Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 979

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. W.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (434144) datée du 17 septembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 novembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelante

Date de la décision : Le 22 novembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-1892

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le crédit unique d’heures n’aurait pas dû être appliqué à la période de prestations de la prestataire qui a commencé le 27 septembre 2020.

Aperçu

[2] La prestataire a présenté une demande de prestations de maternité et de prestations parentales de l’assurance-emploi, et sa demande a débuté le 27 septembre 2020.

[3] Le 10 septembre 2021, la prestataire a demandé à la Commission de supprimer le crédit de 480 heures qui avait été appliqué à sa demande du 27 septembre 2020.

[4] La prestataire affirme qu’elle n’avait aucune idée que le crédit avait été automatiquement appliqué à sa demande lorsqu’elle l’a faite en septembre 2020, et qu’elle n’avait pas besoin du crédit, car elle avait plus qu’assez d’heures pour être admissible aux prestations sans celui-ci.

[5] La Commission affirme que le crédit unique a été ajouté à la demande de la prestataire du 27 septembre 2020, car il est automatiquement ajouté aux demandes, qu’une partie prestataire en ait besoin ou non.

[6] La Commission affirme qu’une fois que le crédit unique est appliqué, il ne peut être appliqué de nouveau, et que la prestataire ne pourrait donc pas l’utiliser pour une future demande.

Question en litige

[7] Le crédit unique aurait-il dû être appliqué à la demande de la prestataire du 27 septembre 2020?

Analyse

[8] Non, le crédit unique n’aurait pas dû être appliqué à la demande de la prestataire du 27 septembre 2020. La loi ne dit pas explicitement que le crédit doit être appliqué à la première demande faite le 27 septembre 2020 ou après, et le faire automatiquement produirait un résultat absurde et illogique qui ne serait pas conforme aux intentions de la loi.

[9] La partie de la loi qui est au cœur du désaccord entre la prestataire et la Commission se trouve à la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi et se lit comme suit :

153.17(1) Le prestataire qui présente une demande initiale de prestations à l’égard de prestations visées à la partie I le 27 septembre 2020 ou après cette date, ou à l’égard d’un arrêt de rémunération qui survient à cette date ou par la suite, est réputé avoir, au cours de sa période de référence :

a) si la demande initiale de prestations est présentée à l’égard de prestations visées à l’un des articles 21 à 23.3, 480 heures additionnelles d’emploi assurable;

b) dans les autres cas, 300 heures additionnelles d’emploi assurable.

[10] La Commission soutient que le crédit unique est ajouté à toute demande dont la période de prestations commence le 27 septembre 2020 ou après, peu importe si la partie prestataire a besoin des heures pour être admissibleNote de bas page 1.

[11] La Commission affirme que, puisqu’elle a appliqué le crédit unique à la demande du 27 septembre 2020 et que ce crédit peut seulement être utilisé une fois, la prestataire ne pourra pas appliquer le crédit à une demande futureNote de bas page 2.

[12] La prestataire affirme ne pas vouloir que le crédit unique soit appliqué à sa demande, qui a commencé le 27 septembre 2020.

[13] La prestataire soutient que la loi ne dit pas expressément que le crédit unique doit être appliqué à la première demande déposée le 27 septembre 2020 ou après.

[14] La prestataire soutient que la loi a été créée pour aider les personnes qui n’ont pas assez d’heures.

[15] La prestataire soutient que l’application du crédit unique à sa demande du 27 septembre 2020, alors qu’elle n’a pas besoin des heures supplémentaires pour être admissible, n’a aucun sens. Elle soutient que le fait d’appliquer automatiquement le crédit unique alors qu’elle n’en a pas besoin lui nuira, car cela l’empêchera d’être admissible aux prestations de maternité et aux prestations parentales lors de sa deuxième grossesse.

[16] La prestataire affirme qu’elle n’avait aucune idée que le crédit unique serait automatiquement appliqué à sa demande qui a commencé le 27 septembre 2020, et que la Commission ne lui a jamais dit.

[17] Je conclus que l’article 153.17(1) de la Loi ne dit pas explicitement que le crédit unique doit être appliqué à la première demande faite le 27 septembre 2020 ou après. Bien que ce soit ainsi que la Commission interprète cet article de la loi, la prestataire plaide en faveur d’une interprétation différente.

[18] La Cour suprême du Canada a déclaré que « […] l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas page 3 ».

[19] La Cour suprême du Canada a déclaré que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant et ne met pas fin à l’analyse, car il faut tenir compte du contexte global de la disposition, même si, à première vue, le sens des mots peut paraître évidentNote de bas page 4.

[20] La Cour suprême du Canada a déclaré que lors de l’interprétation d’une loi, s’ils sont clairs, les mots, prévalent; sinon, ils cèdent le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loiNote de bas page 5.

[21] La Loi d’interprétation prévoit que tout texte législatif doit être rédigé et interprété de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objetNote de bas page 6.

[22] Alors, quel est l’objectif global de la Loi?

[23] La Cour d’appel fédérale a déclaré que la Loi est [traduction] « […] un régime contributif d’assurance sociale pour les personnes qui perdent leur emploi […]Note de bas page 7 » et pour « […] indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps pour ainsi leur permettre de retourner sur le marché du travailNote de bas page 8 ».

[24] La Cour suprême du Canada a déclaré que le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, qu’elle devrait être interprétée de façon libérale et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit être résolu en faveur du prestataireNote de bas page 9.

[25] J’estime que le libellé de l’article 153.17(1) n’est pas clair. Il ne dit pas explicitement que le crédit unique doit être utilisé pour la première demande faite le 27 septembre 2020 ou après. Puisqu’il n’est pas clair, il faut s’en remettre à l’interprétation qui convient le mieux à l’objectif prédominant de la loiNote de bas page 10.

[26] La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont déclaré que l’objet de la Loi est de verser des prestations aux personnes qui sont au chômage.

[27] Dans cette optique, je note que le titre de l’article contesté de la Loi, la partie VIII.5, a pour titre « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations ». Je juge que cela démontre que l’objet des sections sous ce titre est d’aider les travailleuses et les travailleurs à avoir accès aux prestations de chômage.

[28] La Cour suprême du Canada a déclaré qu’il est bien établi que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdesNote de bas page 11.

[29] Selon la Cour suprême du Canada, on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatifNote de bas page 12.

[30] La prestataire n’avait pas besoin du crédit unique pour être admissible le 27 septembre 2020. Selon les renseignements de la Commission, la prestataire avait 1 820 heures d’emploi assurableNote de bas page 13, ce qui est beaucoup plus que ce dont elle avait besoin pour être admissible aux prestations de maternité et aux prestations parentales.

[31] J’estime qu’interpréter l’article 153.17(1) comme l’a fait la Commission, à savoir que le crédit unique doit être appliqué à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après, que la partie prestataire en ait besoin ou non, mène à un résultat absurde, parce qu’il est illogique et incompatible avec l’objet du texte législatif.

[32] L’objet de la Loi est de verser des prestations aux personnes qui sont au chômage. Le législateur a ajouté des articles à la Loi, sous le titre « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations », montrant qu’il voulait que les articles qu’elle contient aident les gens à accéder aux prestations.

[33] J’estime qu’interpréter l’article 153.17(1) comme le fait la Commission, à savoir que le crédit unique doit être appliqué à la première demande après le 27 septembre 2020, que la partie prestataire en ait besoin ou non, est également incompatible avec l’objet du texte législatif. Le titre de l’article 153.17(1) est clair : ces articles visent à aider les gens à accéder aux prestations. L’application du crédit unique alors qu’une personne n’en a pas besoin irait à l’encontre de cet objectif.

[34] Une telle action serait également illogique. Il n’est pas logique de donner à une partie prestataire des heures supplémentaires dont elle n’a pas besoin pour être admissible, car cela lui enlèverait la possibilité d’être admissible lorsqu’elle en a besoin.

[35] De plus, le libellé de l’article 153.17(1) montre qu’il vise à aider les gens à être admissibles aux prestations en leur donnant des heures supplémentaires pour les aider à satisfaire aux exigences d’admissibilité. Non seulement le fait d’appliquer ces heures supplémentaires alors qu’elles ne sont pas nécessaires ne ferait rien pour aider les gens à devenir admissibles, mais cela nuirait aux gens, car cela leur enlèverait la possibilité d’être admissibles à une date ultérieure, lorsqu’ils auront réellement besoin des heures supplémentaires. Interpréter cet article de la façon dont la Commission le fait irait à l’encontre de l’objet du texte législatif puisqu’il n’aiderait pas les gens à devenir admissibles comme il est censé le faire.

[36] Je conclus également que le mot « réputé » à l’article 153.17(1) ne signifie pas que le crédit unique doit être appliqué à la première demande faite le 27 septembre 2020 ou après.

[37] Le mot « réputé » crée simplement une présomption réfutable, c.-à-d. quelque chose qui est présumé à moins que le contraire ne soit prouvé.

[38] En ce sens, la loi dit qu’il est « réputé », autrement dit qu’il est présumé que la partie prestataire a des heures supplémentaires dans sa période de référence pour une demande présentée le 27 septembre 2020 ou après.

[39] J’estime que cette présomption ne signifie aucunement que les heures doivent être ajoutées à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après, que la partie prestataire en ait besoin ou non, puisque cela entraînerait un résultat absurde et irait à l’encontre de l’objet du texte législatif, comme je l’ai mentionné ci-dessus.

[40] Pourquoi le législateur voudrait-il que la Commission tienne pour acquis qu’une personne a accumulé des heures supplémentaires au cours de sa période de référence si ce n’est pas pour l’aider à devenir admissible alors que le nombre réel d’heures dont elle dispose n’est pas suffisant?

[41] Je juge que rien dans la législation n’empêche la Commission de considérer (autrement dit, de présumer) que la prestataire a un nombre d’heures excédentaires dans sa période de référence, pour une demande autre que la première présentée le 27 septembre ou après (p. ex., une demande pour laquelle elle a réellement besoin des heures présumées pour être admissible).

[42] Enfin, je garde à l’esprit les mots de la Cour suprême du Canada, à savoir que le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, qu’elle devrait être interprétée de façon libérale et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataireNote de bas page 14. Cela confirme que l’article 153.17(1) ne devrait pas être interprété comme le veut la Commission, car il n’aiderait pas à procurer des prestations aux personnes qui sont au chômage. De plus, compte tenu de l’ambiguïté des textes, je trancherais en faveur de la prestataire.

[43] J’estime que l’interprétation de l’article 153.17(1) par la Commission, selon laquelle le crédit unique doit être appliqué à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après, qu’une partie prestataire en ait besoin ou non, ne peut être maintenue.

[44] J’estime que l’article 153.17(1) devrait être interprété comme étant utilisé seulement si une partie prestataire a besoin des heures supplémentaires pour être admissible. Cette interprétation n’entraîne pas de résultats absurdes et est plus compatible avec l’objet du texte législatif.

[45] Par conséquent, j’estime que le crédit unique n’aurait pas dû être appliqué à la demande de la prestataire à compter du 27 septembre 2020, car elle n’en avait pas besoin pour être admissible.

Conclusion

[46] L’appel est accueilli.

[47] J’estime que l’article 153.17(1) devrait être interprété comme étant seulement utilisé si la partie prestataire a besoin des heures supplémentaires pour être admissible. Cette interprétation n’entraîne pas de résultats absurdes et est plus compatible avec l’objet du texte législatif.

[48] Compte tenu de cette interprétation, j’estime que le crédit unique n’aurait pas dû être appliqué à la période de prestations de la prestataire qui a commencé le 27 septembre 2020.

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