Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : YW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 468

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : Y. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (440561) datée du 30 novembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 25 février 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante

Date de la décision : Le 3 mars 2022
Numéro de dossier : GE-22-191

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La prestataire (l’appelante dans cet appel) n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande initiale de prestations d’assurance-emploi. Par conséquent, sa demande initiale ne peut pas être traitée comme si elle avait été présentée plus tôt.

Aperçu

[3] La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 2 août 2021. L’intimée (Commission) a établi sa demande à compter du 1er août 2021Note de bas de page 1. Le 18 août 2021, la prestataire a demandé que sa demande soit antidatée pour qu’elle débute le 14 mars 2021. Cette date coïnciderait avec sa mise à pied du 11 mars 2021.

[4] La prestataire a été questionnée au sujet de la raison derrière le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi. Elle a affirmé qu’elle ne savait pas combien de temps elle ne travaillerait pas et pensait qu’elle n’aurait pas besoin des prestations. Elle a attendu quelques mois et était occupée à déménager par la suite. Cependant, elle a maintenant besoin d’argent. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas de motif valable justifiant son retard et a rejeté sa demande d’antidatation.

[5] La prestataire a demandé une révision à la Commission. Elle a affirmé qu’elle était admissible à 50 semaines de prestations d’assurance-emploi et qu’elle n’avait touché aucun revenu entre le 11 mars 2021 et le 13 août 2021. Elle a affirmé que sa demande de prestations était en retard parce qu’elle espérait que la mise à pied dure seulement de deux à trois mois et que si c’était le cas, elle n’aurait pas voulu demander de prestations d’assurance-emploi pour une période si courte. Ensuite, elle était occupée avec son déménagement et sa recherche d’emploi. Lorsqu’elle s’est rendu compte que la mise à pied perdurait et qu’il était déjà la fin juillet, elle ne pouvait plus attendre pour de l’aide financière et a demandé des prestations d’assurance-emploi. Elle croyait qu’elle pouvait présenter une demande quand elle aurait vraiment besoin de l’argent, mais qu’elle recevrait quand même des versements à partir de la date à laquelle elle est devenue admissible aux prestations. Elle s’attendait à recevoir un paiement forfaitaire de l’assurance-emploi comme [traduction] « paiement rétroactif » pour couvrir ses dettes et ignorait qu’il y avait un délai pour présenter sa demande.

[6] La Commission a soutenu que la prestataire n’avait pas de motif valable justifiant son retard et a rejeté sa demande d’antidatation. Cette dernière a fait appel au Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[7] Je dois décider si la demande initiale de prestations d’assurance-emploi de la prestataire peut être traitée comme si elle avait été présentée le 14 mars 2021. C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande initiale.

Analyse

[8] Pour que sa demande initiale de prestations soit antidatée, une partie prestataire doit prouver les deux choses suivantes :

  1. a) qu’elle avait un motif valable justifiant son retard durant toute la période écoulée;
  2. b) qu’elle était admissible aux prestations à la date antérieureNote de bas de page 2.

[9] Comme le fait que la prestataire a accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi en date du 14 mars 2021 n’est pas contesté, j’examinerai de plus près la question de savoir si elle avait un motif valable pendant toute la période du retard dans mon analyse.

[10] Pour démontrer qu’elle avait un motif valable, la prestataire doit prouver qu’elle a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Elle doit le prouver pour toute la période du retardNote de bas de page 4. La période de retard de la prestataire est d’un total de 20 semaines, du 14 mars 2021 (date à laquelle elle veut que sa demande de prestations débute) au 2 août 2021 (date à laquelle elle a présenté sa demande).

[11] La prestataire doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement si elle avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposaitNote de bas de page 5. Cela veut dire que la prestataire doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de s’informer sur ses droits et ses responsabilités dès que possible. Si la prestataire ne l’a pas fait, elle doit alors démontrer les circonstances exceptionnelles qui l’en ont empêchéeNote de bas de page 6.

[12] La prestataire doit prouver qu’il est plus probable qu’improbableNote de bas de page 7 qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi.

[13] Dans son avis d’appel, la prestataire a fourni les raisons suivantes pour justifier son retard :

  • Elle ignorait qu’elle devait demander des prestations au plus tard un mois après être devenue admissible;
  • Elle croyait aussi qu’elle devait attendre avant de présenter sa demande parce qu’elle a reçu trois semaines de salaire supplémentaire;
  • Elle espérait ensuite retourner travailler pour ne pas avoir besoin de demander des prestations, mais cela n’a pas été le cas;
  • Elle a besoin des mois [traduction] « manquants » de prestations d’assurance-emploi pour couvrir les dépenses engagées pendant les mois où elle n’a touché aucun revenu.

[14] Lors de l’audience, la prestataire a témoigné que :

  • Au début, elle a attendu [traduction] « un peu » parce qu’elle a reçu trois semaines de salaire;
  • Elle espérait aussi retourner travailler [traduction] « dès que possible ». Elle avait des économies et cela allait durer [traduction] « quelques mois seulement », alors elle ne voulait pas « devoir s’occuper » de l’assurance-emploi;
  • Elle a commencé à déménager, ce qui a été [traduction] « assez stressant »;
  • Elle est mère monoparentale d’un fils de 16 ans;
  • Elle a dû gérer le déménagement entièrement seule, y compris la recherche d’une maison. Elle y concentrait [traduction] « toute son attention ».
  • En même temps, elle recherchait [traduction] « très activement » du travailNote de bas de page 8 et s’occupait de son fils.
  • Elle a acheté une maison et la signature a eu lieu le 2 juillet 2021;
  • Juste avant la signature, elle était occupée par toute la paperasse, les boîtes, le magasinage de meubles et tout ce qui vient avec un déménagement. C’était une période stressante pour elle;
  • Son fils faisait ses études en ligne et elle devait lui offrir son soutien;
  • Au fil du temps, les dépenses se sont [traduction] « multipliées » et elle a dû reconnaitre qu’elle avait besoin d’aide;
  • Elle s’est installée après son déménagement en juillet et a de nouveau pu s’occuper de ses affaires personnelles;
  • C’est à ce moment-là qu’elle a demandé des prestations d’assurance-emploi;
  • Elle ignorait qu’il y avait un [traduction] « délai » pour demander des prestations. Elle était trop occupée et c’était trop pour elle;
  • Elle a cherché en ligne [traduction] « comment » demander des prestations, mais n’a pas « remarqué » qu’il y avait une date limite;
  • Elle avait présenté une demande dans le passé, donc elle savait [traduction] « à peu près » comment le faire. Cependant, elle ne s’était pas [traduction] « rendu compte » qu’il y avait une date limite;
  • Elle croyait qu’elle pouvait attendre, et si elle pouvait trouver un travail [traduction] « avant ça », elle n’aurait « même pas à demander » des prestations;
  • Cependant, elle pensait que peu importe quand elle aurait [traduction] « vraiment besoin de l’argent », ses prestations commenceraient au moment où elle a perdu son emploi;
  • Elle n’a pas cherché à savoir s’il y avait un délai ou les possibles conséquences d’attendre des mois après sa cessation d’emploi;
  • Elle a demandé [traduction] « un peu de compassion » au Tribunal parce que « beaucoup de choses sont arrivées » et elle a consacré tant de temps à s’occuper « d’autres choses » qu’elle ne s’est pas occupée d’elle-même;
  • Elle a besoin de cet argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils.

[15] La Commission affirme que la prestataire n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant toute la période du retard pour les raisons suivantes :

  1. a) Bien qu’elle était en chômage depuis mars 2021, elle a pris la décision de ne pas demander de prestations d’assurance-emploi avant août 2021 parce qu’elle avait reçu trois semaines de salaire supplémentaire. De plus, elle croyait qu’elle serait rappelée au travail et n’aurait pas besoin des prestations. Elle ne voulait pas dépendre des prestations avant qu’il soit absolument nécessaire de le faire. Cependant, dépendre de ses ressources personnelles n’est pas un motif valable justifiant un retard, et certainement pas un retard de 20 semaines. 
  2. b) Elle a affirmé qu’elle était occupée à déménager, mais demander des prestations d’assurance-emploi ne prend pas beaucoup de temps ou d’efforts. De plus, rien ne prouve que quoi que ce soit l’a empêchée de demander des prestations plus tôt. Une personne raisonnable et prudente aurait contacté Service Canada pour poser des questions sur le délai pour présenter une demande et sur les conséquences de la présenter en retard. La prestataire n’a fait aucun effort en ce sens.
  3. c) Elle a affirmé qu’elle n’était pas au courant du délai pour demander des prestations d’assurance-emploi et n’en a pas demandé depuis plusieurs années. Cependant, il incombait à la prestataire de se renseigner au lieu de se fonder sur la supposition qu’elle pouvait présenter une demande n’importe quand et recevoir les versements rétroactivement. D’autant plus qu’elle a de l’expérience avec les prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[16] Je suis d’accord avec la Commission.

[17] J’estime que la prestataire n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi pour les raisons suivantes :

  1. a) Elle n’avait pas l’intention de demander des prestations quand elle a été mise à pied parce qu’elle espérait retourner travailler et pensait qu’elle serait sans travail seulement pendant [traduction] « quelques mois ». Les tribunaux ont répété à maintes reprises qu’il ne s’agit pas d’un motif valable justifiant un retardNote de bas de page 10.
    La prestataire a été mise à pied le 11 mars 2021. Elle n’a pas touché de revenu après la fin de cet emploi et n’avait aucune autre source de revenus pendant qu’elle attendait de commencer son prochain emploi. Elle avait aussi des dépenses liées à l’achat d’une nouvelle maison et à son déménagement. Pourtant, 20 semaines se sont écoulées sans qu’elle fasse de démarches pour demander des prestations ou contacter la Commission pour savoir si elle pourrait recevoir des versements rétroactivement et connaître les implications de présenter une demande en retard.
    Dans de telles circonstances, une personne raisonnable et prudente aurait fait des démarches pour parler avec un agent de Service Canada au téléphone dans les deux à quatre semaines après sa mise à pied. Particulièrement si elle risque de dépenser toutes ses économies ou même de s’endetter pour survivre entre deux emplois. Cependant, la prestataire a admis d’elle-même qu’au fil des semaines, elle ne pensait pas qu’il serait nécessaire de demander des prestations d’assurance-emploi si elle était sans travail pendant [traduction] « quelques mois » seulement.
  2. b) Elle s’est fiée à ses propres suppositions au lieu de vérifier si elle avait bien compris. Les tribunaux ont répété à maintes reprises qu’il ne s’agit pas d’un motif valable justifiant un retardNote de bas de page 11.
    Une personne raisonnable et prudente aurait contacté Service Canada bien avant le 2 août 2021 pour s’assurer qu’elle ne compromettait pas son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi en retardant sa demande de plusieurs semaines (qui sont devenues des mois) après avoir été mise à pied le 11 mars 2021.
  3. c) Elle n’a pas vérifié assez rapidement si elle avait droit à des prestations et quelles obligations la loi lui imposait. Les tribunaux ont précisé que c’est nécessaire pour obtenir une antidatationNote de bas de page 12.
    Il incombait à la prestataire de faire de son mieux pour vérifier ses droits auprès de Service Canada dès que possible. Pourtant, elle a attendu 20 semaines pour demander des prestations d’assurance-emploi, et ce presque sans toucher de revenuNote de bas de page 13. Elle n’a même pas contacté Service Canada pour vérifier si sa supposition au sujet des versements rétroactifs était correcte et pour connaître les implications de continuer d’attendre avant de demander des prestations.
    Une personne raisonnable et prudente aurait contacté Service Canada dans les deux à quatre semaines après sa mise à pied afin de connaître les réponses à ces questions. Surtout en considérant que les semaines passaient sans qu’elle soit rappelée au travail. En omettant de le faire, la prestataire n’essayait pas d’en apprendre plus sur ses droits du mieux qu’elle pouvait. Par conséquent, elle n’a pas prouvé qu’elle a pris des mesures raisonnablement rapides pour comprendre ses droits et ses obligations par rapport aux prestations d’assurance-emploi, ce qui est nécessaire pour qu’une antidatation soit accordée.
  4. d) Rien n’a empêché la prestataire de contacter Service Canada durant la période du retard.
    Aucun élément de preuve n’indique que quoi que ce soit l’a empêché de contacter Service Canada ou de présenter une demande en ligne, mis à part ses propres suppositions et son choix délibéré d’accorder la priorité à d’autres affaires personnelles. Comme il a été mentionné ci-dessus, les tribunaux ont précisé qu’il ne s’agit pas d’un motif valable justifiant un retardNote de bas de page 14.
    Je comprends que déménager peut causer du stress. Je reconnais aussi que les parents d’enfants qui font leurs études en ligne font face à de nombreux défis. Cependant, la prestataire aurait facilement pu contacter Service Canada pour connaître ses droits et ses obligations avant le 2 août 2021Note de bas de page 15. Elle aurait aussi simplement pu remplir une demande en ligne, ce qui n’est pas difficile et ne demande pas beaucoup de temps. Elle a plutôt choisi délibérément de ne pas le faire. Elle s’est concentrée sur sa recherche d’emploi, la prise en charge de son fils de 16 ans, l’achat d’une maison et son déménagement. Par contre, aucune de ces activités ne constitue une circonstance spéciale expliquant pourquoi elle n’a pas contacté Service Canada. Une partie prestataire est censée chercher du travail pendant sa période de prestations, et assumer le rôle de parent et déménager sont des activités normales du cours de la vie.

[18] J’estime donc que la prestataire n’a pas démontré qu’elle avait un motif valable justifiant d’attendre au 2 août 2021 pour demander des prestations d’assurance-emploi, puisqu’elle n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances pour s’assurer de ses droits et de ses obligations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[19] Pour les raisons énumérées au paragraphe 17, j’estime qu’une personne raisonnable et prudente dans les mêmes circonstances que la prestataire n’aurait pas attendu au 2 août 2021 pour demander des prestations d’assurance-emploi en date du 14 mars 2021. En effet, elle aurait contacté Service Canada ou rempli une demande en ligne dans les deux à quatre semaines après sa mise à pied pour connaître le délai de présentation d’une demande de prestations. Si la prestataire l’avait fait, elle aurait obtenu des renseignements exacts au sujet des implications de présenter une demande en retard. Elle a plutôt attendu en se fondant sur une supposition non vérifiée et s’est attendue à recevoir des prestations d’assurance-emploi rétroactivement environ 20 semaines après sa cessation d’emploi. Cela n’était pas raisonnable.

[20] La prestataire soutient qu’il est injuste de la pénaliser pour sa demande en retard pendant une année particulièrement stressante et me demande de tenir compte de ses besoins financiers.

[21] Je reconnais la déception et la frustration qu’éprouve la prestataire de ne pas pouvoir reculer dans le temps au moment de sa mise à pied et demander des prestations d’assurance-emploi. Cependant, ni l’équité du résultat ni ses circonstances financières ne sont pertinentes à ce que je dois tenir en compte. Elle devait se conformer aux délais prévus par la Loi sur l’assurance-emploi ou prouver qu’elle avait un motif valable justifiant son retard. Comme énoncé plus haut, j’ai conclu que les raisons fournies par la prestataire ne constituent pas un motif valable justifiant son retard durant la période du 14 mars 2021 au 2 août 2021.

[22] Par conséquent, sa demande ne peut pas être considérée comme si elle avait été présentée à la date antérieure demandée.

Conclusion

[23] La prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances pour s’assurer de ses droits et de ses obligations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[24] Par conséquent, la prestataire n’a pas prouvé qu’elle avait un motif valable justifiant toute la période du retard de sa demande de prestations d’assurance-emploi. Cela signifie que sa demande ne peut pas être antidatée au 14 mars 2021, comme elle l’a demandé.

[25] L’appel est rejeté.

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