Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JN c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2021 TSS 989

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. N.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (437119) datée du 22 octobre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 décembre 2021
Personnes présentes à l’audience : Appelante (prestataire)
Date de la décision : Le 28 décembre 2021
Numéro de dossier : GE-21-2167

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Décision

[1] Je rejette l’appel.

[2] La prestataire n’a pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi quand elle l’a fait (c’est-à-dire qu’elle avait une raison acceptable selon la loi). Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] Le 1er février 2021, la prestataire a remis une lettre de démission écrite pour quitter son emploi chez XNote de bas de page 1. Son dernier jour de travail était le 14 février 2021. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi le 24 mars 2021. La Commission a fait commencer sa demande de prestations en date du 21 mars 2021.

[4] Pendant qu’elle recevait des prestations, la prestataire a déclaré qu’elle avait commencé à travailler pour X le 5 avril 2021Note de bas de page 2. Elle a quitté cet emploi pour des raisons médicales le 28 mai 2021.

[5] Le 29 mai 2021, la prestataire a fait une demande pour réactiver (renouveler) sa demande de prestations. Elle a demandé des prestations de maladie. La Commission a renouvelé sa demande de prestations à compter du 30 mai 2021.

[6] La prestataire a reçu huit semaines de prestations de maladie. Elle a ensuite demandé de passer à des prestations régulières. La Commission a examiné les raisons pour lesquelles la prestataire avait quitté son emploi chez X. Elle a décidé qu’elle avait quitté volontairement (ou choisi de quitter) cet emploi et qu’elle était fondée à le faire. La Commission a commencé à verser des prestations régulières à la prestataire le 25 juillet 2021.

[7] Plusieurs semaines plus tard, la Commission a procédé à un examen. Le 8 octobre 2021, elle a conclu que la prestataire avait quitté volontairement son emploi chez X, sans être fondée à le faire. Elle a imposé une exclusion rétroactive à compter du 23 mai 2021. Cette décision entraîne un trop-payé de 4 000 $ en prestations d’assurance-emploi. Après avoir révisé le dossier, la Commission a maintenu sa décision.

[8] La prestataire n’est pas d’accord. Elle fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Elle dit qu’elle ne travaille plus pour X parce qu’elle avait des relations conflictuelles avec un superviseur, et pour des raisons de santé. Elle dit aussi qu’elle a conclu une entente avec la gérante pour retirer sa démission et rester au travail. Cependant, douze jours plus tard, la gérante a nié avoir conclu cette entente et on a cessé de la mettre sur l’horaire de travail.

Questions en litige

[9] La prestataire a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[10] Dans l’affirmative, la prestataire était-elle fondée à quitter son emploi?

[11] La Commission a-t-elle imposé l’exclusion rétroactive dans les délais prescrits?

Analyse

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la prestataire a quitté volontairement son emploi

[12] J’estime que la prestataire a quitté volontairement son emploi. J’ai pris en considération les éléments ci-dessous.

[13] Selon la loi, une fois qu’un employeur accepte la démission d’une partie prestataire, celle-ci est considérée comme ayant quitté volontairement son emploi. Cela comprend les cas où la partie prestataire change d’avis et souhaite retirer sa démissionNote de bas de page 3.

[14] La prestataire convient que le 1er février 2021, elle a laissé une note de démission manuscrite dans le bureau de la géranteNote de bas de page 4. Cette note précise que la prestataire a donné son préavis de deux semaines le 1er février 2021.

[15] La Commission soutient que l’employeur a dit que la gérante et la propriétaire avaient rencontré la prestataire le 1er février 2021. Au cours de cette rencontre, elles ont demandé à la prestataire de changer d’avis et de continuer à travailler, mais elle a refusé. La prestataire ne conteste pas cela.

[16] La prestataire affirme que plus tard ce jour-là, la gérante lui a demandé s’il y avait quelque chose qu’ils pouvaient faire pour la garder. Elle a dit qu’une superviseure était présente lors de cette conversation. La prestataire dit avoir accepté de rester si elle pouvait former le nouveau boulanger. La prestataire affirme que la gérante a accepté qu’elle s’occupe de sa formation.

[17] La Commission affirme que la gérante a nié avoir jamais accepté de révoquer la démission de la prestataire. La gérante a dit que la prestataire avait démissionné brusquement à cause de petits problèmes, qu’ils avaient essayé de lui parler et dit qu’elle pouvait rester. Cependant, la prestataire n’a pas voulu et a démissionnéNote de bas de page 5.  

[18] La prestataire conteste les observations de la Commission. Elle dit que la gérante n’a peut-être pas dit à la propriétaire qu’elle avait accepté de la laisser rester et que c’est pour cela qu’elle a dit à la Commission qu’elle n’avait pas accepté de révoquer sa démission.

[19] La prestataire affirme qu’elle était en colère quand elle a appris que quelqu’un d’autre formait le nouveau boulanger. Puis, deux jours avant son dernier quart de travail, la gérante l’a approchée et lui a dit qu’elle avait entendu dire que la prestataire n’allait pas travailler ses deux derniers quarts de travail. La prestataire a nié avoir dit cela. Elle dit que la gérante était en colère au sujet de ce qu’elle avait entendu, et qu’elle lui a dit que dimanche serait son dernier jour. La prestataire affirme qu’elle pensait que cela signifiait que la gérante la congédiait parce que celle-ci pensait qu’elles avaient accepté que la prestataire continue de travailler.

[20] Après avoir examiné les faits énoncés ci-dessus, je conclus que la prestataire a quitté volontairement son emploi. C’est elle qui a amorcé sa cessation d’emploi en remettant sa lettre de démission. Elle admet que lorsque la gérante et la propriétaire lui ont demandé de rester, elle a refusé. Même si elle a tenté de retirer sa démission, il reste que l’employeur a accepté sa démissionNote de bas de page 6. Je conclus donc qu’elle a quitté volontairement son emploi.

[21] Je vais maintenant vérifier si la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi lorsqu’elle l’a fait.

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la prestataire était fondée à quitter son emploi

[22] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi quand elle l’a fait.

[23] La loi précise qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 7. Avoir une bonne raison de quitter un emploi ne suffit pas à démontrer que l’on était fondé à le faire.

[24] La loi explique ce qu’on entend par une personne « est fondée à » faire quelque chose. Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. On dit qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances.Note de bas de page 8

[25] La prestataire est responsable de prouver que son départ était fondé. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 9.

[26] Pour décider si la prestataire était fondée à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances au moment de sa démission. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerNote de bas de page 10.

[27] Une fois que j’aurai établi les circonstances qui s’appliquent à la prestataire, celle-ci devra démontrer qu’elle n’avait aucune autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi au moment où elle l’a faitNote de bas de page 11.

Les circonstances dans lesquelles la prestataire a démissionné

[28] Premièrement, la prestataire dit avoir eu l’impression qu’un autre employé (P.) faisait des choses intentionnellement pour la contrarier. Elle dit que P. était l’un des deux superviseurs qui travaillaient à son lieu de travail. Elle estime qu’il agissait de façon antagonisteNote de bas de page 12.

[29] La Commission a consigné que, lors de sa conversation téléphonique du 22 octobre 2021 avec l’employeur, elle a demandé à celui-ci qui était P. L’employeur a dit que P. était un [traduction] « collègue ». L’employeur a également dit que la prestataire avait un conflit avec P. Il n’a pas mentionné que P. était un superviseur. L’employeur dit plutôt que I. était la gérante à l’époqueNote de bas de page 13. 

[30] La prestataire affirme avoir travaillé avec P. pendant son orientation. Ils travaillaient tous les deux comme boulangers. Dès que son orientation a pris fin, elle a commencé à avoir des problèmes avec lui. Elle dit qu’elle avait toujours eu de la difficulté à travailler son quart de travail le lendemain du jour où il avait travaillé parce qu’il n’organisait pas les choses correctement. Il faisait toujours en sorte qu’il lui manquait des ingrédients continuait à la réduire à l’état de produits et il ruinait le système qu’elle avait mis en place.

[31] À l’audience, la prestataire a expliqué en détail comment il lui a fallu environ un mois pour [traduction] « le mettre en place ». Elle dit avoir trouvé un bon système pour commander des produits et établir des quantités précises. La gérante et la superviseure ont approuvé ce qu’elle avait écrit. Elle dit que P. oubliait constamment des articles ou préparait le mauvais nombre de plateaux. Elle dit en avoir parlé à la gérante, mais que les problèmes ont continué.

[32] La prestataire a dit qu’environ une semaine avant de démissionner, elle a eu une conversation avec P. Elle dit qu’il était en colère et qu’il la blâmait pour certaines choses. Elle dit qu’elle lui a dit qu’elle n’allait pas se disputer avec lui. Puis, P. lui a attribué la responsabilité de quelque chose qu’il avait fait, alors elle a donné sa démission.

[33] Je reconnais que, pendant l’audience, la prestataire a présenté un témoignage incohérent lorsqu’elle a mentionné P. Au début, elle a insisté pour préciser que P. était un superviseur. Cependant, en poursuivant son témoignage, elle a parlé de P. comme d’un collègue.

[34] J’ai tenu compte du fait que l’employeur désigne P. comme un collègue, ainsi que des incohérences dans le témoignage de la prestataire. Je ne suis pas convaincue que P. était le superviseur de la prestataire. Cela dit, même si c’était le cas, il faudrait quand même que la prestataire démontre qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. J’examinerai ce point ci‑dessous. 

[35] La prestataire a fourni une deuxième raison pour laquelle elle avait quitté son emploi chez X. Elle dit qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler parce que le stress aggravait sa fibromyalgie. Plus précisément, elle dit que le stress augmentait sa douleur. Elle dormait moins et estimait qu’il ne valait pas la peine de nuire à sa santé pour son travailNote de bas de page 14.

[36] La prestataire admet qu’elle n’a pas quitté son emploi chez X parce que son médecin lui avait conseillé de le faire. Elle dit qu’elle a ces problèmes de santé depuis 2018 ou 2019 et qu’elle sait donc comment les gérer. Elle dit ne pas avoir eu besoin de consulter son médecin au sujet de ses symptômes accrus pendant qu’elle travaillait chez X.

[37] À l’audience, la prestataire a dit qu’elle était en colère lorsqu’elle a appris que P. formait le nouveau boulanger. Elle dit qu’elle avait juste besoin de quitter cet emploi pour réduire son stress mental et sa colère.

[38] La Commission a présenté une copie d’une lettre médicale datée du 12 juillet 2021, soit cinq mois après que la prestataire a quitté son emploi chez X. La lettre précise que la prestataire est atteinte de fibromyalgie. Elle mentionne également qu’en raison de ses problèmes de santé, le type d’emploi qui lui conviendrait le mieux serait un emploi de bureauNote de bas de page 15.

[39] La prestataire affirme avoir présenté ce certificat médical à l’appui de la raison pour laquelle elle a quitté l’emploi qu’elle avait obtenu après X. Elle affirme avoir obtenu un emploi manuel chez X. Ses tâches consistaient principalement à faire des travaux manuels comme tondre la pelouse, livrer des pièces, peindre, faire des petits travaux et surveiller des personnes qui travaillent en hauteur pour éviter qu’elles tombent.

Autres solutions raisonnables

[40] À mon avis, les circonstances présentées par la prestataire, qu’elles soient examinées individuellement ou ensemble, ne constituent pas une justification sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Cela est dû au fait que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables lorsqu’elle a quitté son emploi.

[41] Dans les cas où les conditions de travail étaient difficiles, une personne qui veut établir qu’elle était fondée à quitter son emploi doit normalement démontrer qu’elle a pris des mesures raisonnables pour améliorer sa situation en discutant de ses préoccupations avec son employeurNote de bas de page 16.

[42] Je reconnais que la prestataire dit avoir discuté des problèmes avec la gérante, I. Toutefois, je suis d’accord avec la Commission pour dire que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner. Elle aurait pu attendre que I. arrive au travail ce jour-là pour discuter de ses préoccupations. Elle aurait aussi pu accepter l’offre de la propriétaire de rester au travail, du moins jusqu’à ce qu’elle trouve un autre emploi. Au lieu de cela, elle s’est fâchée et a démissionné, créant elle-même sa situation de chômage.

[43] Une autre solution de rechange serait que la prestataire aurait pu discuter de ses préoccupations concernant son état de santé avec son médecin, comme elle l’a fait lorsqu’elle a senti le besoin de quitter son emploi chez X. Elle aurait aussi pu demander un congé à son employeur jusqu’à ce qu’elle se soit suffisamment rétablie pour retourner au travail et mieux gérer la situation. Ensuite, si elle voulait tout de même quitter son emploi, elle aurait pu continuer de travailler jusqu’à ce qu’elle en trouve un autre.

[44] Je ne suis pas convaincue que démissionner était la seule autre solution qui s’offrait à la prestataire même si elle avait un problème de santé persistant. J’estime plutôt que, compte tenu de toutes les circonstances qui existaient au moment où la prestataire a démissionné, même cumulativement, elle avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait. Cela signifie que la prestataire n’était pas fondée à quitter son emploi.  

[45] La Commission a établi que l’exclusion entrait en vigueur le 14 février 2021. La Commission a refusé de verser des prestations à la prestataire en date du 23 mai 2021, car il s’agit de la date à laquelle elle a réactivé (renouvelé) sa demande.

Exclusion rétroactive

[46] Selon la loi, la Commission peut réexaminer une demande de prestations d’assurance-emploi jusqu’à 36 mois (3 ans) après le versement des prestationsNote de bas de page 17. Si la Commission est d’avis qu’une partie prestataire a fait une déclaration ou une représentation fausse ou trompeuse, elle peut réexaminer sa demande dans les 72 moisNote de bas de page 18 (6 ans).

[47] Je comprends que la prestataire aurait aimé que la Commission examine les raisons pour lesquelles son emploi chez X a pris fin beaucoup plus tôt. Si elle l’avait fait, le montant du trop-payé aurait été moins élevé. Toutefois, ce n’est pas la preuve par rapport à laquelle la Commission a commis une erreur dans son examen.

[48] Dans l’affaire qui nous concerne, la prestataire a reçu huit semaines de prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 23 mai 2021. Selon les documents au dossier, la Commission a commencé son examen le 8 octobre 2021. La Commission a avisé la prestataire de l’exclusion rétroactive le 8 octobre 2021, soit dans la période de 36 mois permise pour le traitement des déclarations bimensuelles de la prestataireNote de bas de page 19. Par conséquent, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur dans l’examen des déclarations.

[49] Je compatis avec la prestataire, compte tenu des circonstances qu’elle a expliquées à l’audience. Toutefois, ma décision est fondée sur les faits dont je dispose et sur l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux faire aucune exception et je n’ai aucune latitude. Je ne peux pas interpréter ou réécrire la loi d’une manière qui est contraire à son sens ordinaire, pas même pour un motif de compassionNote de bas de page 20.

Conclusion

[50] L’appel est rejeté.

[51] La prestataire a volontairement quitté son emploi sans être fondée à le faire. Par conséquent, elle est exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi.

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