Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : GD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 958

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : G. D.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (444151) datée du 16 décembre 2021 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 mars 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 31 mars 2022
Numéro de dossier : GE-22-122

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné la perte de son emploi). Par conséquent, la prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploiNote de bas page 1.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait comme comptable agréée et a commencé à travailler à distance au début de la pandémie de COVID-19. L’employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19 (« la politique »). La prestataire a été suspendue et plus tard congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de l’employeurNote de bas page 2. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance‑emploiNote de bas page 3.

[4] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que la prestataire ne pouvait pas recevoir de prestationsNote de bas page 4. Elle affirme que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite en ne respectant pas la politique de vaccination de l’employeurNote de bas page 5.

[5] La prestataire n’est pas d’accord parce que son travail ne nécessitait pas qu’elle interagisse avec la clientèle ou le public et que ses tâches pouvaient être effectuées à distanceNote de bas page 6. Elle affirme que la politique de l’employeur n’est ni raisonnable ni rationnelle et que l’on ne devrait pas considérer qu’elle a été suspendue parce qu’elle a violé la politique ou commis une inconduite, puisque l’employeur a refusé de lui offrir des mesures d’adaptation.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai demandé des renseignements à la Commission avant l’audience

[6] La Commission a fait référence à la politique de l’employeur dans ses observations, mais je n’ai pas pu déterminer clairement s’il existait un véritable document de politique ou si elle se basait sur un courriel envoyé par l’employeurNote de bas page 7. J’ai écrit à la Commission pour lui demander de fournir une copie de la politique de l’employeurNote de bas page 8.

[7] À l’audience, la prestataire a confirmé qu’elle n’avait pas reçu de copie de la politique officielle. La seule communication de l’employeur au sujet de la politique a été envoyée au personnel par courriel le 23 août 2021.

[8] La Commission a répondu dans le délai impartiNote de bas page 9. Elle a déclaré que les documents intitulés « Preuve de l’employeur » figurant aux pages GD3‑35 à GD3‑43 du dossier d’appel décrivent en détail la politique de l’employeur et les communications avec la prestataire concernant son statut vaccinal et son non-respect de la politiqueNote de bas page 10.

[9] J’ai envoyé une copie de la réponse de la Commission à la prestataire après l’audience en lui donnant la possibilité de répondreNote de bas page 11. La prestataire a répondu et a répété qu’elle n’avait jamais reçu une copie papier ou électronique de la politique et que l’employeur n’avait pas fourni à la Commission une copie officielle et signée de la politiqueNote de bas page 12. La prestataire a soulevé d’autres arguments dans sa réponse qu’elle avait soulevés à l’audience. Une copie de sa réponse a été envoyée à la Commission.

Question en litige

[10] La prestataire a-t-elle été suspendue et a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[11] Une partie prestataire qui perd son emploi en raison de son inconduite est exclue du bénéfice des prestationsNote de bas page 13.

[12] Une partie prestataire suspendue de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible aux prestations jusqu’à la fin de sa période de suspension, jusqu’à ce qu’elle perde son emploi ou le quitte volontairement ou jusqu’à ce qu’elle accumule suffisamment d’heures auprès d’un autre employeur après le début de sa suspensionNote de bas page 14.

[13] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. Je dois d’abord décider pourquoi la prestataire a été suspendue et a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire ne travaille-t-elle plus pour son employeur?

[14] Je conclus que la prestataire a d’abord été suspendue du 21 septembre 2021 au 29 novembre 2021 pour ne pas avoir respecté la politique de l’employeur.

[15] Je conclus également qu’elle a ensuite été congédiée le 30 novembre 2021.

[16] Cela concorde avec son témoignage, les lettres de l’employeur au dossier et les relevés d’emploiNote de bas page 15.

Quelle était la politique de l’employeur?

[17] Je juge que l’employeur a mis en œuvre une politique qui exigeait que les employés fournissent une preuve de vaccination contre la COVID-19 au plus tard le 10 septembre 2021Note de bas page 16. L’employeur a par la suite accordé à la prestataire un délai supplémentaire jusqu’au 20 septembre 2021 pour qu’elle se fasse vaccinerNote de bas page 17.

[18] La politique précise que dans le but de protéger la santé et la sécurité des employés, ceux-ci doivent désormais être entièrement vaccinés. Cela inclut les nouvelles recrues. La politique prévoit des mesures d’adaptation raisonnables pour des raisons liées à une invalidité ou à la religion. On y affirme que les employés peuvent avoir droit à des congés payés pour se faire vacciner, et que les ressources humaines réviseront leur statut d’emploi s’ils ne respectent pas la politique.

La politique a-t-elle été communiquée à la prestataire?

[19] Je conclus que la politique a été communiquée pour la première fois à la prestataire et aux autres employés par courriel le 23 août 2021Note de bas page 18.

[20] Je n’ai pas été convaincue par l’argument de la prestataire selon lequel l’employeur n’a jamais communiqué une politique juridique « officielle ». La preuve montre clairement que l’employeur a communiqué cette politique par courriel, ce qui est sa prérogative.

[21] Je remarque que le courriel du 23 août 2021 fait référence à un courriel précédent envoyé au personnel le 11 août 2021 qui décrivait les étapes à suivre pour soumettre une preuve de vaccination. J’ai interrogé la prestataire au sujet de ce courriel.

[22] La prestataire a dit que la politique ne lui avait été communiquée pour la première fois que le 23 août 2021. Elle soutient que le courriel précédent du 11 août 2021 était simplement un courriel général demandant aux employés leur statut vaccinal.

Quelles étaient les conséquences du non-respect de la politique?

[23] La politique aborde les conséquences pour les employés qui ne se conforment pasNote de bas page 19. On y lit ce qui suit :

[traduction]

Les employés qui 1) ne sont pas entièrement vaccinés ou n’ont pas soumis de preuve de statut vaccinal et 2) ne bénéficient pas de mesures d’adaptation approuvées en rapport avec l’exigence de vaccination ne seront pas autorisés à retourner au bureau à partir du 13 septembre 2021 et les ressources humaines procéderont à une révision de leur statut d’emploi.

[24] La prestataire a ensuite reçu une autre lettre confirmant qu’elle n’avait pas fourni de preuve de vaccinationNote de bas page 20. Dans cette lettre, on l’invite à parler à un médecin si elle a des questions au sujet du vaccin. La lettre mentionne enfin que si la prestataire n’a pas reçu sa première dose de vaccin d’ici le 20 septembre 2021, on communiquerait avec elle au sujet de son statut d’emploi au sein de l’entreprise.

[25] La prestataire a reçu une autre lettre l’informant des conséquences de son refus de se faire vaccinerNote de bas page 21. Elle a été suspendue sans solde du 21 septembre 2021 au 29 novembre 2021. La lettre précise que si elle n’était toujours pas vaccinée le 29 novembre 2021, elle serait congédiée pour un motif juste et suffisant.

[26] L’employeur a ensuite envoyé une lettre à la prestataire pour lui rappeler qu’elle avait jusqu’au 29 novembre 2021 pour se faire entièrement vacciner, ou être congédiée pour un motif juste et suffisantNote de bas page 22.

[27] La prestataire a déclaré qu’au début, elle était confuse par le courriel envoyé le 23 août 2021. Elle ne pensait pas que cela mènerait à son congédiement parce qu’elle était une employée de niveau supérieur qui se dévouait à son travail et travaillait fort.

[28] Je suis en partie d’accord avec la prestataire. Le courriel sur la politique envoyé le 23 août 2021 ne dit pas que les employés peuvent être suspendus ou congédiés s’ils refusent de se conformer. Toutefois, il dit que les ressources humaines effectueront une révision du statut d’emploi des employés qui ne se conforment pas. À mon avis, la prestataire aurait dû savoir que son non-respect de la politique entraînerait une révision de son statut d’emploi et peut-être un résultat indésirable.

[29] Je conclus que la prestataire savait que son non-respect de la politique mènerait éventuellement à son congédiement le 30 novembre 2021Note de bas page 23. Elle a été suspendue le 21 septembre 2021 et la lettre de l’employeur indique clairement que cela mènerait à son congédiement. La lettre de rappel du 15 octobre 2021 mentionne également qu’elle serait congédiéeNote de bas page 24.

Y avait-il une raison pour laquelle la prestataire ne pouvait pas se conformer à la politique?

[30] Je conclus que la prestataire n’a pas prouvé qu’elle était admissible à une exemption médicale ou religieuse ou qu’elle était autrement exemptée de la politique de vaccination de l’employeur.

[31] À l’audience, la prestataire a tenu à préciser que les notes de la Commission étaient inexactes. Elle nie avoir éprouvé du stress ou avoir reçu un diagnostic de trouble anxieux, comme l’a signalé la CommissionNote de bas page 25.

[32] Je reconnais l’argument de la prestataire selon lequel l’employeur aurait dû lui offrir d’autres mesures d’adaptation, comme de travailler à distance, de faire des tests de dépistage de la COVID-19 ou de travailler dans des espaces isolés. Cependant, la politique de l’employeur ne prévoyait que des mesures d’adaptation et des exemptions fondées sur les droits de la personne (dans ce cas-ci, sur l’état de santé, la religion et la croyance).

[33] La prestataire n’a pas présenté de demande d’exemption pour l’un de ces motifs.

La prestataire a-t-elle été congédiée en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi?

[34] Oui, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[35] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 26. Par inconduite, on entend aussi une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 27. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas page 28.

[36] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur, et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas page 29.

[37] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie que la Commission doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas page 30.

[38] Premièrement, je n’ai pas été convaincue par la position de la prestataire selon laquelle la décision de la Commission devrait être annulée parce qu’aucune politique juridique officielle n’a été signée ou que la Commission n’en a jamais obtenu copie.

[39] À mon avis, il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier qui montrent que l’employeur avait une politique en place, qu’elle avait été communiquée à la prestataire par courriel et que celle-ci était au courant des conséquences de son défaut de s’y conformer. L’employeur pouvait communiquer la politique par courriel. De plus, rien n’indique qu’une autre copie officielle de la politique existait.

[40] Deuxièmement, je conclus que la prestataire a volontairement et consciemment choisi de ne pas se conformer à la politique de vaccination de l’employeur. Elle a eu le temps de s’y conformer et on lui a accordé un délai supplémentaire pour le faire. Bien qu’il n’ait pas été immédiatement clair qu’elle serait suspendue, une fois qu’elle a été suspendue le 21 septembre 2021, elle a compris que cela mènerait à son congédiement le 30 novembre 2021.

[41] Troisièmement, la Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré que même si la décision de se faire vacciner contre la COVID-19 demeure volontaire, exiger la vaccination et la présentation d’une preuve de vaccination afin de protéger les travailleurs dans un lieu de travail ou les personnes qui reçoivent des services est permis en règle général en vertu du Code des droits de la personne de l’OntarioNote de bas page 31, pour autant que des protections soient mises en place pour veiller à ce que les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons protégées par le Code puissent obtenir une mesure d’adaptation raisonnableNote de bas page 32.

[42] Comme il a été mentionné précédemment, la politique de l’employeur prévoyait des mesures d’adaptation et des exemptions pour ces motifs, mais la prestataire n’a pas présenté de demande à son employeur.

[43] Quatrièmement, je reconnais que l’employeur a le droit de gérer ses opérations quotidiennes, ce qui comprend le droit d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail. Je reconnais également que la prestataire a le droit d’accepter ou de refuser de se faire vacciner. Cependant, lorsque l’employeur a imposé la politique, elle est devenue une condition d’emploi. La prestataire a donc manqué à ses obligations envers son employeur parce qu’elle n’a pas respecté la politique en ne fournissant pas de preuve de vaccination.

[44] Enfin, je n’accepte pas que la prestataire ait été forcée de se faire vacciner. Elle avait le choix de se faire vacciner ou non. Elle a choisi de ne pas le faire pour des raisons personnelles et cela a entraîné des résultats indésirables, soit sa suspension, son congédiement et une perte de revenu.

[45] La Loi sur l’assurance-emploi a pour objet d’indemniser les personnes dont l’emploi a pris fin involontairement et qui sont sans travail. La protection est offerte seulement en cas de perte d’emploi involontaireNote de bas page 33. Dans cette affaire, la perte d’emploi n’était pas involontaire parce que la prestataire a choisi de ne pas se conformer à la politique de l’employeur pour des raisons personnelles et savait que sa conduite mènerait éventuellement à son congédiement.

Somme toute, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[46] D’après les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, je juge que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Qu’en est-il des autres arguments de la prestataire?

[47] La prestataire a déclaré que la politique de l’employeur violait ses droits garantis par les articles 6(2)(b) et 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas page 34.

[48] La Charte accorde des droits à toute personne au Canada. Mais elles’applique uniquement aux gouvernements, et non aux entreprises privéesNote de bas page 35. Cela veut dire que les politiques créées par des entreprises privées ne sont pas des lois et ne sont donc pas susceptibles de contrôle parce qu’elles ne peuvent pas être jugées inconstitutionnelles. Par conséquent, je n’ai pas le pouvoir juridique de me prononcer sur l’argument de la prestataire fondé sur la Charte.

[49] La prestataire a également déclaré qu’elle avait déposé cinq plaintes distinctes pour congédiement déguisé. Elle a exercé un recours pour pratiques interdites afin de contester sa suspension et son congédiement abusif et de réclamer les montants qu’elle estime que l’employeur lui doit. Elle a aussi exercé un recours pour pratiques interdites afin de contester le fait qu’elle a été congédiée après avoir déposé une plainte. Elle a obtenu de l’aide juridique et s’attend à obtenir une date de comparution prochainement.

[50] Dans ses dernières observations, la prestataire a déclaré avoir obtenu gain de cause contre son employeur. L’employeur doit lui verser une indemnité calculée selon la législation en vigueurNote de bas page 36.

[51] Je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a porté atteinte aux droits de la prestataire en la suspendant et en la congédiant, ou s’il doit lui offrir d’autres mesures d’adaptation.

[52] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si le congédiement d’une partie prestataire était justifié ou si une sanction était justifiée. Le Tribunal doit décider si la conduite de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 37.

[53] Le recours de la prestataire est d’entreprendre des démarches en cour ou devant un autre Tribunal qui peut régler ces questions particulières.

Conclusion

[54] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Ainsi, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[55] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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