Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c KJ, 2022 TSS 339

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Tiffany Glover
Partie intimée : K. J.
Représentante ou représentant : Kevin Love

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 juin 2021
(GE-21-874)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 6 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 12 août 2022
Numéro de dossier : AD-22-142

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Même si la division générale a commis une erreur dans la présente affaire, je suis d’accord avec la conclusion à laquelle elle est arrivée. Le prestataire a démontré qu’il était disponible pour travailler, ce qui signifie qu’il a droit aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] K. J. est le prestataire dans la présente affaire. Il est venu au Canada pour étudier en vue de devenir pilote. Son permis d’études lui permet de travailler sur le campus ainsi que hors campus. Toutefois, pendant l’année scolaire, il ne peut pas travailler hors campus plus de 20 heures par semaine.

[3] Après son arrivée au Canada, le prestataire a rapidement commencé à travailler dans l’industrie du transport aérien. Cependant, il a été mis à pied lorsque la pandémie de la COVID-19 a commencé. Il a reçu des prestations régulières de l’assurance-emploi du mois d’octobre au mois de décembre 2020.

[4] Le prestataire a cessé de demander des prestations d’assurance-emploi pendant les mois qui ont suivi. Lorsqu’il a tenté de réactiver sa demande en mars 2021, la Commission de l’assurance-emploi du Canada lui a dit qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi depuis le 21 décembre 2020Note de bas de page 1. Selon la Commission, le permis d’études du prestataire et son horaire de cours signifiaient qu’il n’était pas disponible pour travailler, et une personne doit l’être pour obtenir des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

[5] Le prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale du Tribunal et elle a obtenu gain de cause. Elle a conclu que le prestataire n’avait pas imposé de restrictions personnelles qui limitaient indûment ses chances de retourner au travail.

[6] Par la suite, la Commission a fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal (première décision de la division d’appelNote de bas de page 3) et elle a obtenu gain de cause. À ce moment-là, la division d’appel a conclu que le permis d’études du prestataire l’empêchait de satisfaire aux exigences de disponibilité prévues par la loi.

[7] Le prestataire a demandé à la Cour d’appel fédérale de réviser la première décision de la division d’appel. Fondant sa décision sur une entente conclue entre les parties, la Cour a jugé que la division d’appel avait commis une erreur en ne tenant pas compte dans son analyse des antécédents de travail du prestataire et de la souplesse de son horaire de formation. La Cour a donc annulé la décision de la division d’appel et renvoyé l’affaire à la division d’appel pour réexamen.

[8] La Commission soutient que la décision de la division générale contient des erreurs de droit. Je conviens que la division générale a commis une erreur de droit. Toutefois, son erreur ne change pas l’issue de l’appel. Par conséquent, je rejette l’appel de la Commission.

Questions en litige

[9] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le prestataire satisfaisait aux exigences de disponibilité prévues par la loi, même s’il ne cherchait pas un emploi à temps plein?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit ou une importante erreur de fait dans la façon dont elle a tenu compte du permis d’études du prestataire?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant incorrectement l’exigence de disponibilité pour les personnes aux études?

Analyse

[10] Je peux modifier l’issue de la présente affaire seulement si la division générale a commis une erreur pertinenteNote de bas de page 4. Dans le présent appel, j’ai examiné si la division générale avait commis une erreur de droit ou une erreur importante par rapport aux faits de l’affaire.

[11] Toute erreur de droit peut justifier mon intervention dans cette affaire.

[12] Cependant, seulement certaines erreurs de fait me permettront d’intervenir dans cette affaire. Je ne peux pas intervenir si la division générale a commis une erreur au sujet d’un détail mineur qui n’a rien à voir avec l’issue de l’affaire. Je peux seulement intervenir si la division générale a fondé sa décision sur un fait que la preuve contredit sérieusement ou ne peut pas appuyerNote de bas de page 5.

La division générale a décidé à juste titre que le prestataire pouvait satisfaire aux exigences de disponibilité même s’il ne cherchait pas un emploi à temps plein

[13] Entre autres exigences, une personne qui souhaite obtenir des prestations régulières d’assurance-emploi doit démontrer qu’elle est « capable de travailler et disponible à cette fin », mais qu’elle n’est pas en mesure de trouver un emploi convenableNote de bas de page 6. La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas le terme « disponible », ce qui signifie que les tribunaux ont dû s’interroger sur son sens.

[14] Dans la présente affaire, la Commission soutient que, pour satisfaire aux exigences de disponibilité, le prestataire devait être disponible pour travailler à temps plein, du lundi au vendredi, pendant les heures normales de travail. En concluant autrement, la Commission soutient que la division générale a mal interprété les exigences de la Loi sur l’assurance-emploi en matière de disponibilitéNote de bas de page 7.

La loi n’interdit pas aux personnes qui sont disponibles pour travailler selon un horaire irrégulier de recevoir des prestations d’assurance-emploi

[15] L’évaluation de la disponibilité d’une personne nécessite une analyse hautement contextuelle et axée sur les faits.

[16] Trois facteurs guident le Tribunal dans son évaluation de la disponibilité d’une personne. On les appelle souvent les facteurs de la décision « FaucherNote de bas de page 8 ». Ignorer l’un ou l’autre des facteurs constitue une erreur. Le Tribunal doit plutôt tenir compte des trois facteursNote de bas de page 9 :

  • La personne souhaite-t-elle retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable sera offert?
  • La personne a-t-elle fait des démarches pour trouver un emploi convenable?
  • La personne a-t-elle établi des conditions personnelles qui pourraient indûment (excessivement) limiter ses chances de retourner au travail?

[17] Le Tribunal évalue la disponibilité d’une personne du lundi au vendrediNote de bas de page 10. Il tient également compte de l’attitude de la personne, de sa conduite et de toutes les circonstances de son casNote de bas de page 11.

[18] Le Tribunal ne peut évaluer la disponibilité d’une personne dans l’abstrait. Autrement dit, une personne n’a pas à démontrer qu’elle est disponible pour tous les emplois. On met plutôt l’accent sur un emploi convenableNote de bas de page 12.

[19] D’autres parties de la Loi sur l’assurance-emploi renforcent également l’importance d’un emploi convenable. Une personne qui veut des prestations d’assurance-emploi doit être disponible pour un emploi convenable et faire des démarches raisonnables et habituelles pour trouver un emploi convenableNote de bas de page 13.

[20] La loi donne des indications sur ce qui constitue un emploi convenableNote de bas de page 14. Cela dépend de facteurs comme l’emploi habituel, la situation personnelle, la rémunération antérieure et les conditions de travail.

[21] Ce qu’une personne doit démontrer pour prouver sa disponibilité peut également changer au fil du tempsNote de bas de page 15. La loi permet à une personne d’imposer plus de restrictions au début, mais dit qu’elle doit élargir sa recherche d’emploi après avoir été au chômage pour une période raisonnable.

[22] Selon cette approche contextuelle, une personne qui limite sa disponibilité au travail à temps partiel ou à des heures irrégulières pourrait toujours être disponible pour travailler, surtout s’il y a un lien entre son emploi habituel (travail antérieur) et les restrictions actuellesNote de bas de page 16. De plus, une personne qui limite sa disponibilité d’une façon pourrait être en mesure de compenser en faisant preuve de souplesse d’une autre façonNote de bas de page 17.

[23] Il y a aussi un lien important entre la disponibilité d’une personne et ses démarches pour trouver un emploi. Les démarches de recherche d’emploi d’une personne fournissent des renseignements importants sur les conditions du marché du travail et l’effet de toute restriction auto-imposée. En fait, la preuve d’une recherche d’emploi sérieuse et intensive milite fortement en faveur de la disponibilité d’une personneNote de bas de page 18.

[24] D’après ces principes, je crois comprendre qu’il n’y a pas de règles strictes qui s’appliquent aux exigences de disponibilité au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Le Tribunal doit plutôt rendre des décisions en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque affaire.

[25] Par exemple, il est peu probable qu’une enseignante ou un enseignant qui limite sa disponibilité aux soirs et aux fins de semaine réponde aux exigences de la Loi sur l’assurance-emploi. Cependant, le résultat pourrait être différent si la personne travaillait habituellement dans une boîte de nuit.  Un emploi convenable est différent pour des personnes ayant des antécédents professionnels différents.

L’approche contextuelle de l’évaluation de la disponibilité

[26] L’utilisation d’une approche contextuelle pour évaluer la disponibilité d’une personne est conforme à la structure et à l’objet généraux de la Loi sur l’assurance-emploi, y compris ses objectifs sociauxNote de bas de page 19. Entre autres objectifs, la Loi sur l’assurance-emploi vise à indemniser les personnes qui cotisent au Régime d’assurance-emploi et qui se retrouvent sans emploi pour des raisons indépendantes de leur volontéNote de bas de page 20. La Loi sur l’assurance-emploi n’exclut pas des groupes particuliers, comme les personnes aux études ou qui travaillent à temps partiel.

[27] Toutefois, l’interprétation trop restrictive des exigences en matière de disponibilité pourrait avoir cet effet. Par exemple, si les personnes qui souhaitent recevoir des prestations d’assurance-emploi doivent toujours être disponibles pendant les heures normales de travail, beaucoup de personnes (comme celles qui sont aux études ou qui travaillent à temps partiel ou selon des horaires irréguliers) seraient tenues de cotiser au Régime d’assurance-emploi, avec peu ou pas d’espoir de recevoir des prestations.

[28] Cette approche contextuelle est également mieux adaptée à la nature changeante du travail. Cela signifie que l’horaire de 9 h à 15 h ne devrait pas être le baromètre utilisé pour évaluer la disponibilité dans tous les cas. Les types de travail qu’une personne a fait dans le passé aideront plutôt à définir un emploi convenable pour l’avenir.

[29] La Commission soutient qu’une approche contextuelle est incompatible avec les décisions de la Cour d’appel fédérale, en particulier Bertrand et RideoutNote de bas de page 21. Selon la Commission, ces cas disent que, pour répondre aux exigences de disponibilité au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, une personne doit être disponible pour travailler à temps plein pendant les heures normales de travail pour chaque jour ouvrable de la semaineNote de bas de page 22.

[30] Les arguments de la Commission tentent d’exagérer l’importance des décisions Bertrand et Rideout.

[31] Par exemple, la décision Bertrand concerne une personne qui a changé son horaire de disponibilité pour passer d’un horaire régulier à un horaire irrégulier et qui a admis qu’aucune possibilité d’emploi convenable ne correspondait à son nouvel horaire.

[32] La décision Rideout, quant à elle, concerne un étudiant qui n’avait jamais travaillé en étant aux études, et qui avait postulé pour un seul emploi lorsque la Commission a communiqué avec lui pour discuter de sa disponibilité.

[33] Ces décisions ont une valeur limitée dans la présente affaire, puisqu’il est question d’un prestataire qui a déjà travaillé en étant aux études, qui a effectué une recherche d’emploi sérieuse et approfondie et qui a fourni des éléments de preuve montrant que, dans sa région, il y a de nombreuses possibilités d’emploi qui respectent ses limites.

[34] À l’audience devant moi, la Commission s’est appuyée presque entièrement sur la limite de 20 heures imposée par le permis d’études du prestataire. Même si la Commission semblait soutenir que le permis d’études du prestataire était fatal dans son cas, elle n’irait pas jusqu’à dire que toutes les personnes aux études qui sont titulaires d’un permis d’études sont exclues du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 23.

[35] En se concentrant sur le permis d’études du prestataire, la Commission a ignoré de nombreuses autres circonstances de la présente affaire.

[36] Les parties ont convenu (et la Cour d’appel fédérale a décidé) que la première décision de la division d’appel, qui portait également sur le permis d’études du prestataire, était [traduction] « déraisonnable parce que [la division d’appel] a commis une erreur de fait en ne tenant pas compte des conclusions de la division générale du 24 juin 2021 sur la nature souple de la formation du demandeur, et sur ses antécédents professionnelsNote de bas de page 24 ». Autrement dit, le contexte est important.

[37] Pourtant, devant moi, la Commission a fait valoir que l’horaire de formation et les antécédents professionnels du prestataire étaient peu ou pas pertinents dans la présente affaire. Je ne suis pas d’accord. En ne tenant pas compte de ces facteurs, je répéterais des erreurs du passé et j’ignorerais la décision de la Cour d’appel fédérale.

[38] Un autre rappel de l’importance du contexte vient de la décision Faucher. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale prévient que le fait de s’appuyer uniquement sur les restrictions que s’impose une personne peut entraîner une décision qui est déconnectée de toutes les circonstances de l’affaire. La décision Faucher illustre l’analyse hautement contextuelle que la loi exige.

[39] Bref, la disponibilité doit être évaluée en fonction de toutes les circonstances de chaque cas. On ne dit nulle part qu’une personne doit être disponible pour travailler à temps plein pendant les heures normales de travail pour satisfaire aux exigences de disponibilité de la Loi sur l’assurance-emploi. L’adoption de cette interprétation exclut de grands groupes de personnes de l’accès au régime d’assurance-emploi.

[40] La division générale a interprété la loi correctement lorsqu’elle a conclu que le prestataire pouvait satisfaire aux exigences de disponibilité au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, même s’il ne cherchait pas un emploi à temps plein pendant les heures normales de travail.

Le prestataire était immédiatement disponible pour travailler

[41] La Commission soutient également que la division générale a commis une erreur en omettant de reconnaître que l’horaire de formation du prestataire signifiait qu’il pouvait être disponible pour travailler, mais qu’il n’était pas immédiatement disponible pour travailler. Je ne suis pas d’accord.

[42] À l’appui de son argument, la Commission s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire PrimardNote de bas de page 25.

[43] Encore une fois, les faits dans l’affaire Primard sont très différents des faits de la présente affaire.

[44] Il semble que Mme Primard travaillait à temps plein. Elle s’est ensuite inscrite à un cours intensif d’un an, ce qui signifie qu’elle est devenue uniquement disponible pour travailler en soirée et les fins de semaine. Au départ, Mme Primard a dit qu’elle était engagée dans ses études et qu’elle ne changerait pas ou n’abandonnerait pas son programme. Plus tard, cependant, elle a dit qu’elle avait la possibilité d’étudier à temps partiel et le soir, ce qu’elle ferait si elle trouvait un emploi.

[45] La Cour semblait convaincue que la disponibilité limitée de Mme Primard expliquait son incapacité à trouver du travail. En fin de compte, la Cour a conclu que Mme Primard n’était pas disponible pour travailler et que, au mieux, elle avait démontré une disponibilité possible ou conditionnelleNote de bas de page 26.

[46] Bref, Mme Primard avait la possibilité de poursuivre son cours d’une façon qui prendrait plus de temps, mais qui ne nuirait pas à son horaire de disponibilité. Elle a plutôt choisi l’option la plus rapide, ce qui a considérablement nui à sa disponibilité.

[47] Au début de son programme, Mme Primard n’était peut-être pas au courant des deux options. Lors des premiers appels téléphoniques avec la Commission, Mme Primard a dit qu’elle s’engageait à suivre son cours pendant la journée, et il n’est pas clair quels efforts (le cas échéant) elle a déployés par la suite pour modifier son horaire ou commencer à chercher du travail pendant la journée. En effet, il a peut-être été difficile de le faire au beau milieu de son programme.

[48] Fait important, la Cour a également souligné que Mme Primard n’avait jamais travaillé pendant qu’elle était aux études et que les modalités de son prêt d’études lui interdisaient de travailler.

[49] En revanche, la preuve dans la présente affaire montre que l’horaire de formation du prestataire comprenait 10 heures de vol par semaine. Le prestataire a expliqué qu’il pouvait planifier ses heures de vol selon ce qui lui convenait, donc n’importe quel jour de la semaine, et du lever au coucher du soleilNote de bas de page 27. Le prestataire devait aussi passer des examens, mais il pouvait choisir le moment où il les passait et le rythme auquel il s’y préparaitNote de bas de page 28.

[50] Dans la présente affaire, le prestataire a donc été en mesure d’organiser rapidement son horaire de formation en fonction de son horaire de travail. De plus, le prestataire avait déjà travaillé tout en étant aux études. Donc, le prestataire était disponible pour travailler du lundi au vendredi, il s’agissait simplement d’ajuster son horaire de formation, au besoin.

[51] Les faits de la présente affaire sont plus semblables à ceux examinés par la Cour d’appel fédérale dans WangNote de bas de page 29. Mme Wang était également étudiante, mais elle a été jugée disponible pour travailler en raison de preuves convaincantes selon lesquelles sa priorité était de retourner au travail. Plus précisément, Mme Wang a dit qu’elle changerait de cours, quitterait son programme ou déménagerait, au besoin. Malgré cela, la Cour n’a soulevé aucune préoccupation au sujet de sa disponibilité conditionnelle.

[52] Dans les circonstances, la division générale n’avait pas à suivre la décision Primard. Je n’accepte pas les préoccupations de la Commission au sujet de la disponibilité possible ou conditionnelle du prestataire.

La division générale a correctement pris en considération le permis d’études du prestataire

[53] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit pertinente dans la façon dont elle a pris en considération le permis d’études du prestataire. Quoi qu’il en soit, le résultat de cette question ne changerait pas l’issue de l’appel.

La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en évaluant si le permis d’études du prestataire constituait une restriction volontaire à sa disponibilité

[54] La division générale n’a pas tenu compte de l’incidence du permis d’études du prestataire sur sa disponibilité pour travailler. La division générale a conclu que le permis d’études ne constituait pas une restriction auto-imposée à la disponibilité du prestataire. Le gouvernement a plutôt limité le prestataire au travail hors campus pendant un maximum de 20 heures par semaine.

[55] La Commission soutient que le critère de disponibilité est objectif et que toutes les restrictions à la disponibilité d’une personne doivent être prises en compte, quelle qu’en soit la raison. Je ne suis pas d’accord.

[56] Dans certains cas, il importe que les restrictions imposées à la disponibilité d’une personne soient involontaires ou indépendantes de sa volonté. La Cour d’appel fédérale a tranché cette question dans l’affaire Whiffen, où elle a refusé d’envisager une restriction que Mme Whiffenn’avait pratiquement d’autre choix que d’accepterNote de bas de page 30.

[57] La décision Leblanc sur laquelle la Commission s’appuie ne porte pas sur une condition personnelle au titre du troisième facteur de la décision FaucherNote de bas de page 31. Il s’agit plutôt de la volonté d’une personne de travailler, ce qui peut être miné par une incapacité de travailler. Leblanc ne dit pas que toute contrainte sur la disponibilité d’une personne pour le travail la rend inadmissible aux prestations d’assurance-emploi. Cette interprétation entre en conflit avec l’arrêt Whiffen et est incompatible avec d’autres décisions qui disent qu’une personne ne doit pas restreindre indûment ses chances de retourner au travail. Autrement dit, des restrictions raisonnables seront toléréesNote de bas de page 32.

[58] Donc, l’analyse de la disponibilité est objective en ce sens que le Tribunal n’a pas à se demander si les restrictions que s’impose une personne sont justifiées ou nonNote de bas de page 33. Dans l’affaire Bertrand, par exemple, il n’était pas nécessaire de se demander si l’enfant de Mme Bertrand avait vraiment besoin d’une gardienne ou si elle avait fait des efforts raisonnables pour en trouver une.

[59] De plus, si une personne est incapable de travailler, comme dans Leblanc, il n’est pas nécessaire d’en examiner les raisons.

[60] Toutefois, certaines restrictions à la disponibilité d’une personne sont causées par des facteurs indépendants de sa volonté. Dans ces cas, tant que la personne conserve sa capacité de travailler, le Tribunal doit établir si des limites à la disponibilité de la personne étaient volontaires (auto-imposées).

[61] Par conséquent, la division générale a eu raison de se demander si la restriction des heures de travail du prestataire était une restriction auto-imposée.

La division générale n’a pas commis d’erreur importante au sujet des faits de l’affaire dans la façon dont elle a caractérisé le permis d’études du prestataire

[62] La Commission soutient également que la division générale aurait dû conclure que le permis d’études du prestataire était une restriction auto-imposée qu’elle devait prendre en considération dans le cadre de son évaluation de la disponibilité. Plus précisément, la Commission affirme que le prestataire a choisi d’étudier au Canada et qu’il savait (ou aurait dû savoir) qu’il serait assujetti à cette restrictionNote de bas de page 34.

[63] J’interprète l’argument de la Commission comme une allégation selon laquelle la caractérisation par la division générale du permis d’études du prestataire constitue une erreur importante quant aux faits de l’affaire. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je dois cependant faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la division générale.

[64] Dans la présente affaire, des éléments de preuve appuient la caractérisation du permis d’études par la division générale. La division générale a également reconnu des décisions contradictoires et expliqué pourquoi cette affaire était différente, ou pourquoi elle a refusé de suivre les autres décisionsNote de bas de page 35.

[65] La Commission n’a pas satisfait à la norme élevée qui me permettrait d’intervenir sur la base d’une erreur de fait. De façon similaire à la décision de la Cour dans Whiffen, la division générale avait le droit de conclure que le prestataire n’avait [traduction] « pratiquement pas le choix » d’accepter les conditions imposées par son permis d’étudesNote de bas de page 36.

Cette question ne change pas l’issue de l’appel

[66] Si je me trompe au sujet des conclusions ci-dessus, la situation du prestataire est semblable à celle de toute autre personne qui a perdu son emploi à temps partiel involontairement et sans qu’elle en soit responsable, et qui cherche un autre emploi à temps partiel.

[67] Dans les circonstances de l’affaire, j’estime que les restrictions imposées par le prestataire, y compris celles imposées par son permis d’études, n’ont pas limité excessivement ses chances de retourner au travail. Je dis cela parce que :

  • le prestataire a déjà occupé un emploi régulier à temps partiel pendant qu’il était aux étudesNote de bas de page 37;
  • il n’a eu aucune difficulté à trouver du travail peu après son arrivée au Canada;Note de bas de page 38
  • sa disponibilité est demeurée la même avant et après la perte de son emploi;
  • son horaire de formation souple ne présentait aucun obstacle au retour au travail;
  • il a déployé des efforts sérieux et intenses pour trouver un nouvel emploi, tant dans son secteur habituel que dans plusieurs autres secteursNote de bas de page 39.

[68] Le prestataire a démontré que, dans la région où il habite, il y a de nombreuses possibilités de travail à temps partiel et que ses restrictions n’ont pas indûment limité ses chances de retourner au travail.

La division générale a commis une erreur de droit en interprétant mal l’exigence de disponibilité pour les personnes aux études

[69] Je suis d’accord avec l’argument de la Commission sur cette question. La division générale a commis une erreur de droit en concluant que les modifications apportées récemment à la Loi sur l’assurance-emploi signifient que les personnes qui étudient à temps plein ne sont plus présumées indisponibles.

[70] Encore une fois, cependant, le résultat de cette question ne change pas l’issue de l’appel.

Les récentes modifications apportées à la Loi sur l’assurance-emploi n’ont pas éliminé la présomption selon laquelle les personnes qui étudient à temps plein ne sont pas disponibles pour travailler.

[71] La principale exigence de la Loi sur l’assurance-emploi en matière de disponibilité est énoncée à l’article 18(1)a), qui se lit comme suit :

Disponibilité, maladie, blessure, etc.

18 (1) Le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là :

  1. a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable;

[72] Ensuite, pendant la pandémie de COVID-19, le gouvernement a ajouté l’article suivant à la Loi sur l’assurance-emploi, qui fait référence plus précisément aux personnes qui sont aux études :

Cours ou programme d’instruction ou de formation non dirigé

153.161 (1) Pour l’application de l’alinéa 18(1)a), le prestataire qui suit un cours ou programme d’instruction ou de formation pour lequel il n’a pas été dirigé conformément aux alinéas 25(1)a) ou b) n’est pas admissible au versement des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là, capable de travailler et disponible à cette fin.

Vérification

(2) La Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire visé au paragraphe (1) est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestations.

[73] Dans l’ensemble, la Commission dit que l’article 153.161 lui permettait d’apporter des changements opérationnels à la façon dont elle évaluait la disponibilité des personnes aux étudesNote de bas de page 40. Cependant, il est difficile de voir ce que l’article 153.161(1) ajoute à la loi actuelle sur la disponibilité.

[74] Quoi qu’il en soit, je n’interprète pas cette nouvelle disposition comme ayant préséance sur la présomption d’indisponibilité que les tribunaux ont élaborée en appliquant l’article 18(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi. Cela particulièrement vrai compte tenu des premiers mots de l’article : « Pour l’application de l’alinéa 18(1)a) ».

Cette question ne change pas l’issue de l’appel

[75] Comme je l’ai déjà mentionné, le Tribunal utilise les facteurs de la décision Faucher pour évaluer la disponibilité.

[76] Cependant, les tribunaux ont déclaré que les personnes aux études à temps plein sont présumées ne pas être disponibles pour travaillerNote de bas de page 41. La présomption est particulièrement forte pour les personnes qui quittent un emploi à temps plein pour aller à l’école.

[77] La présomption semble être une façon détournée de signaler que les personnes qui étudient à temps plein auront souvent de la difficulté à se conformer au troisième facteur de la décision Faucher.

[78] Une personne qui surmonte la présomption d’indisponibilité doit quand même prouver qu’elle répond aux exigences de disponibilité prévues par la loi. Cependant, une personne qui répond aux exigences de disponibilité, selon un examen approprié des facteurs de la décision Faucher, a nécessairement surmonté la présomption d’indisponibilité.

[79] C’est le cas dans la présente affaire.

[80] Dans une autre affaire, la Cour d’appel fédérale a également tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Faucher et de la présomption d’indisponibilitéNote de bas de page 42.

[81] Après avoir examiné les trois facteurs de la décision Faucher et les difficultés posées par l’horaire d’études du prestataire, la division générale a conclu qu’il était disponible pour travailler.

[82] En concluant que la formation du prestataire n’avait pas indûment limité ses chances de retourner au travail, la division générale a effectivement conclu qu’il y avait des circonstances exceptionnelles et que la présomption de non-disponibilité ne s’appliquait pas à luiNote de bas de page 43.

[83] Par conséquent, même si la division générale avait appliqué la présomption de non-disponibilité, le prestataire l’aurait fait tomber. L’erreur n’a donc aucune incidence sur l’issue de l’appel.

Le programme d’assurance-emploi n’est pas un programme d’aide aux études

[84] Avant de conclure, j’aimerais aborder rapidement la préoccupation de la Commission selon laquelle juger que le prestataire était disponible pour travailler transforme en fait le programme d’assurance-emploi en programme d’aide aux études. Je ne suis pas d’accord.

[85] L’approche contextuelle décrite ci-dessus ne s’écarte pas des décisions de la Cour d’appel fédérale selon lesquelles les personnes aux études ne satisfont pas aux exigences de disponibilité de la Loi sur l’assurance-emploi.

[86] Cette décision est fondée sur les faits particuliers de la présente affaire. En revanche, les personnes qui quittent un emploi à temps plein pour aller à l’école et celles qui n’ont pas déjà jonglé un travail régulier et des études continueront d’avoir de la difficulté à satisfaire aux exigences de la Loi sur l’assurance-emploi.

[87] Soit dit en passant, il ne faut pas oublier que le montant des prestations d’assurance-emploi qu’une personne reçoit est normalement rajusté en fonction de sa rémunération antérieure. Autrement dit, une personne qui est admissible aux prestations d’assurance-emploi en raison d’un emploi à temps partiel aura un taux de prestations inférieur à celui d’une personne semblable qui est admissible en raison d’un emploi à temps plein. Pour les raisons décrites ci-dessus, toutefois, la Loi sur l’assurance-emploi ne devrait pas être interprétée de façon à exclure complètement les personnes qui travaillent à temps partiel.

Conclusion

[88] Je rejette l’appel de la Commission.

[89] Bien que j’aie trouvé une petite erreur de droit dans la décision de la division générale, l’erreur ne change pas l’issue de l’appel. Le prestataire a démontré qu’il satisfait aux exigences de disponibilité au titre de la Loi sur l’assurance-emploi.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.