Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 484

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. F.
Représentante ou représentant : J. F.
Partie intimée: Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (453091) datée du 1er février 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Candace R. Salmon
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 30 mars 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Représentante de l’appelant
Date de la décision : Le 30 mai 2022
Numéro de dossier : GE-22-376

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard à présenter une demande de prestations. Cela signifie que sa demande peut être antidatéeNote de bas page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi le 1er décembre 2021. Il demande maintenant que sa demande soit traitée comme si elle avait été faite plus tôt, soit le 1er novembre 2020. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté cette demande.

[4] Je dois décider si le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable pour ne pas avoir demandé des prestations plus tôt.

[5] La Commission affirme que le prestataire n’avait pas un motif valable parce qu’il n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans la même situation pour comprendre ses droits et ses obligations au titre de la loi. La Commission soutient que le prestataire a retardé sa demande de prestations d’assurance-emploi de 58 semaines parce qu’il ne connaissait pas le programme d’assurance-emploi.

[6] Le prestataire a soutenu que sa mère lui avait dit qu’il ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait été congédié. Il a dit qu’il ne connaissait pas grand-chose à l’assurance-emploi, mais qu’il s’était fié à l’information que sa mère lui avait donnée. Il affirme que là où il vit, il n’y a pas beaucoup d’information au sujet du programme d’assurance-emploi, et il soutient qu’il y a des circonstances culturelles exceptionnelles qui expliquent pourquoi il n’a pas présenté sa demande à temps.

Question en litige

[7] La demande de prestations du prestataire peut‑elle être traitée comme si elle avait été faite le 1er novembre 2020? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande (en devancer la date).

Analyse

[8] Pour faire devancer la date d’une demande de prestations, il faut prouver les deux choses suivantesNote de bas page 2 :

  1. a) Un motif valable justifiait le retard durant toute la période du retard. Autrement dit, il y a une explication qui est acceptable selon la loi.
  2. b) À la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle on veut faire antidater la demande), on remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.

[9] La Commission admet que le prestataire était admissible au bénéfice des prestations à la date antérieureNote de bas page 3. Par conséquent, la question est de savoir s’il avait un motif valable pendant toute la période du retard à présenter une demande de prestations.

[10] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, le prestataire doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas page 4. Autrement dit, il doit démontrer qu’il s’est comporté de façon prudente et raisonnable, comme n’importe quelle autre personne l’aurait fait dans sa situation.

[11] Le prestataire doit prouver qu’il a agi de la sorte pendant toute la durée du retardNote de bas page 5. Le retard commence le jour auquel le prestataire veut faire devancer sa demande jusqu’au jour où il a présenté sa demande de prestations. Dans le cas du prestataire, le retard va donc du 1er novembre 2020 au 1er décembre 2021.

[12] Le prestataire doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et les obligations que lui impose la loiNote de bas page 6. En d’autres mots, il doit prouver qu’il a fait de son mieux pour essayer de s’informer dès que possible de ses droits et responsabilités. Si le prestataire ne s’est pas renseigné, il doit démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoi il ne l’a pas faitNote de bas page 7.

[13] Le prestataire doit établir sa preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’un motif valable justifiait son retard.

[14] Le prestataire a parlé pour la première fois à une agente ou un agent de la Commission le 14 décembre 2021. Il a demandé que sa demande soit antidatée au 1er novembre 2020. Il a dit avoir présenté sa demande en retard parce qu’il ne connaissait pas [traduction] « le fonctionnement de l’assurance-emploi ». Il a déclaré qu’il n’avait pas eu recours au programme auparavant et qu’on lui avait dit qu’il ne serait pas admissible parce que sa perte d’emploi [traduction] « n’était pas liée à la COVID-19 ».

[15] Le prestataire a ensuite communiqué avec la Commission le 10 janvier 2022. Il a affirmé qu’il vivait dans une réserve, et ses amis lui ont dit qu’il ne serait pas admissible à l’assurance-emploi si la raison pour laquelle il avait perdu son emploi n’était pas liée à la COVID-19. Il a dit que c’était pour cela qu’il n’avait pas présenté sa demande plus tôt. Il a dit qu’il n’avait pas communiqué avec Service Canada et qu’il ne s’était jamais renseigné sur le fonctionnement de l’assurance-emploi.

[16] La Commission a refusé d’antidater sa demande. Le prestataire a demandé une révision. Il a déclaré que, dans la réserveNote de bas page 8, il n’y a pas d’information sur l’assurance‑emploi. Il a dit que lorsqu’un ami l’a informé du programme, il a présenté une demande.

[17] Le prestataire a parlé à un autre agent de la Commission le 1er février 2022. Il a dit avoir présenté sa demande de prestations en retard parce qu’il avait été congédié de son emploi et qu’il ne pensait pas être admissible. Il a ajouté qu’il avait accès à Internet et à un ordinateur personnel, mais qu’il n’avait pas consulté le site Web de la Commission pour faire des recherches sur le programme, et qu’il n’avait pas communiqué avec Service Canada. Il a dit que le bureau de Service Canada le plus près se trouve à environ 20 minutes de route de chez lui.

[18] Les notes de la Commission indiquent que le prestataire vit dans une réserve et qu’il a dit que les [traduction] « gens des réserves » ne connaissent pas grand-chose au programme d’assurance-emploi. À l’audience, il a contesté cette déclaration. Il a dit qu’il n’avait pas dit cela, mais qu’il supposait que c’était ce que l’agent avait entendu. Il a dit que même si l’agent [traduction] « l’écoutait probablement », il [traduction] « avait l’impression qu’il n’écoutait pas ». Le prestataire a également décrit des microagressions qu’il a subies lorsqu’il a essayé d’accéder aux services, comme se faire interrompre ou avoir l’impression qu’il n’était pas accepté. Il a aussi mentionné la question des taxis qui obligent les gens de la réserve à payer à l’avance, ce qu’ils ne font nulle part ailleurs en ville.

[19] Le prestataire a ajouté que sa petite amie l’avait convaincu de demander des prestations d’assurance-emploi. Il a dit à la Commission qu’il lui avait fallu environ six mois pour le convaincre de présenter une demande.

[20] La Commission a maintenu sa décision. Elle a refusé d’antidater la demande de prestations d’assurance-emploi du prestataire. Il a fait appel au Tribunal. Dans l’avis d’appel, il a dit qu’il n’avait reçu aucun de ses relevés d’emploi (RE), alors il ne savait pas qu’il aurait pu présenter une demande d’assurance-emploi. Il a répété que sa mère lui avait dit qu’il ne serait pas admissible à l’assurance-emploi parce qu’il avait été congédié. Il a dit que c’était la principale raison pour laquelle il n’avait pas présenté sa demande à temps. Il a dit que comme il vit dans la réserve, sa mère a toujours été sa principale source d’information. 

[21] La Commission affirme que le prestataire n’a pas démontré de motif valable pour le retard parce qu’il n’a pas agi comme une personne raisonnable dans sa situation l’aurait fait. Elle dit que le prestataire a attendu 58 semaines pour faire une demande de prestations d’assurance-emploi, parce qu’il ne connaissait pas le programme d’assurance-emploi. Il ajoute que les déclarations du prestataire n’étaient pas conformes au dossier, parce qu’il a dit qu’il ne connaissait pas le programme d’assurance-emploi, mais que sa petite amie avait de l’expérience avec le programme. Il souligne également que le prestataire a déclaré qu’il a fallu six mois à sa petite amie pour le convaincre de demander des prestations d’assurance-emploi, de sorte qu’il n’a pas présenté de demande à la première occasion lorsqu’il a appris qu’il pourrait être admissible.

[22] La Commission affirme qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle dans la présente affaire. Elle a considéré que le prestataire avait accès à un téléphone et à Internet, et que le bureau de Service Canada le plus près était seulement à 20 minutes.

[23] Le prestataire affirme qu’il a démontré qu’il avait eu un motif valable pendant toute la période du retard parce qu’il a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation, c.-à-d. les circonstances d’être un Autochtone ayant peu d’expérience des rapports avec les organismes gouvernementaux, et le fait que cela le rendait très nerveux.

[24] La représentante du prestataire a soutenu que celui-ci n’avait pas l’impression que les renseignements sur l’assurance-emploi lui étaient accessibles. Habituellement, où il vit, les gens parlent du programme d’aide sociale et non de l’assurance-emploi. Elle a soutenu que même si le prestataire avait accès à Internet et à un téléphone, selon son expérience, ces programmes gouvernementaux ne lui étaient pas accessibles. Elle ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas accéder techniquement à un site Web, mais qu’il ne pensait pas que le programme lui-même était accessible à quelqu’un comme lui.

[25] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le prestataire avait accès à un téléphone et à Internet, et qu’il aurait pu utiliser ces ressources pour vérifier son admissibilité aux prestations. Sa petite amie lui a également dit qu’il pouvait présenter une demande et qu’il pourrait être admissible, mais il a attendu six mois avant de donner suite à cette information. Les éléments de preuve essentiels qui distinguent cette affaire ont été présentés à l’audience.

[26] Le prestataire était représenté par une clinique d’aide juridique, et sa petite amie était présente comme témoin. Sa petite amie a déclaré que chaque fois que le prestataire avait eu une conversation avec la Commission, elle était dans la même pièce et qu’il mettait l’appel en mode mains libres pour qu’elle puisse écouter.

[27] Le prestataire semblait nerveux à l’audience et ne répondait pas souvent de façon exhaustive aux questions. À un moment donné, il a déclaré qu’il était [traduction] « plutôt nerveux » et qu’il n’avait pas d’expérience avec les organismes gouvernementaux. Il a dit qu’il se sentait [traduction] « nerveux quand il devait faire affaire au gouvernement ». Il n’a pas donné de l’information facilement. Sa petite amie ajoutait souvent à ses déclarations, et il convenait que ses renseignements étaient exacts, mais il ne fournissait pas de précisions par la suite. À plusieurs reprises, sa représentante a déclaré [traduction] « vous m’avez dit « x » avant cette audience » et lui a demandé d’aborder des points qu’il n’avait pas soulevés à l’audience. Il était clair pour moi que le prestataire n’était pas à l’aise avec le processus.

[28] Lorsque le prestataire a affirmé que sa mère lui avait dit qu’il ne pouvait pas toucher de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait été congédié de son emploi, sa représentante l’a poussé à aborder la question de manière plus complète. Selon les éléments de preuve et les observations du prestataire et de sa représentante, le prestataire a grandi dans une réserve et est un Autochtone. Il est jeune et il se fie beaucoup à ce que lui dit sa mère parce que cela fait partie de sa culture de croire et de respecter ce que pensent et disent les aînés. Voilà pourquoi il n’a pas remis en question la déclaration de sa mère selon laquelle il ne pouvait pas être admissible aux prestations d’assurance-emploi. Lorsque sa petite amie lui a dit qu’il pourrait être admissible et qu’il devrait présenter une demande et essayer, il s’est senti mal à l’aise parce qu’il respectait sa mère et qu’il croyait que ce serait une perte de temps pour tout le monde d’essayer d’obtenir des prestations d’assurance-emploi.

[29] La témoin a déclaré qu’elle ne cessait de parler du programme d’assurance-emploi au prestataire parce qu’elle estimait qu’il se trouvait dans une mauvaise situation et qu’il devrait avoir droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait travaillé et accumulé les heures d’emploi assurable nécessaires pour être admissible. La représentante a soutenu que le prestataire avait fini par demander des prestations d’assurance-emploi seulement parce que sa petite amie [traduction] « n’arrêtait pas de le lui demander ». Le prestataire était d’accord avec cette déclaration.

[30] Le prestataire a dit qu’il a toujours su que le programme d’assurance-emploi existait et qu’il était là pour vous donner de l’argent aux personnes qui ne travaillaient pas. Il a déclaré qu’il pensait que sa situation était différente parce qu’il avait été congédié. Il a ajouté que, bien que la Commission ait raison de dire que le bureau de Service Canada le plus près est à 20 minutes de route de chez lui, il n’est pas facile pour lui d’avoir accès au transport. Il a dit qu’il y avait des autobus et des taxis, mais que lorsqu’ils appellent un taxi, ils font toujours payer les gens de la réserve d’avance plutôt qu’à l’arrivée comme tout le monde.

[31] La représentante a soutenu que le prestataire et sa petite amie ont des points de vue différents sur la façon dont les choses fonctionnent, parce qu’elle n’est pas autochtone. Selon son expérience [traduction] « les choses vont bien aller », car c’est ce qu’elle a vécu en tant que femme blanche. Le prestataire s’attendait à ce que sa demande soit rejetée et qu’il n’y ait pas de règlement positif, car c’est ce qu’il a vécu. Il a l’habitude d’être traité différemment. Il a poursuivi cette demande uniquement parce que sa petite amie l’a poussé à le faire, en fonction de son expérience. Le prestataire était d’accord avec les observations de sa représentante.

[32] Je ne vois aucune preuve que la Commission a tenu compte de toutes les circonstances du prestataire lorsqu’elle a établi qu’il n’avait pas agi comme une personne raisonnable. Il y a des commentaires dans le dossier indiquant qu’il vit dans une réserve, mais il n’y a pas eu de questions de suivi sur le lien avec sa demande ou son retard à présenter une demande de prestations d’assurance-emploi. Il est essentiel de reconnaître que le prestataire a grandi et a vécu toute sa vie dans une réserve. Cette collectivité a façonné son expérience de vie, qui il est et la façon dont se comporterait une personne raisonnable dans sa situation.

[33] Je juge que la prestataire a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation. Il s’est appuyé sur la déclaration de sa mère selon laquelle il n’aurait pas droit à l’assurance-emploi, non seulement parce qu’elle avait de l’expérience avec le programme d’assurance-emploi et qu’elle était sa mère, mais aussi parce qu’il était culturellement respectueux et approprié de suivre ses conseils. La petite amie du prestataire lui a dit plus tard qu’il devrait quand même présenter une demande, parce qu’il pourrait avoir droit à des prestations. Il a encore attendu parce qu’il croyait sa mère et estimait qu’il serait inapproprié, en plus d’être inutile, de demander des prestations d’assurance-emploi.

[34] La loi prévoit qu’à moins de circonstances exceptionnelles, une partie prestataire doit prendre des mesures relativement rapidement pour comprendre ses droits et obligations au titre de la loiNote de bas page 9.

[35] La population autochtone du Canada représente un peu moins de 5 % de la population nationaleNote de bas page 10. L’histoire du colonialisme, des déplacements de populations et des pensionnats autochtonesNote de bas page 11, ainsi que leurs répercussions permanentes, est unique à ce groupe de personnes au Canada. Le fait que le prestataire est un Autochtone, né et élevé dans une réserve, qui a rarement eux d’échanges avec des organismes gouvernementaux et qui est nerveux à l’idée de traiter avec le gouvernement crée une situation unique que je trouve exceptionnelle.

[36] Les dispositions sur l’antidatation de la Loi sur l’assurance-emploi ne sont pas le produit d’un « caprice législatifNote de bas page 12 », mais elles renferment une politique essentielle à son administration efficace. Le fait d'antidater la demande de prestations peut porter atteinte à l'intégrité du système en ce qu'il accorde à une partie prestataire un octroi rétroactif et inconditionnel du bénéfice des prestations, sans possibilité de vérification des critères d'admissibilité durant la période de rétroactivitéNote de bas page 13. L’antidatation n’est pas un droit pour toute partie prestataire, mais un avantage auquel elle doit être admissible; et, comme les tribunaux l’ont dit, c’est un avantage qui devrait être appliqué exceptionnellement. L’obligation de demander rapidement des prestations d’assurance-emploi est perçue comme étant très exigeante et stricte. C’est pourquoi l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée avec prudence.

[37] Il ne fait aucun doute que le prestataire n’a pas pris rapidement des mesures pour connaître ses droits et ses obligations au titre de la loi. Cependant, la loi prévoit aussi des circonstances exceptionnelles. J’estime que le prestataire a établi que son expérience en tant qu’Autochtone dans une réserve constitue une circonstance exceptionnelle qui a eu une incidence sur son accès à l’information concernant le programme d’assurance-emploi, parce qu’il s’est fié aux conseils de sa mère au lieu de communiquer avec la Commission. Il a également tardé à présenter sa demande lorsque sa petite amie l’a encouragé à le faire pour la première fois, parce qu’il respectait les conseils et l’opinion de sa mère.

[38] De plus, le prestataire présentait des signes de nervosité à l’audience et a déclaré à un moment donné qu’il était nerveux à l’idée d’interagir avec le gouvernement. Bien que le Tribunal soit une entité distincte de la Commission, je comprends que, de l’avis du prestataire, le Tribunal est un mandataire du gouvernement. Il est raisonnable de croire que sa peur et sa nervosité se seraient étendues à la Commission également. J’estime que cela signifie qu’il a agi comme une personne raisonnable dans sa situation parce qu’une personne raisonnable qui a vécu la vie du prestataire, reconnaissant l’histoire du colonialisme, du déplacement et des pensionnats autochtones, peut raisonnablement penser qu’elle ne peut pas avoir accès aux programmes gouvernementaux parce que le gouvernement n’est pas un allié ou un organisme en qui elle peut avoir confiance.

[39] Le fait que le prestataire soit un Autochtone vivant dans une réserve et ayant vécu diverses expériences particulières qui ont eu une incidence sur sa demande d’assurance-emploi pendant toute la période du retard, signifie que les circonstances exceptionnelles étaient présentes pendant toute la période.

[40] Cela signifie que je conclus que le prestataire satisfait à la première partie du critère pour antidater une demande, parce qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui l’ont empêché de prendre des mesures raisonnablement rapides pour comprendre ses droits et obligations au titre de la loi.

[41] De plus, la Commission soutient que le prestataire aurait été admissible à la date antérieure. Comme il n’y a aucune preuve du contraire, j’accepte cela comme un fait. Par conséquent, le prestataire satisfait également à la deuxième exigence légale pour accorder l’antidatation.

Autres questions

[42] L’un des arguments du prestataire était qu’une personne ne devrait pas avoir à assumer l’entière responsabilité de l’accès aux programmes gouvernementaux. Il a dit que le gouvernement devrait avoir la responsabilité de veiller à ce que l’information sur leurs programmes soit facilement accessible, peu importe où vit une personne au Canada. Il a fait valoir que le gouvernement fédéral avait fait preuve de négligence dans l’exercice de sa responsabilité fiduciaire de veiller à ce que toutes les personnes qui vivent au Canada reçoivent de l’information sur les programmes gouvernementaux, et il a dit qu’il y avait peu ou pas d’information sur le programme d’assurance-emploi dans les réserves.

[43] Le site Web de la Commission explique le processus de demande d’accès aux prestations d’assurance-emploi. Il est facilement accessible à quiconque au Canada a accès à Internet. Toutefois, je comprends le commentaire du prestataire selon lequel le fait d’être disponible en ligne ne signifie pas qu’une personne autochtone croira qu’un programme gouvernemental lui est accessible.

[44] Le prestataire a eu l’impression de faire face à des obstacles lorsqu’il a parlé aux agentes et agents de la Commission. À l’audience, il était nerveux et il était difficile d’obtenir de l’information de sa part. Sa petite amie et sa représentante devaient l’encourager à me parler, et même à ce moment-là, ses phrases étaient courtes. Il ressort clairement des notes de la Commission que les agentes et agents n’ont pas posé de questions sur la façon dont l’identification du prestataire comme personne autochtone aurait pu avoir une incidence sur le retard de sa demande. Personne ne lui a demandé s’il avait le moyen de se rendre au bureau local de Service Canada, mais seulement à quelle distance celui-ci se trouvait. On a présumé qu’il avait un moyen de transport. Le dossier dit que sa mère lui a dit qu’il ne serait pas admissible à l’assurance-emploi, et plus tard que sa grand-mère lui a dit la même chose. Il est raisonnable pour le prestataire de croire qu’il n’a pas été écouté, ce qui correspond à la preuve qu’il a présentée à l’audience.

[45] La représentante a fait référence au Rapport sur l'examen de la qualité des services d'assurance-emploi : Les citoyens d'abordNote de bas page 14. Le rapport précise que son comité d’examen a rencontré des groupes des Premières Nations, qui « ont souligné que les problèmes actuels de qualité des services de l’assurance-emploi étaient accentués dans leurs communautés ». Il fait référence à la perception d’une « certaine forme de discrimination et d’insensibilité » et recommande que toute solution envisagée tienne compte de « l’effet particulier que la qualité des services peut avoir sur certains groupes, particulièrement les communautés autochtones, qui doivent composer avec une concentration des problèmes ». La représentante a fait valoir qu’un obstacle important est que les lois et les politiques sont explicitement difficiles à comprendre.

[46] Je comprends que la Loi sur l’assurance-emploi et ses règlements ne sont pas faciles à interpréter. L’une des raisons pour lesquelles le Tribunal met l’accent sur la rédaction en langage simple est de veiller à ce que ses décisions et son site Web soient faciles à comprendre par les personnes qui ont recours à ses services. Je n’ai pas le pouvoir d’ordonner à un organisme ou à un ministère d’adopter des mesures semblables, mais j’espère que le langage simple et la clarté deviendront la norme plutôt que l’exception.

Conclusion

[47] Je conclus que le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable pour toute la période du retard à présenter une demande de prestations.

[48] L’appel est accueilli.

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