Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Assurance-emploi – refus pour inconduite – raison du congédiement – politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur – prestataire congédié deux jours après avoir été informé de la politique – appel accueilli

Le prestataire travaillait comme livreur pour une compagnie qui vend des couches. L’employeur l’a mis en « congé d’urgence pour maladie infectieuse » le 9 juillet 2021 parce qu’il n’avait pas respecté la politique de vaccination au travail. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi (AE). La Commission a décidé que le prestataire n’était pas admissible aux prestationsparce qu’il avait été congédié en raison d’une inconduite. Le prestataire a fait appel de cette décision à la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale. Il n’était pas d’accord avec la décision de la Commission puisqu’il a été congédié seulement deux jours après avoir été informé de la politique de vaccination de son employeur.

La DG a estimé qu’il était plus probable qu’improbable que le prestataire ait été congédié le 9 juillet 2021 parce qu’il n’avait pas respecté la directive verbale de l’employeur de se faire vacciner contre la COVID-19. La DG était d’avis que la Commission n’avait pas prouvé qu’il y avait eu une inconduite. Premièrement, la conduite du prestataire n’était pas une inconduite volontaire, consciente ou délibérée parce que la politique ne lui a été communiquée verbalement que le 7 juillet 2021 et qu’il devait s’y conformer au plus tard le 9 juillet 2021. Il n’a eu que deux jours pour se faire vacciner contre la COVID-19. L’employeur ne lui a pas donné suffisamment de temps pour se conformer à ses directives verbales. L’employeur l’a plutôt congédié abruptement le 9 juillet 2021 après lui avoir donné des documents à lire concernant un congé d’urgence pour maladie infectieuse. Deuxièmement, le prestataire ne savait pas et ne pouvait pas savoir que le non-respect de la directive mènerait à son congédiement. En fait, l’employeur lui a dit que s’il ne voulait pas se conformer, il pouvait démissionner. De plus, les documents relatifs au congé d’urgence pour maladie infectieuse qui lui ont été remis ne mentionnent pas qu’il serait congédié. Troisièmement, il ne semble pas y avoir dans le dossier une documentation écrite qui porte sur la directive verbale de l’employeur. L’employeur a dit à la Commission qu’il n’a pas donné au prestataire une copie de la politique écrite. D’ailleurs, le prestataire a dit qu’il n’a jamais reçu une copie de la politique et qu’il n’en connaissait pas les détails ni les conséquences du non-respect. Il ne savait pas non plus s’il pouvait demander d’être exempté. Il a expliqué qu’il avait des raisons médicales qui auraient pu lui permettre d’être exempté, mais qu’il n’avait jamais eu la chance de faire une demande à l’employeur et qu’il ne savait pas s’il y avait une politique officielle en place. La DG a reconnu que l’employeur peut élaborer et imposer des politiques au travail, mais le personnel doit comprendre la politique, savoir ce que l’on exige, avoir l’occasion de l’examiner et de poser des questions et disposer d’un délai suffisant pour s’y conformer.

La DG a accueilli l’appel et conclu que la Commission n’avait pas prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, le prestataire a le droit de recevoir des prestations d’AE.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 891

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. C.
Représentante : C. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (449953) datée du 4 février 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 31 août 2022
Personnes présentes à l’audience :

Partie appelante
Représentante de la partie appelante
Témoin de la partie appelante

Date de la décision : Le 12 septembre 2022
Date du rectificatif : Le 20 septembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-829

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entrainé la perte de son emploi). Cela signifie que le prestataire n’est pas exclu du bénéfice de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1. 

Aperçu

[3] T. C. est le prestataire en l’espèce. Le prestataire travaillait comme livreur pour une compagnie qui vend des couches. L’employeur a informé le prestataire qu’il était placé en « congé d’urgence pour maladie infectieuse » à compter du 9 juillet 2021 parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination au travailNote de bas de page 2. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[4] La Commission a décidé que le prestataire n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il a été congédié en raison d’une inconduiteNote de bas de page 4.

[5] Le prestataire n’est pas d’accord puisqu’il a été congédié seulement deux jours après avoir été informé de la politique. Il affirme qu’il ne s’agissait pas d’une inconduite délibérée. Il soutient qu’il n’y avait aucune plainte quant à son rendement au travail, aucune réprimande quant à sa conduite et que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation raisonnables à son égard.

Questions que je dois examiner en premier

L’affaire a déjà été ajournée

[6] La première audience par vidéoconférence pour cette affaire était prévue pour le 1er juin 2022Note de bas de page 5.

[7] Lors de l’audience du 1er juin 2021 [sic], j’ai expliqué que le Tribunal avait un processus distinct pour les affaires relatives à la Charte canadienne des droits et libertés et j’ai indiqué que nous avions déjà envoyé à la représentante légale du prestataire des renseignements sur ce processusNote de bas de page 6. Cela a été fait en réponse aux observations écrites soumises par la représentante du prestataire au sujet de la CharteNote de bas de page 7.

[8] La représentante légale du prestataire a confirmé qu’elle avait reçu les renseignements au sujet de la Charte envoyés par le TribunalNote de bas de page 8. Elle a également reconnu qu’elle avait préparé des observations fondées sur la Charte. Elle a expliqué qu’elle ne soulevait pas d’argument fondé sur la Charte relativement à la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9 ou au Règlement sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[9] J’ai décidé de faire ajourner l’affaire afin d’examiner l’argument et décider s’il soulève une question fondée sur la Charte liée à la Loi sur l’assurance-emploi ou au Règlement sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11. J’ai aussi tenu compte de la demande du prestataire d’accélérer le traitement de cette affaire; j’ai choisi la date de l’audience en fonction de leur disponibilité.  

[10] L’audience devait ensuite avoir lieu le 25 juillet 2022Note de bas de page 12. Cependant, elle n’a pas eu lieu à cette date et a dû être ajournée de nouveau en raison de circonstances exceptionnelles et de problèmes techniques du côté du prestataireNote de bas de page 13.

[11] Le prestataire a demandé à ce que l’on fixe rapidement une nouvelle date d’audience en raison de sa situation financière. L’audience par vidéoconférence a été fixée à la prochaine date disponible, soit le 31 août 2022. Je signale que j’ai eu quelques problèmes techniques au début de l’audience, mais ils ont été résolus rapidement grâce au service informatique du Tribunal. Par conséquent, l’audience a eu lieu le 31 août 2022.

On a rendu une décision interlocutoire avant l’audience

[12] Le 10 juin 2022, j’ai rendu une décision interlocutoire confirmant que l’appel serait traité par un appel sur le fond régulier et non par le processus d’appel du Tribunal fondé sur la CharteNote de bas de page 14. Le prestataire ne contestait pas la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition de la Loi sur l’assurance-emploi, du Règlement sur l’assurance-emploi ou de la partie 5 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 15. Par conséquent, j’ai noté que je ne tirerais aucune conclusion de droit et ne prendrais aucune décision juridique sur les questions relatives à la Charte soulevées dans les observations du prestataire.

J’ai demandé plus de renseignements à la Commission

[13] La représentante légale du prestataire a écrit au Tribunal avant la tenue de l’audience. Elle a dit qu’il y avait un deuxième relevé d’emploi qui ne faisait pas partie du dossierNote de bas de page 16. J’ai écrit à la Commission avant l’audience pour lui demander de fournir au prestataire une copie du deuxième relevé d’emploiNote de bas de page 17.

[14] La Commission a répondu et a fourni une copie d’un relevé d’emploi provisoire qu’elle a créé pour le prestataire le 14 septembre 2021Note de bas de page 18. Cette réponse a été communiquée au prestataire avant l’audience.   

Question en litige

[15] Le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[16] Les personnes qui perdent leur emploi en raison d’une inconduite ou qui quittent volontairement leur emploi sans justification n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 19.

[17] Pour répondre à la question à savoir si le prestataire a cessé de travailler en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois examiner pourquoi le prestataire a cessé de travailler. Ensuite, je dois décider si selon la loi, cette raison correspond à une inconduite. 

Pourquoi le prestataire a-t-il cessé de travailler?

[18] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire ait été congédié le 9 juillet 2022 parce qu’il n’a pas respecté la directive verbale de l’employeur de se faire vacciner contre la Covid-19.  

[19] Je reconnais qu’il y a deux relevés d’emploi dans le dossierNote de bas de page 20. L’un d’eux était un relevé d’emploi provisoire préparé initialement par Service Canada le 14 septembre 2021Note de bas de page 21. L’employeur a ensuite émis le relevé d’emploi du prestataire à la même date en indiquant que le prestataire avait pris un « congé d’urgence pour maladie infectieuseNote de bas de page 22 ».

[20] La Commission a parlé à l’employeur, car il y a une note portant sur leur discussion téléphonique dans le dossier. L’employeur a dit que le prestataire n’avait pas été congédié, mais plutôt qu’il avait été placé en congé d’urgence prolongé pour maladie infectieuse jusqu’en juillet 2022 puisqu’il livrait de l’équipement médical, et il a décidé qu’il était trop dangereux que le prestataire entre en contact avec les clientsNote de bas de page 23.

[21] Je trouve moins convaincante la déclaration de l’employeur à la Commission puisque je préfère le témoignage du prestataire en ce qui concerne cette question. Le prestataire a affirmé qu’il n’avait pas pris de congé d’urgence pour maladie infectieuse parce qu’il ne répondait à aucune des exigences. Par exemple, il n’avait pas contracté la Covid-19, il ne subissait pas d’effets secondaires de la vaccination contre la Covid-19 et il n’était pas en quarantaine ou en isolementNote de bas de page 24. Il a soutenu que son employeur lui a dit que s’il ne se conformait pas, il devrait quitter son emploi, ce que le prestataire a refusé de faire.  

[22] Je signale que le prestataire n’a jamais reçu de documentation écrite ni avant ni après la directive verbale de l’employeur de se faire vacciner contre la Covid-19. Le relevé d’emploi de l’employeur indique que le prestataire a pris un congé pour maladie infectieuse, mais le relevé d’emploi a été émis environ deux mois après le départ du prestataire.

[23] À mon avis, l’hypothèse du prestataire qu’il a été congédié le 9 juillet 2021 est raisonnable étant donné les faits de cette affaire. En particulier, il n’avait reçu qu’un avis de deux jours pour se faire vacciner contre la Covid-19; on lui avait dit qu’autrement il devrait démissionner. Il a refusé de quitter son emploi et ne remplissait pas les conditions requises pour un congé d’urgence pour maladie infectieuse. Pour cette raison, il a compris qu’on le congédiait le 9 juillet 2021.

La directive verbale de l’employeur   

[24] Le prestataire a affirmé que l’employeur lui a dit le 7 juillet 2021 qu’il devait être vacciné au plus tard le 9 juillet 2021.

La conduite du prestataire n’équivaut pas à une inconduite délibérée

[25]  Pour être considéré comme une inconduite au sens de la loi, le comportement doit être délibéré. Cela signifie que le comportement doit être conscient, délibéré ou intentionnelNote de bas de page 25.

[26] Le prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (en d’autres mots, il n’est pas nécessaire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement constitue une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 26.

[27] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 27.

[28] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, ce qui signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 28.

[29] Je conclus que la Commission n’a pas prouvé qu’il y a eu une inconduite pour les raisons suivantes.

[30] Premièrement, j’estime que la conduite du prestataire n’était pas une inconduite volontaire, consciente ou délibérée parce que la politique ne lui a été communiquée verbalement que le 7 juillet 2021 et qu’il devait s’y conformer avant le 9 juillet 2021. Il n’a eu que deux jours pour se faire vacciner contre la Covid-19Note de bas de page 29.

[31] À mon avis, l’employeur ne lui a pas donné suffisamment de temps pour se conformer à ses directives verbales. L’employeur l’a plutôt licencié abruptement le 9 juillet 2021 après lui avoir donné des documents à lire concernant un congé d’urgence pour maladie infectieuse. 

[32] Deuxièmement, j’estime que le prestataire ne savait pas et ne pouvait pas savoir que le non-respect de la directive mènerait à son congédiement. En fait, l’employeur lui a dit que s’il ne voulait pas se conformer, il pouvait démissionner. De plus, les documents relatifs au congé d’urgence pour maladie infectieuse qui lui ont été remis ne mentionnent pas qu’il serait licencié.  

[33] Troisièmement, il ne semble pas y avoir dans le dossier une documentation écrite qui porte sur la directive verbale de l’employeur. L’employeur a dit à la Commission qu’il n’a pas donné au prestataire une copie de la politique écriteNote de bas de page 30. Le prestataire a dit qu’il n’a jamais reçu une copie de la politique et qu’il ne connaissait pas les détails du contenu de la politique, les conséquences du non-respect, et ne savait pas s’il pouvait demander d’être exempté. Il a expliqué qu’il avait des raisons médicales qui auraient pu lui permettre d’être exempté, mais qu’il n’avait jamais eu la chance de faire une demande à l’employeur et qu’il ne savait pas s’il y avait une politique officielle en place.

[34] Je reconnais que l’employeur peut élaborer et imposer des politiques au travail, mais les employés doivent avoir la chance de comprendre la politique, de savoir ce que l’on exige, d’avoir l’occasion de l’examiner et de poser des questions et de disposer d’un délai suffisant pour s’y conformer.

[35] Finalement, je ne peux pas conclure que le comportement du prestataire constituait une inconduite délibérée dans ce cas. Il n’a pas consciemment, délibérément ou intentionnellement enfreint la directive verbale de l’employeur. De plus, son comportement n’était pas téméraire. Il n’a simplement pas eu assez de temps pour se conformer et ne pouvait pas savoir qu’il serait congédié en raison de sa conduite.

Qu’en est-il des autres arguments du prestataire?

[36] Le prestataire a soulevé d’autres arguments pour appuyer sa position. Certains d’entre eux comprenaient ce qui suit :

  1. a) Il souffrait d’hypertension et son employeur le savait.
  2. b) L’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation raisonnables à son égard.
  3. c) L’employeur a modifié les conditions de son contrat.
  4. d) On ne peut pas lui imposer une intervention médicale et expérimentale.

[37] La Cour a déclaré que le Tribunal ne peut pas décider si le licenciement ou la sanction était justifié. Il doit décider si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 31. J’ai déjà décidé que la conduite du prestataire ne constituait pas une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[38] Je reconnais les arguments supplémentaires du prestataire, mais je n’ai pas l’autorité de les examiner. Le recours du prestataire est de poursuivre une action en justice, ou de recourir à tout autre tribunal qui pourrait traiter de ses arguments particuliers. Je signale que le prestataire a témoigné qu’il a récemment conclu une entente avec son ancien employeur au sujet de son cas. 

Conclusion

[39] La Commission n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, le prestataire a le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[40] Cela signifie que l’appel est rejeté accueilli.

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