Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La division générale (DG) a conclu que le prestataire n’avait pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi et qu’il avait des solutions raisonnables autres que le départ. La DG a conclu que le prestataire était donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE). Le prestataire a fait appel de cette décision à la division d’appel (DA), soutenant que la DG avait ignoré ses déclarations selon lesquelles un de ses collègues, qui était également son représentant syndical, l’avait agressé physiquement. Le prestataire a aussi fait valoir que la DG avait enfreint les règles d’équité procédurale. Selon lui, elle avait fait cela en tirant des conclusions concernant certains éléments de preuve. Il a affirmé que la DG aurait dû lui donner la possibilité de répondre à cette preuve.

La DG a constaté des incohérences dans les déclarations du prestataire. Elle a rejeté les déclarations qu’il avait faites à la Commission. Elle a également rejeté le témoignage qu’il a livré à l’audience. La DG a préféré la déclaration initiale du prestataire et a trouvé que cette déclaration était fiable. La DG a conclu que la déclaration initiale avait plus de chances de correspondre à ce qui s’était passé entre le prestataire et son collègue. La DA a décidé qu’en tant que juge des faits, la DG est autorisée à évaluer et à examiner la preuve portée à sa connaissance. Cependant, elle a quand même l’obligation d’offrir au prestataire la possibilité de corriger les incohérences apparentes dans la preuve, notamment sur une question si essentielle au résultat. Le fait que le prestataire aurait pu joindre des commentaires ou des arguments lorsqu’il a déposé sa déclaration ne suffit pas. La DA a conclu qu’en n’offrant pas au prestataire la possibilité de fournir des explications concernant la preuve contradictoire, la DG n’avait pas suivi les règles d’équité procédurale.

La DA a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à une ou un autre membre de la DG pour un nouvel examen.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : HB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 940

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : H. B.
Représentant : Craig Floden (avocat)
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Anick Dumoulin

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 janvier 2022 (GE-21-2373)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 28 juin 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 23 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-140

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à une ou un autre membre de la division générale pour réexamen.

Aperçu

[2] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale. Celle-ci a conclu que l’appelant, H. B. (prestataire), n’avait pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi. La division générale a jugé que le prestataire avait des solutions raisonnables autres que celle de quitter son emploi. Par conséquent, elle a conclu que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[3] Le prestataire soutient que la division générale a commis des erreurs de procédure, de droit et de fait. Plus précisément, il fait valoir que la division générale a ignoré des déclarations dans lesquelles il a dit que P., un de ses collègues (qui était également son représentant syndical) l’a agressé physiquement.

[4] Le prestataire soutient que la division générale a ensuite aggravé son erreur en omettant d’examiner s’il était fondé à quitter son emploi en raison de harcèlement ou de conditions de travail qui représentaient un danger pour sa santé ou sa sécurité.

[5] Le prestataire fait également valoir que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi. Il fait valoir que le départ était la seule solution raisonnable dans son cas, compte tenu des risques auxquels il aurait été exposé s’il était retourné dans un milieu de travail non sécuritaire.

[6] Le prestataire demande à la division d’appel de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, selon lui. Il affirme que la division générale aurait dû conclure qu’il était fondé à quitter son travail parce qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable. Sinon, il demande à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[7] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, nie que la division générale a commis des erreurs ou, si des erreurs ont été commises, elle affirme que l’issue aurait été la même. La Commission demande à la division d’appel de rejeter l’appel. Sinon, la Commission affirme que si la division d’appel devait conclure que la division générale a commis une erreur de procédure, elle devrait alors renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

Questions en litige

[8] Voici les questions en litige dans le cadre de cet appel :

  1. a) La division générale a-t-elle enfreint certaines règles d’équité procédurale?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait au sujet d’un incident qui s’est produit le 6 août 2020?
  3. c) La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit concernant la question de savoir si le prestataire avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi?

Analyse

[9] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si une ou des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de fait ont été commisesNote de bas page 1.

La division générale a-t-elle enfreint certaines règles d’équité procédurale?

[10] Le prestataire soutient que la division générale a enfreint les règles d’équité procédurale. Il dit qu’elle l’a fait en tirant des conclusions au sujet de certains éléments de preuve. Il affirme que la division générale aurait dû lui donner l’occasion de répondre à cette preuve.

[11] Le prestataire soutient que si la division générale lui avait posé des questions concernant certains éléments de preuve, il aurait pu expliquer ce que la division générale considérait comme des incohérences. Il prétend qu’elle aurait alors accepté la preuve sur laquelle il s’appuie pour établir qu’il avait un motif valable pour avoir quitté son emploi.

[12] La preuve comprenait les deux déclarations du prestataire concernant un incident ayant eu lieu le 6 août 2020 entre lui et l’un de ses collèguesNote de bas page 2.

[13] La Commission refuse d’admettre que la division générale a enfreint toute règle d’équité procédurale pour les raisons suivantes :

  1. la preuve provenait du prestataire;
  2. le prestataire a présenté ces éléments de preuve après l’audience de la division générale seulement;
  3. le prestataire a eu l’occasion de joindre des commentaires lorsqu’il a déposé la preuve.

[14] À l’audience de la division générale, le prestataire a parlé d’une déclaration qu’il a faite. Le membre de la division générale a fait remarquer qu’il n’avait pas reçu de copie de la déclaration; il en a donc demandé une.

[15] Le membre de la division générale a signalé qu’il a reçu deux déclarations le 13 janvier 2022, environ une semaine après la tenue de l’audience.

[16] Le membre a écrit qu’il avait tenu compte de l’une des déclarations du prestataire au moment de rendre sa décision, « car il s’agissait de renseignements qu’[il] avai[t] demandés et qui étaient également directement liés à l’argument du prestataire selon lequel il ne pouvait pas remettre une copie de sa déclaration à son employeur, car il n’obtiendrait pas une enquête équitableNote de bas page 3 ».

[17] La division générale a souligné que la Commission avait également envoyé des observations supplémentaires le 17 janvier 2022. Le membre n’en a pas tenu compte, car il s’agissait d’observations non sollicitées. De plus, il a jugé que si la Commission avait voulu faire des ajouts à ses observations initiales ou si un élément présenté à l’audience posait problème, elle « aurait pu y assister pour présenter ses observations. Elle a cependant choisi de ne pas y assisterNote de bas page 4 ». Autrement dit, la division générale a conclu que la Commission avait raté l’occasion de répondre à tout document déposé après l’audience en ne s’y présentant pas.

[18] La division générale a conclu que l’appel portait sur la question de savoir si un collègue du prestataire l’avait agressé et dans quelle mesure il l’avait fait.

[19] La division générale a donné à penser que, si le collègue du prestataire l’avait agressé physiquement, celui-ci aurait pu avoir un motif valable (sous réserve de toute solution raisonnable autre que celle de quitter son emploi qui aurait pu s’offrir à lui). Toutefois, si le collègue du prestataire ne l’avait pas agressé physiquement, l’incident avec cette personne « ne présent[ait] pas une telle menace pour sa santé et sa sécurité qu’il ne pouvait pas retourner au travailNote de bas page 5 ».

[20] La division générale a examiné la preuve concernant l’agression et a noté ce qui suit :

  • Le prestataire a dit à la Commission qu’« il y avait eu une bagarre et que le représentant syndical l’avait presque arraché de son camionNote de bas page 6 »;
  • Dans son témoignage à la division générale, le prestataire a répété ce qu’il avançait, « à savoir que le représentant essayait physiquement de le traîner hors du camionNote de bas page 7 ».
  • Dans la déclaration initiale que le prestataire a rédigée et qu’il a remise à son avocat, il n’affirme à aucun moment que le représentant syndical a porté la main sur lui. Le prestataire a écrit que son collègue [traduction] « criait après [lui] si fort… [Il] était très agressif et criait après [lui]Note de bas page 8 ».

[21] La division générale a conclu qu’il y avait des incohérences dans les déclarations du prestataire.

[22] La division générale a rejeté la déclaration du prestataire à la Commission. Elle a également rejeté son témoignage à l’audience. La division générale a rejeté ces éléments de preuve, expliquant qu’ils « sembl[aient] teintés par le passage du tempsNote de bas page 9 ».

[23] La division générale a plutôt préféré la déclaration initiale du prestataire, « car il affirme l’avoir rédigée dans les deux semaines suivant l’événement lui-mêmeNote de bas page 10 ». La division générale a jugé que la déclaration initiale était fiable. Elle a conclu que la déclaration initiale reflétait probablement ce qui s’était passé entre le prestataire et son collègue.

[24] À titre de juge des faits, la division générale est autorisée à évaluer et à soupeser la preuve portée à sa connaissance. Cependant, elle a toujours le devoir de donner au prestataire la possibilité de corriger toute incohérence apparente dans la preuve, particulièrement sur une question aussi cruciale pour l’issue de l’affaire.

[25] Il ne suffit pas que le prestataire ait pu joindre des commentaires ou des arguments lorsqu’il a déposé sa déclaration. Après tout, il n’aurait peut-être pas compris qu’il y avait des incohérences dans la preuve ou que la division générale aurait utilisé cette preuve contre lui pour conclure que ses déclarations subséquentes n’étaient pas fiables.

[26] Le représentant du prestataire aurait dû être conscient du fait qu’il y avait des incohérences apparentes dans la preuve de ce dernier et en tenir compte lorsque le prestataire a déposé la preuve après l’audience. Néanmoins, cela n’enlève rien au devoir de la division générale de veiller à ce que le prestataire ait la possibilité de corriger ce qu’elle considérait comme des éléments de preuve contradictoires. La division générale aurait dû présenter directement ces éléments de preuve au prestataire.

[27] En omettant de donner au prestataire la possibilité d’aborder ou d’expliquer les éléments de preuve contradictoires, la division générale n’a pas respecté les règles d’équité procédurale.

Autres arguments présentés par le prestataire

[28] Le prestataire a soulevé d’autres arguments. Il n’est cependant pas nécessaire de les aborder, car j’ai décidé que la division générale n’a pas respecté les règles d’équité procédurale. Cela me suffit pour examiner la réparation qu’il convient d’accorder.

Réparation

[29] À moins que l’issue n’ait été la même de toute façon, il y a deux recours possibles pour corriger les erreurs : la division d’appel peut renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas page 11. Si la division d’appel substitue sa propre décision à celle de la division générale, cela signifie qu’elle peut tirer des conclusions de faitNote de bas page 12.

[30] La Commission soutient que même si la division générale avait commis des erreurs, cela ne change pas l’issue, de sorte que l’appel devrait être rejeté. La Commission affirme que l’appel devrait être rejeté parce que, même si la division générale avait accepté le témoignage du prestataire selon lequel son collègue l’avait agressé physiquement, le prestataire avait tout de même des solutions raisonnables autres que celle de quitter son emploi. La Commission note, par exemple, que le prestataire aurait pu prendre un congé de maladie pendant qu’il cherchait un autre emploi.

[31] Par ailleurs, la Commission demande à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale.

[32] Le prestataire soutient que la division d’appel devrait rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Il fait valoir que la division générale aurait dû établir qu’il était fondé à quitter son emploi et qu’il était donc admissible aux prestations d’assurance-emploi. Autrement, il demande à la division d’appel de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen.

[33] Habituellement, je substituerais ma propre décision à celle de la division générale plutôt que de renvoyer l’affaire à la division générale. Toutefois, je le ferais seulement si j’étais convaincue que le dossier de preuve était complet, qu’il y avait une entente sur les faits en général et que les parties avaient eu la possibilité d’aborder équitablement la preuve et de défendre le bien-fondé de leur cause. Ces facteurs sont absents dans ce cas-ci, pour les deux parties. Je remarque, par exemple, que la division générale n’a pas donné à la Commission l’occasion de répondre aux éléments de preuve que le prestataire a déposés après l’audience.

[34] De plus, même si la Commission soutient que le prestataire avait des solutions raisonnables autres que celle de quitter son emploi, cela ne tient pas compte de la possibilité que le collègue du prestataire l’ait agressé physiquement. Si le collègue du prestataire a agressé celui-ci, cela aurait pu avoir une incidence sur le caractère raisonnable des solutions autres que le départ qui auraient pu s’offrir à lui.

[35] Je suis d’accord avec la solution de rechange des parties. Le renvoi de l’affaire à la division générale permettra aux parties de corriger les incohérences dans la preuve et d’examiner si le prestataire était fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[36] L’appel est accueilli. La division générale n’a pas respecté les règles d’équité procédurale, car elle aurait dû donner au prestataire l’occasion équitable de répondre à la preuve. Il faut renvoyer l’affaire à une ou un autre membre de la division générale pour réexamen.

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