Assurance-emploi (AE)

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Citation : SF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1095

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : S. F.
Représentante ou représentant : J. D.

Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Dani Grandmaître

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 janvier 2022 (GE-21-2562)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimée 

Date de la décision : Le 25 octobre 2022
Numéro de dossier : AD-22-143

Sur cette page

Décision

[1] S. F. est le prestataire dans cette affaire. Je rejette son appel.

Aperçu

[2] Le prestataire a demandé des prestations régulières de l’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada lui a versé des prestations à partir de septembre 2020.

[3] Environ un an plus tard, la Commission a constaté que le prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant ses études universitaires; il n’était donc pas admissible aux prestations qu’il avait reçues pendant ces périodesNote de bas de page 1. La décision de la Commission a créé un trop-payé dans le compte du prestataire.

[4] Le prestataire soutient qu’il ne doit pas avoir à rembourser le trop-payé parce que la Commission connaissait sa situation d’étudiant à temps plein dès le départ. Il a communiqué de l’information concernant ses études à la Commission à plusieurs reprises pendant sa période de prestations.

[5] Le prestataire a fait appel de la décision de la Commission auprès de la division générale du présent Tribunal. Celle-ci a rejeté l’appel en disant que le prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant qu’il était aux études. De plus, la division générale a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour rendre une décision sur la question de la défalcation (annulation) du trop-payé.

[6] Le prestataire fait maintenant appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. Il soutient que la division générale n’a pas examiné une question pertinente.

[7] J’estime que le prestataire a raison. Cependant, je souscris à la conclusion de la division générale. Je rejette donc l’appel du prestataire.

Questions en litige

[8] Voici les questions que je dois examiner :

  1. a) Puis-je examiner de nouveaux éléments de preuve?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de compétence en omettant d’examiner si la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a constaté, en octobre 2021, que le prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant qu’il était aux études, et ce, à partir de septembre 2020?
  3. c) Dans l’affirmative, quelle serait la meilleure façon de corriger l’erreur de la division générale?
  4. d) La Commission a-t-elle utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire?

Analyse

J’ai tenu compte des affidavits de G. R. et de D. F.

[9] Le rôle limité de la division d’appel m’empêche habituellement d’examiner de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 2. Un nouvel élément de preuve est tout élément dont ne disposait pas la division générale lorsqu’elle a rendu sa décision.

[10] La loi prévoit que je dois uniquement vérifier si la division générale a commis une des erreurs pertinentesNote de bas de page 3 . Cette évaluation est généralement fondée sur les éléments de preuve dont disposait la division générale. Je ne peux pas jeter un regard neuf sur l’affaire et tirer mes propres conclusions sur la base de preuves plus récentes et plus solidesNote de bas de page 4.

[11] Il existe des exceptions à la règle générale m’interdisant d’examiner de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 5. Par exemple, je peux examiner un nouvel élément de preuve qui fournit uniquement des renseignements généraux.

[12] Je retiens l’argument de la Commission selon lequel les affidavits de G. R. et de D F. fournissent des renseignements généraux qui pourraient m’aider à comprendre certaines modifications qui ont été apportées à la loi en raison de la pandémie COVID-19. De plus, les affidavits ne discutent pas de la situation particulière du prestataire et celui-ci ne s’oppose pas à ce que je les prenne en considération.

La division générale a commis une erreur de compétence en omettant d’examiner une question pertinente

[13] Le prestataire s’est toujours plaint du délai que la Commission a pris avant de rendre sa décision d’inadmissibilité alors qu’elle avait toute l’information nécessaire en main dès le départ. En d’autres mots, la Commission a autorisé à tort le versement des prestations.

[14] La division générale a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour rendre une décision sur la question de la défalcation du trop-payé.

[15] Toutefois, elle n’a pas d’abord examiné si la Commission avait utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire quand elle a rendu, en octobre 2021, une décision au sujet de la disponibilité du prestataire à partir de septembre 2020.

[16] L’avis d’appel du prestataire soulève cette question, même s’il ne s’est pas exprimé comme le ferait une personne ayant une formation juridiqueNote de bas de page 6.

[17] La Commission soutient que la division générale a implicitement accepté qu’elle avait utilisé de façon judiciaire son pouvoir d’évaluer la disponibilité du prestataire après qu’on lui ait versé des prestations. Selon la Commission, rien dans l’utilisation de son pouvoir discrétionnaire n’a suscité d’inquiétude pour la division généraleNote de bas de page 7.

[18] Je ne peux pas retenir les arguments de la Commission à ce sujet. Au contraire, la division générale a souligné plusieurs préoccupations concernant la décision de la CommissionNote de bas de page 8.

[19] Peu importe les préoccupations de la division générale, celle-ci était tenue d’aborder les questions clés soulevées par le prestataireNote de bas de page 9. Elle a donc commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir si la Commission avait utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[20] L’erreur de compétence commise par la division générale justifie mon intervention dans cette affaire.

Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre

[21] À l’audience, les parties n’étaient pas d’accord sur la meilleure façon de corriger l’erreur commise dans la présente affaireNote de bas de page 10. La Commission soutient que je dois renvoyer l’affaire à la division générale alors que le prestataire soutient que je dois rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[22] Je souscris aux arguments du prestataire.

[23] Les parties ne font pas valoir qu’on les a empêchées de plaider leur cause de quelque manière que ce soit. En effet, les faits principaux ne sont pas contestés et la question en litige est plutôt étroite.

[24] Cela signifie que je peux juger si la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

La Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire

La Commission a le pouvoir de vérifier rétroactivement une inadmissibilité et d’imposer un trop-payé

[25] Les parties conviennent que la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire lors de l’évaluation d’octobre 2021 au sujet de la disponibilité du prestataire à partir de septembre 2020Note de bas de page 11. Cependant, elles ne semblent pas s’entendre sur l’origine de ce pouvoir.

[26] Par exemple, la Commission soutient que sa décision d’octobre 2021 au sujet de la disponibilité du prestataire a été rendue en vertu de l’article 153.161(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Selon elle, les modifications apportées à la loi en réponse aux circonstances de la pandémie lui permettaient de verser des prestations au prestataire parce qu’il remplissait les conditions minimales requises, et de vérifier plus tard s’il était admissible à ces prestations.

[27] En d’autres mots, la Commission prétend que la décision d’octobre 2021 a été la première rendue concernant la disponibilité du prestataire, et ce, malgré le fait qu’il avait fourni beaucoup d’informations à ce sujet, et en avait discuté avec des agents de la Commission tout au long de sa période de prestations.

[28] En revanche, le prestataire fait valoir que l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi est une mesure temporaire qui a cessé d’avoir effet le 25 septembre 2021. De plus, l’article a une portée restreinte. Le prestataire maintient que l’article accorde un pouvoir de vérification à la Commission, mais ne lui permet pas de créer un trop-payé rétroactivement après qu’une demande ait été acceptée sur la base d’informations complètesNote de bas de page 12.

[29] D’abord, j’estime que l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi conserve sa pertinence dans le cas présent, et ce, en fonction de la date de prise d’effet de la demande de prestations du prestataire, soit le 27 septembre 2020Note de bas de page 13.

[30] Je ne suis pas convaincu par les arguments de la Commission selon lesquels elle pouvait diviser sa responsabilité décisionnelle en deux étapes et retarder de manière indéfinie la prise d’une décision concernant l’admissibilité du prestataire aux prestations d’assurance-emploi.

[31] La Commission ne peut pas verser de prestations à une personne sans aucune preuve de l’admissibilité de celle-ci aux prestations. L’article 153.161(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, comme l’article 18(1), prévoit qu’une personne n’est pas admissible au versement des prestations avant d’avoir prouvé qu’elle était disponible pour travailler (entre autres).

[32] De plus, contrairement aux arguments de la Commission, l’article 7 de la Loi sur l’assurance-emploi n’est pas l’unique disposition qui détermine quand les prestations d’assurance-emploi deviennent payables à une personneNote de bas de page 14.

[33] Le fait que la Commission a rendu une décision automatisée sur la base d’une évaluation incomplète des informations fournies par le prestataire au sujet de sa disponibilité ne change rien au fait qu’une décision a été prise. En effet, selon l’approche opérationnelle modifiée adoptée en raison de la pandémie, la Commission a approuvé le versement des prestations au prestataire sur la base de certaines déclarations qu’il avait faites au sujet de son admissibilité et a remis une évaluation plus approfondie sur cette question.

[34] Toutefois, même si la Commission avait déjà rendu une décision au sujet de la disponibilité du prestataire, la loi lui accorde des pouvoirs assez vastes pour revenir sur cette décisionNote de bas de page 15. Ces pouvoirs s’exercent dans le cadre du mandat de la Commission de gérer financièrement le programme d’assurance-emploi et d’en maintenir l’intégrité afin que seules les personnes qui sont admissibles aux prestations les reçoiventNote de bas de page 16.

[35] Le prestataire soutient que je devrais interpréter le pouvoir de vérification de la Commission prévu à l’article 153.161(2) de la Loi sur l’assurance-emploi de façon étroite. Cependant, cette interprétation rend la disposition presque inutile.

[36] Au contraire, dans une affaire qui présente certaines similitudes avec celle-ci, la Cour d’appel fédérale a récemment examiné le pouvoir du gouvernement d’enquêter sur l’admissibilité d’une personne à des prestations. La Cour a interprété la disposition pertinente de façon large, affirmant que ce pouvoir incluait également celui de modifier une décision antérieureNote de bas de page 17.

[37] En somme, les articles 52 et 153.161(2) de la Loi sur l’assurance-emploi accordent à la Commission le pouvoir discrétionnaire de vérifier rétroactivement l’admissibilité du prestataire aux prestations qu’il a reçues et d’imposer un trop-payé, s’il y a lieu.

La Commission a agi de façon judiciaire en exerçant son pouvoir discrétionnaire

[38] Les pouvoirs dont la Commission dispose en vertu des articles 52 et 153.161(2) de la Loi sur l’assurance-emploi sont des pouvoirs discrétionnaires. La Commission peut réexaminer une demande de prestations et peut vérifier l’admissibilité d’une personne aux prestations qu’elle a déjà reçues, mais elle n’est pas obligée de le faire.

[39] La Commission doit utiliser son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Le Tribunal peut annuler une décision discrétionnaire si, par exemple, une personne parvient à établir que la Commission aNote de bas de page 18 :

  • agi de mauvaise foi,
  • agi dans un but ou pour un motif irrégulier,
  • pris en compte un facteur non pertinent,
  • ignoré un facteur pertinent,
  • agi de manière discriminatoire.

[40] Dans le cas présent, le prestataire soutient que la Commission a ignoré les facteurs pertinents énoncés dans la politique de réexamen de la Commission contenu au chapitre 17 du Guide de la détermination de l’admissibilitéNote de bas de page 19. On y lit ce qui suit :

17.3.3 Politique de réexamen

La Commission a élaboré une politique afin d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop-payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté. La Commission ne procédera au nouvel examen d’une demande que dans les situations suivantes :

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.

[41] De plus, la politique de la Commission précise qu’un trop-payé ne sera pas créé dans la situation où la Commission a autorisé à tort le versement des prestationsNote de bas de page 20.

[42] Le prestataire soutient donc que la Commission ne pouvait pas rendre une décision rétroactive en respectant sa politique en matière de réexamen. Plus précisément, la Commission a commis une erreur en autorisant le versement des prestations au prestataire, une situation créée indépendamment de sa volonté.

[43] En revanche, la Commission soutient que sa politique de réexamen n’est pas pertinente puisque l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi s’applique à cette situation (plutôt que l’article 52). De plus, elle rappelle qu’on ne devrait pas élever sa politique de réexamen au niveau d’une autorité législative, ce qui pourrait avoir l’effet de limiter indûment ses pouvoirs discrétionnairesNote de bas de page 21.

[44] Dans l’ensemble, le prestataire ne m’a pas convaincu que la Commission a agi de façon non judiciaire.

[45] La politique de réexamen de la Commission a été élaborée bien avant la pandémie de COVID-19. Par conséquent, elle ne tient pas compte de l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi et de l’approche opérationnelle modifiée adoptée par la Commission. Je suis donc d’accord pour dire que le fait d’accepter les arguments du prestataire pourrait limiter de façon excessive les pouvoirs de la Commission.

[46] De plus, j’ai du mal à constater que la Commission a commis une erreur en versant des prestations au prestataire. Elle a plutôt tenu compte de certaines informations fournies par le prestataire et a reporté une évaluation plus approfondie de tous les éléments pertinents.

[47] Bien que cette approche ait pu avoir un effet négatif sur le prestataire, la Commission a jugé qu’elle lui permettrait d’économiser du temps de traitement et de verser des prestations de manière plus efficace.

[48] Je reconnais que l’approche de la Commission va accabler le prestataire d’une dette qu’il aura du mal à rembourser. Toutefois, le prestataire n’est pas seul à cet égard et la Commission dispose de certains moyens pour alléger son fardeauNote de bas de page 22.

[49] Comme j’ai déjà constaté, la Commission était en mesure d’évaluer et de réévaluer la disponibilité du prestataireNote de bas de page 23. Hélas, le Tribunal ne peut ni remédier aux reproches quant à la façon dont la Commission a traité le dossier du prestataire ni rendre une décision au sujet de l’annulation de sa detteNote de bas de page 24.

[50] L’application de la loi peut parfois donner lieu à des résultats sévères qui paraissent en contradiction avec les objectifs du gouvernement. Toutefois, le Tribunal ne peut pas réécrire ou contourner la loi, et ce, même dans des situations où la Commission a fourni des renseignements erronés ou dans des cas qui suscitent beaucoup de sympathieNote de bas de page 25.

Conclusion

[51] La division générale a commis une erreur pertinente en omettant d’examiner une question en litige. À la suite d’une évaluation de cette question, je suis tout de même arrivé à la même conclusion que celle de la division générale. Je rejette donc l’apel du prestataire.

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