Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c NR, 2022 TSS 1058

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Angèle Fricker
Partie intimée : N. R.

Décision portée en appel :

Décision de la division générale datée du 13 mai 2022

(GE-22-993)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 octobre 2022
Personnes présentes à l’audience :

Représentante de l’appelante
Intimée

Date de la décision : Le 18 octobre 2022
Numéro de dossier : AD-22-346

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur. L’intimée, N. R. (la prestataire), a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées de l’assurance-emploi. Son choix est irrévocable.

Aperçu

[2] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, fait appel de la décision de la division générale.

[3] La division générale a conclu que la prestataire avait fait une erreur en remplissant sa demande de prestations parentales de l’assurance-emploi. La division générale a conclu que la prestataire voulait choisir (et qu’elle a effectivement choisi) l’option standard, bien qu’elle ait initialement choisi l’option prolongée dans le formulaire de demande.

[4] La Commission soutient que la division générale a commis des erreurs de compétence, de droit et de fait. La Commission demande à la division d’appel d’accueillir l’appel et de rendre la décision que, selon elle, la division générale aurait dû rendre. Selon la Commission, la division générale aurait dû conclure que la prestataire avait choisi de recevoir les prestations parentales prolongées et que son choix était irrévocable.

Questions en litige

[5] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit et de compétence en modifiant le choix de la prestataire une fois que des prestations lui avaient été versées?
  2. b) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence en décidant quelle option la prestataire avait choisie?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en omettant d’examiner une partie de la preuve?
  4. d) La division générale a-t-elle fait fi des obligations de la prestataire?

Analyse

[6] La division d’appel peut modifier les décisions de la division générale si elles contiennent des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 1.

Contexte

[7] La prestataire a présenté une demande de prestations de maternité et de prestations parentales de l’assurance-emploi en septembre 2021Note de bas de page 2. Lorsqu’elle a rempli le formulaire de demande, elle a répondu qu’elle voulait des prestations de maternité, suivies de prestations parentales.

[8] Il y a deux types de prestations parentales :

  • Prestations parentales standards – le taux de prestation est de 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable de la partie prestataire, jusqu’à concurrence d’un montant maximal. Jusqu’à 35 semaines de prestations peuvent être versées à un parent. Si des parents partagent les prestations parentales, ils peuvent recevoir jusqu’à un total combiné de 40 semaines.
  • Prestations parentales prolongées – le taux de prestation est de 33 % de la rémunération hebdomadaire assurable de la partie prestataire, jusqu’à concurrence d’un montant maximal. Jusqu’à 61 semaines de prestations peuvent être versées à un parent. Si des parents partagent les prestations parentales, ils peuvent recevoir jusqu’à un total combiné de 69 semaines.

[9] Le formulaire de demande montre que la prestataire a choisi les prestations parentales prolongées plutôt que les prestations parentales standards.

[10] Les parties prestataires doivent aussi choisir pendant combien de semaines elles souhaitent recevoir des prestations parentales. Le formulaire de demande poste la question suivante : « Combien de semaines de prestations désirez-vous recevoir? » La prestataire a choisi 61 semaines.

[11] Lors de l’audience devant moi, la Commission a dit qu’il y a un menu déroulant pour chaque option. Elle a affirmé que lorsqu’une partie prestataire choisit l’option standard, le menu déroulant offre le choix entre 1 à 35 semaines, et pour l’option prolongée, le menu offre le choix entre 1 à 61 semaines. La Commission a également expliqué que pour les deux options, le nombre de semaines choisi par défaut est une semaine, de sorte qu’une partie prestataire qui souhaite recevoir plus d’une semaine de prestations doit faire défiler le menu déroulant. La prestataire soutient qu’il n’y avait pas de menu déroulant dans son cas.

[12] La prestataire a reçu des prestations de maternité. Une fois ces prestations épuisées, elle a commencé à recevoir des prestations parentales prolongées. Elle a remarqué que les prestations parentales étaient considérablement moins élevées que ce à quoi elle s’attendait. Elle a immédiatement communiqué avec la Commission pour demander une correction, car elle prétend avoir choisi l’option standard. La Commission a dit qu’elle ne pouvait pas modifier son choix puisqu’elle lui avait déjà versé des prestations parentales.

[13] La prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale. La division générale a examiné la preuve. La division générale a conclu que la prestataire avait toujours eu l’intention de retourner au travail après un an. Elle a déclaré qu’elle s’était rendu compte qu’elle voulait des prestations parentales standards, et qu’elle était donc retournée dans le formulaire de demande pour modifier son choix et sélectionner l’option standardNote de bas de page 3. La division générale a écrit que la prestataire a déclaré que, lorsqu’elle a changé d’option, elle n’a pas vu de changement dans le nombre de semaines de prestationsNote de bas de page 4.

[14] La prestataire croyait qu’elle avait réussi à changer d’option. La division générale a conclu que cette croyance avait été renforcée par la lettre de son employeur, qui disait qu’elle avait demandé un « congé standard » en septembre 2021, plutôt qu’un « congé prolongé », et qu’elle devait retourner au travail en septembre 2022Note de bas de page 5.

[15] La division générale a rejeté les arguments de la Commission selon lesquels la prestataire aurait dû savoir qu’elle obtiendrait un taux réduit. Son compte Mon dossier Service Canada (MDSC) énumère les taux de prestations auxquels elle pouvait s’attendre pour les prestations de maternité et les prestations parentales. Si elle avait consulté son compte MDSC, elle aurait constaté que le taux des prestations parentales prolongées était inférieur au taux des prestations de maternitéNote de bas de page 6. La prestataire a reconnu que si elle avait consulté son compte MDSC, elle aurait vu le montant réduit des prestations parentales.

[16] Toutefois, la prestataire a conclu qu’elle n’avait aucune raison de vérifier son compte, car elle pensait avoir choisi l’option standardNote de bas de page 7. La division générale a accepté ces éléments de preuve et a conclu qu’il était raisonnable que la prestataire n’ait pas vérifié son compte MDSC.

[17] La division générale a conclu que la prestataire voulait en fait choisir l’option standard. Elle a également conclu que l’option standard correspondait à l’intention de la prestataire de s’absenter du travail pendant un an.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit et de compétence en modifiant le choix de la prestataire une fois que des prestations lui avaient été versées?

[18] La Commission soutient que la division générale a commis une erreur de droit et de compétence en modifiant le choix de la prestataire une fois que des prestations lui avaient été versées.

[19] La Commission soutient que la division générale n’avait pas le pouvoir de modifier le choix de la prestataire. La Commission affirme qu’il ressort clairement de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi et d’une affaire appelée HullNote de bas de page 8 qu’une fois que des prestations parentales sont versées, le choix ne peut plus être modifié.

[20] L’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi se lit comme suit :

(1.2) Irrévocabilité du choix – Le choix est irrévocable dès lors que des prestations sont versées au titre du présent article ou de l’article 152.05 relativement au même enfant ou aux mêmes enfants.

[21] La division générale a reconnu qu’une fois que la Commission commence à verser des prestations parentales, une partie prestataire ne peut plus modifier son choix entre l’option standard et l’option prolongéeNote de bas de page 9.

[22] Cependant, la division générale a établi qu’elle pouvait effectivement contourner l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. La division générale a conclu qu’elle pouvait le faire en examinant toutes les circonstances factuelles de la prestataire (au-delà de ce qu’elle avait choisi dans le formulaire de demande) pour décider ce qu’elle avait choisi.

[23] Ainsi, dans le cas de la prestataire, la division générale a conclu que la façon dont elle a répondu n’avait pas nécessairement d’importance lorsqu’on lui a demandé de faire un choix entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées.

[24] La division générale a accepté que les intentions de la prestataire représentaient le type de prestations parentales qu’elle a effectivement choisi. La division générale a conclu que la prestataire avait prouvé qu’elle voulait choisir les prestations parentales standards lorsqu’elle a présenté sa demandeNote de bas de page 10. En se fondant sur ce que la prestataire voulait choisir, la division générale a conclu que la prestataire avait choisi les prestations parentales standards.

[25] La Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche dans l’affaire Hull. Elle a déclaré qu’il y a seulement une définition d’un choix, aux fins du choix d’un type de prestations parentales. La Cour d’appel a écrit ce qui suit :

[traduction]
[62] […] À mon avis, le libellé précis du texte, le contexte qui l’entoure et les objectifs de l’article 23(1.1) de la Loi [sur l’assurance-emploi] laissent place à une interprétation unique (Vavilov, aux paragraphes 110 et 124).

[63] La réponse à la question de droit pour l’application de l’article 23(1.1) de la Loi [sur l’assurance-emploi] est que le mot « choisir » signifie ce qu’une partie prestataire indique comme choix dans le formulaire de demande. Le choix est le type de prestations parentales choisi dans le formulaire.

[64] Il s’ensuit, conformément à l’article 23(1.2) de la Loi [sur l’assurance-emploi], qu’une fois qu’une partie prestataire a choisi dans le formulaire de demande le type de prestations parentales et le nombre de semaines qu’elle souhaite demander, et une fois que le versement de ces prestations a commencé, il est impossible pour la partie prestataire, la Commission, la division générale ou la division d’appel de révoquer, de modifier ou de changer ce choixNote de bas de page 11.

(Mis en évidence par la soussignée.)

[26] La Cour fédérale a récemment confirmé cette position dans l’affaire VariolaNote de bas de page 12. La Cour a déclaré que l’affaire Hull dissipe tout doute quant à savoir si la Commission et le Tribunal devraient tenir compte du contexte dans lequel une partie prestataire a fait un choix pour établir si le choix était invalide, ou si la Commission et le Tribunal peuvent remplacer un choix invalide par un autre choix valide.

[27] Bref, le choix de la prestataire est ce qu’elle a choisi dans le formulaire de demande, peu importe ce qu’elle voulait choisir.

[28] La prestataire affirme qu’elle a compris qu’elle voulait l’option standard parce que le taux de prestation était de 55 %. Elle ajoute qu’après avoir initialement choisi l’option prolongée, elle est retournée pour choisir l’option standardNote de bas de page 13. Il n’y a pas de preuve quant au moment où cela aurait eu lieu, que ce soit avant ou après que la prestataire ait déjà présenté et déposé sa demande. Rien n’indique non plus que la prestataire a fait passer le nombre de semaines de prestations de 61 à un autre nombreNote de bas de page 14. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas vu de changement dans le nombre de semainesNote de bas de page 15.

[29] La prestataire affirme avoir vérifié son compte MDSC en décembre 2021 et a confirmé que la date de fin de sa demande était septembre 2022Note de bas de page 16. Elle a donc supposé qu’elle avait choisi les prestations parentales standards parce que, si elle avait choisi les prestations parentales prolongées, elle se serait attendue à ce que la demande se termine bien après septembre 2022.

[30] Toutefois, la MDSC n’aide pas la cause de la prestataire parce qu’elle indique également le taux de prestations auquel elle pourrait s’attendre pour les prestations parentales prolongées. Le montant de 357 $ pour les prestations parentales prolongées était nettement inférieur au montant de 595 $ que la prestataire recevait pour les prestations de maternitéNote de bas de page 17.

[31] La division générale a reconnu que la prestataire croyait vraiment avoir changé son choix dans le formulaire de demande. Toutefois, la division générale a conclu qu’elle avait choisi l’option prolongée, comme le montre le formulaire de demandeNote de bas de page 18. Rien ne me permet d’intervenir dans les conclusions de la division générale, car la preuve montre que la prestataire a choisi l’option prolongée.

[32] La division générale a rendu sa décision le même jour où la Cour d’appel a rendu sa décision dans l’affaire Hull. La division générale ne pouvait donc pas connaître Hull. Malgré cela, cela ne change rien à l’interprétation de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. De plus, la Cour fédérale était déjà arrivée à la même conclusion dans l’affaire Karval, à savoir qu’une fois les prestations parentales versées, le choix est irrévocableNote de bas de page 19.

[33] La division générale devait suivre Karval et en venir à la même conclusion, à savoir que le choix de la prestataire n’était pas seulement ce qu’elle avait choisi dans le formulaire de demande, mais qu’il était également irrévocable. Il ne pouvait pas être modifié une fois les prestations parentales versées.

[34] La division générale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Premièrement, elle a mal interprété ce qui constitue un choix aux fins de l’article 23(1.2) et, deuxièmement, elle a commis une erreur en modifiant le choix de la prestataire alors qu’elle n’avait pas le pouvoir de le faire.

Autres erreurs

[35] La Commission soutient également que la division générale a commis d’autres erreurs, y compris des erreurs juridiques et factuelles. Compte tenu de la nature des erreurs juridiques que j’ai relevées, il est inutile d’aborder ces autres arguments.

Réparation

[36] Comment puis-je réparer l’erreur de la division générale? J’ai deux choixNote de bas de page 20. Je peux remplacer la décision de la division générale par ma propre décision ou renvoyer l’affaire à la division générale pour un réexamen. Si je choisis la première option, je peux tirer des conclusions de faitNote de bas de page 21.

[37] La Commission me demande de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre initialement. Il s’agit de la solution appropriée dans la présente affaire. Rien ne porte à croire qu’il y a des lacunes dans les éléments de preuve ou qu’il est nécessaire de les clarifier. Je dispose de l’information nécessaire pour rendre une décision. Rien n’indique que l’une ou l’autre des parties n’ait pas eu droit à une audience équitable à la division générale.

[38] Je suis tenue de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel. Par conséquent, et comme j’ai établi ci-dessus, la division générale a mal interprété ce qui constitue un choix. Le choix de la prestataire était le choix du type de prestations parentales qui figure dans le formulaire de demande.

[39] L’article 23(1.2) de la Loi sur l’assurance-emploi, Hull, Karval et, plus récemment, Variola l’indiquent clairement. À moins d’avoir été induite en erreur, ce qui n’a pas été le cas dans la présente affaire, une fois que la prestataire a choisi le type de prestations parentales et le nombre de semaines qu’elle souhaitait demander, et une fois que le versement de ces prestations a commencé, elle ne pouvait plus révoquer ou modifier son choix.

Conclusion

[40] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur. La prestataire a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées. Son choix est irrévocable.

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