Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 609

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : M. M.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (461518) datée du 26 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Lilian Klein
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 25 mai 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant

Date de la décision : Le 21 juin 2022
Numéro de dossier : GE-22-1199

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Décision

[1] J’accueille l’appel du prestataire.

[2] Je conclus que la Commission n’a pas prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Elle n’a pas non plus prouvé qu’il avait été congédié pour inconduite.

[3] Cela signifie que le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) pour l’une ou l’autre raison.

Aperçu

[4] Le prestataire a perdu son emploi comme agent de sécurité/concierge dans un immeuble en copropriété après s’être plaint, dans un endroit public de la copropriété, du fait que l’employeur lui devait de l’argent. La Commission affirme que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Il n’est pas d’accord. Il affirme avoir été congédié.

[5] La personne qui quitte volontairement son emploi sans justification ou qui est congédiée pour inconduite est exclue du bénéfice des prestations d’AENote de bas de page 1. Le résultat final est le même.

[6] La Commission accepte la déclaration de l’employeur selon laquelle le prestataire a quitté volontairement son emploi en se fondant sur son courriel dans lequel il a demandé son relevé d’emploi (RE) et dit qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec l’entreprise. La Commission a donc décidé que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations régulières. Elle affirme qu’il ne peut pas obtenir ces prestations après la fin de ses prestations de maladie le 5 février 2022.

[7] Le prestataire affirme que l’employeur l’a congédié; il a annulé ses quarts de travail et il ne lui a pas permis de retourner au travail. Il affirme qu’il n’aurait jamais démissionné, puisqu’il doit subvenir aux besoins de sa famille à l’étranger, dont un enfant autiste.

Les questions que je dois trancher

[8] Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi? Dans l’affirmative, a-t-il démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable?

[9] Ou l’employeur a-t-il congédié le prestataire? Dans l’affirmative, la Commission a-t-elle prouvé que la raison pour laquelle l’employeur l’a congédié équivaut à une inconduite?

Analyse

[10] Pour décider si le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi, je dois répondre à deux questions. Premièrement, la Commission a-t-elle démontré qu’il a quitté son emploi volontairement? Deuxièmement, s’il est parti de son propre gré, était-il fondé à le faire?

[11] Pour démontrer l’existence d’une justification, il faut prouver que, compte tenu de toutes les circonstances dans lesquelles la démission est survenue, le départ constituait la seule solution raisonnable à ce moment-là.

[12] Si la raison pour laquelle l’emploi d’un prestataire a pris fin n’est pas claire, je dois décider s’il s’agit d’un départ volontaire ou d’un congédiement. Donc, si je conclus que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi, je dois ensuite déterminer s’il a été congédié pour inconduite.

[13] Pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois répondre à deux questions. Premièrement, pourquoi a-t-il été congédié? Deuxièmement, la loi considère-t-elle ce motif comme étant une inconduite?

[14] Pour prouver qu’il s’agissait d’une inconduite, la Commission doit démontrer i) que les actions du prestataire étaient conscientes et volontaires; ii) qu’il a été congédié pour avoir manqué à son obligation envers son employeur; et iii) qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il serait congédiéNote de bas de page 2.

[15] Je me pencherai d’abord sur la question du départ volontaire.

Le prestataire n’a pas quitté son emploi volontairement

[16] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. Pour en décider, je me suis demandé s’il avait le choix de rester ou de partir.

[17] Je conclus que le prestataire n’avait pas le choix, puisque l’employeur le filmait lors de sa dernière journée. Il avait déjà décidé avant tout examen qu’il avait enfreint la politique de la compagnie.

[18] Il incombe à la Commission de prouver que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Si elle peut le faire, le fardeau de la preuve passe au prestataire, qui doit démontrer qu’il était fondéNote de bas de page 3.

[19] La Commission a accepté la déclaration de l’employeur selon laquelle le prestataire a quitté son emploi compte tenu du courriel qu’il a envoyé lors de son dernier jour de travail et dans lequel il a exprimé sa colère. La Commission affirme que ce courriel démontre qu’il a démissionné.

[20] Le prestataire nie avoir envoyé ce courriel à l’employeur. Il affirme qu’il n’aurait pas pu l’envoyer, puisque les employés n’étaient pas autorisés à utiliser leur téléphone pour envoyer des courriels lorsqu’ils étaient en service. Il affirme que ce n’est qu’après que l’employeur l’eut congédié qu’il a envoyé des messages, le cas échéant.

[21] Le prestataire affirme que l’employée avec qui il s’est disputé à la réception lui a dit qu’il serait congédié. Le prestataire affirme qu’elle a laissé planer la menace qu’il n’obtiendrait pas la rémunération qui lui était due pour les journées de formation et d’orientation. Il affirme avoir été congédié plus tard ce jour-là.

[22] Il y a une preuve d’un courriel envoyé par le prestataire à son employeur à 12 h 52 ce jour-là. Je conclus donc qu’il est plus probable qu’improbable qu’il ait envoyé ce message. Il y a dit ceci notamment :

[traduction] « Je souhaite obtenir le relevé d’emploi rapidement et la rémunération que j’ai gagnée […]

[traduction] MA FAMILLE ET MOI NE VOULONS RIEN AVOIR À FAIRE AVEC VOTRE COMPAGNIE (sic). »Note de bas de page 4

[23] La preuve démontre également que l’employeur a envoyé un courriel au prestataire le même jour — le 22 janvier 2022 — à 14 h 50. Le courriel de l’employeur disait ce qui suit :

[traduction] « Sachez que vos quarts de travail sont annulés jusqu’à ce que nous puissions déterminer votre situation de paie.

Je ne peux pas accepter que vous éleviez la voix à la réception devant les résidents et vous avez également enfreint la politique de confidentialité en partageant des courriels de la compagnie et des conversations avec d’autres collègues, votre emploi fait actuellement l’objet d’une révision (sic).

Vous n’êtes pas tenu de venir travailler jusqu’à nouvel ordre. »Note de bas de page 5

[24] Cette séquence de courriels montre que le message du prestataire à l’employeur a été envoyé avant que l’employeur ne lui envoie le courriel. Son premier message semble montrer qu’il a démissionné avant que l’employeur annule ses quarts de travail. Il a envoyé un courriel semblable à 15 h 01, dans lequel il a exprimé sa colère.

[25] Toutefois, j’accepte le témoignage donné sous serment par le prestataire selon lequel il a été congédié avant que l’employeur envoie le courriel pour annuler officiellement ses quarts de travail. J’ai accordé du poids à son témoignage selon lequel on lui a dit qu’il avait été congédié pendant qu’il était encore au travail. Par conséquent, son premier courriel dans lequel il a exprimé sa colère a probablement été envoyé en réponse à son congédiement; il n’a pas provoqué le congédiement.

[26] Je conclus que cette séquence d’événements est étayée par le commentaire de l’employeur selon lequel il a inscrit « Démission » sur le relevé d’emploi pour que le dossier d’emploi du prestataire demeure « sans tache », comme s’il lui faisait une faveurNote de bas de page 6. Le prestataire soutient qu’il ne servirait à rien que l’employeur fasse cette remarque à moins qu’il ne l’ait effectivement congédié. Je suis d’accord.

[27] Il incombait à la Commission de prouver que le prestataire a quitté volontairement son emploi, mais je conclus qu’elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[28] Puisque je conclus que le prestataire n’a pas démissionné volontairement, je n’ai pas à me demander s’il était fondé à quitter son emploi. J’examinerai maintenant la question de savoir s’il a été congédié pour inconduite.

Le prestataire n’a pas été congédié pour inconduite

[29] Je conviens avec le prestataire qu’il est plus probable qu’improbable qu’il ait été congédié en raison de la dispute verbale qu’il a eue à la réception au sujet de l’argent qu’à son avis la compagnie lui devait.

[30] L’employeur a dit à la Commission que le prestataire avait haussé le ton devant les résidents de la copropriété. L’employeur affirme avoir des témoins et des séquences vidéo du différend pour le prouver. J’admets qu’une telle conduite ne convienne pas compte tenu de ses fonctions, mais l’ampleur de son emportement ou la question de savoir s’il a été provoqué ne sont pas claires.

[31] Le prestataire dit qu’il n’a pas haussé le ton. Il dit qu’il parle habituellement d’une voix forte et qu’il y avait de l’écho. L’employeur nie qu’il y ait eu de l’écho. Je ne peux trancher ce point.

[32] Toutefois, compte tenu de la teneur de son témoignage à l’audience, je conclus qu’il semble effectivement que le prestataire s’exprime naturellement d’une voix forte. S’il s’est agité également, l’employeur pourrait bien avoir cru qu’il était trop bruyant et qu’il faisait du tapage. Le prestataire confirme qu’il était contrarié au moment de la dispute, puisqu’il a besoin de l’argent qui lui était dû de toute urgence.

[33] Compte tenu de la preuve, je conclus que le prestataire a été congédié en raison de la façon dont il s’est conduit devant les résidents de la copropriété relativement à sa plainte concernant son chèque de paie en retard.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[34] La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[35] Pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 7. L’inconduite comprend aussi une conduite si téméraire qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 8. Le prestataire ne doit pas nécessairement avoir une intention coupable (autrement dit, il ne doit pas avoir l’intention de faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit considéré comme une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 9.

[36] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de s’acquitter de ses fonctions conformément aux politiques de la compagnie. Il y a inconduite s’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 10.

[37] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire ait perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 11. Mais la Commission n’a examiné que le départ volontaire. Elle n’a fait aucune observation au sujet de l’inconduite.

[38] L’exclusion du bénéfice des prestations pour inconduite est une sanction à ce point sévère que je dois avoir une preuve claire que les actions du prestataire équivalaient à une inconduite. La Commission n’a pas présenté cette preuve, de sorte qu’elle ne peut pas prouver qu’il y a eu inconduite.

[39] Par exemple, la Commission n’a pas demandé ni soumis les séquences vidéo de l’employeur et les déclarations des témoins. Je ne peux donc dire si les actions du prestataire équivalaient à une inconduite. Je reconnais que sa voix naturellement forte a pu alarmer les résidents de la copropriété qui l’ont entendu se disputer. Cela aurait pu le rendre inapte à occuper son emploi. Mais même si sa voix était forte, ce comportement n’était ni conscient ni délibéré.

[40] La Commission n’a pas obtenu ni soumis les politiques de l’employeur en matière de protection des renseignements personnels, de sorte qu’elle ne peut pas démontrer que le prestataire a enfreint ces politiques. La Commission n’a pas remis en question la déclaration de l’employeur selon laquelle les caméras suivaient le prestataire lors de son dernier jour de travail. Elle affirme que la séquence vidéo le montre en train de partager des courriels confidentiels et de discuter de questions confidentielles avec d’autres employés. Je doute que les caméras de l’employeur aient pu capter ce qu’il disait ou ce qu’il partageait à partir de ses courriels.

[41] De plus, la Commission n’a pas demandé ni soumis les politiques disciplinaires de la compagnie. Cela affaiblit l’argument de la Commission selon lequel le fait que l’employeur a annulé les quarts de travail du prestataire et lui a dit de ne pas revenir signifiait seulement qu’il faisait l’objet d’un examen.

[42] La Commission n’a pas prouvé que le prestataire avait vu ou signé des politiques de la compagnie. La Commission n’a donc pas démontré que le prestataire, un nouvel employé, aurait dû savoir qu’il serait congédié.

L’emploi du prestataire a-t-il pris fin parce qu’il l’a quitté volontairement ou parce qu’il a été congédié en raison d’une inconduite?

[43] Compte tenu de mes conclusions précédentes, je conclus que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi. Je conclus qu’il a été congédié, mais la raison de son congédiement n’équivaut pas à une inconduite.

Conclusion

[44] La Commission n’a pas prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Elle n’a pas prouvé non plus qu’il a été congédié pour inconduite.

[45] Le prestataire n’est donc pas exclu du bénéfice des prestations régulières d’AE.

[46] Cela signifie que j’accueille l’appel du prestataire.

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