Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 883

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une prorogation de délai et à une demande de permission d’en appeler

Partie demanderesse : S. J.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 10 décembre 2021 (GE-21-2001)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Date de la décision : Le 8 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-592

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Décision

[1] La prorogation (prolongation) du délai pour demander la permission d’en appeler est accordée.

[2] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[3] La partie demanderesse, S. J. (prestataire), porte en appel la décision de la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler. Elle n’était donc pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Mais la partie défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi, lui en avait déjà versé. Comme la prestataire a touché des prestations qu’elle n’était pas censée recevoir, elle doit les rembourser.

[5] Selon la prestataire, la division générale avait un parti pris et a commis des erreurs de fait importantes. La prestataire dit que la division générale a ignoré des éléments de preuve importants.

[6] La prestataire avance que l’administration publique devrait tenir compte de sa situation personnelle et financière, et l’aider. Elle soutient que, si elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi, la Commission aurait dû la transférer au programme de la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA) lorsqu’elle pouvait en bénéficier.

[7] Avant que la prestataire puisse poursuivre son appel, je dois décider si celui-ci a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 1. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas page 2.

[8] Il faut aussi établir si la prestataire a présenté sa demande à la division d’appel à temps. Si la prestataire était en retard, elle doit obtenir une prolongation de délai avant même que je me penche sur sa demande de permission de faire appel. Si je lui refuse une prolongation de délai, son appel prend fin.

Questions en litige

[9] Voici les questions à trancher :

  1. La demande de la prestataire à la division d’appel était-elle en retard?
  2. Si oui, devrais-je lui accorder une prolongation de délai?
  3. Si je lui accorde une prolongation de délai, la prestataire peut-elle soutenir que la membre de la division générale avait un parti pris et qu’elle a ignoré des éléments de preuve importants?

Analyse

La demande a été présentée en retard

[10] La prestataire ne se rappelle plus quand elle a reçu la décision de la division générale. Elle a dit avoir [traduction] « manqué le courriel de la décisionNote de bas page 3 ». J’en comprends que la prestataire a reçu le courriel du Tribunal de la sécurité sociale avec la décision, mais qu’elle ne l’a pas vu passer, pour une quelconque raison.

[11] Même si la prestataire est incapable de cerner ou d’estimer la date de réception de la décision de la division générale, on peut supposer que c’était avant sa demande à la division d’appel.

[12] À l’examen du dossier, je vois que le Tribunal a envoyé à la prestataire une copie de la décision par courriel le 13 décembre 2021. Je considère donc qu’elle a reçu la décision le lendemainNote de bas page 4, le 14 décembre 2021.

[13] La prestataire dit ne pas avoir reçu la décision de la division générale avant le 19 août 2022 environ, après en avoir demandé une copie au Tribunal. En fait, la prestataire soutient qu’elle a appelé le Tribunal à répétition après l’audience en décembre 2021, pour demander si la décision était prête. Chaque fois, on lui a répondu que la membre y travaillait encore. La prestataire a dit qu’elle a arrêté de téléphoner.

[14] À mon avis, il est peu probable que la prestataire ait appelé continuellement le Tribunal. Premièrement, au dossier, il n’y a aucune trace d’appel téléphonique de la prestataire après l’audience, jusqu’en août 2022. Deuxièmement, la division générale a rendu sa décision environ une semaine après l’audience. Il est donc peu probable que la prestataire se soit fait dire plusieurs fois qu’il n’y avait aucune décision après la publication de la décision.

[15] Il est étrange que la prestataire ait appelé continuellement le Tribunal, comme elle le prétend, sans toutefois appeler de nouveau plusieurs mois plus tard.

[16] La prestataire n’a pas dit qu’elle a consulté ses courriels, y compris son dossier de pourriels. C’est donc difficile de comprendre comment elle peut nier avoir reçu la décision de la division générale le 14 décembre 2021.

[17] Une fois que la prestataire a reçu la décision du Tribunal en décembre 2021, elle a peut-être simplement ignoré le courriel ou décidé de ne pas le lire, pour une raison ou une autre, ou bien elle l’a vu et l’a juste oublié par la suite.

[18] Quoi qu’il en soit, le registre téléphonique du Tribunal montre que la prestataire a appelé le Tribunal le 18 août 2022. La prestataire dit que c’est la Commission qui lui a appris que la division générale avait rendu une décision. Elle était alors inquiète et ne savait pas comment elle rembourserait le trop-payé.

[19] La prestataire a dit au Tribunal qu’elle n’était pas d’accord avec la décision de la division générale. Le Tribunal lui a donc envoyé un formulaire de demande, qu’elle a tout de suite rempli et déposé auprès de la division d’appel.

[20] La prestataire semble reconnaître que sa demande à la division d’appel est en retard. Après tout, elle a rempli la section du formulaire où la partie prestataire doit expliquer pourquoi sa demande est en retard.

[21] Comme la prestataire a probablement reçu la décision de la division générale le 14 décembre 2021, elle avait jusqu’au 13 janvier 2022 pour présenter une demande à la division d’appelNote de bas page 5. Elle a présenté sa demande le 23 août 2022. C’était plus de 30 jours après avoir reçu la décision de la division générale – c’était en fait 222 jours après les 30 jours.

[22] Comme la prestataire aurait présenté sa demande en retard, elle doit obtenir une prolongation de délai. Si la division d’appel lui refuse cette prolongation, la demande de permission de faire appel ne serait pas prise en considération. Ce refus mettrait fin à l’appel de la prestataire concernant la décision de la division générale.

Je prolonge le délai pour déposer la demande

[23] La division d’appel peut accorder une prolongation de délai si la demande n’a pas plus d’un an de retardNote de bas page 6.

[24] Pour décider s’il faut prolonger le délai ou non, je dois examiner les facteurs suivantsNote de bas page 7 :

  • La cause est-elle défendable ou a-t-elle un certain fondement?
  • Y a-t-il des circonstances particulières ou une explication raisonnable qui justifient le retard?
  • Le retard est-il excessif?
  • La prolongation du délai porterait-elle préjudice à la Commission?
  • La partie prestataire avait-elle une intention persistante de poursuivre la demandeNote de bas page 8?

[25] L’importance de chaque facteur peut varier selon les faits de l’affaire. La partie prestataire n’a pas à répondre à tous les facteurs. Le plus important, c’est de savoir si l’octroi d’une prolongation de délai serait dans l’intérêt de la justiceNote de bas page 9. Si la partie prestataire n’a aucune cause défendable, une prolongation de délai ne sera généralement pas dans l’intérêt de la justice.

[26] La prestataire explique qu’elle était en retard parce qu’elle a manqué la décision de la division générale. Elle prétend avoir appelé le Tribunal répétitivement pour demander quand elle recevrait la décision. Bien qu’aucune preuve ne vienne appuyer ses dires, si c’est vrai, on pourrait en déduire qu’elle avait une intention persistante de poursuivre l’appel.

[27] Le retard est long, mais il est peu probable que la Commission subisse un préjudice si une prolongation de délai est accordée.

[28] Ces facteurs favorisent l’octroi d’une prolongation. La prestataire semble reconnaître que sa demande est en retard. La preuve ne montre pas clairement quand la décision de la division générale a été communiquée à la prestataire. Mais réflexion faite, je vais donner le bénéfice du doute à la prestataire et lui accorder la prolongation de délai. Je vais maintenant examiner si la prestataire a une cause défendable dans le contexte de sa demande de permission de faire appel à la division d’appel.

Je n’accorde pas à la prestataire la permission d’en appeler

[29] Comme je l’ai mentionné plus haut, la division d’appel accorde la permission de faire appel à moins que celui-ci n’ait aucune chance raisonnable de succès. On dit que l’appel a une chance raisonnable de succès en cas de possible erreur de compétence, de procédure, de droit ou de fait de la part de la division générale.

[30] Il y a erreur de fait lorsque la division générale fonde sa décision sur une conclusion erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[31] La prestataire affirme qu’elle a une cause défendable. Elle soutient que la division générale avait un parti pris et a commis des erreurs de fait importantes. Selon elle, la division générale a ignoré certains éléments de preuve. Elle ajoute qu’elle est en train de recueillir plus d’information sur sa demande.

Partialité

[32] Selon la prestataire, la membre de la division générale avait un parti pris. Elle ne dit pas toutefois les raisons qui l’amènent à penser ainsi.

[33] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère de la crainte raisonnable de partialité. Elle a fait référence à l’opinion dissidente du juge de Grandpré dans la décision Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie :

[C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [la décideuse ou le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?Note de bas page 10 »

[34] La simple allégation de partialité ne satisfait pas à ce critère.

[35] J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale. La membre a fait une introduction. Elle a expliqué ce à quoi la prestataire pouvait s’attendre à l’audience. Elle a décrit la forme que prendrait l’audience. La membre a expliqué ce que la prestataire devait prouver. Elle a examiné les documents et les faits. Elle a ensuite cerné les questions en litige et le critère juridique auquel la prestataire devait satisfaire.

[36] La membre a aussi expliqué qu’il revenait à la partie prestataire de recueillir la preuve nécessaire à la cause. Quand la fille de la prestataire a indiqué que l’employeur avait plus d’information, la membre a donné la chance à la prestataire d’aller chercher cette information pour la fournir au Tribunal.

[37] Tout au long de l’audience, la membre s’est montrée respectueuse envers la prestataire, la fille de la prestataire et l’interprète. Elle a traité la prestataire d’une manière juste et équitable. La membre a donné à la prestataire la possibilité de présenter sa position entièrement et équitablement.

[38] Dans sa décision, la membre de la division générale a examiné la preuve dont elle disposait. Celle-ci comprenait la preuve au dossier et la preuve obtenue à l’audience. La membre de la division générale a pris en considération la preuve et les arguments de la prestataire. Elle a soupesé la preuve et appliqué la loi aux faits qu’elle jugeait pertinents.

[39] La membre de la division générale a expliqué ses motifs. Elle a exposé les questions qu’elle devait trancher et les faits qu’elle devait évaluer. Elle a énuméré les faits sur lesquels elle s’était fondée. L’analyse de la membre était détaillée et réfléchie. Elle a expliqué pourquoi elle a conclu que la prestataire n’était pas disponible pour travailler.

[40] La membre de la division générale a décidé que la preuve ne montrait pas que la prestataire satisfaisait aux trois éléments de la décision FaucherNote de bas page 11. Selon la membre, la preuve ne montrait pas que la prestataire voulait retourner travailler, ni qu’elle faisait des démarches pour trouver un emploi convenable, ni qu’elle évitait de limiter excessivement ses chances de retourner travailler.

[41] La membre a examiné les faits pertinents. Il n’y avait rien d’arbitraire au fait que la division générale examine les circonstances de la prestataire entourant ses démarches de recherche d’emploi.

[42] Je n’ai rien vu, que ce soit au cours de l’audience ou dans la décision elle-même, qui laisse croire que la membre avait un parti pris à l’égard de la prestataire ou qu’elle l’a traitée de façon injuste. La membre a donné à la prestataire une occasion pleine et équitable de présenter sa cause, puis elle a rendu une décision mesurée et justifiée par les faits et le droit. Je ne pense pas qu’on puisse soutenir que la membre de la division générale ait fait preuve de partialité.

Erreurs de fait

[43] La prestataire soutient que la division générale a omis de se pencher sur ses circonstances.

[44] La prestataire explique qu’elle était seule pour s’occuper de sa fille, qui avait des problèmes de santé complexes et nécessitait des soins 24 heures sur 24. Sa fille avait un très haut risque de contracter la COVID-19. La prestataire limitait donc tout contact avec autrui. La garde de sa fille n’était pas une bonne option non plus.

[45] La prestataire est d’avis que la division générale a ignoré les renseignements médicaux au dossier, car ils expliquaient bien les raisons pour lesquelles elle devait s’occuper de sa fille. La prestataire devait rester chez elle pour prendre soin de sa fille vulnérable.

[46] La prestataire explique aussi que son employeur a rouvert ses portes avec moins de personnel. Elle a demandé plus de congés à son employeur, mais lui a dit qu’elle avait hâte de revenir travailler, une fois que les risques liés à la COVID-19 se seraient estompés. En effet, la lettre de la prestataire confirme qu’elle [traduction] « pensai[t] pouvoir retourner au travail lorsque la plupart des personnes en Colombie-Britannique seraient vaccinéesNote de bas page 12 ». Selon la prestataire, la division générale aurait dû tenir compte de cet élément de preuve aussi.

[47] Selon moi, la décision de la division générale reflète bien la preuve pertinente.

[48] La division générale n’avait pas à relater tous les détails. Elle est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve à sa disposition, même si elle ne l’a pas mentionné. La division générale devait néanmoins tenir compte de tout élément de preuve qui était d’une importance telle qu’il pourrait avoir une incidence sur le résultat de l’affaire.

[49] La prestataire soutient que les renseignements médicaux étaient d’une importance telle qu’ils auraient pu avoir une incidence sur le résultat de l’affaire. Elle est donc certaine que la division générale aurait dû examiner les détails de l’état de santé de sa fille.

[50] Pour ma part, j’estime que les renseignements médicaux n’étaient pas pertinents à la question de la disponibilité de la prestataire. Les détails sur l’état de santé de sa fille n’auraient pas aidé la prestataire à démontrer qu’elle était disponible pour travailler. Cette information ne permettait pas de voir la volonté de la prestataire à retourner travailler ni ses démarches de recherche d’emploi. Chose certaine, on pouvait en déduire que la prestataire avait établi des conditions restreignant son retour au travail.

[51] Malgré tout, la division générale a pris note de la preuve concernant les problèmes de santé de la fille de la prestataire. Au paragraphe 32 de la décision, par exemple, la division générale a tenu compte de la preuve indiquant que la fille de la prestataire avait besoin de soins quotidiens pour se nourrir, se déplacer et se laver. La division générale a fait référence à des lettres du personnel soignant de sa fille indiquant que celle-ci était à haut risque pendant la pandémie.

[52] Concernant l’employeur de la prestataire, la division générale a noté que la prestataire avait demandé plus de congés. Ce n’était pas pertinent de savoir pourquoi elle en avait demandé plus, car il n’y avait aucun lien avec un élément de l’affaire Faucher.

[53] Soit dit en passant, je remarque que la prestataire a laissé entendre qu’elle n’avait pas pu retourner travailler en raison de son propre état de santé. Je ne suis au courant d’aucun élément de preuve au dossier qui montre que la prestataire avait des problèmes de santé qui l’empêchaient de travailler. Toutefois, si elle a assez de preuves à cet effet, la prestataire pourrait demander si la Commission serait disposée à convertir sa demande de prestations régulières en prestations de maladie.

[54] Autrement, je ne vois rien qui indiquerait que la division générale a omis de tenir compte de la preuve de la prestataire concernant la santé de sa fille ou sa situation professionnelle. Je ne pense pas qu’on puisse soutenir que la division générale a ignoré cette preuve.

Nouveaux éléments de preuve

[55] La prestataire dit qu’elle est en train de recueillir plus d’éléments de preuve. Toutefois, l’ajout de potentiels éléments de preuve ne constitue pas un fondement pour faire appel selon la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une cause défendable.

Programme de la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA)

[56] La prestataire se demande pourquoi la Commission ne l’a pas transférée au programme de la PCREPA, si elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[57] La prestataire était au courant du programme. Toutefois, elle ne pensait pas qu’un transfert était nécessaire, puisqu’elle recevait des prestations d’assurance-emploi.

[58] La Commission n’était pas tenue de rediriger la prestataire vers le programme de la PCREPA, mais la prestataire aurait clairement bénéficié de cette aide. (Le programme n’était pas sous la direction de la Commission, donc celle-ci ne pouvait pas évaluer l’admissibilité de la prestataire. C’est l’Agence du revenu du Canada qui dirigeait ce programme.)

Trop-payé

[59] La prestataire a touché des prestations auxquelles elle n’avait pas droit, ce qui a créé un important trop-payé. Elle dit que sa famille et elle-même sont en difficulté.

[60] La prestataire peut s’adresser au Centre d’appels de la gestion des créances de l’Agence du revenu du Canada au 1-866-864-5823 pour demander un plan de remboursement du trop-payé. Autrement, la prestataire peut demander à la Commission s’il est possible de défalquer (annuler) la dette en raison d’un préjudice abusif.

Conclusion

[61] La prolongation du délai est accordée.

[62] Comme l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, la permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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