Assurance-emploi (AE)

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Citation : TR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 827

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : T. R.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (462616) datée du 22 avril 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience  : Le 14 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Époux de l’appelante
Date de la décision : Le 21 juin 2022
Numéro de dossier : GE-22-1605

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a causé sa suspension). Par conséquent, la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été mise en congé sans solde parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner contre la COVID-19. L’employeur a instauré une politique qui exigeait la vaccination du personnel ou une exemption approuvée. La prestataire n’était ni vaccinée ni exemptée à la date limite, alors elle a été mise en congé sans solde obligatoire (suspension).

[4] La Commission a décidé que la prestataire était suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Par conséquent, elle a déclaré la prestataire inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

[5] La prestataire réplique qu’il ne s’agit pas d’une inconduite. Elle a fourni à son employeur les résultats d’un test qui montrait qu’elle avait les anticorps contre la COVID-19. Selon elle, c’était suffisant; elle n’aurait pas dû être forcée à se faire vacciner si elle était naturellement immunisée. Elle était une bonne employée et rien ne justifiait une suspension.

Questions que je dois examiner en premier

[6] La prestataire a deux dossiers d’appel. J’ai choisi de traiter les deux à la même audience pour procéder aussi rapidement et informellement que le permettent les circonstances, tout en tenant compte de la justice naturelle et de l’équité.

[7] Cependant, je n’ai pas joint les deux appels. Je peux le faire seulement si les appels soulèvent des questions communes de droit ou de fait, et si aucune injustice ne risque d’être causée aux partiesNote de bas page 2. Dans la présente affaire, les deux appels ne partagent pas de questions communes de droit ou de fait. Je vais donc rendre deux décisions séparées.

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[8] Le Tribunal de la sécurité sociale a désigné l’ex-employeur de la prestataire comme partie mise en cause potentielle à l’appel. Il lui a donc envoyé une lettre pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel de la prestataire et s’il souhaitait être ajouté comme partie mise en cause. L’employeur n’a pas répondu avant la date de la présente décision. Puisqu’il n’y a rien au dossier qui indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas l’ajouter comme partie.

Question en litige

[9] La prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

Analyse

[10] La loi prévoit qu’une partie prestataire qui perd son emploi en raison d’une inconduite est exclue du bénéfice des prestationsNote de bas page 3.

[11] La loi dit aussi que la partie prestataire ainsi suspendue de son emploi est inadmissible aux prestations jusqu’à l’une des conditions suivantes :

  • la fin de la période de suspension;
  • la perte de cet emploi ou son départ volontaire;
  • l’accumulation d’un nombre suffisant d’heures chez un autre employeur depuis le début de la suspensionNote de bas page 4.

[12] Pour décider si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a été suspendue. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue?

[13] Les deux parties sont d’accord pour dire que la prestataire a dû arrêter de travailler parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur qui exigeait sa vaccination contre la COVID-19 ou une exemption approuvée. Voilà la conduite qui a entraîné sa suspension.

La raison de sa suspension est-elle une inconduite selon la loi?

[14] Selon la loi, la raison de la suspension de la prestataire est une inconduite.

[15] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 5. Une inconduite peut aussi se présenter comme une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas page 6. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il ne faut pas nécessairement avoir une intention coupable (c’est-à-dire vouloir faire quelque chose de mal)Note de bas page 7.

[16] Il y a inconduite si une personne savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 8.

[17] La Commission doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduiteNote de bas page 9.

[18] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire savait qu’elle devait se conformer à la politique de son employeur pour continuer son travail. La prestataire ne s’est pas fait vacciner contre la COVID-19 et n’a pas obtenu d’exemption du vaccin comme l’exigeait la politique de l’employeur. Elle a décidé de manière délibérée de ne pas respecter la politique.

[19] La prestataire soutient qu’il n’y a pas eu inconduite parce que la politique ne faisait pas partie de son contrat de travail initial. Le vaccin allait à l’encontre de ses croyances religieuses, et elle a fourni à son employeur les résultats d’un test qui montrait qu’elle avait une immunité naturelle. Elle était une bonne employée et elle trouvait injuste d’être suspendue pour cette raison.

[20] La prestataire était agente du service à la clientèle pour une compagnie de transport aérien. En septembre 2021, son employeur a mis en place une politique exigeant la pleine vaccination du personnel contre la COVID-19 au plus tard le 31 octobre 2021Note de bas page 10. Plus précisément, les membres du personnel devaient avoir reçu leur premier vaccin au 8 septembre 2021 et leur deuxième au 16 octobre 2021. Ils devaient déclarer leur statut vaccinal à l’employeur au plus tard le 8 septembre 2021.

[21] La prestataire avait eu la COVID-19 plus tôt dans l’année. Elle a fait un test de détection d’anticorps pour montrer qu’elle avait toujours les anticorps contre la COVID-19. Elle a remis les résultats de ce test à l’employeur. Elle voulait être exemptée de l’exigence de vaccination grâce à son immunité naturelleNote de bas page 11.

[22] Le 12 octobre 2021, la prestataire a envoyé ses résultats de test à son employeur et à son syndicat. Elle a déclaré être [traduction] « profondément offusquée » par l’obligation vaccinale. Elle ne refusait pas le vaccin à ce moment-là, mais voulait que son employeur fournisse des études sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin à long terme, de même que sur l’immunité naturelle et la vaccination. Elle voulait aussi qu’on lui montre des études sur les effets indésirables des vaccins contre la COVID-19 chez les personnes qui avaient déjà eu la maladie, comme c’était son casNote de bas page 12.

[23] La prestataire a dit au Tribunal qu’elle ne pouvait pas être vaccinée contre la COVID-19 en raison de ses croyances religieuses. Avant sa suspension, elle n’a pourtant pas demandé d’être exemptée de la politique de l’employeur pour des raisons religieuses. Elle pensait que le test d’anticorps suffirait pour que l’employeur l’exempte de la vaccination obligatoire. Toutefois, elle a mentionné que l’employeur a refusé ces documentsNote de bas page 13.

[24] Le 29 octobre 2021, la représentante légale de la prestataire a envoyé une lettre à l’employeur et au syndicat de la prestataire. Elle disait que la prestataire ne refusait pas la [traduction] « demande de vaccination » à ce moment-là. Elle réclamait à l’employeur des études scientifiques sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin, une justification pour exiger la vaccination d’une personne naturellement immunisée et d’autres renseignementsNote de bas page 14.

[25] La prestataire a été mise en congé sans solde le 30 octobre 2021.

[26] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

[27] La prestataire a décidé de façon délibérée et consciente de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. La preuve montre clairement qu’elle savait que le non-respect de cette politique entraînerait une perte d’emploi.

[28] La prestataire a été informée de la politique de son employeur en septembre 2021. Sa lettre du 14 octobre 2021 et la lettre de sa représentante légale du 29 octobre 2021 indiquent qu’elle ne refusait pas de se faire vacciner à ce moment-là. La politique de l’employeur exigeait une preuve de sa première dose de vaccin contre la COVID-19 au 8 septembre 2021, et une autre preuve pour sa deuxième dose au 16 octobre 2021. Elle a choisi de ne pas se faire vacciner ni de demander une exemption approuvée avant les dates limites conformément à la politique. J’en conclus que la prestataire ne s’est pas conformée à la politique de son employeur.

[29] La prestataire savait que le non-respect de la politique entraînerait une suspension. La lettre du 29 octobre 2021 en fait étatNote de bas page 15. J’estime alors que la prestataire aurait dû raisonnablement savoir qu’elle pouvait être suspendue en cas de non-respect de la politique de l’employeur.

[30] Je comprends que la prestataire s’inquiétait de l’innocuité du vaccin. Elle croyait aussi être suffisamment immunisée contre la COVID-19 qu’elle avait attrapée plus tôt dans l’année. Toutefois, la politique de l’employeur ne se fondait pas sur son immunité potentielle. Elle exigeait que la prestataire soit vaccinée contre la COVID-19. La prestataire était consciente que l’employeur ne l’exemptait pas de la vaccination obligatoire parce qu’elle avait attrapé la maladie plus tôt dans l’année. Malgré tout, elle a choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur. J’en conclus que la prestataire a pris cette décision de façon délibérée.

[31] La prestataire soutenait que la politique ne faisait pas partie de son contrat de travail initial et enfreignait sa convention collective.

[32] Un employeur a le droit de gérer son fonctionnement au quotidien, ce qui comprend le droit de créer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Quand l’employeur a fait de sa politique une exigence pour l’ensemble du personnel, elle est devenue du même coup une condition d’emploi pour la prestataire.

[33] Je comprends les inquiétudes de la prestataire quant à l’absence d’options autres que la vaccination dans la politique de l’employeur. Je reconnais son désaccord sur la politique et son sentiment que sa suspension était injustifiée.

[34] La Cour d’appel fédérale a établi que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’un employeur est raisonnable ou si le congédiement d’une partie prestataire est justifié. Le rôle du Tribunal est de décider si la façon d’agir de la partie prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 16.

[35] Je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a enfreint la convention collective de la prestataire en la suspendant. La prestataire a mentionné qu’elle a demandé à son syndicat de formuler un grief au sujet de sa suspension. C’est un moyen approprié pour soulever des allégations de violation de convention collective de la part d’un employeur.

Alors, la prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[36] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduite.

Autres questions

[37] Après l’audience, la prestataire a fourni une lettre de son employeur datée du 16 juin 2022. La lettre indique que l’employeur allait suspendre et réévaluer sa politique de vaccination contre la COVID-19, à la suite de l’annonce du gouvernement fédéral établissant la suspension des exigences de vaccination pour le personnel du secteur des transports. La lettre dit que la prestataire restera en congé jusqu’à ce qu’elle reçoive une date de retour au travail en fonction des exigences de l’employeurNote de bas page 17.

[38] J’en comprends que la prestataire pourrait retourner à son poste. Toutefois, les faits restent les mêmes en ce qui concerne sa suspension le 30 octobre 2021. Son possible retour au travail en juin 2022 ou après n’est donc pas pertinent pour décider si elle a été suspendue le 30 octobre 2021 en raison d’une inconduite.

Conclusion

[39] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[40] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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