Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c RV, 2022 TSS 658

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelant  : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Angèle Fricker
Partie intimée : R. V. 

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 21 octobre 2021 (GE-21-1730)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimé

Date de la décision : Le 21 juillet 2022
Numéro de dossier : AD-21-382

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante (la Commission) a décidé que l’intimé (le prestataire) ne remplissait pas les exigences de disponibilité prévues par la loi parce qu’il était inscrit à une formation à temps plein à X. La Commission a imposé un arrêt de paiement rétroactif (elle a déclaré le prestataire inadmissible) à compter du 22 novembre 2020. Cela a entraîné un trop-payé (prestations d’assurance-emploi versées en trop). Après avoir fait une révision, la Commission a décidé de maintenir sa décision. Le prestataire a porté la décision de révision en appel à la division générale.

[3] La division générale a conclu que le prestataire avait réfuté la présomption voulant qu’il n’était pas disponible pour travailler pendant qu’il fréquentait l’école à temps plein parce que, depuis longtemps, il avait l’habitude de travailler à temps partiel pendant qu’il étudiait à temps plein. La division générale a conclu que le prestataire avait manifesté le désir de retourner sur le marché du travail, qu’il avait fait assez d’efforts pour trouver un emploi et qu’il n’avait pas établi de conditions personnelles limitant ses chances de retourner sur le marché du travail. Elle a conclu qu’il était disponible au sens de la loi.

[4] La division d’appel a accordé à la Commission la permission de faire appel. Cette dernière soutient que la division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 18(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[5] Je dois décider si la division générale a en effet commis une erreur de droit en interprétant l’article 18(1)(a) de la Loi.

[6] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’article 18(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi et conclu que le prestataire était disponible pour travailler?

Analyse

Le mandat de la division d’appel

[8] La Cour d’appel fédérale a établi que, lorsque la division d’appel instruit des appels par application de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69 de la LoiNote de bas de page 1.

[9] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel pour les décisions rendues par la division générale. Elle n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui exercé par une cour supérieureNote de bas de page 2.

[10] Par conséquent, à moins que la division générale ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’article 18(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi et conclu que le prestataire était disponible pour travailler?

[11] La division générale a conclu que le prestataire avait réfuté la présomption voulant qu’il n’était pas disponible pour travailler pendant qu’il fréquentait l’école à temps plein parce qu’il avait depuis longtemps l’habitude de travailler à temps partiel pendant qu’il étudiait à temps plein.

[12] La division générale a aussi conclu que le prestataire avait manifesté le désir de retourner sur le marché du travail, qu’il avait fait assez d’efforts pour trouver un emploi et qu’il n’avait pas établi de conditions personnelles limitant ses chances de retourner sur le marché du travail. Elle a conclu qu’il était disponible au sens de la loi.

[13] Selon la Commission, la division générale a commis une erreur de droit en déterminant le troisième élément du critère juridique confirmé par la décision Faucher, c’est-à-dire lorsqu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas établi de conditions personnelles qui limitaient indûment (à tort) ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 3.

[14] Selon la Commission, la preuve démontre que le prestataire était inscrit à une formation à temps plein à X et qu’il n’abandonnerait pas ses études s’il recevait une offre d’emploi à temps plein. Elle fait valoir que le prestataire a indiqué dans ses déclarations hebdomadaires qu’il n’était pas disponible deux ou trois jours par semaine et qu’il consacrait plus de 35 heures par semaine à sa formation.

[15] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le prestataire s’était acquitté du fardeau de la preuve qui lui revenait simplement en étant disponible pour travailler à temps partiel pendant qu’il était inscrit à une formation à temps plein.

[16] Le prestataire soutient qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations parce que, depuis longtemps, il travaille à temps partiel tout en poursuivant ses études à temps plein. Il avance qu’une période de prestations a été établie à son profit sur la base d’un emploi à temps partiel et que la loi n’exige pas qu’il cherche un emploi à temps plein. Il affirme qu’il a toujours cherché du travail en dehors de son horaire de cours, mais que les possibilités d’emploi étaient nulles en raison de la pandémie. Le prestataire fait valoir qu’il a été totalement transparent avec la Commission dès le début de sa période de prestations et qu’il ne devrait pas payer pour l’erreur qu’elle a faite.

Vérification de l’admissibilité

[17] Une période de prestations d’assurance-emploi a été établie au profit du prestataire à compter du 22 novembre 2020.

[18] La loi prévoit qu’à tout moment après le versement des prestations, la Commission peut vérifier qu’une personne est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’elle était capable de travailler et disponible pour travailler pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 4.

[19] Cette disposition, qui fait partie des « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations », reconnaît que, pendant la pandémie, la vérification de l’admissibilité était peut-être impossible au moment du premier versement des prestations et elle autorise la vérification même après le versement des prestations.

[20] Je remarque que la disposition était en vigueur lorsque le prestataire a demandé des prestationsNote de bas de page 5. Par conséquent, la Commission pouvait vérifier à tout moment si le prestataire avait droit aux prestations d’assurance-emploi, même après leur versement.

Disponibilité pour le travail

[21] La division générale devait décider si le prestataire remplissait les exigences de disponibilité pendant qu’il suivait une formation à temps plein.

[22] Elle a conclu que le prestataire avait réfuté la présomption voulant qu’il n’était pas disponible pour travailler pendant qu’il suivait une formation à temps plein. Elle a jugé qu’il avait démontré que, depuis 2015, il continue de travailler à temps partiel tout en suivant une formation à temps plein.

[23] Comme la division générale l’a déclaré, la réfutation de la présomption veut seulement dire qu’on ne présume plus de la non-disponibilité du prestataire. La division générale devait tout de même examiner les exigences prévues par la Loi sur l’assurance-emploi et décider si le prestataire était effectivement disponible.

[24] Pour qu’on les considère comme disponibles pour le travail, les prestataires doivent démontrer qu’elles et ils sont capables de travailler, disponibles pour travailler et incapables d’obtenir un emploi convenable.

[25] On établit la disponibilité par l’analyse de trois éléments :

  1. 1) le désir de retourner sur le marché du travail dès qu’un emploi convenable est offert;
  2. 2) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver un emploi convenable;
  3. 3) le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter à tort les chances de retour sur le marché du travail.

[26] De plus, il faut établir la disponibilité pour chaque jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel la personne peut prouver qu’elle était capable de travailler, disponible pour travailler et incapable d’obtenir un emploi convenableNote de bas de page 6.

[27] Pour l’application de l’article 18 de la Loi sur l’assurance-emploi, chaque jour de la semaine est un jour ouvrable sauf le samedi et le dimancheNote de bas de page 7.

[28] La principale question dans la présente affaire vise la façon dont la division générale a interprété le troisième élément du critère de disponibilité tiré de la décision Faucher, à savoir le non-établissement de conditions personnelles qui pourraient limiter à tort les chances de retourner sur le marché du travail.

[29] Je remarque que les décisions récentes que la division d’appel a rendues sur cette question ne sont pas unanimes.

[30] Dans la décision JD, elle a confirmé que la prestataire, qui a exprimé l’intention de chercher seulement un emploi à temps partiel qui n’entrait pas en conflit avec ses études à temps plein et posait les mêmes contraintes qu’avant sa perte d’emploi, n’a pas limité à tort ses chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 8.

[31] Dans l’affaire RJ, la division d’appel a conclu que le fait de limiter sa disponibilité à certaines heures de certains jours revenait à établir des conditions personnelles pouvant limiter à tort les chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 9.

[32] La question de la disponibilité des prestataires pendant leurs études à temps plein a fait l’objet de nombreuses décisions au fil des ans.

[33] Le principe suivant est ressorti de la jurisprudence du juge-arbitre qui rendait de telles décisions auparavant :

- La démonstration de la disponibilité doit viser les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable et la disponibilité ne peut pas se limiter à des heures irrégulières à cause d’un horaire de cours qui restreint considérablement le temps libreNote de bas de page 10.

[34] Dans une décision rendue par un juge-arbitre, une prestataire dont les cours se donnaient de 8 h 30 à 15 h 30 et qui était disponible en tout temps en dehors de son horaire de cours a été considérée comme n’étant pas disponible pour travailler au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[35] La Cour d’appel fédérale a rendu plusieurs décisions concernant la disponibilité de prestataires qui suivaient des cours de formation à temps plein.

[36] Dans l’affaire Bertrand, la Cour a affirmé qu’être disponible pour le travail seulement de 16 h à minuit, ce n’est pas être disponible au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 12.

[37] Dans l’affaire Vézina, la Cour a suivi la décision Bertrand et a conclu que l’intention du prestataire de travailler les soirs et la fin de semaine démontrait un manque de disponibilité pour le travail au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13.

[38] Dans l’affaire Rideout, la Cour a conclu que le fait que le prestataire était disponible pour travailler seulement deux jours par semaine et la fin de semaine limitait sa disponibilité pour un travail à temps pleinNote de bas de page 14.

[39] Dans les affaires Primard et Gauthier, la Cour a souligné qu’un jour ouvrable excluait la fin de semaine aux termes du Règlement sur l’assurance-emploi et elle a conclu que la limitation de la disponibilité pour le travail aux soirs et à la fin de semaine constitue une condition personnelle pouvant limiter indûment les chances de retourner sur le marché du travailNote de bas de page 15.

[40] Dans l’affaire Duquet, la Cour a appliqué les éléments énoncés dans la décision Faucher et elle a jugé que le fait d’être disponible seulement à certaines heures de certains jours limitait la disponibilité du prestataire ainsi que ses chances de trouver un emploiNote de bas de page 16.

[41] Je tire les principes suivants de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale :

1- Les prestataires doivent être disponibles pendant les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable durant la semaine.

2- Le fait de restreindre la disponibilité à certaines heures de certains jours de la semaine, y compris les soirs et la fin de semaine, équivaut à limiter la disponibilité pour le travail et établit une condition personnelle pouvant limiter à tort les chances de retourner sur le marché du travail.

[42] Compte tenu de ces principes établis, je ne peux tout simplement pas suivre la décision rendue par la division d’appel dans l’affaire JD. Je vois que la décision n’explique pas pourquoi la division d’appel a choisi de ne pas suivre la jurisprudence d’application obligatoire de la Cour d’appel fédérale en ce qui concerne la disponibilité des prestataires qui suivent un cours de formation à temps plein.

[43] Le prestataire est d’avis que, comme il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations sur la base d’un emploi à temps partiel, il peut limiter sa recherche à des emplois qui n’entrent pas en conflit avec son horaire de cours.

[44] Je reconnais qu’il est possible d’établir une période de prestations sur la base d’un travail à temps partiel. Toutefois, pour qu’on les considère comme disponibles pour le travail au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, les prestataires ne peuvent pas établir des conditions personnelles qui pourraient limiter à tort leurs chances de retourner sur le marché du travail. Le fait de chercher du travail en dehors d’un horaire de cours est une condition personnelle pouvant limiter à tort les chances de retourner sur le marché du travail.

[45] Les éléments de preuve présentés à la division générale montrent que le prestataire suivait une formation à temps plein à X pour devenir pilote. Il a déclaré à deux reprises qu’il consacrait 35 heures par semaine, à raison d’environ 5 heures par jour, à ses études. Il a précisé dans ses déclarations hebdomadaires qu’il n’était pas disponible deux ou trois jours par semaine. Il n’avait pas à assister à des cours, que ce soit virtuellement ou en personne, mais il se rendait habituellement à sa formation pendant la semaine entre 9 h et 17 h quand la personne qui donnait la formation était disponible. Il a dit qu’il accepterait un emploi à temps plein seulement s’il pouvait en repousser le début de façon à pouvoir terminer son programmeNote de bas de page 17.

[46] À la lumière de cette preuve, la division générale a conclu que le prestataire pouvait limiter sa recherche à un travail à temps partiel qui n’empiétait pas sur son horaire de cours et qu’il n’avait pas établi de conditions personnelles qui limitaient à tort ses chances de retourner sur le marché du travail.

[47] Je juge que la division générale a commis une erreur de droit, car elle a ignoré la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale que j’ai mentionnée plus haut et qui est d’application obligatoire et elle a mal interprété le troisième élément du critère de disponibilité issu de la décision Faucher, à savoir l’absence de conditions pouvant limiter à tort la disponibilité pour le travail.

[48] Mon intervention est donc justifiée.

Réparation

[49] Comme les deux parties ont eu l’occasion de présenter leurs arguments à la division générale, je rendrai la décision que celle-ci aurait dû rendreNote de bas de page 18.

[50] La preuve montre que le prestataire consacrait 35 heures par semaine, à raison d’environ 5 heures par jour, à ses études. Il a précisé dans ses déclarations hebdomadaires qu’il n’était pas disponible deux ou trois jours par semaine. Il n’avait pas à assister à des cours, que ce soit virtuellement ou en personne, mais il se rendait habituellement à sa formation pendant la semaine entre 9 h et 17 h quand la personne qui donnait la formation était disponible. Le prestataire aurait accepté un emploi à temps plein seulement s’il pouvait en retarder le début et terminer son programme de formation. Ces deux choses réduisaient sa disponibilité et limitaient ses chances de trouver un emploi pendant les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable de la semaine.

[51] Conformément à l’article 18(1)(a) de la Loi sur l’assurance-emploi et par application de la jurisprudence obligatoire de la Cour d’appel fédérale, je conclus que le prestataire n’était pas disponible ni incapable d’obtenir un emploi convenable pour les jours ouvrables de sa période de prestations parce que sa disponibilité était limitée à tort par les exigences du programme qu’il suivait à X.

[52] Pour les motifs expliqués plus haut, j’accueille l’appel de la Commission.

Conclusion

[53] L’appel est accueilli.

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