Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

La prestataire a reçu des prestations régulières de l’assurance-emploi (AE) de mai à septembre 2020 à l’égard de sa demande de septembre 2019. En 2021, la Commission a décidé de réexaminer sa demande de prestations. La Commission a ensuite réparti (déduit) l’indemnité de départ, qui avait été déclarée en 2019, des prestations versées en 2020, ce qui a entraîné un trop-payé. La prestataire a fait appel de la décision de la Commission devant la division générale (DG). Celle-ci a convenu, avec la Commission, que l’indemnité de départ était une rémunération. La prestataire a fait appel de la décision de la DG à la division d’appel (DA).

À la DA, la Commission a soutenu que la DG n’avait pas le pouvoir de décider si la demande d’avril 2020 était une réactivation ou une demande de prestation d’AEd’urgence, parce que la décision de réexamen n’évoquait pas la question. La Commission a reconnu que la DG avait bien le pouvoir de décider si elle avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire de réexamen. La DA a conclu que la DG avait compétence relativement aux deux questions.

La DG a décidé si les prestations avaient été correctement réparties en examinant les questions secondaires suivantes : l’argent reçu était-il une rémunération et la répartition a-t-elle été calculée correctement? Personne ne conteste le fait que la DG n’a pas abordé la nature de la demande, à savoir s’il s’agissait d’une réactivation de la demande ou d’une demande de prestation d’AE d’urgence. Dans la décision, rien n’indique que la DG savait même que la Commission avait utilisé son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer l’affaire. De plus, la DG a parlé de la préoccupation de la prestataire concernant la décision que la Commission avait rendue, et ce sans jamais mentionner l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La prestataire a soulevé des préoccupations concernant la nature de la demande et la répartition rétroactive d’une indemnité de départ à la Commission et à la DG. La DA a conclu que la DG aurait dû traiter de ces questions et qu’elle a commis des erreurs de compétence en ne le faisant pas.

De plus, la Commission n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle avait choisi de réexaminer les prestations versées à la prestataire en 2020. La décision de réexamen allait carrément à l’encontre de la politique de la Commission, sans fournir d’explication sur les facteurs opposés appuyant une telle décision. La DA a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que la Commission n’avait pas tenu compte de certains facteurs pertinents au moment de rendre sa décision. Elle a conclu que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. La DA a convenu que la politique de la Commission n’est pas contraignante. Celle-ci peut choisir de ne pas suivre sa propre politique dans une affaire précise, à condition d’avoir d’abord tenu compte des facteurs pertinents.

La DA a accueilli l’appel en partie et a rendu la décision que la DG aurait dû rendre. Elle a conclu que la Commission avait correctement réactivé la demande précédente en avril 2020. La division d’appel a également conclu que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire correctement lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations versées de mai à septembre 2020 dans le cadre de la demande précédente. Ainsi, les prestations ne seront pas réexaminées; la décision antérieure de la Commission de verser des prestations sans aucune répartition demeure donc en vigueur.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 933

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : M. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 27 septembre 2021 (GE-21-1568)

Membre du Tribunal : Shirley Netten
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 3 août 2022
Personnes présentes à l’audience :  
Appelante
Représentante de l’intimée 
Date de la décision : Le 23 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-91

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie. La division générale n’a pas décidé de deux questions qu’elle aurait dû trancher. J’ai donc tranché ces questions.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du CanadaNote de bas de page 1 a réactivé à juste titre la période de prestations précédente de la prestataire en avril 2020.

[3] La Commission n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations versées de mai à septembre 2020 en utilisant la période de prestations précédente. Les prestations ne seront pas réexaminées. Par conséquent, la décision antérieure de la Commission de verser des prestations sans aucune répartition demeure en vigueur.

Aperçu

[4] La prestataire, M. S., a reçu des prestations régulières d’assurance-emploi de mai à septembre 2020. Sa période de prestations commençant en septembre 2019 a été utilisée. En 2021, la Commission a décidé de réexaminer la demande de prestationsNote de bas de page 2 de la prestataire. Elle a alors déduit les sommes reçues à titre d’indemnité de cessation d’emploi, qui avaient été déclarées en 2019, du montant des prestations de 2020 (c’est-à-dire qu’elle a fait la répartition de ces sommes). Cela a mené à un trop-payé.

[5] Lors de l’appel, la division générale du Tribunal a convenu avec la Commission que les sommes reçues à titre d’indemnité de cessation d’emploi constituaient une rémunération. La division générale a décidé que la répartition de ces sommes aurait dû commencer une semaine plus tôt que ce que la Commission avait établi.

[6] La division générale n’a pas examiné si la prestataire avait demandé des prestations dans le cadre de sa demande précédente ou la prestation d’assurance-emploi d’urgence. De plus, la division générale n’a pas vérifié si la Commission avait eu raison de réexaminer la demande de prestations antérieure. J’ai jugé qu’il s’agissait d’erreurs de compétence.

[7] J’ai tranché la première de ces deux questions en faveur de la Commission et la seconde en faveur de la prestataire. Ainsi, les prestations versées à la prestataire de mai à septembre 2020 en utilisant sa période de prestations commençant en septembre 2019 ne seront pas réexaminées.

Questions en litige

[8] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle omis de trancher des questions qu’elle aurait dû trancher, plus précisément :
    • si la demande d’avril 2020 était une réactivation d’une période de prestations antérieure ou une nouvelle demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence?
    • si la Commission a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a réexaminé les prestations de 2020 en juin 2021?
  2. b) Si la division générale a commis des erreurs de compétence, comment dois-je les corriger?
  3. c) La Commission a-t-elle réactivé à juste titre la période de prestations précédente?
  4. d) La Commission a-t-elle exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de réexamen? Si la réponse est non, comment devrais-je exercer ce pouvoir discrétionnaire en son nom?

Analyse

La division générale a commis des erreurs de compétence

[9] L’un des moyens d’appel devant la division d’appel est que la division générale a refusé d’exercer sa compétenceNote de bas de page 3. Cela se produit lorsqu’une partie soulève une question dans le cadre d’un appel et que la question relève de la compétence de la division générale, mais que la division générale ne la tranche pas.

La division générale avait le pouvoir de décider de la nature de la demande et de juger si la Commission a réexaminé la demande à juste titre

[10] La division générale a pour mandat d’entendre les appels relatifs aux décisions rendues par la Commission dans le cadre de son processus de réexamen (appel interne)Note de bas de page 4. La portée de la compétence de la division générale découle donc de la portée de la décision de réexamen de la CommissionNote de bas de page 5.

[11] La représentante de la Commission dit que la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la demande d’avril 2020 était une réactivation ou une demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence parce que la décision de réexamen ne mentionnait pas cette question. La représentante de la Commission reconnaît que la division générale avait le pouvoir de décider si la Commission avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire de réexamen. La prestataire n’a pas présenté d’arguments à ce sujet.

[12] J’estime que la division générale avait compétence sur les deux questions.

[13] Le Tribunal adopte une approche générale à l’égard de sa compétence, dans les limites de la loi, pour traiter les appels de manière équitable et efficace. Les décisions de réexamen ne sont pas toujours détaillées, et il est parfois nécessaire d’examiner les demandes et les décisions sous-jacentes pour déterminer la portée de la décision de réexamenNote de bas de page 6. Cette approche est nécessaire dans la présente affaire, car la décision de réexamen ne donne aucun détail et renvoie en fait à la mauvaise décision sous-jacenteNote de bas de page 7.

[14] Voici les faits fondamentaux et incontestés de l’appel :

  • La prestataire a été mise à pied en septembre 2019. Elle a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi, et une période de prestations a été établie à son profit. La date de début de sa période de prestations est le 29 septembre 2019.
  • La Commission a réparti les indemnités de cessation d’emploi sur la période de prestations de la prestataire, de septembre à novembre 2019 (décision de 2019). La prestataire n’a pas contesté la décision de 2019.
  • En novembre 2019, la prestataire a trouvé un autre emploi. Elle n’a donc pas reçu de prestations d’assurance-emploi à ce moment-là.
  • L’employeur a émis un relevé d’emploi modifié en décembre 2019. Le relevé faisait état des indemnités de cessation d’emploi supplémentaires versées à la prestataire.
  • La prestataire a été mise à pied de son nouvel emploi en avril 2020 et a rempli une demande de prestations. La Commission a réactivé la période de prestations précédente et lui a versé des prestations régulières d’assurance-emploi de mai à septembre 2020 en utilisant cette période de prestations.
  • En juin 2021, la Commission s’est rendu compte qu’elle n’avait pas réparti les indemnités de cessation d’emploi supplémentaires déclarées en décembre 2019. La Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer les prestations de 2020 de sa propre initiative, sans communiquer cette décision à la prestataire. La Commission a déduit les indemnités de cessation d’emploi supplémentaires du montant des prestations de 2020, ce qui a entraîné un trop-payé.
  • Comme la prestataire avait seulement reçu l’avis de dette, elle a demandé une révision de la décision. Entre autres choses, elle a mentionné qu’elle avait demandé de recevoir la prestation d’assurance-emploi d’urgenceNote de bas de page 8, et non des prestations régulières d’assurance-emploi. Elle a aussi mentionné qu’elle avait communiqué très rapidement avec la Commission pour parler des indemnités de cessation d’emploi qu’elle avait reçues et qu’aucune préoccupation n’avait été soulevée.
  • En août 2021, la Commission a maintenu sa décision sur la question des « indemnités de cessation d’emploi » et a seulement fait référence à la décision non contestée de 2019.

[15] Lorsqu’elle a contesté le trop-payé, la prestataire a aussi remis en cause les décisions de la Commission de réactiver sa période de prestations précédente et de répartir les sommes reçues à titre d’indemnité de cessation d’emploi après le versement de ses prestations.

[16] Je suis d’accord avec la représentante de la Commission pour dire que la décision de révision d’août 2021 ne mentionne pas la réactivation de la période de prestations. Toutefois, pour que la décision relative à la répartition soit maintenue, il fallait nécessairement que la décision relative à la réactivation de la période de prestations soit également maintenue. En effet, seule la réactivation de la période de prestations pouvait mener à une répartition des sommes puisque les sommes reçues à titre d’indemnité de cessation d’emploi n’ont pas besoin d’être déduites dans le cadre d’une demande de prestation d’assurance-emploi d’urgenceNote de bas de page 9.

[17] De plus, bien qu’il n’y ait pas eu de décision initiale écrite décrivant la répartition en juin 2021Note de bas de page 10, la représentante de la Commission reconnaît qu’il s’agissait d’un réexamen de sa propre initiative au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 11. Donc, la décision d’août 2021 était une révision obligatoire (faite à la demande de la prestataire) de la décision découlant d’un réexamen discrétionnaire (que la Commission a fait de sa propre initiative).

[18] Par conséquent, je suis convaincue que la portée de la décision de révision d’août 2021 (et donc la compétence de la division générale) s’étendait aux questions suivantes :

  • La demande d’avril 2020 était-elle une réactivation de la période de prestations de 2019 ou une nouvelle demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence?
  • La Commission a-t-elle correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a réexaminé les prestations de 2020 de sa propre initiative en juin 2021Note de bas de page 12?
  • La répartition des prestations a-t-elle été effectuée correctement?

La division générale n’a pas décidé de la nature de la demande ni jugé si la Commission a réexaminé la demande à juste titre

[19] La division générale a décidé si la répartition des prestations a été effectuée correctement en examinant les questions secondaires suivantes : les sommes reçues constituaient-elles une rémunération et la répartition a-t-elle été calculée correctement?

[20] Il ne fait aucun doute que la division générale n’a pas traité de la nature de la demande (réactivation d’une période de prestations ou demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence).

[21] La division générale n’a rien dit au sujet de l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer la demande de prestations de 2020. La représentante de la Commission soutient que la division générale a implicitement examiné cette question et que l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’a soulevé aucune préoccupation. Je ne trouve rien dans la décision de la division générale pour appuyer cet argument.

[22] Rien dans la décision ne porte à croire que la division générale était même au courant que la Commission avait utilisé son pouvoir discrétionnaire de réexamen dans cette affaireNote de bas de page 13. De plus, la division générale a parlé de l’inquiétude de la prestataire concernant la possibilité que la Commission modifie sa décision, sans jamais mentionner l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cela me dit que le membre ne s’est pas penché sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission ou sur la question de savoir si ce pouvoir avait été exercé correctement.

[23] La prestataire a soulevé des préoccupations à la Commission et à la division générale au sujet de la nature de la demande (réactivation d’une période de prestations ou demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence) et de la répartition rétroactive des indemnités de cessation d’emploi. La division générale aurait dû traiter de ces questionsNote de bas de page 14. J’estime que la division générale a commis des erreurs de compétence en n’abordant pas ces deux questions.

Comment corriger les erreurs : je peux trancher les questions que la division générale n’a pas tranchées

[24] Puisque j’ai relevé des erreurs de compétence, je peux soit renvoyer l’une des questions ou les deux à la division générale, soit trancher moi-même l’une des questions ou les deuxNote de bas de page 15. La division d’appel rend habituellement ses propres décisions, pourvu que les parties aient déjà eu une occasion pleine et équitable de présenter leur preuve.

[25] La représentante de la Commission m’a suggéré de renvoyer la question concernant la nature de la demande à la division générale. Cela est principalement dû au fait que la Commission a omis de remettre à la division générale une copie de la demande de prestations d’avril 2020 de la prestataire.

[26] J’ai décidé que ce genre de preuve supplémentaire n’était pas nécessaire. Peu importe les avertissements ou les instructions qui ont pu être donnés à la prestataire dans la demande, la Commission était tenue de verser des prestations en utilisant la période de prestations précédente. Je m’explique ci-dessous.

[27] Les parties acceptent que je tranche la question portant sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Bien que la division générale n’ait pas abordé la question, il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve à prendre en considération, et les parties ont maintenant présenté leurs arguments.

La période de prestations précédente devait être réactivée

[28] La prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi et y était admissible. Une période de prestations commençant en septembre 2019 a donc été établie à son profit. La période de prestations était de 52 semainesNote de bas de page 16. La période de prestations de la prestataire n’avait pas encore pris fin lorsqu’elle a demandé des prestations en avril 2020.

[29] Le terme « réactivation » est trompeur, puisqu’il sous-entend une étape qui n’existe pas dans la loi. Au cours d’une période de prestations, des prestations régulières d’assurance-emploi sont payables pour chaque semaine de chômage (à concurrence d’un maximum fondé sur le taux régional de chômage), à condition que la partie prestataire présente une demande pour la semaine en question et qu’elle ne soit pas exclue ou inadmissibleNote de bas de page 17. Il importe peu qu’il y ait eu un arrêt de prestations de plusieurs semaines ou de plusieurs mois.

[30] La prestataire n’a pas tenté d’annuler ou de mettre fin à la période de prestations précédenteNote de bas de page 18. Elle n’a pas expressément demandé à la Commission d’établir plutôt une période de prestations dans le cadre d’une demande de prestation d’assurance-emploi d’urgence. De plus, les dispositions relatives à la prestation d’assurance-emploi d’urgence ne mettaient pas automatiquement fin aux périodes de prestations qui avaient commencé avant le 15 mars 2020 et ne les affectaient pas non plusNote de bas de page 19.

[31] La prestataire a demandé des prestations de mai à septembre 2020, alors que sa période de prestations n’avait pas encore pris fin. Elle n’a fait l’objet d’aucune exclusion ou inadmissibilité. Je conclus que la Commission a été tenue de verser les prestations à la prestataire en utilisant la période de prestations commençant en septembre 2019. De plus, pendant qu’elle recevait des prestations régulières d’assurance-emploi, elle n’était pas admissible à la prestation d’assurance-emploi d’urgenceNote de bas de page 20.

La Commission n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations versées de mai à septembre 2020

[32] La Commission a versé des prestations régulières d’assurance-emploi à la prestataire en 2020, puis a décidé par la suite de réexaminer ces prestations.

[33] Selon l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission « peut […] examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations » dans certains délaisNote de bas de page 21. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire : la Commission peut choisir de réexaminer ou non la demande. Je suis d’accord avec la description faite par la représentante de la Commission des quatre étapes que celle-ci doit compléter dans le délai prescrit :

  • décider d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de réexamen;
  • rendre une nouvelle décision;
  • calculer le montant à recouvrer ou à payer;
  • aviser la partie prestataireNote de bas de page 22.

[34] Dans le présent appel, l’accent est mis sur la première étape : la Commission a-t-elle décidé à juste titre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réexamen?

[35] La représentante de la Commission reconnaît que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé « de façon judiciaire ». Cela signifie qu’une décision prise de mauvaise foi, dans un but irrégulier, de manière discriminatoire, en tenant compte de facteurs non pertinents ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinents doit être annuléeNote de bas de page 23. Seule la question de savoir si la Commission a tenu compte des facteurs pertinents se pose dans la présente affaire.

Les facteurs énoncés dans la politique de la Commission sont des facteurs pertinents

[36] Quels sont les facteurs pertinents pour une décision discrétionnaire?

[37] Parfois, les facteurs pertinents se trouvent dans la loi. Par exemple, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai pendant lequel une partie prestataire peut demander une révisionNote de bas de page 24. La loi dit à la Commission de tenir compte de certains facteurs dans certains casNote de bas de page 25.

[38] Parfois, la loi impose des contraintes, mais ne donne aucune directive sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le cadre de ces contraintes. Par exemple, la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’imposer une pénalité en cas de fausse déclaration. Cette pénalité est soumise à des montants maximums ainsi qu’à une limite de tempsNote de bas de page 26. La politique de la Commission exige que l’on tienne compte de la valeur associée à la fausse déclaration, de toute fausse déclaration répétée et de toute circonstance atténuanteNote de bas de page 27. Dans de telles affaires, le Tribunal a tenu compte de la politique de la Commission pour décider si le pouvoir discrétionnaire a été exercé correctementNote de bas de page 28.

[39] La situation est semblable dans la présente affaire. La loi ne dit pas à la Commission quand elle devrait ou ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de réexamen pour réexaminer une demande de prestations dans les délais prescrits. La Commission a donc élaboré une politique interne pour guider ses agentes et ses agents.

[40] Les parties ont présenté des arguments au sujet de cette politique, et j’ai pris officiellement connaissance de son contenuNote de bas de page 29. La politique de la Commission exige que l’on se demande :

  • s’il y a un moins-payé de prestations;
  • si des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l’assurance-emploi (autrement dit, les éléments de base d’une demande n’ont pas été respectés : arrêt de rémunération, nombre d’heures d’emploi assurable requis, exigences en matière de prestations spéciales, etc.);
  • si des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • si la partie prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droitNote de bas de page 30.

[41] La division générale du Tribunal a déjà décidé que les facteurs énoncés dans la politique sont pertinents à la décision discrétionnaireNote de bas de page 31. À ma connaissance, la division d’appel n’a pas examiné cette question. Je conviens que la politique énonce les facteurs pertinents à prendre en considération à la première étape de la décision d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire de réexamen.

[42] Une décision de la Cour suprême du Canada appuie cette approcheNote de bas de page 32. Dans le contexte de l’immigration, la Cour a considéré que les facteurs énoncés dans les lignes directrices administratives pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire étaient pertinents à cette décision discrétionnaireNote de bas de page 33.

[43] Seuls les trois derniers facteurs de la politique ont trait à un éventuel trop-payé, et c’est donc sur ces trois facteurs que je vais me concentrer à partir de maintenant.

[44] La position de la représentante de la Commission quant à savoir s’il s’agit de facteurs pertinents était difficile à suivre. Elle a déclaré que les facteurs énoncés dans la politique n’étaient pas sans intérêt [traduction] « dans leur ensemble » ou de manière [traduction] « globale », mais qu’ils étaient pourtant sans intérêt dans la présente affaire. Au bout du compte, elle a adopté la position selon laquelle ces facteurs n’étaient pas des facteurs pertinents qui devaient être pris en compte pour que le pouvoir discrétionnaire de réexamen soit correctement exercé. Elle a adopté cette position malgré le fait que sa cliente, la Commission, a établi et publié ces facteurs pour guider ses agentes et ses agents dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 34.

[45] La représentante de la Commission a laissé entendre que le seul facteur pertinent est de savoir si les prestations ont été versées à tort (c’est-à-dire qu’en l’occurrence, le Règlement sur l’assurance-emploi exigeait une répartition de la rémunération). Cependant, le Parlement n’a pas ordonné à la Commission de réexaminer toutes les demandes pour lesquelles des prestations ont pu être versées en trop. La Commission a plutôt reçu le pouvoir de choisir de réexaminer ou non une demande après que des prestations ont été versées.

[46] Ce choix reflète la tension entre le caractère définitif (les prestataires devraient pouvoir se fier aux décisions prises au sujet de leurs prestations) et l’exactitude (les erreurs et les fausses déclarations devraient être corrigées). À mon avis, les facteurs qui pourraient favoriser le caractère définitif ou l’exactitude, en aidant à résoudre cette tension dans une cause en particulier, sont pertinents pour la décision discrétionnaireNote de bas de page 35.

[47] La Commission a publiquement adopté une approche selon laquelle elle corrige rétroactivement certains trop-payés.

[48] En élaborant cette approche, la Commission a décidé que la nature de l’erreur était importante : l’erreur a-t-elle entraîné le versement de prestations allant à l’encontre de la structure de base de la Loi sur l’assurance-emploi? Cela peut provenir des directives fournies dans une décision du juge-arbitreNote de bas de page 36, selon lesquelles la Commission doit revenir en arrière pour corriger une erreur lorsqu’une personne ne remplit pas les conditions de base pour recevoir des prestations, mais ne peut pas réexaminer d’autres décisions sans faits nouveauxNote de bas de page 37.

[49] La Commission a également décidé que le comportement et les connaissances de la partie prestataire sont importants : y a-t-il eu de fausses déclarations? La partie prestataire aurait-elle dû savoir qu’elle recevait des prestations en trop? Dans de telles situations, l’argument selon lequel une partie prestataire devrait pouvoir s’appuyer sur la décision est moins convaincant.

[50] Chacun de ces facteurs est pertinent pour ce qui est de la tension entre le caractère définitif et l’exactitude, et est donc pertinent pour la décision de la Commission de réexaminer ou non une demande de prestations.

La Commission n’a pas tenu compte de facteurs pertinents lorsqu’elle a décidé de réexaminer la demande de prestations

[51] Dans la présente affaire, la Commission n’a pas consigné les raisons pour lesquelles elle a choisi de réexaminer les prestations de 2020 de la prestataire. Quand la Commission n’explique pas comment elle a procédé, il est difficile de savoir quels facteurs, le cas échéant, elle a pris en considération. Dans cette affaire, la décision de faire un réexamen allait clairement à l’encontre de la politique de la Commission, et aucune explication n’a été fournie quant aux facteurs concurrents appuyant cette décision. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que la Commission n’ait pas tenu compte de certains facteurs pertinents (la nature de l’erreur ou le comportement et les connaissances de la prestataire) dans sa décision. La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

Les facteurs pertinents ne sont pas contraignants

[52] La représentante de la Commission a semblé réticente à accepter les facteurs de la politique comme étant pertinents, car elle craignait de faire obstacle au pouvoir discrétionnaire de la Commission. Cette préoccupation n’est pas fondée.

[53] Je suis tout à fait d’accord avec la position de la Commission selon laquelle les politiques administratives [traduction] « ne peuvent pas limiter le pouvoir discrétionnaire d’un décideur administratif conféré par la loi » et ne devraient pas être élevées au niveau du pouvoir législatifNote de bas de page 38. La politique de la Commission n’est pas contraignante.

[54] Le fait de dire que certains facteurs énoncés dans la politique sont des facteurs pertinents qui doivent être pris en compte dans l’exercice judiciaire du pouvoir discrétionnaire ne signifie pas que le décideur est lié par cette politique. Cela veut simplement dire qu’il faut tenir compte des facteurs. La Commission peut choisir de ne pas suivre sa politique dans un cas particulier (et aurait pu le faire dans ce cas-ci) tant qu’elle a d’abord examiné les facteurs pertinents.

Les prestations de mai à septembre 2020 ne seront pas réexaminées

[55] Puisque j’ai conclu que la Commission n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire, je vais maintenant décider si ce pouvoir doit être exercé dans cette affaire. En effet, je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et la division générale peut rendre la décision discrétionnaire que la Commission aurait dû rendreNote de bas de page 39.

[56] Je suis d’accord avec la représentante de la Commission qu’il est pertinent de mentionner que les sommes reçues par la prestataire à titre d’indemnité de cessation d’emploi auraient été déduites de ses prestations pour 2020 si la Commission avait correctement traité ses demandes. Autrement dit, si la Commission n’avait pas commis d’erreur, la prestataire n’aurait pas reçu de prestations régulières d’assurance-emploi de mai à septembre 2020.

[57] Il est également pertinent de noter que cette erreur n’a pas entraîné le versement de prestations de manière contraire à la structure de base de la Loi sur l’assurance-emploi. La Commission a défini cette notion, et la définition ne fait pas mention de la répartition de la rémunérationNote de bas de page 40.

[58] Il est également pertinent de souligner que les sommes reçues à titre d’indemnité de cessation d’emploi ont été déclarées avec exactitude à la Commission bien avant que les prestations ne soient versées. La prestataire n’était responsable d’aucun retard, encore moins d’une déclaration fausse ou trompeuse.

[59] De plus, le fait que la prestataire ne pouvait pas savoir qu’elle n’était pas admissible aux prestations qu’elle a reçues est pertinent. La preuve selon laquelle la prestataire a parlé avec la Commission et a reçu l’assurance que ses prestations étaient en règle est incontestée.

[60] Il y a un autre facteur que j’estime pertinent dans la présente affaire et que je décrirais comme une forme de confiance préjudiciable. Les prestations de la prestataire ont été versées au cours des premiers mois de la pandémie de COVID-19. Dans le cadre de sa politique, le gouvernement a décidé de ne pas réduire la somme des prestations reçues dans le cadre d’une cessation d’emploi de la somme des prestations de remplacement du revenu. Toute autre partie prestataire qui a perdu son emploi en avril 2020 (et qui n’avait pas de période de prestations en cours) a reçu le taux fixe de prestation d’assurance-emploi d’urgence sans que sa rémunération soit répartie et déduiteNote de bas de page 41. Si la prestataire avait su que la somme reçue à titre d’indemnité de cessation d’emploi aurait une incidence sur ses prestations régulières d’assurance-emploi, elle aurait peut-être réussi à toucher la prestation d’assurance-emploi d’urgence. Mais en juin 2021, il était trop tardNote de bas de page 42.

[61] Finalement, j’ai examiné l’importance de la cohérence et de la prévisibilité. Les tribunaux ont soutenu à plusieurs reprises l’utilisation de lignes directrices administratives internes « pour assurer une certaine cohérence à l’échelle nationale et éviter l’arbitraireNote de bas de page 43 ». Selon la politique de la Commission, il n’y a pas lieu de réexaminer une demande si les prestations n’ont pas été versées contrairement à la structure de la loi, s’il n’y a pas eu de déclaration fausse ou trompeuse ou si la partie prestataire ne pouvait pas savoir qu’elle n’était pas admissible. Selon cette politique, la demande de prestations de 2020 de la prestataire ne serait pas réexaminée. Lorsque des erreurs sont commises, la Commission devrait idéalement traiter toutes les situations semblables de la même manière. Je ne vois aucune raison de déroger à la politique habituelle dans cette affaire.

[62] Après avoir examiné les facteurs pertinents et l’importance de la cohérence, j’ai décidé que la demande de prestations de la prestataire ne devrait pas être réexaminée. Donc, la décision initiale de la Commission de verser des prestations de mai à septembre 2020 sans aucune répartition demeure en vigueurNote de bas de page 44. Par conséquent, aucun trop-payé n’est créé.

Conclusion

[63] L’appel est accueilli en partie. La division générale a commis des erreurs de compétence.

[64] La Commission a réactivé à juste titre la période de prestations précédente en avril 2020.

[65] La Commission n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations versées de mai à septembre 2020 en utilisant la période de prestations précédente. Les prestations ne seront pas réexaminées, de sorte que la décision antérieure de verser des prestations sans aucune répartition demeure en vigueur.

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