pouvait pas se souvenir du moment qu’elle a commencé sa recherche. Elle recevait des alertes d’emploi, mais il s’agissait d’emplois de premier échelon qui ne lui convenaient pas. Elle faisait également du réseautage. Elle a fini par obtenir un emploi vers la fin de septembre 2021 avec son ancien employeur.

[38] Je conclus que la prestataire n’a pas exprimé l’intention ou la volonté de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi avant le 9 avril 2021 et encore une fois le 26 avril 2021.

[39] Lorsque j’ai demandé à la prestataire si elle avait fait des demandes d’emploi, elle n’a pas répondu à la question; elle a simplement dit qu’on vivait à une époque sans précédent en raison de la pandémie et qu’elle a fait d’autres types d’efforts pour obtenir un emploi. Je peux déduire qu’elle n’a pas fait de demandes d’emploi au cours de la période d’inadmissibilité. Cela appuie aussi l’hypothèse qu’elle faisait en sorte que son travail indépendant devienne sa source principale de revenu. Je signale que la demande de prestations indique qu’il lui incombe de chercher du travail et aussi que la prestataire a reconnu ses droits et ses responsabilitésNote de bas de page 37.

« Le septième facteur »

[40] La prestataire affirme qu’il devrait avoir un septième facteur à considérer. Notamment, le fait que la pandémie a engendré beaucoup de confusion pour les Canadiens et les Canadiennes. Elle a été honnête et n’avait pas de mauvaise foi ni de mauvaise volonté. Elle n’a pas abusé du système. De plus, elle s’attendait à ce que la Commission lui dise si elle était admissible avant de lui verser des prestations. Elle ajoute qu’une faille au niveau du système a causé ce problème.    

[41] Je suis d’accord avec la prestataire pour dire que la pandémie est sans précédent. Je reconnais que son travail indépendant s’est déroulé pendant la pandémie lorsqu’elle essayé de se débrouiller suite à sa mise à pied. Toutefois, les six facteurs énumérés ci-dessus sont fondés sur la loi. Je n’ai pas l’autorité ni le pouvoir discrétionnaire de créer et d’examiner un septième facteur; je ne peux pas non plus faire une exception.  

[42] De plus, si la prestataire avait déclaré les heures qu’elle avait travaillées et ses revenus lorsqu’elle a conclu l’entente de vente de la première maison le 26 janvier 2021, la Commission aurait probablement été amenée à la contacter au sujet des revenus. Les questions dans les rapports demandent effectivement aux prestataires s’ils ont travaillé ou reçu des revenus, y compris le travail pour lequel ils recevront la rémunération plus tard, le travail non rémunéré et le travail indépendant. Les déclarations électroniques de la prestataire ne signalent aucun travail ou revenu du 13 octobre 2021 [sic] au 8 mars 2021Note de bas de page 38. La première fois qu’elle a déclaré des revenus, c’était le 9 mars 2021, soit plusieurs semaines après avoir conclu l’entente de vente de la première maisonNote de bas de page 39.

Le travail indépendant de la prestataire n’était pas limité

[43] Ayant examiné les six facteurs et les observations des parties, je conclus que le travail indépendant de la prestataire n’était pas limité. La preuve appuie l’hypothèse selon laquelle sa préoccupation principale était son travail indépendant.

Conclusion

[2] L’appel est rejeté. Cela signifie que la prestataire n’est pas admissible aux prestations.

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