Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Citation : CM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1098

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (453927) datée du 2 février 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 29 mars 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 3 mai 2022
Numéro de dossier : GE-22-552

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire, X.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été mise en congé sans solde (suspendue de son emploi). Elle a fait une demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission a accepté la raison de la mise en congé que l’employeur a fournie. Elle a conclu que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. La Commission l’a donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] La prestataire ne conteste pas qu’elle n’était pas conforme avec la nouvelle politique de vaccination de son employeur. Cependant, elle affirme qu’elle ne devrait pas être exclue du bénéfice des prestations, car elle n’est pas d’accord avec la raison invoquée, soit l’inconduite. Elle a demandé la révision de sa demande. La Commission a encore une fois rejeté sa demande de prestations.

[5] La Commission affirme que la prestataire était informée des règles et des délais à respecter ainsi que des conséquences en cas de refus de s’y conformer. La prestataire a quand même délibérément refusé de s’y conformer. Ce refus est la raison de la suspension. La prestataire a donc perdu son emploi, pour une période qui pourrait prendre fin en même temps que sa non-conformité, en raison de son inconduite.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Parfois, le Tribunal envoie à l’ancien employeur de la partie appelante une lettre lui demandant s’il veut être ajouté comme partie à l’appel. Dans le cas présent, le Tribunal a fait parvenir une telle lettre à l’employeur. Celui-ci n’a pas répondu à la lettre.

[7] Pour être une partie à l’appel, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas ajouter l’employeur comme partie à cet appel, car rien dans le dossier ne laisse croire que ma décision lui imposerait des obligations légales.

Question en litige

[8] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

Analyse

[9] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été mise en congé sans solde ?

[10] J’estime que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle a refusé de se conformer à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada.

[11] La Commission soutient que la prestataire a délibérément refusé de se conformer à la politique de l’employeur en refusant de se faire vacciner et de divulguer son statut vaccinal.

[12] Le 2 novembre 2021, l’employeur a envoyé à la prestataire une lettre qui confirmait qu’à ce jour, elle ne s’était pas encore conformée à la politique. Elle était tenue d’attester son statut vaccinal au plus tard le 29 octobre 2021, ce qu’elle n’avait pas fait. De plus, la prestataire était avisée qu’elle devrait assister à une séance de formation sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19 et qu’elle devrait se faire vacciner avant le 15 novembre 2021. La lettre explique aussi que si la prestataire n’a pas reçu une première dose du vaccin au plus tard le 15 novembre 2021, elle sera mise en congé administratif non payé jusqu’à ce qu’elle se conforme à la politique.

[13] Une deuxième lettre de l’employeur, datée du 10 novembre 2021, confirme que la prestataire n’a toujours pas divulgué son statut vaccinal et n’est donc pas conforme à la politique. Pour cette raison, elle est mise en congé administratif à partir du 15 novembre 2021, jusqu’à ce qu’elle se conforme à la politique. Le congé sans solde serait révisé si son statut de vaccination changeait.

[14] Je note que le relevé d’emploi produit par l’employeur explique aussi que la prestataire est en congé pour non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

[15] Je conclus que la prestataire a été suspendue de son emploi parce qu’elle n’a pas divulgué son statut vaccinal avant le 29 octobre 2021, comme l’exige la politique de son employeur.

La raison de la suspension de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi ?

[16] Selon la loi, la raison de la mise en congé sans solde de la prestataire est une inconduite.

[17] Pour être considérée comme une inconduite selon la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 2. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 3. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupableNote de bas page 4 (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal).

[18] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée (dans ce cas-ci, mise en congé) pour cette raisonNote de bas page 5.

[19] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit établir la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas page 6.

[20] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire a délibérément refusé de se conformer à la politique de l’employeur. La prestataire avait été informée des règles et des délais à respecter ainsi que des conséquences en cas de refus de s’y conformer. Elle a néanmoins choisi de ne pas se conformer à la politique.

[21] La prestataire soutient qu’il n’y a pas eu inconduite pour plusieurs raisons, entre autres :

  • il n’y avait pas de conflit avec son employeur;
  • il y a eu bris de contrat de travail par son employeur;
  • la politique était une exigence professionnelle non justifiée;
  • il n’y a pas eu de consentement libre et éclairé;
  • il y a violation de la Constitution par l’employeur;
  • elle avait droit à la protection contre les abus du gouvernement;
  • les expériences médicales requièrent le consentement;
  • le sens du mot « inconduite »;
  • son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

[22] Afin de traiter les arguments d’une manière efficace, je vais commencer par évaluer les conclusions de la Commission et ensuite considérer les points soulevés par la prestataire. Lorsque j’examinerai les multiples arguments de la prestataire, je vais les simplifier et en regrouper certains pour les traiter ensemble d’une manière logique.

La Commission démontre qu’il y a eu inconduite selon la loi

[23] J’estime que la Commission a réussi à démontrer que le comportement qui a mené à la suspension de la prestataire est une inconduite selon la loi.

[24] La Commission prétend que la prestataire a volontairement décidé de ne pas se conformer à la politique de son employeur alors que les faits au dossier démontrent qu’elle avait été informée non seulement des règles et des délais à respecter, mais également des conséquences en cas de refus de s’y conformer. La suspension est la conséquence directe de son refus délibéré de se conformer à la politique.

[25] Bien que la prestataire ait présenté de multiples documents et arguments pour justifier ses raisons de ne pas se conformer à l’obligation de divulguer son statut vaccinal et de se faire vacciner, sa preuve ne démontre pas qu’elle ne connaissait pas la politique ou les conséquences de ne pas s’y conformer. Elle n’allègue pas non plus qu’elle a répondu aux critères de la politique en déclarant son statut vaccinal ou en se faisant vacciner.

[26] En fait, la prestataire a témoigné que la politique a été annoncée par l’employeur dans un courriel général incluant des informations au sujet de la politique. Il y a eu quelques courriels à cet effet avec le même message, c’est-à-dire que les employées et employés ayant des questions pouvaient parler à leur médecin. La prestataire dit qu’elle est allée voir son gestionnaire pour savoir si la politique s’appliquait à tout le monde. Selon le témoignage de la prestataire, ce n’était pas clair si le personnel non conforme serait mis en congé. Comme la date limite approchait et qu’elle n’avait pas plus de détails, la prestataire attendait une lettre contenant plus d’informations.

[27] La prestataire a confirmé que le courriel de l’employeur se trouve dans la preuve présentée au Tribunal. Contrairement aux commentaires de la prestataire, je trouve que le communiqué est très clair et précis. Il inclut les renseignements suivants :

  • le personnel de l’employeur doit être vacciné;
  • l’obligation s’applique que la personne soit en télétravail ou qu’elle travaille à distance ou sur place dans les installations du gouvernement fédéral;
  • le personnel devait avoir produit son attestation au plus tard le 29 octobre 2021;
  • les informations seraient recueillies conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Politique sur la protection de la vie privée;
  • si une personne n’atteste pas son statut vaccinal ou ne veut pas se faire vacciner, elle sera placée en congé administratif non payé à partir du 15 novembre;
  • dans les cas exceptionnels où une personne ne peut pas se faire vacciner pour des motifs de discrimination illicites en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle peut demander des mesures d’adaptation;
  • les membres du personnel qui ne soumettaient pas leur attestation avant le 29 octobre devaient assister à une séance de formation sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19.

[28] La prestataire a aussi témoigné que sa supérieure lui a mentionné qu’elle devait aller en ligne pour attester son statut vaccinal, car si ce n’était pas fait, elle serait mise à pied.

[29] La prestataire était donc informée de la politique ainsi que des conséquences de son non-respect. Elle dit qu’elle ne croyait pas que son employeur irait jusqu’à la mettre en congé sans solde, surtout parce qu’elle travaillait de la maison et n’avait pas de contact avec le public. Malgré cette impression, j’estime que la prestataire avait été avisée des conséquences du refus de se faire vacciner et de divulguer son statut vaccinal. Elle a quand même choisi de refuser de se conformer à la politique.

L’inconduite dans le contexte de l’assurance-emploi

[30] La prestataire maintient que ses gestes ne devraient pas être caractérisés comme une inconduite ni la rendre inadmissible aux prestations d’assurance-emploi. Elle soutient qu’elle n’avait pas de conflit avec son employeur en ce qui concerne l’exécution de son travail ou les relations avec ses collègues et gestionnaires. Elle maintient que l’inconduite invoquée par la Commission est incompatible avec l’interprétation du sens de l’inconduite aux fins de l’assurance-emploi qui figure dans le Guide de la détermination de l’admissibilité. Finalement, elle mentionne qu’elle répond aux critères d’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.

[31] D’abord, la Loi sur l’assurance-emploi prévoit précisément une inadmissibilité aux prestations lorsqu’un prestataire est suspendu pour inconduiteNote de bas page 7. Cette inadmissibilité s’applique même lorsque les autres critères d’admissibilité sont remplis.

[32] La prestataire avance que la Commission a omis de considérer certaines circonstances mentionnées dans le Guide de la détermination de l’admissibilité lorsqu’elle a exclu la prestataire du bénéfice des prestationsNote de bas page 8. Je partage l’avis de la Commission sur ce point : les circonstances mentionnées sont des éléments à considérer lorsqu’il est question d’évaluer la justification pour le départ volontaire d’un emploi. Dans le présent dossier, la prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi et le lien d’emploi n’a pas été rompu. Les circonstances énumérées ne sont pas pertinentes pour évaluer s’il y a eu une inconduite selon la loi.

[33] Le fait d’avoir une bonne relation avec son employeur et ses collègues de travail n’exclut pas la possibilité de se voir imposer une période de congé ou de suspension pour non-conformité ou la possibilité que les actions qui ont mené à cette imposition soient reconnues comme une inconduite selon la loi. Dans le dossier actuel, la prestataire n’a pas été suspendue à cause d’une faute personnelle ou professionnelle. Elle a été suspendue parce que le choix de ne pas se conformer à la politique a entraîné un manquement envers son employeur. La jurisprudence démontre qu’une employée ou un employé n’a pas besoin d’avoir voulu faire quelque chose de mal pour que l’action soit considérée comme une inconduiteNote de bas page 9.

[34] Je considère que les arguments de la prestataire ne permettent pas d’exclure la possibilité qu’il ait eu inconduite dans le contexte de l’application de la Loi sur l’assurance-emploi.

Les actions de l’employeur

[35] La prestataire prétend que les actions de l’employeur devraient être prises en considération. Elle mentionne qu’il y a eu rupture de son contrat de travail par son employeur et que la politique était une exigence professionnelle non justifiée. Selon la prestataire, l’employeur a violé la Constitution en mettant la politique en place.

[36] Pour la détermination de l’inadmissibilité au bénéfice des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite, ce sont les agissements des prestataires qui sont pertinents. La Commission n’est pas obligée de prouver que les politiques de l’employeur sont raisonnables ou équitables. De plus, le Tribunal n’a pas la compétence nécessaire pour décider si la mise en place de la politique sur la vaccination et les attestations obligatoires est raisonnable.

[37] La prestataire n’a pas démontré de quelle manière l’employeur a rompu son contrat de travail en imposant une politique de vaccination. Elle n’a pas déposé en preuve une copie de son contrat de travail ni la convention collective qui, selon elle, a été violée. De toute façon, de telles questions ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. Elles devront être traitées par les entités compétentes telles que le syndicat et les forums sur le droit du travail.  

La légalité de la politique de l’employeur

[38] La prestataire conteste aussi la légalité de la politique mise en place par l’employeur. Elle mentionne que la politique est illégale, car elle ne prévoit pas le consentement libre et éclairé pour les vaccins et les expériences médicales requièrent le consentement des personnes qui y participent. Elle maintient qu’elle a droit à la protection contre les abus du gouvernement.

[39] Je suis d’accord sur le fait que la prestataire, ainsi que toute personne, est en droit de ne pas subir une procédure médicale sans son consentement éclairé. Par contre, la loi ne lui garantit pas un emploi dans un lieu de travail où l’employeur a décidé de protéger tout le personnel en adoptant les meilleurs moyens possibles.

[40] L’employeur a mis en place une politique soutenue par les recommandations des autorités compétentes afin de protéger son personnel dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. La politique reflète les opinions médicales reconnues, bien que la prestataire ne les accepte pas. La prestataire est en droit de refuser de se conformer à la politique. Mais cela ne la soustrait pas aux conséquences de la non-conformité.

[41] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire a choisi de ne pas divulguer son statut vaccinal avant le 29 octobre 2021 et de ne pas se faire vacciner avant le 15 novembre 2021. L’employeur avait une politique à cet effet et la prestataire était au courant de ses obligations selon la politique, même si elle n’était pas d’accord. Le 2 novembre 2021, la prestataire a été directement avisée des conséquences du non-respect de la politique, c’est-à-dire qu’elle serait mise en congé administratif non payé si elle ne se faisait pas vacciner avant le 15 novembre 2021. Elle a quand même choisi de refuser le vaccin. La suspension découle directement de son choix éclairé de ne pas se conformer à la politique de l’employeur.

Alors, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite ?

[42] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[43] Je conclus que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations, car elle a été mise en congé (suspendue) en raison d’une inconduite.

[44] L’appel est donc rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.