Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission a versé des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) au prestataire. Plus tard, le prestataire a dit à la Commission qu’il avait travaillé pendant sa période de prestations. En résultat, la Commission a décidé d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations après le 2 février 2018. Elle a établi que, ce jour-là, le prestataire avait quitté son emploi sans justification. Cette situation a donné lieu à un trop-payé.

Le prestataire a fait appel des décisions de la Commission devant la division générale (GD). Celle-ci a toutefois rejeté ses appels. Le prestataire a fait appel de la décision de la DG devant la division d’appel (DA). Malgré l’erreur de la DG, la DA s’est dite d’accord avec la conclusion de la DG et a rejeté l’appel.

La question principale que la DG devait trancher était de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi. Pour montrer qu’il l’était, le prestataire devait prouver que son départ était la seule solution raisonnable à ce moment-là. Dans le cadre de son examen, la DG devait évaluer toutes les circonstances pertinentes, dont celles énumérées à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Pendant l’audience de la DG, le prestataire affirmait qu’aux moins deux des circonstances de la Loi sur l’AE s’appliquaient à son cas. La DG a résumé certaines des allégations du prestataire, mais elle n’a jamais mentionné ces circonstances particulières. Elle a plutôt poursuivi rapidement son examen des solutions raisonnables.

Selon les cours et tribunaux, il faut absolument tirer des conclusions de fait claires avant de se demander si la démission de quelqu’un était la seule solution raisonnable. La DG a semblé formuler peu de conclusions (voire aucune) sur les circonstances qui ont amené le prestataire à quitter son emploi. Sans égard à ces circonstances, la DG a décidé que la démission du prestataire n’était pas la seule solution raisonnable au moment où il a pris sa décision. La DG devait examiner pleinement les circonstances du prestataire avant de se pencher sur les solutions raisonnables. Dans la présente affaire, il fallait décider si le prestataire avait fait face à certaines circonstances énumérées dans la Loi sur l’AE. La DG a commis une erreur de droit en sautant cette partie de l’analyse.

La DA a rendu la décision que la DG aurait dû rendre, mais elle est arrivée au même résultat. La DA a conclu que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi au moment où il a pris sa décision. L’appel a été rejeté.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 898

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Anick Dumoulin

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 2 avril 2022 (GE-21-404)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimée 

Date de la décision : Le 14 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-220

Sur cette page

Décision

[1] K. M. est le prestataire dans la présente affaire. Je rejette son appel pour les motifs énoncés ci-dessous.

Aperçu

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a versé des prestations régulières d’assurance-emploi au prestataire. Plus tard, le prestataire a dit à la Commission qu’il avait travaillé pendant qu’il recevait des prestations.

[3] Par conséquent, la Commission a tenu compte du revenu du prestataire et a conclu qu’elle lui avait versé un trop-payé d’environ 1 800 $. Elle a également exclu le prestataire du bénéfice des prestations d’assurance-emploi après le 2 février 2018. La Commission a décidé que, ce jour-là, le prestataire avait quitté son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Cette décision a entraîné un trop-payé de plus de 15 000 $.

[4] Le prestataire a fait appel des décisions de la Commission à la division générale du Tribunal, mais celle-ci a rejeté ses appels.

[5] Cette décision porte uniquement sur la question de l’exclusionNote de bas de page 2.

[6] Bien que la division générale ait commis une erreur dans cette affaire, je suis d’accord avec la conclusion à laquelle elle est arrivée. Par conséquent, je rejette l’appel du prestataire.

Questions en litige

[7] Voici les questions sur lesquelles je me pencherai dans la présente décision :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’évaluant pas pleinement les circonstances du prestataire?
  2. b) Si oui, comment puis-je réparer l’erreur de la division générale?
  3. c) Le prestataire était-il fondé à quitter son emploi?

Analyse

[8] Je peux modifier l’issue de la présente affaire seulement si la division générale a commis une erreur pertinenteNote de bas de page 3. Dans le présent appel, je me concentre sur la question de savoir s’il y a une erreur de droit dans la décision de la division générale. Toute erreur de droit peut me permettre d’intervenir.

La division générale a commis une erreur de droit

[9] La principale question que la division générale devait trancher était de savoir si le prestataire était fondé à quitter son emploi.

[10] Pour établir qu’il était fondé à quitter son emploi, le prestataire devait prouver qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a faitNote de bas de page 4. Dans le cadre de son évaluation, la division générale a dû tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles énumérées à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[11] Au cours de l’audience de la division générale, le prestataire a soutenu qu’au moins deux des circonstances énumérées dans la Loi sur l’assurance-emploi s’appliquaient à sa situationNote de bas de page 5 :

  • son employeur s’est livré à des pratiques contraires à la loi;
  • il a subi des pressions indues pour quitter son emploi.

[12] Bien que la division générale ait résumé certaines des allégations du prestataire, elle n’a jamais mentionné ces circonstances particulières. Elle est plutôt passée rapidement à son évaluation des autres solutions raisonnables qui s’offraient au prestataireNote de bas de page 6.

[13] La Commission soutient que la division générale a appliqué la loi correctement. Elle dit que la division générale était au courant de ces problèmes parce qu’à l’audience, elle a demandé au prestataire d’expliquer quelles sortes de pressions il avait subies pour quitter son emploi. Elle dit aussi que la division générale n’a pas besoin de mentionner chaque élément de preuve dans sa décisionNote de bas de page 7.

[14] Je ne suis pas d’accord avec les arguments de la Commission sur ce point.

[15] Les décisions de la Cour et du Tribunal soulignent la nécessité de tirer des conclusions de fait claires avant d’évaluer si une personne avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploiNote de bas de page 8. Le Tribunal doit suivre ces décisions.

[16] Toutefois, dans la présente affaire, la division générale a semblé tirer peu de conclusions (voire aucune) au sujet des circonstances qui ont mené à la décision du prestataire de quitter son emploi. Peu importe les circonstances du prestataire, la division générale a conclu que son départ n’était pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[17] La division générale devait évaluer pleinement les circonstances du prestataire avant de se pencher sur les autres solutions raisonnables qui s’offraient à lui. Elle devait établir si les circonstances du prestataire correspondaient à l’une ou l’autre des circonstances énoncées dans la Loi sur l’assurance-emploi. La division générale a commis une erreur de droit en ignorant cette partie de l’analyse.

[18] Je reconnais que la division générale n’avait pas besoin de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision. Par contre, sa décision devait aborder toutes les principales questions soulevées par les partiesNote de bas de page 9. La division générale devait démontrer qu’elle était au courant de ces questions dans sa décision, et pas seulement à l’audience.

Je vais corriger l’erreur de la division générale en rendant la décision qu’elle aurait dû rendre

[19] À l’audience devant la division d’appel, les deux parties ont soutenu que si la division générale avait fait une erreur, je devais rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 10. Le prestataire voulait surtout éviter d’autres retards.

[20] Je suis d’accord. Cela signifie que je peux décider si le prestataire était fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

Le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi

[21] La Loi sur l’assurance-emploi exclut du bénéfice des prestations d’assurance-emploi toute personne qui quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 11. Nul ne conteste le fait que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Toutefois, était-il fondé à le faire?

[22] Comme je l’ai mentionné plus haut, il peut être difficile de prouver qu’une personne était fondée à faire ce qu’elle a fait. Il ne suffit pas que la personne démontre qu’il était raisonnable pour elle de quitter son emploi. Je dois plutôt décider si quitter son emploi était la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de son casNote de bas de page 12.

[23] Je dois prendre en considération toutes les circonstances qui existaient lorsque le prestataire a quitté son emploi, y compris celles énumérées à l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13 . Cependant, je ne peux pas tenir compte des circonstances difficiles que le prestataire a décrit avoir vécues après avoir quitté son emploiNote de bas de page 14.

Circonstances ayant mené à la décision du prestataire de quitter son emploi

[24] Le prestataire est un agent de voyage. Il a trouvé une occasion de travailler avec une agence qui faisait beaucoup de voyages d’agrément. Cependant, il a de l’expérience dans les voyages d’affaires. Par conséquent, le prestataire et son nouvel employeur semblaient avoir convenu de faire une période initiale [traduction] « d’essaiNote de bas de page 15 ». Pendant cette période, le prestataire n’avait pas de contrat de travail et l’employeur le payait avec des cartes-cadeaux.

[25] Le prestataire a avoué à un enquêteur qu’il avait pris cette entente afin qu’il n’y ait pas d’incidence sur ses prestations d’assurance-emploi pendant cette période d’essai avec son nouvel employeurNote de bas de page 16.

[26] Après avoir travaillé environ deux semaines, le prestataire a demandé à normaliser sa situation d’emploi. Il a demandé une paie régulière et un contrat précisant que sa date d’entrée en fonction était janvier 2018.

[27] Au cours des deux semaines qui ont suivi, l’atmosphère au travail du prestataire a semblé se détériorer. Le vendredi 2 février 2018, le prestataire a déclaré qu’un collègue de travail avait fait des blagues grossièresNote de bas de page 17. Plus tard ce jour-là, il a reçu un appel d’un client, puis un courriel vague, mais accusatoire disant [traduction] « Je pensais m’être clairement exprimé ».

[28] Le prestataire a décrit cet incident comme [traduction] « la goutte ayant fait déborder le vase ». Son instinct lui a dit qu’il était temps de ramasser ses effets personnels et de partir, alors c’est ce qu’il a faitNote de bas de page 18.

[29] Au cours de la fin de semaine, le prestataire a réfléchi à ce qui s’était passé et a envisagé de retourner au travail. Cependant, après avoir examiné l’ébauche du contrat de travail que l’employeur lui avait remis lors de sa dernière journée, le prestataire a décidé de ne pas y retourner puisque toute la confiance avait été perdue. Plus précisément, le contrat de travail avait une date de signature en février 2018, mais il ne reflétait pas le fait que le prestataire avait commencé à travailler un mois plus tôtNote de bas de page 19.

L’employeur s’est livré à des pratiques contraires à la loi

[30] Le prestataire a démontré que l’employeur n’a pas respecté la loi :

[31] Toutefois, il faut se rappeler que le prestataire avait accepté ces choses dans le cadre de la période d’essai au début de son emploi.

Le prestataire n’a pas subi de pressions indues pour quitter son emploi

[32] Le prestataire n’a pas établi que l’employeur avait exercé sur lui des pressions indues pour qu’il quitte son emploi.

[33] À titre de rappel, je dois me concentrer sur les circonstances qui existaient jusqu’au moment où le prestataire a quitté son emploi. Il y a un facteur de temps important dans cette affaire parce que la relation du prestataire avec son ancien employeur s’est considérablement détériorée après sa démissionNote de bas de page 22.

[34] Le prestataire a décrit un conflit de personnalités entre lui et un collègue. Il semble avoir eu l’impression que ce collègue était impoli avec lui et qu’il l’accusait injustement de faire des erreurs.

[35] Les allégations du prestataire concernent un collègue, et non l’employeur. De plus, bien que ce collègue ait pu rendre l’atmosphère de travail difficile, le prestataire n’a pas dit avoir subi de pressions pour quitter son emploi.

[36] En fait, je ne vois pas pourquoi l’employeur aurait exercé des pressions sur le prestataire pour qu’il quitte son emploi compte tenu des circonstances de l’affaire. On peut supposer que l’employeur aurait plutôt pu mettre fin à la période d’essai à tout moment.

[37] Au contraire, l’employeur a montré qu’il voulait garder le prestataire comme employé en lui offrant un contrat à son dernier jour de travail. Le prestataire a également dit que l’employeur lui avait téléphoné le 5 février 2018 pour lui demander de revenir au travailNote de bas de page 23. Plus tard, l’employeur a même dit à quel point il appréciait l’expérience du prestataireNote de bas de page 24.

[38] Compte tenu de toutes les circonstances, et malgré les demandes du prestataire, je ne peux pas conclure que l’employeur a exercé des pressions sur lui pour qu’il démissionne en omettant la date de début de son contrat de travail. Il y a d’autres raisons pour lesquelles l’employeur aurait pu faire cela, y compris la demande du prestataire d’être payé en cartes-cadeaux.

Quitter son emploi n’était pas la seule solution raisonnable dans le cas du prestataire

[39] Bien que le prestataire ait démontré que l’employeur s’est livré à des pratiques contraires à la loi, je dois tout de même établir s’il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploiNote de bas de page 25.

[40] Le prestataire a dit que l’employeur lui avait téléphoné le lundi 5 février 2018 pour lui demander de revenir au travailNote de bas de page 26. Le prestataire a refusé d’y retourner parce qu’il avait demandé certaines choses dans son contrat de travail et que l’employeur ne les lui avait pas fournies. Pour paraphraser, le prestataire a perdu confiance en l’employeur et a estimé qu’il n’y avait rien d’autre à faire.

[41] Je comprends que le prestataire a eu des conflits personnels au travail et que l’ébauche de son contrat de travail était différente de ce qu’il avait demandé. Cependant, après avoir examiné l’ensemble des circonstances du prestataire, individuellement et cumulativement, j’ai conclu qu’il y avait d’autres solutions raisonnables que le prestataire aurait pu envisager au lieu de quitter son emploi. Par exempleNote de bas de page 27 :

  • il aurait pu faire des efforts pour régler ces problèmes avec son employeur;
  • il aurait pu continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi.

[42] Si le prestataire n’était pas en mesure de régler ces questions de façon informelle, il aurait pu également se plaindre aux autorités, y compris à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec.

[43] Au titre de la loi, « avoir un pressentiment » ne constitue pas une justification pour quitter son emploi. Peu importe les préoccupations du prestataire, d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui au moment où il a quitté son emploi.

[44] Le prestataire soutient que le régime d’assurance-emploi devrait être plus flexible et permettre de courtes périodes « d’essai ». Cependant, je n’ai pas d’autre choix que d’appliquer la loi telle qu’elle est écrite, même si elle donne un résultat sévère.

[45] Le prestataire soutient également que, compte tenu de tout ce qui s’est passé dans cette affaire, il n’est pas le seul qui devrait faire face à des conséquences. Cependant, le dossier du prestataire est le seul que j’examine en ce moment.

Conclusion

[46] J’ai conclu que la division générale avait commis une erreur de droit en ne tenant pas pleinement compte des circonstances du prestataire avant d’évaluer ses solutions raisonnables. Par conséquent, j’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. En fin de compte, cependant, je suis arrivé au même résultat : le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[47] Comme le résultat n’a pas changé, je rejette l’appel du prestataire.

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