Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 479

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. T.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (457395) datée du 18 février 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Linda Bell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 12 mai 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant

Date de la décision : Le 16 mai 2022
Numéro de dossier : GE-22-1083

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Décision

[1] J’accueille l’appel. Je suis d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission n’a pas fourni suffisamment de preuves pour prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Le prestataire n’est donc pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour cette raison.

Aperçu

[3] Le prestataire a cessé de travailler le 26 novembre 2021. Il a fait une demande de prestations régulières d’assurance-emploi et a établi une période de prestations commençant le 28 novembre 2021.

[4] La Commission a examiné les raisons pour lesquelles le prestataire a cessé de travailler. Elle a jugé que le prestataire avait volontairement quitté son emploi sans justification. La Commission a imposé un arrêt de payement à durée indéterminée (une exclusion). Par conséquent, il n’est pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi.

[5] Après révision, la Commission a modifié sa décision. Elle a décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et a maintenu l’exclusion.

[6] Le prestataire fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. Il dit avoir perdu son emploi après s’être arrangé pour prendre deux jours de vacances. Il a dû prendre des jours de congé pour mettre de l’ordre dans ses finances après que son employeur ne l’ait pas payé pour le jour du Souvenir.

Question que je dois examiner en premier

[7] Le Tribunal a établi que l’employeur du prestataire pouvait être mis en cause dans l’appel. Le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il souhaitait être ajouté en tant que mis en causeNote de bas de page 1. Pour être mis en cause, l’employeur doit montrer qu’il avait un intérêt direct dans l’appel. L’employeur n’a pas donné suite à la lettre du Tribunal. Comme rien dans le dossier d’appel n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie à cet appel.

Questions en litige

[8] Est-ce que le prestataire a quitté volontairement son emploi ou est-ce que l’employeur l’a congédié?

[9] Est-ce que le comportement du prestataire a entraîné la perte de son emploi?

[10] Le cas échéant, est-ce qu’il s’agissait d’une inconduite?

Analyse

[11] Dans certains cas, les preuves peuvent rendre incertaine la cause du chômage d’une partie prestataire. Cela dit, la loi a établi que ce que je dois traiter est la décision rendue par la Commission, et non celle qu’elle aurait pu rendre ou aurait dû rendre, en faisant preuve de bon sensNote de bas de page 2.

[12] Dans la présente affaire, la Commission a examiné comment l’emploi du prestataire a pris fin et a imposé une exclusion. Initialement, la Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a décidé qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Lors de la révision, elle a maintenu l’exclusion, mais elle a décidé que l’employeur du prestataire l’avait congédié pour inconduite. Donc, la question que je dois trancher est de savoir si le prestataire est exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi.

[13] Le législateur a lié les exclusions pour départ volontaire et les inconduites aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi. Ainsi, si j’interprète les faits d’une manière légèrement différente, pour conclure qu’il s’agit d’un congédiement plutôt que d’une démission (départ volontaire), je ne m’écarte pas de la question que je suis appelée à examiner, à savoir celle de l’exclusionNote de bas de page 3.

Est-ce que le prestataire a quitté volontairement son emploi ou est-ce que l’employeur l’a congédié?

[14] La loi établit que pour décider si une partie prestataire a volontairement quitté son emploi, la question à se poser est de savoir si la partie prestataire avait le choix de conserver ou de quitter son emploiNote de bas de page 4.

[15] Dans la présente affaire, je conclus que l’employeur a congédié le prestataire. En effet, le prestataire n’avait pas le choix de conserver son emploi.

[16] Les parties conviennent que le 26 novembre 2021, l’employeur a dit au prestataire qu’il émettait un relevé d’emploi. Il lui a également dit d’enlever sa boîte à outils. C’était en réponse au message texte du prestataire indiquant qu’il venait de faire savoir à son superviseur (B.) qu’il ne serait pas au travail le lundi et le mardi parce qu’il avait un travail en espècesNote de bas de page 5.

[17] Le prestataire affirme qu’il a toujours prévu de retourner au travail dès qu’il aurait terminé son travail en espèces. C’est pourquoi il a demandé deux jours de vacances. Cependant, juste après avoir reçu le message texte lui indiquant qu’il devait retirer sa boîte à outils, le propriétaire a appelé son superviseur. Il a demandé à parler avec le propriétaire. Il dit que le propriétaire était [traduction] « fougueux » et [traduction] « vraiment en colère ». Il a demandé au propriétaire ce que le message texte signifiait. Le propriétaire a dit que le prestataire n’avait plus d’emploi parce qu’il ne se présentait pas au travail aux heures prévues.

[18] Compte tenu de la preuve mentionnée ci-dessus, je conclus que l’employeur a congédié le prestataire. Je dois maintenant décider si les preuves sont suffisamment détaillées pour savoir si le prestataire a agi de la façon qui lui est reprochée. Si le prestataire a agi de cette façon, je vais alors décider si, dans ces circonstances, ce comportement est considéré comme une inconduiteNote de bas de page 6.

Est-ce que le comportement du prestataire a entraîné la perte de son emploi?

[19] Je n’ai pas à décider si le congédiement était justifié. Mon rôle consiste uniquement à établir si le prestataire a commis l’acte qui lui est reproché et si cet acte constitue une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 7.

[20] Les parties conviennent que le prestataire a envoyé un message texte au propriétaire le 26 novembre 2021. Dans ce message, le prestataire a fait savoir à B. (son superviseur) qu’il lui manquait 8 heures de salaire. Il ne sera donc pas là lundi et mardi parce qu’il avait du travail en espèces.

[21] La Commission déclare que le prestataire n’a pas demandé de congé, mais qu’il a simplement dit à son employeur qu’il ne rentrerait pas travailler. La Commission s’appuie sur la déclaration du propriétaire selon laquelle ils étaient complets, des semaines à l’avance. L’employeur a jugé qu’il n’était pas correct que le prestataire ait dit qu’il ne se présenterait pas au travail parce qu’il avait un autre emploi prévu. Il s’est donc arrangé pour émettre son relevé d’emploi et lui a dit d’enlever sa boîte à outils.

[22] Lors de l’audience, le prestataire a expliqué en détail comment, juste avant le jour de la paye, il a entendu une rumeur provenant de la personne chargée des finances selon laquelle il n’allait pas être payé pour le jour du Souvenir. Il a parlé à B., son superviseur, de ses préoccupations. Le superviseur a parlé avec le propriétaire la veille du jour de la paye. Le propriétaire a dit qu’il n’avait pas à le payer pour cette journée parce que ce n’est pas un jour férié dans sa province.

[23] Le prestataire dit avoir été très surpris que son employeur n’allait pas le payer pour le jour du Souvenir. Il s’attendait à être payé, car le magasin était fermé le jeudi 11 novembre 2021. Il dit que son employeur l’a payé pour ce congé en 2020, mais ne lui a pas dit qu’il ne serait pas payé pour ce congé en 2021.

[24] Le prestataire affirme que personne ne l’a averti qu’il ne serait pas payé pour le jour du Souvenir. Il ne l’a appris qu’un jour ou deux avant le jour de la paye. Si son employeur l’avait prévenu, il aurait demandé à faire des heures supplémentaires ou à trouver du travail le week-end pour être sûr de recevoir un salaire complet.

[25] Lorsque le prestataire a appris que sa rémunération allait être réduite de huit heures, il a dû se demander comment il allait payer son loyer et ses factures qui étaient dus la semaine suivante. Il dit qu’il avait fait faillite un an et demi plus tôt, et qu’il ne pouvait donc manquer aucun payement. C’est pourquoi il s’est arrangé pour effectuer des travaux en espèces le lundi et le mardi (29 et 30 novembre 2021). Il a parlé à son superviseur, B., de la possibilité de prendre ces deux jours de congé. Le superviseur lui a répondu [traduction] « oui, fais ce que tu as à faire » et lui a demandé d’envoyer un message aux propriétaires.

[26] Le prestataire dit que dans le passé, lorsqu’il avait besoin de vacances, il en parlait simplement à son superviseur. S’il y avait des travaux de prévus, l’un des propriétaires venait et couvrait ses quarts de travail. Cette fois-ci, lorsque son supérieur a dit oui, il a envoyé un message à la personne chargée de la paye pour l’avertir qu’il aurait besoin d'une indemnité de congé pour le lundi et le mardi. Il a également envoyé un message au propriétaire pour lui faire savoir qu’il devait prendre deux jours de vacances.

[27] Le prestataire conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle il aurait pu demander à travailler plus d’heures pour l’employeur afin de compenser le jour où il n’a pas été payé. Il dit que s’il faisait du travail supplémentaire pour l’employeur, il ne serait payé que deux semaines plus tard, sur son prochain chèque de paye. Son loyer et ses factures étaient dus le mardi suivant, soit le 30 novembre 2021. Il devait donc être payé tout de suite. C’est pour cela qu’il a accepté le travail en espèces.

[28] J’ai jugé que la description détaillée du prestataire de ce qui s’est passé le 26 novembre 2021 était crédible et probable compte tenu des circonstances qu’il a présentées pendant l’audience. Je le crois quand il dit qu’il n’a jamais pensé que son employeur le congédierait pour avoir pris ces deux jours de congé. S’il l’avait su, il dit qu’il aurait appelé pour dire qu’il était malade afin d’éviter de perdre son emploi.

[29] Le prestataire a été franc et a admis qu’il réalise maintenant comment son message texte a pu contrarier le propriétaire. En rétrospective, il dit qu’il aurait formulé le message différemment pour mieux expliquer sa situation.

[30] Je vais maintenant décider si les actions du prestataire qui ont consisté à dire au propriétaire qu’il ne serait pas au travail le lundi et le mardi représentent une inconduite.

Est-ce que le comportement du prestataire constitue une inconduite?

[31] Non. J’estime que la Commission n’a pas fourni suffisamment de preuves pour prouver que le comportement du prestataire constitue une inconduite.

[32] La définition ou l’interprétation du mot « inconduite » est une question de droitNote de bas de page 8. Toutefois, la question de savoir si les actions ou omissions du prestataire sont d’une nature telle qu’elles relèvent de l’inconduite est une question de faitNote de bas de page 9.

[33] La loi prévoit que l’inconduite doit être la raison du congédiement et non une excuse pour celui-ciNote de bas de page 10. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, il n’est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d’une intention coupableNote de bas de page 11. Toutefois, pour qu’une exclusion des prestations d’assurance-emploi soit imposée, l’inconduite exige la preuve d’un élément psychologique, soit un caractère délibéré soit une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 12.

[34] Il y a inconduite lorsque la conduite de la partie prestataire était délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement étaient conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque la partie prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il existait une possibilité réelle que sa conduite entraîne son congédiementNote de bas de page 13.

[35] Je ne suis pas d’accord avec la Commission lorsqu’elle déclare que le prestataire avait comme solution raisonnable de discuter de la situation avec son employeur ou que ses actions constituaient une inconduite. C’est parce que le prestataire avait discuté de la situation avec son superviseur, B., comme il est indiqué dans son message texte. Je crois le prestataire lorsqu’il dit que B. a dit de faire ce qu’il avait à faire et de s’assurer d’envoyer un message au propriétaire.

[36] Il n’est pas contesté que l’employeur n’a pas payé le prestataire pour le jour du Souvenir en 2021. Le propriétaire l’a dit à la Commission lors de leur conversation téléphonique du 30 décembre 2021Note de bas de page 14. Cependant, il n’y a aucune preuve que la Commission a vérifié si l’employeur a omis d’aviser le prestataire qu’il ne le paierait pas pour ce jour férié, comme il l’avait fait dans le passé.

[37] La Commission s’est plutôt concentrée sur le fait que le prestataire a envoyé un message au propriétaire le vendredi pour lui dire qu’il ne serait pas là le lundi et le mardi. Elle affirme qu’il s’agit d’une inconduite, car on s’attend à ce qu’un employé se présente au travail à moins qu’il ne soit autorisé à s’absenter. Cependant, la Commission n’a pas reconnu que le prestataire avait parlé à son superviseur B., comme cela était indiqué dans le message texte.

[38] Si j’avais établi qu’il s’agissait d’un cas de départ volontaire, ce qui n’est pas le cas, j’aurais quand même donné raison au prestataire. En effet, un employeur et un employé ont un devoir l’un envers l’autre. Dans la présente affaire, l’employeur a d’abord enfreint cette obligation lorsqu’il a fermé le magasin le jour du Souvenir et n’a pas dit au prestataire qu’il ne serait pas payé pour cette journée, comme il l’avait été en 2020. Le prestataire s’est donc retrouvé avec un chèque de paye dans lequel il manquait huit heures de salaire. Il a donc dû se démener pour trouver un moyen d’honorer ses obligations financières qui étaient dues le 30 novembre 2021. En agissant unilatéralement, sans en aviser le prestataire, l’employeur a modifié les conditions d’emploi qui existaient auparavant, ce qui constituerait une justificationNote de bas de page 15.

[39] J’estime que le prestataire ne pouvait pas raisonnablement prévoir que son employeur le congédierait pour ces actions. Je le crois lorsqu’il dit qu’il ne savait pas qu’il serait congédié lorsqu’il a pris des dispositions pour prendre deux jours de vacances le lundi et le mardi, après avoir appris qu’il manquait huit heures de salaire sur son chèque de paye.

[40] Le prestataire a parlé avec son superviseur, B., et a expliqué qu’il avait besoin de l’argent pour payer ses factures. Il s’est arrangé pour faire un travail pour de l’argent alors il a demandé des vacances. B. lui a dit de faire ce qu’il devait faire et d’envoyer un message au propriétaire, ce qu’il a fait. Il a également envoyé un message texte à la personne chargée de la paye pour l’avertir qu’il allait réclamer deux jours de vacances sur sa feuille de temps. Il a demandé à parler au propriétaire quand il a appelé B. Il a essayé de clarifier sa situation, mais le propriétaire était trop énervé et l’avait déjà congédié.

[41] Compte tenu de la preuve présentée ci-dessus, je conclus que les actions du prestataire ne comportent pas l’élément psychologique lié à un caractère délibéré. J’accepte que dans ces circonstances, le prestataire ne savait pas, ou n’aurait pas dû savoir, que ses actions visant à organiser deux jours de vacances entraîneraient son congédiement. Par conséquent, le comportement du prestataire ne constitue pas une inconduite. Le prestataire n’est donc pas exclu des prestations régulières d’assurance-emploi pour cette raison.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli.

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