Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c FT, 2022 TSS 753

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : A. Fricker
Partie intimée : F. T.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 février 2022
(GE-22-353)

Membre du Tribunal : Melanie Petrunia
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience : Le 22 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Date de la décision : Le 12 août 2022
Numéro de dossier : AD-22-157

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La prestataire a choisi de recevoir les prestations parentales prolongées et son choix était irrévocable (ne pouvait plus être changé).

Aperçu

[2] L’intimée, F. T. (prestataire), a demandé et reçu des prestations de maternité, suivies de prestations parentales de l’assurance-emploi. Elle a choisi les prestations parentales prolongées dans sa demande, ce qui lui permet de recevoir des prestations moins élevées sur une période plus longue.

[3] La prestataire a indiqué dans son formulaire de demande qu’elle voulait recevoir 52 semaines de prestations. Elle a déclaré que son dernier jour travaillé était le 27 mai 2021 et que la date prévue de son retour au travail était le 30 mai 2022. La prestataire a reçu son premier versement de prestations parentales aux alentours du 17 septembre 2021. Le 21 octobre 2021, elle a communiqué avec l’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, et lui a demandé de passer aux prestations parentales standards.

[4] La Commission a rejeté la demande de la prestataire, affirmant qu’il était trop tard pour changer d’option parce que des prestations parentales avaient été versées. La prestataire a demandé une révision de cette décision. La Commission a maintenu sa décision après révision.

[5] La prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal. Son appel a été accueilli. La division générale a décidé que la prestataire avait commis une erreur en cliquant sur le bouton permettant de choisir les prestations parentales prolongées. Elle a conclu que la prestataire voulait en fait choisir les prestations parentales standards et recevoir une année de prestations de maternité et de prestations parentales au total.

[6] La Commission porte maintenant la décision de la division générale en appel à la division d’appel du Tribunal. Elle soutient que la division générale a outrepassé sa compétence, a commis des erreurs de droit et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en accueillant l’appel.

[7] J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit. J’ai également décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, à savoir que la prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées et que ce choix était irrévocable.

Questions en litige

[8] Je me suis concentrée sur les questions suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de prendre en compte et d’appliquer la jurisprudence contraignante?
  2. b) Dans l’affirmative, quelle est la meilleure façon de corriger l’erreur de la division générale?

Analyse

[9] Dans la présente affaire, je peux intervenir seulement si la division générale a commis une erreur pertinente. Je dois donc me demander si la division généraleNote de bas page 1 :

  • a omis d’offrir un processus équitable;
  • n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  • a mal interprété ou mal appliqué la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur importante concernant les faits de l’affaire.

Contexte

[10] Il y a deux types de prestations parentales :

  • les prestations parentales standards, qui permettent à un parent de recevoir jusqu’à 35 semaines de prestations à un taux de 55 % de sa rémunération hebdomadaire assurable, jusqu’à concurrence d’un montant maximal;
  • les prestations parentales prolongées, qui permettent à un parent de recevoir jusqu’à 61 semaines de prestations à un taux de 33 % de sa rémunération hebdomadaire assurable, jusqu’à concurrence d’un montant maximal.

[11] La prestataire a demandé des prestations de maternité et des prestations parentales le 30 mai 2021Note de bas page 2. Dans sa demande, la prestataire a écrit que son dernier jour travaillé était le 27 mai 2021 et que la date prévue de son retour au travail était le 30 mai 2022Note de bas page 3.

[12] La prestataire a indiqué qu’elle voulait recevoir des prestations parentales tout de suite après les prestations de maternité. Elle a choisi les prestations parentales prolongées. À la question sur le nombre de semaines pendant lesquelles elle désirait recevoir des prestations, elle a choisi 52 semaines dans le menu déroulantNote de bas page 4.

[13] La prestataire a commencé à recevoir des prestations parentales prolongées la semaine du 17 septembre 2021. Elle a communiqué avec la Commission le 21 octobre 2021, pour lui demander de passer aux prestations parentales standardsNote de bas page 5.

[14] La Commission a rejeté la demande de la prestataire, affirmant qu’il était trop tard pour changer d’option parce qu’elle avait déjà reçu des prestations parentales. La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais celle-ci a maintenu sa décision.

La décision de la division générale

[15] La division générale a accueilli l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la seule preuve indiquant que la prestataire avait l’intention de choisir les prestations prolongées était son choix de ce bouton d’option dans le formulaire de demandeNote de bas page 6. Elle a aussi accepté le témoignage de la prestataire, selon lequel elle avait l’intention de prendre un an de congé du travail, et qu’elle pensait qu’elle devait sélectionner les prestations prolongées pour choisir 52 semainesNote de bas page 7. Elle a fait une erreur lorsqu’elle a demandé 52 semaines de prestations parentales, parce qu’elle voulait 52 semaines de prestations parentales et de prestations de maternité au totalNote de bas page 8.

[16] La division générale a conclu que pour savoir quel type de prestations parentales la prestataire voulait vraiment choisir, il lui faut examiner les éléments de preuve liés à ce choixNote de bas page 9. Elle a dit que l’option que la prestataire a choisie dans le formulaire de demande est une seule des choses dont il faut tenir compte, et qu’elle doit aussi examiner d’autres éléments de preuve.

[17] La division générale a conclu que la prestataire avait l’intention de choisir les prestations parentales standards. Elle s’est fondée sur le fait que la prestataire a fourni les dates de son absence prévue du travail, qui ont confirmé qu’elle voulait 52 semaines de prestations de maternité et de prestations parentales au totalNote de bas page 10.

[18] La division générale a conclu que la prestataire n’a pas compris que les prestations parentales et les prestations de maternité étaient des prestations distinctes lorsqu’elle a rempli le formulaire de demande. Elle a décidé que le formulaire ne dit pas clairement que les semaines de prestations de maternité qu’une partie prestataire demande ne devraient pas être incluses dans le nombre de semaines de prestations parentales demandées dans le formulaireNote de bas page 11.

[19] La division générale a conclu que la prestataire pensait qu’elle avait rempli le formulaire de demande correctement et qu’elle ignorait devoir communiquer avec la Commission et poser des questions. La division générale a déterminé que la prestataire s’est fiée sur des renseignements erronés de la Commission lorsqu’elle a choisi les prestations prolongées, car il manque au formulaire de demande des renseignements critiques et à jourNote de bas page 12.

[20] D’après la preuve de l’intention de la prestataire et sa conclusion selon laquelle la prestataire a été induite en erreur par la Commission, la division générale a conclu qu’elle avait choisi de recevoir les prestations parentales standardsNote de bas page 13.

L’appel de la Commission à la division d’appel

[21] La Commission soutient que la division générale a commis plusieurs erreurs dans sa décision. Elle présente les arguments suivants :

  • la division générale a commis une erreur de droit en modifiant le choix de la prestataire pour la faire passer des prestations prolongées aux prestations standards après que des prestations lui aient été versées;
  • la division générale a outrepassé sa compétence en décidant de l’option que la prestataire avait choisie;
  • la division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la jurisprudence pertinente de la Cour fédérale.

La division générale a commis une erreur de droit en ne respectant pas la jurisprudence contraignante

[22] Dans sa décision, la division générale n’a pas tenu compte de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire KarvalNote de bas page 14. La division générale a fait référence à la décision Karval dans une note de bas de page, lorsqu’elle a conclu que certains recours juridiques s’offrent aux prestataires qui peuvent établir qu’elles ont été induites en erreur par la CommissionNote de bas page 15. Cependant, elle n’a ni mentionné ni appliqué les conclusions de la Cour fédérale au sujet des références claires au taux de prestations et à l’irrévocabilité du choix dans le formulaire de demande.

[23] Dans la décision Karval, la Cour fédérale a conclu qu’il incombe aux prestataires d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre. En cas de doute, les prestataires doivent poser des questions à la Commission. La Cour a conclu que les questions du formulaire de demande ne sont pas objectivement nébuleuses et que les explications données aux prestataires ne manquent pas vraiment de détailsNote de bas page 16.

[24] Dans la décision Karval, la Cour fédérale a affirmé que les taux de prestations (à savoir 55 % de la rémunération hebdomadaire pour les prestations standards et 33 % pour les prestations prolongées) et l’irrévocabilité du choix étaient clairement indiqués dans le formulaire de demandeNote de bas page 17.

[25] La décision Karval est contraignante. Cela signifie que la division générale devait en tenir compte. Si la division générale a choisi de ne pas suivre les principes énoncés dans celle-ci, elle devait expliquer pourquoiNote de bas page 18.

[26] La division générale a conclu que la prestataire avait été induite en erreur par la Commission lorsqu’elle a choisi les prestations parentales prolongées. La division générale a cité en référence la décision Karval lorsqu’elle s’est fondée sur cette conclusion et a décidé que la prestataire avait en fait choisi les prestations parentales standards.

[27] La décision Karval dit que si un prestataire est « réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés », certains recours peuvent s’offrir à cette personne. Cependant, la Cour fédérale a également conclu que les prestataires qui commettent une erreur et qui fondent leur choix sur une mauvaise compréhension du régime de prestations parentales n’ont aucun recours juridiqueNote de bas page 19.

[28] La division générale a conclu qu’il manquait au formulaire des renseignements critiques et qu’il ne dit pas clairement que les prestations de maternité sont distinctes des prestations parentales. Cependant, dire qu’il manque des renseignements au formulaire ou qu’il n’explique pas les différentes prestations n’équivaut manifestement pas à conclure qu’il contient des renseignements inexacts.

[29] La division générale n’a pas tenu compte des commentaires de la décision Karval, selon lesquels il incombe fondamentalement à la partie prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre. La décision dit qu’une partie prestataire qui a lu attentivement le formulaire de demande aurait compris que le taux correspondant aux prestations prolongées serait réduit à 33 % de la rémunération hebdomadaire. La personne serait également au fait que son choix est irrévocable une fois que des prestations ont été verséesNote de bas page 20.

[30] La division générale a conclu que la prestataire n’a pas compris la différence entre les prestations de maternité et les prestations parentales. Elle a conclu que la prestataire a choisi les prestations prolongées, croyant qu’elle devait faire ce choix pour pouvoir demander 52 semaines de prestations de maternité et de prestations parentales au total. La division générale a conclu que la prestataire a été induite en erreur par la Commission en faisant un tel choix. La division générale a commis une erreur de droit en omettant de prendre en compte et d’appliquer la jurisprudence contraignante de la Cour fédérale dans la décision Karval en prenant cette décision.

[31] Comme j’ai conclu que la division générale a commis une erreur, je n’ai pas à examiner les autres arguments de la Commission.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[32] À l’audience, les deux parties ont fait valoir que si la division générale avait commis une erreur, je devais rendre la décision qu’elle aurait dû rendreNote de bas page 21.

[33] Je suis d’accord. Je conclus qu’il convient dans la présente affaire de remplacer la décision de la division générale par ma propre décision. Les faits ne sont pas contestés et la preuve au dossier est suffisante pour me permettre de rendre une décision.

La prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées et son choix était irrévocable

[34] La division d’appel et la division générale ont rendu un certain nombre de décisions concernant le choix des prestations parentales. Dans bon nombre de ces décisions, le Tribunal a examiné quel type de prestations les prestataires avaient effectivement choisi. Lorsque le formulaire de demande contenait des renseignements contradictoires, le Tribunal a déterminé le choix qui était le plus probable. Dans d’autres cas, le Tribunal a tenu compte de l’intention des prestataires au moment de faire leur choix.

[35] Dans la décision récente Canada (Procureur général) c Hull, la Cour d’appel fédérale a examiné l’interprétation appropriée à donner aux articles 23(1.1) et 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 22. L’article 23(1.1) est celui qui dit que dans la demande de prestations, la partie prestataire doit choisir le nombre maximal de semaines pendant lesquelles les prestations peuvent lui être versées. Selon l’article 23(1.2), le choix est irrévocable dès lors que des prestations sont versées.

[36] Dans la décision Hull, la prestataire avait choisi l’option des prestations parentales prolongées dans son formulaire de demande et demandé 52 semaines de prestations parentales après les prestations de maternité. La prestataire a reçu des prestations parentales prolongées pendant plusieurs mois avant de se rendre compte de son erreur. Elle avait eu de la difficulté à comprendre le formulaire de demande et voulait recevoir un an de prestations de maternité et de prestations parentales au total. La division générale a jugé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait choisi de recevoir des prestations parentales standards.

[37] La Cour a affirmé ce qui suit dans la décision Hull :

[traduction]

La question de droit aux fins de l’article 23(1.1) de la Loi sur l’assurance-emploi est la suivante : le terme « choisit » signifie-t-il ce qu’une partie prestataire indique comme étant son choix de prestations parentales dans le formulaire de demande ou ce que la personne « avait l’intention » de choisirNote de bas page 23?

[38] La Cour a conclu que le choix d’une partie prestataire correspond à ce qu’elle a choisi dans son formulaire de demande, et non ce qu’elle a pu vouloirNote de bas page 24. Elle a également conclu qu’une fois que les versements de prestations parentales ont commencé, il est impossible pour la partie prestataire, la Commission ou le Tribunal de révoquer le choixNote de bas page 25.

[39] Lorsqu’on applique la décision Hull de la Cour à la situation de la prestataire, il est clair qu’elle a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. C’est l’option qu’elle a choisie de recevoir pendant 52 semaines dans son formulaire de demande. Une fois le versement de prestations commencé, son choix était irrévocable.

[40] J’ai examiné si la date de retour au travail fournie par la prestataire dans le formulaire de demande a une incidence quelconque sur son choix. Elle a donné une date de retour qui était environ un an après qu’elle ait quitté le travail. Cette date confirme qu’elle voulait une année de prestations de maternité et de prestations parentales au total. Elle est également incompatible avec le choix de recevoir 52 semaines de prestations prolongées après les prestations de maternité, ce qui ferait en tout 67 semaines.

[41] Dans la décision Hull, la Cour a dit qu’il y a une seule interprétation raisonnable de l’article 23(1.1) de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a conclu que la sélection de l’option standard ou prolongée dans le formulaire de demande, ainsi que le nombre de semaines qu’une partie prestataire veut demander, constitue le choix. La Cour a conclu qu’il s’agit de la preuve du choix que fait une partie prestataire et que la Commission n’intervient pas au moment de décider si une personne a choisi la bonne optionNote de bas page 26.

[42] Dans la décision Hull, la Cour a dit que le choix est l’option que la partie prestataire choisit dans son formulaire de demande, pour recevoir des prestations parentales standards ou des prestations parentales prolongées. Je comprends que la date de retour au travail de la prestataire est incompatible avec ce choix. Cependant, il n’est pas obligatoire qu’une partie prestataire fournisse une date de retour au travail, et cette date pourrait changer. La loi n’oblige pas de faire un choix entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées et la Cour fédérale a affirmé que c’est là le choix d’une partie prestataire, même si ce n’est pas ce qu’elle voulaitNote de bas page 27.

[43] Le législateur n’a prévu aucune exception à l’irrévocabilité du choix de prestations. Il est malheureux pour la prestataire qu’une simple erreur dans un formulaire de demande puisse avoir des conséquences importantes sur les finances. Je suis sensible à sa situation. Cependant, je dois appliquer la loi telle qu’elle est écriteNote de bas page 28. Je conclus que la loi et la jurisprudence confirment qu’un choix ne peut être révoqué sur la base d’une erreur.

[44] Les prestataires peuvent modifier leur choix après avoir envoyé le formulaire de demande, mais avant le versement de prestations parentales. Les prestataires peuvent créer un compte auprès de Service Canada pour vérifier le taux et la date de début de leurs prestations de maternité et de leurs prestations parentales. Cela leur permet de s’assurer que le choix fait dans le formulaire de demande correspond à leur intention.

[45] Je comprends que la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées par erreur. Elle voulait choisir les prestations parentales standards. Cependant, la Cour d’appel fédérale a clairement dit que son intention au moment de remplir le formulaire n’a rien à voir avec son choix.

[46] La prestataire a choisi les prestations parentales prolongées dans son formulaire de demande. C’était son choix et, après que des prestations lui ont été versées, il est devenu irrévocable.

Conclusion

[47] L’appel est accueilli. La prestataire a choisi les prestations parentales prolongées et son choix était irrévocable.

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