Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : GD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 957

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : G. D.
Partie intimée : C. P.
Répondant : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Isabelle Thiffault

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 31 mars 2022 (GE-22-122)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 29 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-308

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante (prestataire) travaillait comme comptable agréée et a commencé à travailler à distance au début de la pandémie de COVID-19. L’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19 (la « politique »). La prestataire a été suspendue et plus tard congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeur. Elle a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire avait été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser des prestations. Après avoir fait une révision, la Commission a maintenu sa décision initiale. La prestataire a porté la décision de révision en appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a jugé que la politique s’appliquait à elle et qu’elle aurait dû savoir que l’employeur était susceptible de la congédier dans ces circonstances. La division générale a estimé que son refus était délibéré, conscient et intentionnel. Elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[5] La division d’appel a accordé à la prestataire la permission de faire appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle, a commis une erreur de droit et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, en concluant qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[6] Je dois décider si la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle et si elle a commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[7] Je rejette l’appel de la prestataire.

Questions en litige

[8] La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en limitant le rôle du représentant de la prestataire pendant l’audience?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

Le mandat de la division d’appel

[10] La Cour d’appel fédérale a établi que lorsque la division d’appel instruit des appels par application de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, son mandat lui est conféré par les articles 55 à 69 de la LoiNote de bas page 1.

[11] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel pour les décisions rendues par la division générale. Elle n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui exercé par une cour supérieureNote de bas page 2.

[12] Par conséquent, à moins que la division générale ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’elle ait commis une erreur de droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel.

Le rôle de la division générale

[13] Lors des audiences de la division générale et de la division d’appel, la prestataire s’est dite insatisfaite de la façon dont la Commission a traité sa demande de prestations.

[14] Le rôle de la division générale est d’examiner la preuve présentée par les deux parties, de déterminer les faits pertinents à la question juridique dont elle est saisie et de rendre une décision écrite en toute indépendance sur celle-ci. Le rôle de la division d’appel est d’examiner la preuve présentée à la division générale et de décider si elle a commis une erreur qui justifie son intervention.

[15] La division générale et la division d’appel n’ont pas compétence pour enquêter sur la conduite de la Commission dans le traitement de la demande de prestations de la prestataire. De plus, le Tribunal n’a pas la compétence requise pour ordonner le versement d’une indemnité pour les dommages que la prestataire allègue avoir subis à la suite du refus de la Commission de lui accorder des prestationsNote de bas page 3.

La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en limitant le rôle du représentant de la prestataire pendant l’audience?

[16] La prestataire soutient que la division générale n’a pas respecté un principe de justice naturelle en limitant le rôle de son représentant pendant l’audience. Elle soutient qu’il ne pouvait que lui poser des questions et qu’il n’était pas autorisé à parler en son nom.

[17] Compte tenu de ce motif d’appel, j’ai écouté l’audience de la division générale.

[18] La membre de la division générale a expliqué au représentant qu’il pouvait poser des questions à la prestataire pendant l’audience afin d’établir la preuve et présenter des arguments à la fin de l’audience. La membre de la division générale a précisé que puisque la prestataire était au courant des faits de l’affaire, c’est elle qui devait témoigner en tant que témoin, et non le représentant.

[19] J’estime que la division générale n’a pas omis de respecter un principe de justice naturelle. Les explications de la membre de la division générale étaient claires et exactes. Au cours de l’audience, la prestataire a eu l’occasion de témoigner et le représentant a eu l’occasion de poser des questions. Le représentant a également eu l’occasion de présenter ses observations finales.

[20] Je note que le représentant n’a pas posé de questions à la division générale concernant son rôle pendant l’audience. Il a également conclu l’audience en mentionnant qu’il était satisfait du processus d’audience.

[21] Je ne peux donc pas conclure que le processus d’audience de la division générale était inéquitable de quelque façon que ce soit.

[22] Pour les raisons susmentionnées, ce motif d’appel est rejeté.

La division générale a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite?

[23] La prestataire soulève les moyens d’appel suivants :

  1. a) La division générale a commis une erreur en se référant dans sa décision à la Commission ontarienne des droits de la personne et en ignorant les lois québécoises applicables à son cas.
  2. b) La division générale a ignoré les lois québécoises qui indiquent que le statut vaccinal est une information personnelle et confidentielle que les employés ne sont pas tenus de divulguer à leur employeur.
  3. c) La division générale a commis une erreur en concluant qu’elle pouvait être forcée par son employeur à subir une intervention médicale et que l’employeur pouvait la congédier sur la base d’une supposition.
  4. d) La division générale a ignoré que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard en n’appliquant pas la politique à tous ses employés.
  5. e) La division générale n’a pas tenu compte de la jurisprudence qui appuie sa position selon laquelle la politique était déraisonnable dans son contexte de travail.
  6. f) La division générale a ignoré qu’elle travaillait de la maison et n’avait aucun contact avec la clientèle et ses collègues de travail.
  7. g) La division générale n’a pas tenu compte du fait que l’employeur ne lui avait jamais offert de mesures d’adaptation.
  8. i) La division générale a commis une erreur en ignorant le fait que l’employeur ne lui avait pas communiqué la politique et ne l’avait pas communiqué non plus à la Commission. Elle ne savait donc pas ou ne pouvait pas savoir qu’elle serait suspendue ou congédiée.
  9. j) La division générale a commis plusieurs erreurs en concluant qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la décision devrait être annulée.

[24] La division générale devait décider si la prestataire avait droit à un plus grand nombre de semaines de prestations d’assurance-emploi.

[25] La notion d’inconduite ne veut pas nécessairement dire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour qu’il y ait inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou, à tout le moins, être d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé d’ignorer les répercussions de ses actes sur son rendement au travail.

[26] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction imposée par l’employeur ni de décider si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant ou en congédiant la prestataire de telle manière que sa suspension ou son congédiement était injustifié. Son rôle est plutôt de décider si la prestataire était coupable d’inconduite et si l’inconduite a mené à sa suspension et à son congédiementNote de bas page 4.

[27] La prestataire a travaillé comme comptable agréée pour l’employeur pendant 14 ans. Avant la pandémie, elle travaillait au bureau du lundi au vendredi. Elle a commencé à travailler à distance au début de la pandémie de COVID-19.

[28] Le 23 août 2021, dans le but de protéger la santé et la sécurité de tous ses employés, l’employeur a demandé que tous les employés travaillant dans les bureaux de Toronto et de Montréal soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 avant de se présenter au travail le lundi 13 septembre 2021. Les employés pouvaient demander des mesures d’adaptation pour des raisons liées à une invalidité ou à la religion. Tous les employés étaient tenus d’attester qu’ils avaient reçu les deux vaccins contre la COVID‑19 au plus tard le 10 septembre 2021. Les employés qui ne présentaient pas de preuve de leur statut vaccinal et qui ne bénéficiaient pas de mesures d’adaptation approuvées en rapport à l’exigence de vaccination n’étaient pas autorisés à retourner au bureau à partir du 13 septembre et leur statut d’emploi serait réviséNote de bas page 5.

[29] La prestataire n’a pas cherché à obtenir des mesures d’adaptation de la part de l’employeur pour des raisons liées à une invalidité ou à la religion.

[30] Le 13 septembre 2021, l’employeur a informé la prestataire qu’il n’avait pas reçu sa preuve de vaccination contre la COVID-19. Il lui a donné une dernière occasion d’envisager de se faire entièrement vacciner contre la COVID-19 afin de pouvoir retourner au bureau. Il l’a informée qu’il communiquerait avec elle au sujet de son statut d’emploi si elle ne fournissait pas la preuve de sa première dose de vaccin contre la COVID-19 avant le 20 septembre 2021Note de bas page 6.

[31] Le 21 septembre 2021, l’employeur a communiqué par lettre avec la prestataire pour l’informer qu’elle contrevenait à la politique de vaccination obligatoire. Il l’a suspendue à compter du 21 septembre sans salaire pour non‑respect de la politique de vaccination, car elle n’avait reçu aucun des vaccins contre la COVID‑19Note de bas page 7.

[32] Le 15 octobre 2021, l’employeur a rappelé à la prestataire qu’elle avait jusqu’au 29 novembre 2021 pour entamer le processus de vaccination complète afin de reprendre son emploi. On lui a rappelé que l’employeur mettrait fin à son emploi après le 29 novembre 2021 si elle ne respectait pas la politique de vaccinationNote de bas page 8.

[33] Le 30 novembre 2021, l’employeur a congédié la prestataire pour non-respect de la politique de vaccination de l’entrepriseNote de bas page 9.

[34] À la lumière de cette preuve, la division générale a conclu que la prestataire avait été congédiée parce qu’elle avait refusé de suivre la politique de l’employeur. Elle avait été informée de la politique et on lui avait donné le temps de s’y conformer. Son refus était intentionnel et délibéré. La division générale a estimé que c’était la cause directe de son congédiement. Elle a conclu que la prestataire aurait dû savoir que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner son congédiement.

[35] La division générale a conclu, à partir de la preuve prépondérante, que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[36] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une violation délibérée d’une politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 10.

[37] La prestataire soutient que l’employeur ne lui a jamais communiqué la politique. Elle ne savait donc pas ou ne pouvait pas savoir qu’elle serait suspendue ou congédiée. Elle soutient que le fait que l’employeur et la Commission n’ont pas présenté la politique en preuve appuie son affirmation selon laquelle l’employeur ne lui a jamais communiqué la politique.

[38] J’estime que cet argument est sans fondement. Le fait qu’aucune politique écrite n’ait été produite en preuve devant la division générale ne signifie pas qu’il n’y avait pas de politique. Il incombe à la Commission de prouver que la prestataire a commis une inconduite selon la prépondérance des probabilités.

[39] Comme l’a déclaré la division générale, le dossier contenait suffisamment d’éléments de preuve pour permettre de conclure qu’il était plus probable qu’improbable que l’employeur avait une politique de vaccination en place et qu’elle avait été communiquée à tous les employés. La preuve prépondérante devant la division générale appuie également sa conclusion selon laquelle la prestataire a décidé de ne pas se conformer à la politique pour des raisons personnelles et que son refus persistant de s’y conformer mettait son emploi en périlNote de bas page 11.

[40] La prestataire soutient que l’employeur ne lui a pas offert de mesures d’adaptation parce qu’elle travaillait de la maison pendant la pandémie. Elle fait valoir qu’elle n’a pas créé de problème particulier ni de risques importants d’éclosion et d’infection en interagissant avec la clientèle et ses collègues en travaillant de la maison ou en isolement. Elle fait valoir que la politique de l’employeur était discriminatoire à son égard et qu’elle va à l’encontre de ses droits humains, de la Loi sur les normes du travail du Québec et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail du QuébecNote de bas page 12.

[41] Comme l’a indiqué la division générale, ces questions relèvent d’une autre instance. Ce tribunal n’est pas le bon endroit pour obtenir la réparation que la prestataire demandeNote de bas page 13.

[42] La prestataire soutient en outre que la politique de l’employeur a porté atteinte à ses droits constitutionnelsNote de bas page 14.

[43] Je conclus que la division générale a décidé à juste titre que la Charte canadienne des droits et libertés s’applique aux mesures gouvernementales. La Charte ne s’applique pas aux interactions privées entre particuliers ou entreprises privéesNote de bas page 15.

[44] Je dois répéter que la question soumise à la division générale n’était pas de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de telle sorte que cela constituait un congédiement injuste, mais si la prestataire était coupable d’inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi et si cette inconduite a entraîné la perte de son emploi.

[45] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a choisi délibérément pour des raisons personnelles de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension et la perte de son emploi.

[46] Je conviens avec la prestataire que la référence dans la décision de la division générale à la Commission ontarienne des droits de la personne était incorrecte. Je juge que cette référence n’était pas non plus nécessaire pour que la division générale puisse trancher la question de l’inconduite. Je suis d’avis que la division générale n’a commis aucune erreur qui justifie mon intervention parce qu’elle a néanmoins tranché correctement la question de l’inconduite selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini ce qu’est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas page 16.

[47] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander une réparation auprès d’une autre instance, si l’existence d’une violation est établie. Cela ne change rien au fait qu’aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été suspendue et congédiée en raison de son inconduite.

[48] Pour ces raisons, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel de la prestataire.

Conclusion

[49] L’appel est rejeté.

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