Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 691

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. F.
Représentante : L. F.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (449550) datée du 19 janvier 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 11 avril 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentante de la partie appelante
Date de la décision : Le 12 mai 2022
Numéro de dossier : GE-22-611

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi). Cela signifie que la prestataire est exclue du bénéfice de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi. L’employeur de la prestataire a dit qu’elle a été congédiée parce qu’elle a violé sa politique en refusant de divulguer son statut vaccinal.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela se soit produit, elle affirme que ce n’est pas la véritable raison pour laquelle l’employeur l’a congédiée. La prestataire affirme que l’employeur l’a congédiée parce qu’elle a modifié le formulaire d’attestation à la vaccination et a soumis au lieu un formulaire modifié.

[5] La Commission a accepté la raison du congédiement de l’employeur. Elle a décidé que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice de prestations d’assurance-emploi. 

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie au présent appel

[6] Le Tribunal a identifié l’ancien employeur de la prestataire comme une partie potentielle à l’appel de la prestataire. Le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur lui demandant s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être ajouté comme partie. L’employeur n’a pas répondu en date de la présente décision. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie.

Question en litige

[7] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] Pour répondre à la question de savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si selon la loi cette raison correspond à une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[9] Je conclus que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle a choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur, laquelle exigeait qu’elle atteste son statut vaccinal relatif à la COVID-19. Cela concorde avec la preuve au dossier.

[10] La prestataire et la Commission ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle la prestataire a perdu son emploi. La Commission affirme que la raison évoquée par l’employeur est la véritable raison du congédiement. L’employeur a dit à la Commission que la prestataire a été congédiée puisqu’elle n’a pas respecté la politique de l’entreprise qui consistait à attester son statut vaccinal.

[11] La prestataire n’est pas d’accord. La prestataire affirme que la véritable raison pour laquelle elle a perdu son emploi est que l’employeur a voulu la punir parce qu’elle avait présenté une version modifiée du formulaire d’attestation à la vaccination.

[12] La prestataire travaillait comme intervenante pour aider les personnes sourdes-aveugles dans leurs activités de la vie quotidienne. En septembre 2021, son employeur a mis en place une politique qui exigeait que les employés signent un formulaire d’attestation qui comprenait une divulgation du statut vaccinal.

[13] La prestataire ne voulait pas divulguer son statut vaccinal. Elle a déclaré qu’elle ne croyait pas qu’il était juste que l’employeur lui demande de divulguer des renseignements médicaux privés. De plus, elle ne croyait pas que l’employeur avait une bonne raison de lui demander de divulguer son statut vaccinal.  

[14] La prestataire a déclaré que la politique de l’employeur l’obligeait à soumettre le formulaire d’attestation rempli au plus tard le 24 septembre 2021. Mais on lui a accordé une prolongation du délai pour remettre le formulaire. Elle devait le soumettre au plus tard le 13 octobre 2021Note de bas de page 2.

[15] La prestataire a dit à l’employeur qu’elle voulait que ses renseignements médicaux demeurent privésNote de bas de page 3. Elle estimait que l’employeur ne voulait pas fournir de mesures d’adaptation. Elle a proposé de participer à une séance de formation et de faire des tests rapides antigéniques réguliers aux frais de l’employeur. Toutefois, l’employeur a refusé, insistant sur le fait que la prestataire devait présenter un formulaire d’attestation rempli pour se conformer à sa politiqueNote de bas de page 4.

[16] Le 13 octobre 2021, l’employeur a suspendu la prestataire pendant cinq joursNote de bas de page 5. Cette suspension a été prolongée de cinq jours le 21 octobre 2021Note de bas de page 6. La prestataire a reconnu qu’elle a fait l’objet de ces deux mesures disciplinaires parce qu’elle n’a pas signé le formulaire d’attestationNote de bas de page 7.

[17] Le 21 octobre 2021, elle a modifié le formulaire d’attestation et l’a soumis à l’employeur. Elle y a apporté plusieurs changements pour indiquer qu’elle ne voulait pas divulguer son statut vaccinalNote de bas de page 8. La prestataire a déclaré que l’employeur lui avait dit qu’il devait recevoir un formulaire d’attestation sans modifications.

[18] La prestataire a déposé plusieurs « énoncés de préoccupation » auprès de son syndicat en ce qui concerne la politique de l’employeur ainsi que les mesures disciplinaires dont elle faisait l’objet. Le 26 octobre 2021, elle a déposé un énoncé de préoccupation indiquant qu’en fait elle acceptait de faire plus que ce que prévoit la Loi sur la santé et la sécurité au travail, et pourtant elle faisait toujours face à des mesures disciplinaires, et possiblement à un congédiement, si elle ne divulgue pas son statut vaccinalNote de bas de page 9.

[19] Le 21 octobre 2021, l’employeur a envoyé un rappel à la prestataire lui indiquant qu’elle devait soumettre son formulaire d’attestation au plus tard le 28 octobre 2021, sinon elle allait faire l’objet de [traduction] « mesures disciplinaires additionnelles pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 10 ».

[20] Le 28 octobre 2021, l’employeur a envoyé à la prestataire un courriel indiquant que s’il ne recevait pas un [traduction] « formulaire d’attestation valide et non modifié » au plus tard à 16 h, la prestataire ferait l’objet de mesures disciplinaires additionnelles pouvant aller jusqu’au congédiementNote de bas de page 11.

[21] La prestataire a reconnu qu’elle n’a pas soumis un formulaire d’attestation rempli et non modifié à l’employeur et qu’elle a été congédiée le 28 octobre 2021.

[22] L’employeur a émis une lettre datée du 28 octobre 2021 indiquant que la prestataire n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur étant donné qu’il n’a pas reçu son formulaire valide d’attestation à la vaccination. Pour cette raison, elle a été congédiéeNote de bas de page 12.  

[23] Je ne suis pas convaincue que la prestataire a été congédiée parce qu’elle a présenté un formulaire d’attestation modifié. La preuve dont je dispose démontre que le choix de la prestataire de ne pas divulguer son statut vaccinal est le comportement qui a mené à son congédiement. J’estime qu’il s’agit probablement de la véritable raison de son congédiement, et non d’une excuse.

[24] La prestataire a déposé le formulaire modifié le 21 octobre 2021. Toutefois, la prestataire avait reçu plusieurs avertissements avant cette date. Ces avertissements l’ont informée qu’elle ferait l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement si elle ne respectait pas la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Elle a été suspendue de son emploi le 14 octobre 2021 et de nouveau le 21 octobre 2021 pour avoir omis de soumettre un formulaire d’attestation dûment rempli.

[25] Rien n’indique que l’employeur a congédié la prestataire parce qu’elle a présenté un formulaire modifié le 21 octobre 2021. L’employeur a répondu à l’attestation modifiée de la prestataire en refusant d’accepter le formulaire. L’employeur n’a pas immédiatement congédié la prestataire pour avoir modifié le formulaire d’attestation. L’employeur a plutôt donné à la prestataire d’autres occasions de présenter un formulaire d’attestation rempli avant de prendre la décision de mettre fin à son emploi.

[26] J’estime que l’acte principal qui a mené à la perte d’emploi de la prestataire était qu’elle a choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur qui exigeait qu’elle atteste son statut vaccinal contre la COVID-19.

La raison du congédiement de la prestataire constitue-t-elle une inconduite au sens de la loi?

[27] La raison du congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la loi.

[28] Pour être une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Autrement dit, la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 13. Une inconduite désigne aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 14. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (en d’autres mots, il n’est pas nécessaire de conclure qu’elle voulait faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 15.

[29]  Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité qu’elle soit suspendue ou congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 16.

[30] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduiteNote de bas de page 17.

[31]  La Commission affirme qu’il y a eu une inconduite parce que la prestataire était au courant de la politique de l’employeur et du fait que si elle ne s’y conformait pas cela entraînerait la perte de son emploi. Pourtant, la prestataire a volontairement fait le choix de ne pas se conformer en sachant que sa décision aurait des répercussions sur sa relation avec son employeur.

[32] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’elle n’avait pas l’intention de nuire à sa relation avec son employeur. Elle a tenté de conclure une entente avec l’employeur qui lui permettrait de continuer à travailler sans divulguer son statut vaccinal.

[33] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu une inconduite.

[34] La prestataire a volontairement et consciemment choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. Il est clair, d’après la preuve, qu’elle savait qu’une des conséquences du non-respect était la perte de son emploi.

[35] On a avisé la prestataire de la politique de l’employeur le 9 septembre 2021Note de bas de page 18. Elle a choisi de ne pas remplir le formulaire d’attestation à la vaccination contre la COVID-19, comme l’exige la politiqueNote de bas de page 19. Elle savait que la politique pouvait entraîner son congédiementNote de bas de page 20. Elle n’a pas respecté la politique avant la date limite reportée du 13 octobre 2021, donc elle a été suspendue de son emploi. Elle a eu une autre chance de se conformer à la politique de l’employeur au plus tard le 28 octobre 2021. Lorsqu’elle a omis de divulguer son statut vaccinal en soumettant un formulaire d’attestation à la vaccination dûment rempli, elle a été congédiéeNote de bas de page 21.

[36] Je reconnais que la prestataire a demandé à l’employeur de répondre à ses préoccupations. Elle a demandé d’être exemptée de l’exigence de divulguer son statut vaccinal et a demandé à l’employeur de couvrir les dépenses liées aux tests requis pour les employés non vaccinés. Toutefois, l’employeur a refusé ces mesures d’adaptation.

[37] La prestataire savait que l’employeur n’était pas disposé à l’exempter de la politique en raison de son désir de garder son statut vaccinal confidentiel. Pourtant, elle a choisi de ne pas respecter la politique. Si la prestataire avait eu l’intention de se conformer à la politique après que l’employeur lui a refusé les mesures d’adaptation demandées, elle aurait pu lui en faire part et demander une autre prolongation de délai.

[38] La prestataire a présenté un énoncé de politique de la Commission ontarienne des droits de la personne indiquant que tous les paliers de gouvernement devraient gérer la pandémie de COVID-19 selon une approche fondée sur les droits de la personne. Je signale que la Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré que la vaccination demeure volontaire, mais que le fait de la rendre obligatoire et d’exiger une preuve de vaccination pour protéger les gens au travail ou lorsqu’ils reçoivent des services est généralement permis en vertu du Code des droits de la personne de l’OntarioNote de bas de page 22. Cela dit, des protections doivent être mises en place pour s’assurer que les personnes qui ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons prévues par le Code puissent bénéficier de mesures raisonnablement d’adaptationNote de bas de page 23.   

[39] La prestataire soutient que la politique de l’employeur est allée trop loin en exigeant que les employés divulguent leur état de santé. Elle mentionne plusieurs documents publiés par le ministère de la Santé de l’Ontario qui indiquent que les employeurs peuvent offrir des options aux employés qui choisissent de ne pas se faire vaccinerNote de bas de page 24.

[40] L’employeur a déclaré qu’il était obligé d’avoir une politique de vaccination et que cette politique était conforme aux exigences du ministère de la Santé et d’autres organismes de son secteurNote de bas de page 25. L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en œuvre cette politique comme exigence pour tous ses employés, cette politique est devenue une condition d’emploi de la prestataire.

[41] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si la politique de l’employeur était raisonnable ou si le congédiement de la prestataire était justifié. Le Tribunal doit déterminer si la conduite de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[42] Je comprends les préoccupations de la prestataire selon lesquelles la politique de l’employeur n’était pas équitable et qu’elle ne lui donnait pas d’autre option que de divulguer son statut vaccinal. Je reconnais qu’elle n’est pas d’accord avec la politique de l’employeur et qu’elle estime que la perte de son emploi était injustifiée. Toutefois, je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a porté atteinte à l’un des droits de la prestataire en la suspendant et en la congédiant de son emploi alors qu’il aurait pu prendre d’autres mesures d’adaptation.

[43] La prestataire peut avoir d’autres recours pour faire valoir ses allégations selon lesquelles la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits de la personne et que l’employeur l’a harcelée et injustement congédiée. Mais ces questions doivent être traitées par le tribunal approprié.

Donc, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[44] Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, je conclus que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Pour cette raison, la prestataire est exclue du bénéfice de prestations d’assurance-emploi.   

[46] Cela signifie que l’appel est rejeté.

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