Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c JL, 2022 TSS 1110

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Meilleur
Partie intimée : J. L.
Représentante ou représentant : M. L.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 mai 2022 (GE-22-414)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 20 octobre 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentant de l’intimée
Date de la décision : Le 28 octobre 2022
Numéro de dossier : AD-22-369

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de disponibilité.

[2] Cependant, le dossier retourne à la division générale afin de décider si la Commission pouvait rendre rétroactivement inadmissible la prestataire et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

Aperçu

[3] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé que l’intimée (prestataire) n’était pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021, parce qu’elle suivait une formation qui n’était pas autorisée et qu’elle n’était pas disponible pour travailler au sens de la loi.

[4] La division générale a déterminé que la prestataire désirait retourner sur le marché du travail et qu’elle avait effectué des efforts pour se trouver un emploi pendant ses études. Elle a également déterminé que la prestataire ne limitait pas ses chances de trouver un emploi. La division générale a conclu que le prestataire était disponible pour travailler du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021.

[5] La division d’appel a accordé à la Commission la permission d’en appeler de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler pendant ses études à temps plein.

[6] Je dois décider si la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi.

[7] J’accueille l’appel de la Commission.

Question en litige

[8] Est-ce que la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).Note de bas page 1

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. 

[11] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, Je dois rejeter l'appel.

Est-ce que la division générale a erré en droit en concluant que la prestataire était disponible à travailler au sens de la loi?

[12] La Commission soutient que la division générale a erré en concluant que la prestataire n’avait pas limité indûment ses chances de retourner sur le marché du travail malgré les exigences de sa formation. Elle fait valoir que la prestataire imposait des restrictions à sa disponibilité en raison de ses études à temps plein.

[13] La Commission soutient que la division générale a ignoré la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui a confirmé qu’un prestataire qui restreint sa disponibilité au travail pour des heures ou des jours à l’extérieur de son horaire de cours n’a pas prouvé sa disponibilité au sens de la loi.

[14] La Commission soutient que la division générale a erré en droit en insérant la présomption de non-disponibilité dans son analyse du 3e facteur de Faucher.

[15] La prestataire soutient qu'elle était admissible aux prestations parce qu'elle était disponible à travailler le plus grand nombre d’heures possibles tout en fréquentant l'école à temps plein avant sa mise à pied causée par la pandémie. La prestataire soutient que la division générale n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle était disponible à travailler au sens de la loi.

[16] La division générale a conclu que le prestataire avait réfuté la présomption selon laquelle elle n'était pas disponible pour travailler pendant qu'elle suivait une formation à temps plein. Elle a accepté que la prestataire avait démontré une tendance continue et prolongée à travailler à temps partiel tout en suivant une formation à temps plein.

[17] Cependant, renverser la présomption signifie seulement que la prestataire n'est pas présumée indisponible. La division générale devait encore examiner les exigences de la loi et décider si la prestataire était effectivement disponible.

[18] Pour être considéré comme disponible à travailler, un prestataire doit démontrer qu'il est capable et disponible à travailler et incapable d'obtenir un emploi convenable.Note de bas page 2

[19] La disponibilité doit être déterminée en analysant trois facteurs :

  1. a) Le désir de retourner travailler aussitôt qu’un emploi convenable est offert;
  2. b) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver un emploi convenable;
  3. c) le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas page 3

[20] De plus, la disponibilité est déterminée pour chaque jour ouvrable d'une période de prestations pour lequel le prestataire peut prouver que, ce jour-là, il était capable et disponible pour travailler et incapable d'obtenir un emploi convenable.Note de bas page 4

[21] Aux fins de l’article 18 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), un jour ouvrable est n'importe quel jour de la semaine, sauf le samedi et le dimanche.Note de bas page 5

[22] La Commission soutient que la division générale a erré en concluant que la prestataire n’avait pas limité indûment ses chances de retourner sur le marché du travail malgré les exigences de sa formation. Elle fait valoir que la prestataire imposait des restrictions à sa disponibilité en raison de ses études de jour durant la semaine.

[23] Je remarque que les récentes décisions de la division d’appel sur cette question ne sont pas unanimes.

[24] Dans l'affaire J.D., il a été jugé que la prestataire qui avait manifesté l'intention de ne chercher qu'un travail à temps partiel qui n'interférait pas avec ses études à temps plein avec des contraintes similaires à celles qui préexistaient à sa perte d'emploi, n'avait pas limité indûment ses chances de réintégrer le marché du travail.Note de bas page 6

[25] Cependant, dans l’affaire R.J., la division d'appel a conclu que la restriction de la disponibilité à seulement certains moments de certains jours constituait l'établissement de conditions personnelles susceptibles de limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas page 7

[26] La question de la disponibilité d'un prestataire qui suit des cours de formation à temps plein a fait l'objet de nombreuses décisions au fil des ans.

[27] Le principe suivant a émergé de la jurisprudence arbitrale antérieure:

La disponibilité doit être démontrée pendant les heures régulières pour chaque jour de travail et ne peut être limitée à des heures irrégulières résultant d'un horaire de programme de formation qui limite considérablement la disponibilité.Note de bas page 8

[28] Dans une décision rendue par un juge-arbitre, une prestataire qui suivait des cours de 8 h 30 à 15 h 30 et qui était disponible en tout temps en dehors de son horaire de cours, a été considérée comme non disponible pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas page 9

[29] La Cour d'appel fédérale (CAF) a rendu plusieurs décisions concernant la disponibilité d'un prestataire qui suit des cours de formation à temps plein.

[30] Dans Bertrand, la Cour a conclu que la prestataire, dont la disponibilité se limitait aux heures de travail entre 16 h et minuit, n'était pas disponible aux fins de la Loi sur l’AE.Note de bas page 10

[31] Dans Vézina, la Cour a suivi Bertrand et a conclu que les intentions du prestataire de travailler les fins de semaine et les soirs démontraient un manque de disponibilité pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas page 11

[32] Dans Rideout, la Cour a conclu que le fait que le prestataire n'était disponible que pour travailler deux jours par semaine plus les fins de semaine constituait une limite à sa disponibilité pour un travail à temps plein.Note de bas page 12

[33] Dans Primard et Gauthier, la Cour a souligné qu'une journée de travail excluait les fins de semaine en vertu du Règlement sur l'assurance-emploi et a conclu qu'une disponibilité de travail restreinte aux seuls soirs et fins de semaine est une condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.Note de bas page 13

[34] Dans Duquet, la Cour, appliquant les facteurs Faucher, a déterminé que le fait d'être disponible seulement à certains moments certains jours restreignaient la disponibilité et limitait les chances d'un prestataire de se trouver un emploi.Note de bas page 14

[35] De la jurisprudence de la CAF, je peux tirer les principes suivants :

  1. Un prestataire doit être disponible durant les heures régulières pour chaque jour ouvrable de la semaine;
  2. Restreindre la disponibilité à certaines heures de certains jours de la semaine, dont les soirs et les fins de semaine, représente une limitation de la disponibilité pour travailler et établit une condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.

[36] Sur la base de ces principes établis par la CAF, je ne peux tout simplement pas suivre la décision J.D. de la division d'appel.

[37] Je ne trouve d’ailleurs aucune explication dans la décision pour laquelle elle a choisi de ne pas suivre la jurisprudence contraignante de la CAF concernant la disponibilité d'un prestataire lorsqu'il suit des cours de formation à temps plein.

[38] La prestataire soutient qu'elle était admissible aux prestations parce qu'elle était disponible à travailler le plus grand nombre d’heures possibles tout en fréquentant l'école à temps plein avant sa mise à pied causée par la pandémie.

[39] Je reconnais qu'un prestataire peut établir une période de prestations fondée sur le travail à temps partiel. Cependant, pendant cette période, un prestataire ne doit pas fixer de condition personnelle qui pourrait limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail pour être considéré comme disponible pour travailler en vertu de la Loi sur l'AE. Le fait de chercher du travail en dehors d'un horaire scolaire est une condition personnelle pouvant limiter indûment les chances de réintégrer le marché du travail.

[40] La preuve démontre que la prestataire suivait une formation à temps plein et qu’elle n’était disponible pour travailler qu’en dehors de ses heures de cours. Elle a indiqué ne pas être disposée à abandonner sa formation pour occuper un emploi à temps plein durant les heures régulières de la semaine. 

[41] Je constate à la lecture de la décision de la division générale que celle-ci semble confondre la question de la présomption de non disponibilité avec l’analyse du troisième facteur de l’affaire Faucher.

[42] Je suis d’avis que la division générale ne pouvait user de la présomption de non-disponibilité et de la pandémie pour établir qu’il y avait absence de conditions personnelle pouvant limiter indûment les chances de la prestataire à retourner travailler.Note de bas page 15

[43] Je suis également d’avis que la division générale a commis une erreur de droit en ignorant la jurisprudence contraignante de la CAF et en interprétant de manière erronée le troisième facteur de l’affaire Faucher, soit l'absence de conditions pouvant limiter indûment la disponibilité d'un prestataire pour travailler.

[44] Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[45] Considérant que les deux parties ont eu l'occasion de présenter leur cause devant la division générale sur la question de disponibilité, je rendrai la décision qui aurait dû être rendue par la division générale. 

[46] La preuve démontre que la prestataire était inscrite à temps plein au Collège X. Elle suivait une formation à temps plein et n’était disponible pour travailler qu’en dehors de ses heures de cours. De plus, la prestataire n'était pas disposée à abandonner son cours pour occuper un emploi à temps plein. Ces deux conditions l'empêchaient d'obtenir des emplois du lundi au vendredi pendant les heures régulières de travail.

[47] Conformément à l'article 18(1) (a) de la Loi sur l'AE et en appliquant la jurisprudence de la CAF, je conclus que la prestataire n'était pas disponible et incapable d'obtenir un emploi convenable les jours ouvrables d'une période de prestations parce que sa disponibilité était indûment restreinte par les exigences du programme qu'elle suivait au Collège X.

[48] Pour les motifs susmentionnés, j'accueille l'appel de la Commission sur la question de disponibilité.

[49] Cependant, je note que la prestataire a toujours soutenu avoir déclaré dans ses déclarations son statut d’étudiante à temps plein.  Elle a mentionné avoir discuté à trois reprises avec des agents de la Commission afin de s’assurer de son éligibilité complète aux prestations. La prestataire affirme avoir pris toutes les précautions afin de ne pas se retrouver dans la présente situation.Note de bas page 16

[50] Compte tenu de sa conclusion sur la question de disponibilité, la division générale n’a pas examiné la question de savoir si la Commission pouvait rendre rétroactivement inadmissible la prestataire et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

[51] Il a donc lieu de retourner le dossier à la division générale afin qu’elle tranche cette question.

Conclusion

[52] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de disponibilité.

[53] Cependant, le dossier retourne à la division générale afin de décider si la Commission pouvait rendre rétroactivement inadmissible la prestataire et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

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