Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : BG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 511

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : B. G.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (402189) rendue le 26 mai 2020 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Questions et réponses
Date de la décision : Le 7 juin 2022
Numéro de dossier : GE-20-1646

Sur cette page

[1] L’appel est rejeté.

[2] Le prestataire n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la période du retard. En d’autres mots, il n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, sa demande ne peut pas être traitée comme s’il l’avait présentée plus tôtNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] Le prestataire a demandé des prestations de maladie de l’assurance-emploi le 27 février 2020. Il veut maintenant que la demande soit traitée comme s’il l’avait présentée plus tôt, c’est-à-dire le 26 avril 2011Note de bas de page 2. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a déjà rejeté la requête du prestataire.

[4] Je dois décider si le prestataire a prouvé qu’il avait un motif valable de ne pas demander des prestations plus tôt.

[5] Selon la Commission, le prestataire n’avait aucun motif valable parce qu’il n’a pas prouvé que, pendant toute la période du retard, il était incapable de se renseigner sur ses droits et ses obligations aux termes de la loi ni de présenter une demande de prestationsNote de bas de page 3.

[6] Pour illustrer l’absence d’un motif valable, la Commission donne comme exemple le fait que le prestataire a pu travailler à temps plein de juin 2018 à juillet 2019, mais qu’il tente de faire valoir que sa situation pendant cette période était si exceptionnelle qu’elle l’a empêché de s’informer au sujet de ses droits et de ses obligations au titre de la loiNote de bas de page 4.

[7] Selon le prestataire, il avait un motif valable, et il a énuméré toute une panoplie de raisons pour expliquer son point.

Questions que je dois examiner en premier

[8] J’ai choisi d’instruire l’affaire par des questions et réponses écrites.

[9] Mes questions ont été envoyées au prestataire le 27 avril 2022.

[10] Il a envoyé une réponse dans laquelle il a soulevé diverses plaintes, que je vais aborder ici.

Mode d’instruction

[11] J’ai choisi de procéder par des questions et réponses écrites, car c’était un des modes d’audience que le prestataire avait choisis dans son avis d’appelNote de bas de page 5.

[12] Le prestataire affirme avoir aussi coché d’autres modes d’audience, pas seulement l’option des questions et réponses écritesNote de bas de page 6.

[13] Il est vrai que le prestataire n’a pas sélectionné seulement les questions et réponses écrites, mais c’est un mode d’audience qu’il a sélectionné, ce qui montre qu’il s’agissait d’une option possible.

[14] Ce n’est toutefois pas la seule raison pour laquelle j’ai choisi les questions et réponses écrites.

[15] Le prestataire a déclaré qu’il a une déficience liée à une perte auditive et qu’il lui est difficile d’entendre clairement la voix humaine. Il souligne que c’est particulièrement vrai sur un téléphone cellulaire ou lors d’un appel sur ZoomNote de bas de page 7. Il a mentionné qu’il avait eu de difficulté à bien entendre une membre du Tribunal lors d’un appel téléphonique préparatoireNote de bas de page 8.

[16] Le fait de procéder par écrit, à l’aide de questions et de réponses, tient compte des besoins engendrés par la déficience du prestataire.

[17] Le prestataire ajoute qu’une ou un professionnel a diagnostiqué chez lui des troubles persistants liés à l’anxiété, à la dépression, à la dysthymie et au trouble de la personnalité, ce qui le rend sujet à la distraction, une tendance qui s’aggrave dans les situations stressantes, comme s’il devait présenter des arguments orauxNote de bas de page 9.

[18] Un mode d’instruction par questions et réponses écrites est une façon de répondre aux besoins du prestataire en ce qui a trait à sa limitation, car il n’aura pas à présenter ses arguments de vive voix.

[19] Le prestataire mentionne précisément qu’il aimerait que l’audience se déroule le plus possible par écrit et que les appels téléphoniques ou les réunions Zoom soient évités dans la mesure du possibleNote de bas de page 10.

[20] Un mode d’instruction par questions et réponses écrites permet de répondre à la requête du prestataire, soit de procéder le plus possible par la présentation d’observations écrites et d’éviter les appels téléphoniques ou les appels Zoom.

[21] Par conséquent, compte tenu de toutes les limitations du prestataire, du désir qu’il a exprimé de procéder le plus possible par écrit pour éviter les appels téléphoniques ou Zoom et du fait qu’il a choisi l’option des questions et réponses écrites comme mode d’audience acceptable dans son avis d’appel, je conclus que son objection au mode d’instruction n’est pas fondée.

Délai de présentation des observations

[22] Le prestataire affirme qu’on ne lui a pas donné assez de temps pour présenter des observations.

[23] Il soutient que lorsqu’il a reçu les questions et réponses le 27 avril 2022, il a envoyé un courriel pour demander plus de temps, mais comme il n’a pas reçu de réponse, il a envoyé un autre courriel le 4 mai 2022Note de bas de page 11. Il affirme n’avoir pas reçu de réponse avant le 6 mai 2022 et comme il avait jusqu’au 10 mai 2022 pour répondre aux questions et réponses, il a eu seulement quatre jours pour préparer ses réponses.

[24] Je n’ai pas reçu le courriel que le prestataire a envoyé le 27 avril 2022. J’ai seulement reçu celui du 4 mai 2022.

[25] Malgré cela, le prestataire n’a pas eu que quatre jours pour préparer ses réponses. Il a eu du jour où il a reçu les questions et réponses écrites, le 27 avril 2022, jusqu’à la date limite, le 10 mai 2022.

[26] S’il a décidé de ne pas préparer ses réponses à mes questions, car il a supposé ou espéré que je lui accorderais un délai supplémentaire, alors c’est un risque qu’il a choisi d’assumer.

[27] De plus, le fait que le prestataire n’avait, selon lui, que quatre jours pour répondre à mes questions, mais qu’il a réussi à me faire parvenir 41 pages, dont de nombreuses présentaient des arguments et d’autres étaient des copies de multiples décisions du Tribunal de la sécurité sociale, au sujet de tous les problèmes que posaient mon avis de questions et réponses, et qu’il a déposé 39 autres pages pour répondre à mes questionsNote de bas de page 12, montre que le délai accordé pour répondre à mes questions était tout à fait raisonnable.

[28] Je remarque aussi qu’avant mon avis de questions et réponses écrites, le prestataire a déposé plus de 300 pages de renseignements pour appuyer ses arguments qui expliquent pourquoi il devrait pouvoir obtenir ce qu’il demande, soit de faire devancer la date de sa demande de prestations.

[29] De toute évidence, le prestataire a eu l’occasion de présenter de nombreuses observations sur la question en litige.

[30] Je note que le prestataire a dit que ses observations étaient incomplètes et faites à la hâteNote de bas de page 13, mais il ne devrait pas se sous-estimer. Comme il l’a fait remarquer, il est très instruit, il est un chercheur spécialisé avec de multiples diplômes et il est admissible à MensaNote de bas de page 14, une société pour les gens qui ont un quotient intellectuel très élevé. De plus, en examinant ses observations, je constate qu’il présente très bien ses arguments pour expliquer pourquoi il devrait pouvoir faire antidater sa demande (en faire devancer la date).

Questions non pertinentes

[31] Le prestataire soutient que les questions que je lui ai posées dans l’avis de questions et réponses écrites n’ont rien à voir avec sa demande d’antidatationNote de bas de page 15 (pour faire devancer la date de sa demande). Il ajoute que mes questions l’empêchent de soulever les questions qu’il aimerait présenter dans le cadre d’un appel devant la division d’appel ou d’un contrôle judiciaire devant la courNote de bas de page 16.

[32] Je ne vois pas comment le prestataire peut soutenir que mes questions ne sont pas pertinentes, car elles portent directement sur les raisons qu’il a invoquées pour expliquer pourquoi il remplit le critère d’antidatationNote de bas de page 17.

[33] Ensuite, les questions qu’il voudra peut-être soulever dans une autre tribune ne sont pas pertinentes pour la question dont je suis saisi dans le présent appel. S’il choisit de se rendre à ces tribunes et d’y soulever certaines questions, c’est à lui de le faire, mais mon processus décisionnel se limite à la seule question d’une requête visant à faire devancer la date d’une demande.

Date de l’antidatation

[34] Le prestataire affirme que mon avis de questions et réponses écrites contient une erreur, car il ne veut pas faire devancer la date au 26 avril 2011, mais plutôt à la fin du mois d’août ou à une autre date ultérieure, peut-être aussi tardive qu’avril 2012Note de bas de page 18.

[35] Avec respect, je ne suis pas d’accord avec le prestataire. Il a bel et bien demandé une antidatation au 26 avril 2011. Dans le formulaire Demande d’antidatation d’une demande de prestations, au champ introduit par l’énoncé « Je désire faire antidater ma demande au », il a écrit le 26 avril 2011Note de bas de page 19.

[36] Même s’il a mis un astérisque à côté de la date du 26 avril 2011, précisant qu’il pourrait vouloir la modifier plus tard, il ne l’a jamais remplacée par une autre date ferme.

[37] Il a proposé une série de dates vaguesNote de bas de page 20, mais il n’a jamais choisi une autre date ferme, alors le 26 avril 2011 est la date ferme sur laquelle je dois me pencher.

[38] De plus, si aucune date ferme n’est choisie, la Commission ne peut pas vérifier si le prestataire remplissait les conditions requises à ce moment-là, ni aborder la question du motif valable sans connaître la date réelle à laquelle le prestataire veut faire devancer sa demande de prestations.

Norme de la personne raisonnable et prudente

[39] Le prestataire soutient que la notion de « personne raisonnable et prudente » est discriminatoire, car elle ne tient pas compte des problèmes de santé mentale qu’il éprouve ni de leurs effets sur sa capacité à prendre une décision ou à former des idées claires.

[40] Je juge qu’elle ne l’est pas. Voici ce que la Cour a déclaréNote de bas de page 21 : « […] comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables » [c’est moi qui souligne]. Cela veut dire que je ne regarde pas ce qu’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances différentes de celles du prestataire, comme me représenter les actions d’une personne sans trouble de santé mentale. Je regarde plutôt ce qu’aurait fait une personne qui se trouve dans des circonstances semblables à celles du prestataire, donc une personne qui vit des difficultés comme les siennes.

[41] Le prestataire a fait preuve d’une grande rigueur dans ses observations en détaillant soigneusement ce qu’il a fait durant les années du retard de sa demande de prestations. Cela me donne une très bonne idée de ses capacités et de ce qu’il a pu accomplir tout en ayant des problèmes de santé mentale, ce qui m’aide à comprendre sa situation.

[42] Ainsi, lorsque je décide si les actions du prestataire correspondent à celles d’une personne prudente et raisonnable dans des circonstances semblables, j’adopte le point de vue d’une personne qui possède les caractéristiques que le prestataire a mentionnées, soit un niveau d’instruction élevé, une grande intelligence, des compétences en recherche ainsi que les répercussions que ses problèmes de santé mentale ont sur lui.

Plaintes concernant la politique de la Commission et les droits de la personne

[43] Le prestataire affirme que mes questions l’empêchent de présenter des observations sur ses préoccupations au sujet des processus internes de la Commission et de son interprétation de la loi. De plus, il estime que les politiques de la Commission violent la charte canadienne des droits de la personne.

[44] Je juge que cette plainte n’est pas pertinente, car je n’ai aucun pouvoir sur les processus de la Commission et sa façon d’interpréter la loi. Par conséquent, je ne pourrais pas accorder une réparation au prestataire pour ce qui est de ces questions, alors la question de savoir s’il peut présenter ou non de telles observations est sans objet.

[45] Quoi qu’il en soit, il a bien déposé des observations sur cette question, alors de toute évidence, on ne l’a pas empêché de le faireNote de bas de page 22.

Question en litige

[46] La demande de prestations peut‑elle être traitée comme si le prestataire l’avait présentée le 26 avril 2011? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande (en devancer la date).

Analyse

[47] Pour faire devancer la date d’une demande de prestations, il faut prouver les deux choses suivantesNote de bas de page 23 :

  1. a) Un motif valable justifiait le retard durant toute la période du retard. Autrement dit, il y a une explication qui est acceptable selon la loi.
  2. b) À la date antérieure (c’est-à-dire la date à laquelle on veut faire antidater la demande), on remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.

[48] Dans cette affaire-ci, les principaux arguments portent sur la question de savoir si le prestataire avait un motif valable. Je vais donc commencer par là.

[49] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, le prestataire doit prouver qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 24. Autrement dit, il doit démontrer qu’il s’est comporté de façon prudente et raisonnable, comme n’importe quelle autre personne l’aurait fait dans une situation semblable.

[50] Il doit prouver qu’il a agi de la sorte pendant toute la durée du retardNote de bas de page 25. Cette période s’étend du jour auquel il veut que sa demande soit antidatée, le 26 avril 2011Note de bas de page 26, jusqu’au jour où il a présenté sa demande, le 27 février 2020Note de bas de page 27.

[51] Le prestataire doit aussi démontrer qu’il a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et les obligations que lui impose la loiNote de bas de page 28. En d’autres mots, il doit prouver qu’il a fait de son mieux pour essayer de s’informer dès que possible de ses droits et responsabilités. Si le prestataire ne s’est pas renseigné, il doit démontrer que des circonstances exceptionnelles expliquent pourquoi il ne l’a pas faitNote de bas de page 29.

[52] Il doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’un motif valable justifiait son retard.

[53] Selon la Commission, le prestataire n’a pas fait ce qu’une « personne raisonnable » dans la même situation que lui aurait fait pour vérifier ses droits et ses obligations aux termes de la loiNote de bas de page 30.

[54] La Commission fait valoir qu’étant donné la nécessité de démontrer l’existence d’un motif valable pour toute la période de retard, il est souvent avantageux de procéder d’abord à l’examen de la période qui vient tout juste avant la date de la demande initiale de prestations. S’il n’y a aucun motif valable durant cette période du retard, la demande d’antidatation ne peut pas être accueillieNote de bas de page 31.

[55] La Commission soutient que le prestataire était capable de travailler à temps plein de juin 2018 à juillet 2019. Pourtant, il avance tout de même que sa situation pendant la même période était si exceptionnelle qu’il ne pouvait pas s’enquérir de ses droits et de ses obligations aux termes de la loi ni faire une demande de prestationsNote de bas de page 32.

[56] La Commission reconnaît que le problème de santé du prestataire peut lui causer des difficultés au quotidien, mais elle n’est pas convaincue que sa maladie était si exceptionnelle qu’elle l’a empêché de faire ce qu’une personne prudente et raisonnable aurait fait dans des circonstances semblables. Elle affirme que ce constat est évident si l’on considère le fait qu’en 2012, en 2018 et en 2019, le prestataire a été capable de chercher un emploi, de poser sa candidature, d’accepter un poste et d’occuper un emploiNote de bas de page 33.

[57] La Commission fait valoir que, pendant la période du retard, le prestataire a décrit les multiples requêtes qu’il a présentées à divers organismes judiciaires et quasi judiciaires. Elle affirme que cela appuie le fait qu’il était capable de vérifier assez rapidement ses droits et ses obligations et de demander des prestationsNote de bas de page 34.

[58] Le prestataire a présenté une myriade de raisons pour lesquelles il avait un motif valable de retarder le dépôt de sa demande de prestations.

[59] Voici un bref échantillon des problèmes qu’il mentionne :

  • les répercussions de ses problèmes de santé mentale;
  • la gestion d’une cessation d’emploi qui impliquait de communiquer avec des avocats et de se battre contre la compagnie qui fournissait une assurance maladie à son employeur pour obtenir des prestations d’invalidité de courte et de longue durée;
  • la remise délibérée de sa demande de prestations parce que cela lui donnait un avantage financier;
  • le sentiment de ne pas avoir besoin de communiquer avec l’assurance-emploi, car il a consulté son site Web à plusieurs reprises et il pensait connaître assez bien l’assurance-emploi à cause de son expérience antérieure.

[60] Je n’ai absolument aucun doute que toutes les choses qui, selon le prestataire, sont arrivées dans sa vie au cours de la période entière du retard, que ce soit les problèmes avec son chat ou la nécessité de rénover la maison en rangée qu’il louait, la multitude de poursuites judiciaires qu’il a intentées ou ses problèmes de santé, se sont réellement produites.

[61] Je n’ai aucun doute qu’il a été très difficile de composer avec la cessation de son emploi, et je peux seulement imaginer à quel point il a dû être frustrant de se battre contre sa compagnie d’assurances pour obtenir les prestations d’invalidité de courte et de longue durée auxquelles il croyait avoir droit.

[62] Je ne doute pas non plus du fait que les problèmes de santé mentale du prestataire peuvent être exacerbés par le stress, ni qu’il subissait du stress en raison de son congédiement, de la gestion de ses recours juridiques contre son employeur et de la lutte contre la compagnie qui lui fournissait une assurance invalidité de courte et de longue durée.

[63] Cependant, même si je n’ai aucun doute que ses problèmes de santé mentale ont eu des répercussions sur son fonctionnement au quotidien, sa capacité à faire toutes sortes d’activités pendant la période du retard, comme l’introduction de procédures judiciaires complexes, entre autres choses, montre que ses problèmes n’étaient pas débilitants au point de l’empêcher de vérifier assez rapidement ses droits et ses obligations aux termes de la loi, ce qu’il n’a pas fait, ou de demander des prestations de maladie.

[64] Le prestataire affirme qu’il a retardé sa demande parce qu’il savait que l’indemnité de départ aurait une incidence sur ses prestations et qu’il s’attendait à recevoir de l’argent d’autres sources, comme ses prestations d’invalidité de courte duréeNote de bas de page 35.

[65] Il cite la décision du juge-arbitre du Canada (CUB) 10737 pour appuyer ses propos. Celle-ci dit qu’il fallait féliciter la prestataire dans cette affaire d’avoir cherché une autre source pour le remplacement de son salaire avant de recourir au programme d’assurance-emploiNote de bas de page 36.

[66] Toutefois, je constate dans la jurisprudence plus récente que le fait de s’appuyer sur d’autres sources d’argent, comme le fait de vivre de ses économies, n’est pas un motif valable de retarder une demande de prestationsNote de bas de page 37.

[67] Je juge qu’une personne prudente et raisonnable ne retarderait pas la présentation d’une demande de prestations d’assurance-emploi parce qu’elle s’attend à recevoir des prestations d’une autre source.

[68] Le prestataire ne peut pas être certain que la compagnie d’assurance lui versera les prestations d’invalidité de courte et de longue durée qu’il souhaite recevoir. Surtout lorsque son expérience passée montre que la compagnie ne voulait pas lui verser de l’argent, car il explique qu’il a été obligé de la traîner devant les tribunaux pour la forcer à lui payer des prestationsNote de bas de page 38.

[69] Ainsi, une personne prudente et raisonnable qui, comme le prestataire, sait qu’il peut être difficile d’obtenir des prestations d’invalidité n’écarterait pas la possibilité de recevoir des prestations d’assurance-emploi pour plutôt prendre le risque de ne recevoir aucune prestation de quelque source que ce soit. Elle aurait plutôt vérifié assez rapidement ses droits et ses obligations aux termes de la loi ou elle aurait demandé des prestations de maladie.

[70] Le prestataire affirme aussi qu’au départ, il n’a pas communiqué avec la Commission, car il connaissait ses droits et ses obligationsNote de bas de page 39.

[71] Il dit avoir consulté le site Web de l’assurance-emploi au moins une fois durant la période du 26 avril au 26 juillet 2011 pour confirmer ses droits et ses obligations, qui n’avaient pas beaucoup changé depuis 2002-2004Note de bas de page 40.

[72] Le prestataire explique qu’en mars 2012, il pensait sérieusement à présenter une demande, mais il croyait ne plus avoir droit aux prestations parce qu’il avait retardé sa demande trop longtemps pendant qu’il tentait d’obtenir des prestations d’invalidité de courte et de longue durée de sa compagnie d’assuranceNote de bas de page 41.

[73] Il dit avoir visité le site Web de l’assurance-emploi dans l’espoir de trouver quelque chose qui indiquerait que sa demande de prestations serait peut-être valideNote de bas de page 42. Il dit que s’il avait le moindrement cru que communiquer directement avec la Commission lui aurait appris quelque chose de nouveau, il l’aurait fait, mais il explique qu’il n’avait aucune question précise à poser et que le site Web ne mentionnait pas qu’il ne fallait pas se fier uniquement aux renseignements qui s’y trouvaient.

[74] Il affirme que ce n’est qu’en février 2020, soit près de neuf ans après la période où il aurait pu présenter une demande de prestations, qu’il a pris connaissance de l’antidatation et des règles relatives aux périodes de référenceNote de bas de page 43.

[75] Lorsque je regarde cette séquence d’événements, je ne vois pas les actions d’une personne prudente et raisonnable, car le prestataire n’a pas vérifié assez rapidement son droit aux prestations et les obligations que lui impose la loi.

[76] Le problème du prestataire est qu’il a retardé ses démarches parce qu’il se fondait sur une hypothèse. Il a supposé qu’il connaissait ses droits et ses obligations aux termes de la loi, car il avait une expérience antérieure avec l’assurance-emploi et il avait consulté le site Web de l’assurance-emploiNote de bas de page 44. Toutefois, son hypothèse était erronée.

[77] Comme il l’a expliqué, c’est seulement en février 2020, lors d’une conversation avec une agente de l’assurance-emploi au sujet d’une autre demande de prestations, qu’il a appris qu’il était possible de devancer la date d’une demandeNote de bas de page 45. Cela démontre clairement que son hypothèse selon laquelle il connaissait ses droits et ses obligations était inexacte, car il n’était pas au courant de l’existence de l’antidatation. Cela montre aussi la valeur potentielle des communications avec la Commission.

[78] Je juge qu’une personne prudente et raisonnable communiquerait avec la Commission pour voir quelles sont les options qui s’offrent à elle ou s’il y en a plutôt que de simplement supposer qu’elle connaît bien ses droits et ses obligations.

[79] Le prestataire dit avoir consulté le site Web, et je n’ai aucun doute qu’il l’a fait. Cependant, comme la Cour l’a expliqué dans la décision Mauchel c Canada (Procureur général), 2012 CAF 202, la seule consultation du site Web ne suffit pas et se fier uniquement au site Web ne constitue pas un motif valable.

[80] Le prestataire conteste cette interprétation de la décision Mauchel. Il affirme que le site Web est très clair au sujet des dates limites de la période de référence. Il ajoute que, contrairement à la décision Mauchel, dans laquelle le juge a déclaré qu’une recherche plus approfondie du site Web aurait dû alerter M. Mauchel et l’amener à se demander s’il pouvait être admissible aux prestations, le site Web de l’assurance-emploi ne donnait aucun renseignement indiquant que le prestataire serait peut-être admissible aux prestations lorsqu’il a consulté le site Web.

[81] Selon le prestataire, dans son cas, le site Web tel qu’il était en 2011 ou au début de 2012 (il n’est pas tout à fait certain du moment où il l’a consulté) ne disait rien au sujet de l’antidatation, du devancement de la date de la demande, de la période de référence ou de la prolongation de la période de référenceNote de bas de page 46.

[82] Je ne suis pas d’accord avec la façon dont le prestataire interprète la décision Mauchel.

[83] À l’avant-dernier paragraphe de la décision, on peut lire ceci :

[15] Puisque le site Web n’est pas censé répondre à tous les cas particuliers, les prestataires ne peuvent pas raisonnablement considérer les renseignements qui y figurent comme des renseignements personnalisés offerts par un agent en réponse à leurs demandes d’information quant à leur admissibilitéNote de bas de page 47.

[84] J’estime que ce paragraphe indique clairement que, peu importe si une recherche plus approfondie avait permis d’obtenir plus d’information ou non, le simple fait de consulter le site Web sans aller plus loin n’est pas suffisant et que, si c’est là la raison du retard, ce n’est pas un motif valable. En conséquence, le fait que le prestataire a agi de cette façon ne constitue pas comme tel un motif valable pour toute la période du retard.

[85] De plus, les déclarations du prestataire en ce qui concerne ce qui se trouve sur le site Web montrent que son comportement allait à l’encontre de celui d’une personne prudente et raisonnable qui serait dans des circonstances semblables. Si le site Web est clair au sujet de la période de référence, comme le prestataire l’a affirmé, et ne mentionne aucune option pour faire antidater ou devancer une demande de prestations, comme le prestataire l’a dit, alors je considère qu’une personne prudente et raisonnable dans la même situation ne retarderait pas la présentation d’une demande pour s’assurer d’avoir accumulé assez d’heures au cours de sa période de référence, puisqu’il n’y avait aucune information sur la prolongation de la période de référence.

[86] D’autant plus que le prestataire a démontré dans ses observations qu’il comprenait le concept de la période de référence et son incidence sur le nombre d’heures d’emploi assurable qu’une personne doit avoir accumulées pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 48.

[87] Je juge aussi que le prestataire n’a mentionné aucune circonstance exceptionnelle qui l’aurait dispensé de l’obligation de vérifier assez rapidement ses droits et ses obligations.

[88] Oui, une myriade de choses se passaient dans sa vie et, comme je l’ai dit, je ne doute pas du fait que ses troubles de santé mentale lui ont causé des problèmes, mais, comme il l’a décrit de façon très détaillée dans ses observations, il a été capable entre autres d’introduire de nombreuses procédures judiciaires complexes, de rénover une maison en rangée et même de travailler à temps plein pendant la période du retard.

[89] S’il a été capable de travailler à temps plein, de s’occuper de multiples procédures juridiques complexes et de se battre contre sa compagnie d’assurance pour obtenir des prestations d’invalidité de courte et de longue durée, il aurait certainement pu communiquer avec la Commission à un moment ou à un autre.

[90] Enfin, je note que le prestataire a déclaré qu’il fallait faire preuve d’indulgence pour l’antidatation des demandes de prestations spéciales, car c’est ce que dit la jurisprudence. Il cite le paragraphe 51 de la décision De Jesus c Canada (Procureur général), 2013 CAF 264 :

[51] Étant donné qu’une personne qui touche des prestations parentales n’est pas tenue d’être disponible pour travailler durant la période de prestations, il n’y a pas lieu de tenir compte des difficultés administratives liées à l’établissement du bien‑fondé d’une demande pour décider si le prestataire avait un motif valable justifiant son retard. De fait, au chapitre 3, « Antidatation », du Guide de détermination de l’admissibilité de Service Canada, on note ce qui suit (au paragraphe 3.3.1) :

L’approche est un peu plus souple lorsque le prestataire demande des prestations spéciales [dont les prestations parentales], car il n’est alors pas tenu de prouver sa disponibilité et que les risques de préjudice pour la Commission ne sont pas les mêmes.

[91] Pour plusieurs raisons, je ne suis pas d’accord avec l’observation du prestataire voulant que l’indulgence soit requise dans sa situation.

[92] Premièrement, l’affaire De Jesus impliquait des travailleurs agricoles immigrants qui, comme la Cour l’a dit, faisaient face à des désavantages propres à leur groupe, comme l’inadmissibilité à de nombreuses prestations sociales (y compris la plupart des prestations d’assurance-emploi), l’exclusion de nombreuses mesures légales de protection des travailleurs (y compris la représentation par un syndicat), le faible niveau de scolarité, l’analphabétisme fonctionnel et une connaissance insuffisante du français ou de l’anglais, l’isolement social et le manque d’accès à des téléphones, à des ordinateurs et à des centres urbains, des horaires de travail longs et ardus qui laissent peu de temps libre et la crainte de représailles de l’employeur et de l’expulsion du paysNote de bas de page 49.

[93] Ces caractéristiques contrastent du tout au tout avec celles du prestataire, qui a déclaré dans ses observations être né au Canada, parler anglais, être très instruit, avoir trois diplômes universitaires, être un chercheur spécialisé et être admissible à Mensa (une organisation pour les personnes ayant un quotient intellectuel très élevéNote de bas de page 50).

[94] De toute évidence, sa situation se distingue de celle des prestataires dans l’affaire De Jesus, car il n’a pas à composer avec les mêmes difficultés que les ouvriers agricoles immigrés pourobtenir de l’information sur l’assurance-emploi.

[95] Deuxièmement, dans l’affaire De Jesus, la Cour dit qu’il faut adopter une approche un peu plus souple. Dans cette affaire, le retard n’était même pas d’un an.

[96] Ce fait contraste avec la situation du prestataire, dont le retard est de près de neuf ans, ce qui nécessiterait bien plus qu’un « peu » d’indulgence.

[97] Enfin, voici le plus gros problème que pose la tentative du prestataire d’utiliser l’affaire De Jesus pour invoquer l’indulgence : la décision explique que l’un des principaux obstacles à l’antidatation, c’est-à-dire prouver la disponibilité, ne s’appliquait pas dans l’affaire De Jesus. Ce critère s’applique cependant au prestataire.

[98] Dans la décision De Jesus, la Cour a déclaré ceci :

La réticence à antidater une demande de prestations régulières lorsque le demandeur n’était pas au fait de son admissibilité aux prestations est attribuable à un facteur important : il serait difficile pour la Commission de vérifier, de nombreux mois après coup, si le demandeur était disponible pour travailler durant la période entière des prestations : voir, par exemple, l’arrêt Canada (Procureur général) c Brace, 2008 CAF 118, aux paragraphes 6 et 7Note de bas de page 51.

[99] Par la suite, la Cour souligne que la détermination de la disponibilité n’était pas nécessaire pour les prestations parentales, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de prendre cet élément en compte au moment de décider si le prestataire dans l’affaire De Jesus avait un motif valableNote de bas de page 52.

[100] Dans l’affaire dont je suis saisi, le prestataire demande des prestations de maladie. Ces prestations exigent une preuve de disponibilité. La loi prévoit qu’une personne n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel elle ne peut pas prouver qu’elle était, ce jour-là, soit incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement et aurait été sans cela disponible pour travaillerNote de bas de page 53.

[101] En d’autres mots, il faudrait que le prestataire puisse prouver que si ce n’était de sa maladie, il serait disponible pour travailler, contrairement au prestataire dans l’affaire De Jesus.

[102] Ainsi, les préoccupations soulevées par la Cour sur le fait que l’antidatation rend la détermination de la disponibilité difficile sont pertinentes dans le cas du prestataire et justifient le refus de faire preuve d’indulgence.

[103] Je tiens à souligner que c’est exactement ce que la loi disait en 2011, l’année jusqu’où le prestataire veut faire devancer sa demande.

[104] Finalement, j’aimerais dire une autre chose au sujet de l’antidatation. Même si j’ai utilisé la date du 26 avril 2011, décision avec laquelle le prestataire n’est pas d’accord, et que j’ai expliqué plus haut les raisons pour lesquelles j’ai utilisé cette date, la sélection d’une autre date remontant à 2011 ou à 2012, ou même la dernière date vague qu’il a mentionnée, soit décembre 2012Note de bas de page 54, ne serait pas utile au prestataire. La loi indique clairement que le prestataire doit démontrer qu’un motif valable justifie le retard de sa demande de prestations pendant toute la période du retard.

[105] Le même problème demeure, soit qu’il s’est fié à ses propres hypothèses concernant ses droits et ses obligations aux termes de la loi pendant toute la période du retard, ce qui va à l’encontre de ce qu’une personne prudente et raisonnable aurait fait dans des circonstances semblables. Ainsi peu importe la date que j’aurais choisie parmi toutes les dates qu’il a proposées, il ne réussit pas à démonter qu’un motif valable justifie son retard pendant toute la période du retard.

[106] Il faut remplir les deux volets du critère de l’antidatation pour faire devancer la date d’une demande de prestations, mais comme le prestataire n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pendant toute la période du retard, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de vérifier s’il répondait aux conditions requises à la date antérieure.

Conclusion

[107] Le prestataire n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la durée du retard.

[108] L’appel est rejeté.

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