Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c AS, 2022 TSS 515

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Angèle Fricker
Partie intimée : A. S.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 8 février 2022 (GE-22-113)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 13 juin 2022
Numéro de dossier : AD-22-136

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur. L’intimée, A. S. (prestataire), a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées de l’assurance‑emploi. Son choix est irrévocable.

Aperçu

[2] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale. La division générale a jugé que la prestataire a choisi l’option prolongée dans sa demande de prestations parentales. La division générale a également conclu qu’elle avait commis une erreur et qu’elle voulait en fait choisir l’option standard. Par conséquent, elle a décidé qu’elle avait choisi les prestations parentales standards.

[3] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, soutient que la division générale a commis des erreurs de compétence, de droit et de fait. Elle demande à la division d’appel d’accueillir l’appel et de rendre la décision que, selon elle, la division générale aurait dû rendre. Selon la Commission, la division générale aurait dû conclure que la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées et que son choix est irrévocable.

[4] La prestataire fait valoir que le processus de demande n’était pas clair et qu’il était trompeur, en particulier lorsque l’on tient compte de sa situation personnelle. Elle demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions en litige

[5] Les questions en litige dans cet appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit?
  2. b) La division générale a-t-elle omis de prendre en compte certains des éléments de preuve portés à sa connaissance?
  3. c) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence? Autrement dit, a‑t‑elle tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire?

Analyse

[6] La division d’appel peut modifier les décisions de la division générale si elles contiennent des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit?

[7] La Commission soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit, que voici :

  1. i) elle n’a pas appliqué la décision KarvalNote de bas de page 2et n’a pas respecté les principes que la Cour fédérale a énoncés dans celle-ci;
  2. ii) elle a mal interprété l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi;
  3. iii) elle a dispensé la prestataire de son obligation de se renseigner sur ses droits et prestations;
  4. iv) elle a conclu qu’elle pouvait corriger l’erreur de la prestataire;
  5. v) elle a modifié le choix de la prestataire de recevoir des prestations parentales standards pour des prestations parentales prolongées après que des prestations lui avaient déjà été versées.

Contexte

[8] La prestataire a demandé des prestations de maternité et des prestations parentales de l’assurance-emploi en mars 2021. Elle a répondu dans sa demande qu’elle voulait recevoir des prestations de maternité, suivies de prestations parentales.

[9] Il y a deux types de prestations parentales :

  • Les prestations parentales standards, qui permettent à un parent de recevoir jusqu’à 35 semaines de prestations à un taux de 55 % de sa rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal. Si des parents partagent les prestations parentales standards, ils peuvent recevoir jusqu’à un total combiné de 40 semaines de prestations.
  • Les prestations parentales prolongées, qui permettent à un parent de recevoir jusqu’à 61 semaines de prestations à un taux de 33 % de sa rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal. Si des parents partagent les prestations parentales prolongées, ils peuvent recevoir jusqu’à un total combiné de 69 semaines de prestations.

[10] Le formulaire de demande explique que chaque parent doit choisir la même option de prestations parentales et que l’option choisie par le parent qui demande des prestations en premier est l’option que les deux parents recevront.

[11] La prestataire a choisi l’option prolongée plutôt que l’option standard.

[12] Les prestataires doivent aussi choisir le nombre de semaines de prestations parentales souhaité. Le question suivante figure dans le formulaire de demande : « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » En réponse à cette question, la prestataire a choisi le chiffre 61 dans le menu déroulant.

[13] La prestataire a commencé à recevoir des prestations parentales prolongées à la fin de juin 2021. Peu de temps après, elle a remarqué qu’elle recevait un taux de prestations inférieur à celui auquel elle s’attendait.

[14] La prestataire a continué à recevoir des paiements réduits. En septembre 2021, elle a communiqué avec la Commission. Elle a expliqué qu’elle avait fait une erreur et qu’elle voulait obtenir des prestations standards. La Commission lui a dit qu’elle ne pouvait pas accéder à sa demande.

[15] La prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale. La division générale a examiné la preuve médicale. Elle a souligné que les problèmes de santé de la prestataire à ce moment-là affectaient sa capacité à prendre des décisions. La division générale a reconnu que la prestataire était confuse en raison de son état de santé.

[16] La division générale a conclu que la prestataire voulait en fait choisir l’option standard, comme l’avait fait son mari lorsqu’il a demandé des prestations parentales. Ils ont demandé des prestations le même jour. La prestataire a déposé sa demande avant son mari.

[17] La division générale a également conclu que l’option standard était conforme à l’intention de la prestataire de s’absenter du travail pendant un an.

Omission de tenir compte de la décision Karval

[18] La Commission soutient que la division générale n’a pas appliqué la décision Karval. Elle dit que la division générale devait la suivre puisqu’elle s’appliquait directement à la situation de la prestataire.

[19] La prestataire affirme que la division générale n’avait pas à appliquer la décision Karval parce que les faits de cette affaire diffèrent de ceux de son cas : la prestataire avait des problèmes de santé mentale et elle a rempli sa demande à l’hôpital, peu de temps après avoir accouché. Elle n’a reçu aucune aide pour remplir sa demande. De plus, la prestataire affirme que les renseignements qu’elle a fournis dans son formulaire différaient de ceux contenus dans sa correspondance avec son employeur. Son employeur a confirmé qu’elle prenait un congé d’un an.

[20] La Cour fédérale a rendu la décision Karval en octobre 2021. Elle a établi dans cette décision certains principes de base relatifs au choix des prestations parentales. La Cour a affirmé ce qui suit :

  • il incombe aux prestataires d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questions;
  • dès lors que des prestations parentales sont versées, le choix est irrévocable en application de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi.

[21] La Cour a également dit que les prestataires n’ont aucun recours juridique, à moins qu’ils ne soient induits en erreur parce qu’ils se sont fiés à des renseignements officiels et erronésNote de bas de page 3.

[22] La Commission fait valoir que même si la division générale n’a pas mentionné la décision Karval, elle doit tout de même respecter les principes que la Cour a énoncés dans celle-ci.

[23] Après tout, comme le soutient la Commission, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans la décision Hull qu’un décideur doit suivre un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même dispositionNote de bas de page 4. La question des prestations parentales a aussi été abordée dans la décision Hull.

[24] La division générale a rendu sa décision en février 2022, soit un peu plus de trois mois après que la Cour fédérale ait rendu la décision Karval. La division générale n’a pas fait référence à la décision Karval, ni n’a expliqué pourquoi elle considérait que cette affaire était différente.

[25] Plus important encore, la division générale n’a abordé aucun des principes établis dans la décision Karval ni expliqué pourquoi elle les considérait comme non pertinents pour le dossier de la prestataire. Même si la prestataire soutient que les faits de l’affaire Karval diffèrent de ceux de son cas, la division générale devait tout de même suivre les principes de base sous-jacents de cette décision, ou à tout le moins expliquer pourquoi ces principes ne pouvaient pas s’appliquer dans le cas de la prestataire. La division générale ne l’a pas fait. Il s’agit d’une erreur de droit.

L’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi

[26] La Commission soutient que la division générale a mal interprété l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. L’article se lit comme suit :

(1.2) Irrévocabilité du choix — Le choix est irrévocable dès lors que des prestations sont versées au titre du présent article ou de l’article 152.05 relativement au même enfant ou aux mêmes enfants.

[27] La division générale a reconnu qu’une fois que le versement des prestations parentales a commencé, il devient impossible de changer d’optionNote de bas de page 5.

[28] Du point de vue de la division générale, elle ne modifiait pas le choix de la prestataire. Ce point de vue découlait de la croyance erronée qu’un choix signifiait ce que la prestataire « avait l’intention » de choisir, plutôt que ce qu’elle avait indiqué comme choix dans son formulaire de demande.

[29] La Cour d’appel fédérale a jugé que cette approche était injustifiable. Elle a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[62] […] À mon avis, le libellé, le contexte et l’objet de l’article 23(1.1) de la Loi sur l’assurance-emploi ne sauraient commander qu’une seule interprétation (voir les paragraphes 110 et 124 de la décision Vavilov).

[63] La réponse à la question de droit aux fins de l’application de l’article 23(1.1) de la Loi sur l’assurance-emploi est que le mot « choisit » signifie ce qu’une partie prestataire indique comme étant son choix dans le formulaire de demande. Ce choix est le choix de prestations parentales dans le formulaire.

[64] Il s’ensuit, conformément à l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi, qu’une fois qu’une partie prestataire a choisi dans le formulaire de demande les prestations parentales et le nombre de semaines qu’elle souhaite demander, et qu’une fois que le versement de ces prestations a commencé, il est impossible pour la partie prestataire, la Commission, la division générale ou la division d’appel de révoquer ou de modifier ce choix.

[30] En bref, la prestataire a indiqué son choix dans son formulaire de demande.

[31] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Premièrement, elle a mal interprété ce qui constitue un choix selon cet article et, deuxièmement, elle a commis une erreur en modifiant effectivement le choix de la prestataire.

[32] Comme la prestataire avait choisi les prestations parentales prolongées dans son formulaire de demande, elle devait accepter ce choix. Elle ne pouvait pas le changer en raison de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi.

Possibilité pour une partie prestataire d’obtenir une réparation

[33] La Commission soutient également que la division générale a commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait droit à une réparation parce que son choix dans son formulaire de demande ne correspondait pas à ce qu’elle voulait.

[34] Comme la Cour d’appel l’a dit en se référant à la décision Karval, les prestataires qui ont fondé leur choix sur une mauvaise compréhension du régime de prestations parentales n’ont aucun recours juridiqueNote de bas de page 6.

[35] La Cour d’appel a noté que le juge dans l’affaire Karval avait déclaré dans une opinion incidente qu’une partie prestataire pourrait avoir un recours si elle est induite en erreurNote de bas de page 7.

[36] Dans la présente affaire, la prestataire soutient que le formulaire de demande était trompeur, car la distinction entre les prestations de maternité et les prestations parentales et chaque type de prestations parentales n’était pas claire.

[37] Mme Karval avait également affirmé que le formulaire de demande prêtait à confusion. La Cour a conclu le contraire. Elle a dit qu’il « n’y a rien non plus de très confus dans la demandeNote de bas de page 8 ». En fait, le juge Zinn est arrivé à la même conclusion dans la décision De Leon, affirmant qu’il était d’accord avec le juge Barnes dans la décision Karval pour dire que les renseignements que le formulaire de demande contient ne prêtaient pas à confusion et n’étaient pas incompletsNote de bas de page 9.

[38] Le formulaire de demande que la prestataire a rempli est essentiellement identique aux formulaires dans les décisions Karval et De Leon. D’après les conclusions tirées par la Cour fédérale dans ces deux décisions, les renseignements que le formulaire de demande de la prestataire contenait ne prêtaient pas à confusion et n’étaient pas incomplets.

[39] De plus, la division générale a rejeté l’idée que le formulaire de demande prêtait à confusion ou était trompeur. Au contraire, la division générale a conclu que l’état de santé de la prestataire était la source de sa confusion.

[40] Malgré les problèmes de santé mentale de la prestataire, aucun recours judiciaire ne s’offre à elle. Elle n’a pas été induite en erreur parce qu’elle s’est fiée à des renseignements officiels erronés.

Autres erreurs

[41] La Commission soutient également que la division générale a commis d’autres erreurs, y compris des erreurs de fait et de compétence. Compte tenu de la nature des erreurs juridiques que j’ai relevées, il est inutile d’aborder ces autres arguments.

Réparation

[42] Comment puis-je corriger l’erreur de la division générale? J’ai deux choixNote de bas de page 10. Je peux remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. Si je choisis la première option, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas de page 11.

[43] Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Je dispose des renseignements nécessaires pour rendre une décision. Les parties s’entendent sur les faits fondamentaux. Ni la prestataire ni la Commission ne m’ont demandé de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la révise.

[44] Je suis tenue de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel. Par conséquent, et comme je l’ai décidé ci-dessus, la division générale a mal interprété ce qui constitue un choix. La prestataire a indiqué son choix de prestations parentales dans son formulaire de demande.

[45] Je reconnais qu’il existe des différences factuelles entre la présente affaire et les affaires Karval, De Leon et Hull. Malgré cela, l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance‑emploi dit clairement qu’à moins d’avoir été induite en erreur, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire, une partie prestataire ne peut révoquer ou modifier son choix une fois qu’elle a choisi le type de prestations parentales et le nombre de semaines qu’elle souhaite demande, et que le versement de ces prestations a commencé.

Conclusion

[46] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur. La prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Son choix est irrévocable.

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