Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c ER, 2022 TSS 761

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Jessica Grant
Partie intimée : E. R.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 octobre 2021 (GE-21-1768)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 9 août 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 15 août 2022
Numéro de dossier : AD-21-393

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la Commission est accueilli.

[2] Le dossier retourne à la division générale afin que celle-ci tranche uniquement la question à savoir si la Commission avait le pouvoir de déclarer la prestataire inadmissible aux prestations rétroactivement et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

Aperçu

[3] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé que l’intimée (prestataire) n’était pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 11 janvier 2021, parce qu’elle suivait une formation qui n’était pas autorisée et qu’elle n’était pas disponible pour travailler au sens de la loi.

[4] La division générale a déterminé que la prestataire désirait retourner sur le marché du travail et qu’elle avait effectué des efforts pour se trouver un emploi pendant ses études. Elle a également déterminé que le prestataire ne limitait pas ses chances de trouver un emploi. La division générale a conclu que le prestataire était disponible pour travailler à compter du 11 janvier 2021.

[5] La division d’appel a accordé à la Commission la permission d’en appeler de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a ignoré la preuve au dossier et erré en droit en ignorant la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale.

[6] Je dois décider si la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi.

[7] J’accueille l’appel de la Commission sur la question de disponibilité.

Question en litige

[8] Est-ce que la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).Note de bas de page 1

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. 

[11] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, Je dois rejeter l'appel.

Remarques préliminaires

[12] Je n’ai pas tenu compte des documents produits par la Commission devant la division d’appel afin de rendre la présente décision. Je n’ai donc pas considéré si des exceptions à la règle générale m’interdisant d’examiner de nouveaux éléments de preuve recevaient application en l’espèce.

Est-ce que la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi?

[13] La division générale a conclu que la prestataire avait réfuté la présomption selon laquelle elle n'était pas disponible pour travailler pendant ses études à temps plein.

[14] La division générale a de plus conclu que la prestataire manifestait une volonté de retourner sur le marché du travail, faisait suffisamment d'efforts pour se trouver du travail et ne s'était pas fixée de conditions personnelles limitant ses chances de retourner sur le marché du travail. La division générale a conclu que la prestataire était disponible au sens de la loi à partir du 11 janvier 2021.

[15] La Commission soutient que la division générale a ignoré la preuve au dossier qui démontre que la prestataire n’a fait aucune recherche d’emploi de la mi-janvier 2021 au mois de mai 2021, puisqu’elle préférait concentrer ses efforts à ses études. Elle soutient que la division générale a erré en concluant que la prestataire avait exprimé le désir de retourner sur le marché du travail par des efforts constants afin de trouver un emploi convenable.

[16] La Commission soutient que la division générale a erré en concluant que la prestataire n’avait pas limité indûment ses chances de retourner sur le marché du travail malgré les exigences de sa formation. Elle fait valoir que la prestataire imposait des restrictions à sa disponibilité en raison de ses études de jour du lundi au vendredi.

[17] La Commission soutient que la division générale a ignoré la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui a confirmé qu’un prestataire qui restreint sa disponibilité au travail pour des heures ou des jours à l’extérieur de son horaire de cours n’a pas prouvé sa disponibilité au sens de la loi.

[18] La prestataire fait valoir qu’elle a continué de recevoir des prestations après avoir informé un agent de la Commission de son retour à l’école. Ce n’est qu’à la fin de son assurance-emploi qu’elle a reçu une correspondance de la Commission l’avisant qu’elle devait rembourser les prestations reçues. Elle fait valoir que cela est injuste puisqu’elle a divulgué sa situation dès le départ et se retrouve néanmoins avec une dette importante à rembourser.

Disponibilité

[19] La division générale a conclu que le prestataire avait réfuté la présomption selon laquelle elle n'était pas disponible pour travailler pendant qu'elle suivait une formation à temps plein. La division générale a accepté que la prestataire était disponible pour travailler dans son emploi habituel en dehors de ses heures de cours.

[20] Cependant, renverser la présomption signifie seulement que la prestataire n'est pas présumée indisponible. La division générale devait encore examiner les exigences de la loi et décider si la prestataire était effectivement disponible.

[21] Pour être considéré comme disponible à travailler, un prestataire doit démontrer qu'il est capable et disponible à travailler et incapable d'obtenir un emploi convenable.Note de bas de page 2

[22] La disponibilité doit être déterminée en analysant trois facteurs :

  1. a) Le désir de retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable est offert;
  2. b) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver un emploi convenable;
  3. c) le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas de page 3

[23] De plus, la disponibilité est déterminée pour chaque jour ouvrable d'une période de prestations pour lequel le prestataire peut prouver que, ce jour-là, il était capable et disponible pour travailler et incapable d'obtenir un emploi convenable.Note de bas de page 4

[24] Aux fins de l’article 18 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), un jour ouvrable est n'importe quel jour de la semaine, sauf le samedi et le dimanche.Note de bas de page 5

[25] La division générale a déterminé que la prestataire avait fait des efforts pour se trouver un emploi convenable puisqu’elle avait fait quelques recherches d’emploi pendant ses études.

[26] La Loi sur l’AE prévoit clairement que pour avoir droit aux prestations, un prestataire doit établir sa disponibilité à travailler et, pour ce faire, il doit chercher activement du travail.

[27] Je suis d’avis que la preuve devant la division générale démontre clairement que la prestataire désirait avant tout mettre tous ses efforts dans la réussite de son programme.Note de bas de page 6 Même s'il fallait considérer que la prestataire se cherchait du travail, sa recherche était fort limitée, ce qui va à l'encontre de sa disponibilité pendant ses études.Note de bas de page 7

[28] Je suis d’avis que la division générale a erré dans son interprétation du      2e facteur de l’affaire Faucher et en concluant que la prestataire avait démontré le désir de retourner sur le marché du travail par des efforts pour trouver un emploi convenable.

[29] L’autre question de droit soulevée par la Commission est l'interprétation que fait la division générale du troisième facteur du critère de disponibilité de Faucher, à savoir ne pas fixer de conditions personnelles qui pourraient indûment limiter les chances de retour sur le marché du travail.

[30] Je remarque que les récentes décisions de la division d’appel sur cette question ne sont pas unanimes.

[31] Dans l'affaire J.D., il a été jugé que la prestataire qui avait manifesté l'intention de ne chercher qu'un travail à temps partiel qui n'interférait pas avec ses études à temps plein avec des contraintes similaires à celles qui préexistaient à sa perte d'emploi, n'avait pas limité indûment ses chances de réintégrer le marché du travail.Note de bas de page 8

[32] Cependant, dans l’affaire R.J., la division d'appel a conclu que la restriction de la disponibilité à seulement certains moments de certains jours constituait l'établissement de conditions personnelles susceptibles de limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas de page 9

[33] La question de la disponibilité d'un prestataire qui suit des cours de formation à temps plein a fait l'objet de nombreuses décisions au fil des ans.

[34] Le principe suivant a émergé de la jurisprudence arbitrale antérieure:

La disponibilité doit être démontrée pendant les heures régulières pour chaque jour de travail et ne peut être limitée à des heures irrégulières résultant d'un horaire de programme de formation qui limite considérablement la disponibilité.Note de bas de page 10

[35] Dans une décision rendue par un juge-arbitre, une prestataire qui suivait des cours de 8 h 30 à 15 h 30 et qui était disponible en tout temps en dehors de son horaire de cours, a été considérée comme non disponible pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 11

[36] La Cour d'appel fédérale (CAF) a rendu plusieurs décisions concernant la disponibilité d'un prestataire qui suit des cours de formation à temps plein.

[37] Dans Bertrand, la Cour a conclu que la prestataire, dont la disponibilité se limitait aux heures de travail entre 16 h et minuit, n'était pas disponible aux fins de la Loi sur l’AE.Note de bas de page 12

[38] Dans Vézina, la Cour a suivi Bertrand et a conclu que les intentions du prestataire de travailler les fins de semaine et les soirs démontraient un manque de disponibilité pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 13

[39] Dans Rideout, la Cour a conclu que le fait que le prestataire n'était disponible que pour travailler deux jours par semaine plus les fins de semaine constituait une limite à sa disponibilité pour un travail à temps plein.Note de bas de page 14

[40] Dans Primard et Gauthier, la Cour a souligné qu'une journée de travail excluait les fins de semaine en vertu du Règlement sur l'assurance-emploi et a conclu qu'une disponibilité de travail restreinte aux seuls soirs et fins de semaine est une condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas de page 15

[41] Dans Duquet, la Cour, appliquant les facteurs Faucher, a déterminé que le fait d'être disponible seulement à certains moments certains jours restreignaient la disponibilité et limitait les chances d'un prestataire de se trouver un emploi.Note de bas de page 16

[42] De la jurisprudence de la CAF, je peux tirer les principes suivants :

  1. Un prestataire doit être disponible durant les heures régulières pour chaque jour ouvrable de la semaine;
  2. Restreindre la disponibilité à certaines heures de certains jours de la semaine, dont les soirs et les fins de semaine, représente une limitation de la disponibilité pour travailler et établit une condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.

[43] Sur la base de ces principes établis par la CAF, je ne peux tout simplement pas suivre la décision J.D. de la division d'appel. Je ne trouve d’ailleurs aucune explication dans la décision pour laquelle elle a choisi de ne pas suivre la jurisprudence contraignante de la CAF concernant la disponibilité d'un prestataire lorsqu'il suit des cours de formation à temps plein.

[44] Je reconnais qu'un prestataire peut établir une demande de prestations fondée sur le travail à temps partiel. Cependant, il ne doit pas fixer de condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retourner sur le marché du travail pour être considéré comme disponible pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE. Le fait de chercher du travail en dehors d'un horaire scolaire est une condition personnelle pouvant limiter indûment ses chances de réintégrer le marché du travail.

[45] La preuve démontre que la prestataire suivait une formation à temps plein du lundi au vendredi et qu’elle n’était disponible pour travailler qu’en dehors de ses heures de cours, soit les soirs de semaine et la fin de semaine.

[46] La prestataire a également indiqué à plusieurs reprises ne pas être disposée à abandonner ses cours pour occuper un emploi à temps plein. 

[47] Sur la base de cette preuve, la division générale a conclu que la prestataire ne s'était pas fixé de conditions personnelles limitant indûment ses chances de retourner sur le marché du travail.

[48] Je constate à la lecture de la décision de la division générale que celle-ci semble confondre la question de la présomption de non-disponibilité avec l’analyse du troisième facteur de l’affaire Faucher.

[49] Je suis d’avis que la division générale ne pouvait user de la question de la présomption de non-disponibilité et de la pandémie pour établir qu’il y avait absence de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de la prestataire à retourner travailler.

[50] Le test juridique sur la disponibilité n’exige pas que la division générale identifie tous les obstacles — ou l’obstacle principal — à la recherche d’emploi de la prestataire. La question pertinente était plutôt celle de savoir comment les études de la prestataire influaient sur sa disponibilité pour travailler.Note de bas de page 17

[51] Je suis également d’avis que la division générale a commis une erreur de droit en ignorant la jurisprudence contraignante de la CAF et en interprétant de manière erronée le troisième facteur de l’affaire Faucher, soit l'absence de conditions pouvant limiter indûment la disponibilité d'un prestataire pour travailler.

[52] Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[53] Considérant que les deux parties ont eu l'occasion de présenter leur cause devant la division générale sur la question de disponibilité, je rendrai la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.Note de bas de page 18 

[54] La preuve démontre que la prestataire était inscrite dans un centre de formation professionnel. Elle suivait une formation à temps plein du lundi au vendredi et n’était disponible pour travailler qu’en dehors de ses heures de cours, soit les soirs de semaine et la fin de semaine. De plus, la prestataire n'était pas disposée à abandonner son cours pour occuper un emploi à temps plein. Ces deux conditions l'empêchaient d'obtenir des emplois du lundi au vendredi pendant les heures régulières de travail.

[55] Conformément à l'article 18(1) (a) de la Loi sur l'AE et en appliquant la jurisprudence de la CAF, je conclus que la prestataire n'était pas disponible et incapable d'obtenir un emploi convenable les jours ouvrables d'une période de prestations parce que sa disponibilité était indûment restreinte par les exigences du programme qu'elle suivait.

[56] Tel que souligné par la Cour d’appel fédérale, les causes comme celle de la prestataire sont des causes sympathiques et la tentation est forte pour le Tribunal de s'écarter de la règle de droit pour rendre un jugement à caractère équitable, mais il faut bien se garder d’y succomber.Note de bas de page 19

[57] Devant la division générale, la prestataire a soulevé la question de savoir si la Commission avait le pouvoir de réviser sa demande de prestations à la fin de sa période de prestations considérant qu'elle avait sincèrement déclaré dès le départ son retour à l’école à temps plein à un agent et que la Commission a continué à lui verser des prestations.

[58] Compte tenu des conclusions de la division générale sur la question de disponibilité, celle-ci n’a évidemment pas tranché la question à savoir si la Commission avait le pouvoir de déclarer la prestataire inadmissible rétroactivement et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

[59] Pour les motifs susmentionnés, j'accueille l'appel de la Commission sur la question de disponibilité. Cependant, le dossier retourne à la division générale afin de trancher uniquement la question du pouvoir de révision de la Commission.

Conclusion

[60] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de disponibilité.

[61] La prestataire n'était pas disponible et incapable d'obtenir un emploi convenable pendant qu'elle suivait un cours de formation à compter du 11 janvier 2021.

[62] Le dossier retourne à la division générale afin que celle-ci tranche uniquement la question à savoir si la Commission avait le pouvoir de déclarer la prestataire inadmissible rétroactivement et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

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