Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : GM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 878

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : G. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (447152) datée du 9 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Sylvie Charron
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience  : Le 7 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant

Date de la décision : Le 25 août 2022
Numéro de dossier : GE-22-1284

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec l’appelant.

[2] L’appelant a démontré qu’il était fondé (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi) à quitter son emploi au moment où il l’a fait. L’appelant avait une justification parce que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Cela signifie qu’il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] L’appelant a quitté son emploi le 24 septembre 2021 et a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons du départ de l’appelant. Elle a décidé qu’il avait quitté volontairement (ou avait choisi de quitter) son emploi sans justification, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de lui verser des prestations.

[4] Je dois déterminer si l’appelant a démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[5] La Commission fait valoir qu’au lieu de partir quand il l’a fait l’appelant aurait pu discuter avec l’employeur de ses préoccupations en matière de sécurité ou déposer une plainte auprès de l’organisme provincial de réglementation de la santé et de la sécurité. L’appelant aurait également pu chercher un autre emploi avant de quitter son emploi.

[6] L’appelant n’est pas d’accord et affirme avoir fait part à la direction de ses préoccupations au sujet de la sécurité au travail à maintes reprises, sans résultat. Selon lui, il ne sert à rien de se plaindre à la Commission des relations de travail, puisque l’entreprise existe depuis de nombreuses années. Il admet qu’il n’a pas cherché un autre emploi avant de partir; par conséquent, il a été sans travail pendant environ deux mois.

Question que je dois examiner en premier

J’accepterai les documents envoyés après l’audience

[7] À l’audience, l’appelant m’a informé qu’il avait des photos du lieu de travail où, selon lui, il se serait produit un affaissement; c’est la raison pour laquelle il a quitté son emploi le lendemain. J’ai vu les photos sur le téléphone de l’appelant à l’audience. Il a accepté de les envoyer pour qu’elles soient versées au dossier et j’ai accepté. Elles font maintenant partie de la preuve et portent la cote GD6.

Question en litige

[8] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification?

[9] Pour répondre à cette question, je dois d’abord examiner la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Analyse

Les parties conviennent que l’appelant a volontairement quitté son emploi

[10] J’admets que l’appelant a volontairement quitté son emploi. L’appelant convient qu’il a démissionné le 24 septembre 2021. Rien ne prouve le contraire.

Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appelant avait une justification

[11] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il l’a fait.

[12] La loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi sans justificationFootnote 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que la personne était fondée à quitter son emploi.

[13] La loi explique ce qu’elle entend par « justification ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle indique qu’il faut tenir compte de toutes les circonstancesFootnote 2.

[14] Il appartient à l’appelant de prouver qu’il était fondé à quitter son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casFootnote 3.

[15] Pour décider si l’appelant était fondé à quitter son emploi, je dois examiner toutes les circonstances qui existaient lorsqu’il a démissionné. La loi énonce certaines des circonstances que je dois examinerFootnote 4.

[16] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui-ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làFootnote 5.

Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi

[17] L’appelant affirme qu’au moins deux des circonstances énoncées dans la loi s’appliquent. Plus précisément, il affirme que les conditions de travail représentaient un danger important pour sa santé et sa sécurité et que certaines pratiques de l’employeur étaient contraires à la loi.

[18] L’appelant a dit à la Commission que son employeur ne fournissait pas aux travailleurs les fournitures, l’équipement et les outils nécessaires pour accomplir leur travail en toute sécurité. Il n’y avait pas suffisamment de masques de sécurité, de lunettes, de gants et de bouchons d’oreille. L’employeur n’a pas offert de cours de recyclage sur la sécurité.

[19] Lors d’une recherche plus approfondie menée par la Commission au cours du processus de révision, l’appelant a déclaré que ses collègues étaient inexpérimentés, dépourvus de formation et non qualifiés, et que son employeur n’offrait pas de formation sur la sécurité. C’est pourquoi il estimait que ses conditions de travail n’étaient pas sécuritaires et qu’il se sentait en danger. Cela affectait sa santé mentale.

[20] À l’audience, l’appelant a admis qu’il n’avait pas consulté son médecin au sujet de son anxiété et de sa difficulté à dormir.

[21] De plus, l’appelant estimait que l’employeur ne respectait pas les règlements de sécurité, par exemple pour l’enlèvement de fibres d’amiante de façon sécuritaire.

[22] Enfin, l’appelant a relaté un dernier incident qui a été la cause immédiate de sa démission. Il s’est retrouvé dans un affaissement et était convaincu que sa vie était en danger.

[23] À l’audience, l’appelant a témoigné qu’il y avait des problèmes de sécurité sur ses chantiers. Il était indigné de devoir travailler avec des personnes incompétentes, comme des étudiants ou des employés en stage coopératif. Il devait donc sortir de sa machine (il est excavateur et conduit une rétrocaveuse) et descendre dans le trou pour aider les autres travailleurs, sans équipement de sécurité. Il avait l’impression de faire le travail des autres, sans masque ni lunettes. On ne leur a jamais offert de cours sur la sécurité.

[24] L’appelant admet qu’il est déjà nerveux au travail; si les gens autour de lui ne savent pas ce qu’ils font, c’est encore pire.

[25] L’appelant a affirmé que son ancienne entreprise n’avait pas de comité de santé et de sécurité auquel il pouvait signaler les problèmes.

[26] Quand une tranchée s’est effondrée sur lui, ce fut la goutte qui a fait déborder le vase et il a démissionné le lendemain.

[27] L’appelant a présenté des photos de la tranchée effondrée. Elles montrent un chantier où se trouvent deux caissons de tranchée à peine à niveau avec les parois de la tranchée, et ce qui semble être un affaissement dans la partie supérieure de la tranchée. L’appelant a témoigné que l’objet jaune à l’avant-plan de la photo est un pilon compacteur de cinq pieds de hauteur; il est enfoui dans le sable. L’appelant affirme que c’est la raison pour laquelle il se sentait en danger et qu’il a démissionné le lendemain.

[28] Je souligne que, lors d’une conversation avec un représentant de la Commission le 28 janvier 2022, l’appelant avait affirmé qu’il avait demandé deux caissons de tranchée pour le chantier et que l’employeur en avait commandé un seulFootnote 6. Toutefois, les photos produites par l’appelant montrent clairement qu’il y avait deux caissons de tranchée.

[29] Lorsqu’il a été informé des allégations de l’appelant, l’employeur a affirmé que l’appelant avait des problèmes d’assiduité et qu’il aurait été congédié si ce n’était qu’il avait grand besoin de ses services. L’employeur a ajouté que l’appelant avait menacé de quitter son emploi chaque fois que la question de son assiduité était soulevée. Il a également été souligné que l’appelant n’avait jamais soulevé de préoccupations en matière de sécurité. L’employeur a aussi indiqué à la Commission que le ministère du Travail de l’Ontario est sur les lieux de travail tous les jours pour superviser les activités. De plus, l’employeur a affirmé qu’il n’était pas au courant d’un incident ou d’un affaissement comme celui que décrit l’appelantFootnote 7.

[30] À l’audience, j’ai interrogé l’appelant sur son assiduité. Il a affirmé qu’il était toujours présent, sauf le lundi où il devait accompagner sa mère à des rendez-vous médicaux. Il a expliqué qu’il appelait ou envoyait un message texte à l’avance pour annoncer son retard ou de son absence. Il a ajouté que, comme il n’a ni frère ni sœur, il était entièrement responsable des soins de sa mère.

[31] Il a aussi expliqué que lorsque sa mère a fait une crise cardiaque, il était à l’hôpital et a envoyé un message texte à son patron à 3 h du matin pour lui dire qu’il serait absent du travail. Il avait peur d’oublier de le faire étant donné tout ce qui se passait. Son patron lui a dit de ne plus jamais lui envoyer de message texte en pleine nuit.

[32] Enfin, l’appelant a témoigné que tous ses anciens collègues de travail ont maintenant quitté le lieu de travail de l’ancien employeur; l’endroit était comme une porte tournante. Il a répété que son ancien employeur ne semblait pas se soucier de la sécurité des employés et il aime se sentir en sécurité. Il a aussi souligné qu’il incombe à l’employeur d’assurer la sécurité des employés et qu’il n’a jamais eu l’impression d’être pris au sérieux.

[33] Je préfère la preuve de l’appelant à celle que l’employeur a présentée à la Commission. L’appelant a témoigné de façon claire et crédible, et avec calme. Il n’a jamais modifié ses explications par rapport à ce qu’il avait écrit dans son avis d’appel ou ce qu’il avait raconté à la Commission. Il était évident que la question de la sécurité sur le chantier l’affectait grandement et que la situation a atteint un sommet le jour de l’affaissement, au moment où il a senti qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner.

[34] Je trouve également important le fait que l’appelant admet avoir quitté son emploi sans même avoir un autre emploi en vue. Il est évident que cela a été fait en réaction à ce qu’il considérait comme une situation pouvant mettre sa vie en danger. Je conclus que si une personne croit que sa vie est en danger, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle reste dans cette situation pendant qu’elle cherche un autre emploi.

[35] Je trouve douteux le fait que l’employeur ne soit pas au courant d’un affaissement sur le chantier, même s’il ne s’agissait pas d’un incident grave, surtout si des employés du ministère du Travail étaient sur place tous les jours comme il l’a prétendu.

[36] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis convaincue que l’appelant a prouvé que les conditions sur le chantier étaient dangereuses pour la santé et la sécurité des employés, comme le prévoit le sous-alinéa 29c)(iv) de la Loi.

[37] Toutefois, je conclus également qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve qui me permettraient de conclure que les pratiques générales de l’employeur étaient contraires à la loi. Par exemple, il n’y a aucun élément de preuve directe quant aux exigences relatives à l’équipement de sécurité sur le chantier visant une entreprise de la taille de celle de l’employeur, ni quant aux raisons pour lesquelles les employés du ministère du Travail pourraient déterminer que leur présence quotidienne sur un chantier était une exigence, ni quant à un échéancier pour la formation sur la sécurité pour ce travail ou au besoin d’établir un comité de santé et de sécurité.

[38] Je conclus donc que le sous-alinéa 29c)(xi) ne s’applique pas.

[39] Les circonstances qui existaient lorsque l’appelant a quitté son emploi étaient qu’un affaissement s’était produit sur le chantier où l’appelant travaillait. L’appelant a témoigné qu’il avait été enseveli sous quatre pieds de sable et qu’il était convaincu que sa vie était en danger. Ce fut l’événement déclencheur pour l’appelant qui a témoigné qu’il avait indiqué à plusieurs reprises à l’employeur qu’il y avait de graves problèmes de sécurité sur les chantiers, sans résultat. L’appelant a affirmé en toute honnêteté qu’il n’avait pas cherché un autre emploi avant de quitter son emploi. Lorsqu’il a démissionné, il réagissait à l’affaissement survenu la veille.

[40] À l’audience, l’appelant a affirmé qu’il avait trouvé un nouvel emploi et qu’il travaillait depuis le 28 février 2022. La nouvelle entreprise est plus grande et soucieuse de la sécurité. L’appelant a été envoyé suivre un cours sur la sécurité et m’a montré une carte attestant son accréditation.

L’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable

[41] Je dois maintenant décider si l’appelant n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[42] L’appelant affirme qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable parce qu’il croyait sincèrement que sa vie était en danger lorsqu’il a été enseveli sous quatre pieds de sable et de terre dans la tranchée que son entreprise creusait. Il a démissionné le lendemain en réaction à cet événement.

[43] L’appelant croyait à ce moment-là que, puisqu’il avait déjà informé l’employeur à maintes reprises des problèmes de sécurité et que ses avertissements n’étaient pas pris en compte, et qu’il n’a pas aimé se retrouver dans l’affaissement, son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.

[44] La Commission n’est pas d’accord et affirme que l’appelant aurait pu prendre l’une des mesures suivantes :

  • parler de ses préoccupations avec l’employeur;
  • porter plainte auprès de l’organisme provincial de réglementation de la santé et de la sécurité;
  • chercher un autre emploi avant de quitter son emploi.

[45] Comme je l’ai expliqué précédemment, je conclus que l’appelant a soulevé ses préoccupations auprès de l’employeur sans résultat. Il ne s’agit pas d’une solution raisonnable de simplement recommencer, surtout après l’incident important survenu sur le chantier qui prouve qu’il y avait des problèmes de sécurité.

[46] L’appelant a déclaré à l’audience qu’il ne tenait pas de registre des problèmes de sécurité qui le préoccupaient. Il est plus à l’aise d’envoyer des messages texte ou de téléphoner. Il ne croyait pas qu’il serait utile de téléphoner à la Commission des relations de travail, car l’entreprise pour laquelle il travaillait existait depuis les années 1970 et que rien n’avait jamais été fait.

[47] Je conclus qu’il ne s’agissait pas d’une solution raisonnable au moment où l’appelant a quitté son emploi. L’affaissement avait déjà eu lieu et la Commission des relations de travail ne pouvait rien faire pour atténuer l’anxiété de l’appelant au moment où il a démissionné.

[48] Enfin, la solution de rechange consistant à chercher un autre emploi avant de démissionner n’était pas raisonnable à ce moment-là. L’appelant a démissionné en réaction à un incident; cet incident s’est produit à un certain moment et était imprévu; l’appelant n’aurait pu en aucun cas prévoir de réagir comme il l’a fait et tenter de trouver un autre emploi au préalable.

[49] Compte tenu des circonstances en présence lorsque l’appelant a quitté son emploi, celui-ci n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a fait, pour les raisons susmentionnées.

[50] Cela signifie que l’appelant était fondé à quitter son emploi.

Conclusion

[51] Je conclus que l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations.

[52] L’appel est donc accueilli.

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