Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1034

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : R. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (466870) datée du 10 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Glenn Betteridge
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 29 septembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1864

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi en janvier 2022. Elle avait commencé à travailler pour l’employeur en janvier 2021, pendant la pandémie de COVID-19. Il s’agissait d’un emploi à distance, et la formation du personnel était entièrement fournie en ligne.

[4] L’employeur affirme qu’il a mis fin à l’emploi de la prestataire parce qu’elle a enfreint des règles. Plus précisément, elle n’a pas respecté les règles de protection de la vie privée et des renseignements confidentiels des clients en accédant à des dossiers sans y être autorisée. J’appellerai ces règles « règles de confidentialité » dans cette décision. Les règles de confidentialité font partie du code de conduite de l’employeur (que j’appellerai « le Code »). La prestataire a signé le Code pendant sa formation. Le Code est accessible au public sur le site Web de l’employeur.

[5] La prestataire confirme qu’il s’agit de la raison de son congédiement.

[6] Cependant, elle affirme aussi qu’elle n’a pas intentionnellement enfreint les règles de confidentialité. Elle ne savait pas qu’elle n’était pas autorisée à accéder aux dossiers des clients dans le cadre de sa formation. Elle ne se souvient pas avoir signé le Code ni avoir reçu une quelconque formation sur les règles de confidentialité. Elle n’a accédé qu’à son propre dossier, à celui de son fils et à celui de son conjoint. Elle connaissait déjà les renseignements qui s’y trouvaient.

[7] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[8] Je dois décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Question en litige

[9] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi?

Analyse

[10] Pour répondre à cette question, je dois décider deux choses :

  • D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi.
  • Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[11] J’estime que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle a accédé à son propre dossier et à ceux des membres de sa famille. Elle a enfreint les règles de confidentialité de l’employeur et, en application du Code, l’employeur l’a congédiée.

[12] Quand l’employeur a découvert que la prestataire avait enfreint les règles de confidentialité, il a amorcé une enquête et il a prolongé la période de probation de la prestataire.

[13] Durant l’enquête, l’employeur a montré à la prestataire une copie d’un document comportant sa signature. Elle a signé ce document pendant sa période de formation. L’employeur a aussi informé la prestataire que le Code était accessible au public sur son site Web.

[14] Une fois l’enquête terminée, l’employeur a congédié la prestataire pour avoir enfreint les règles de confidentialitéNote de bas de page 2.

[15] La prestataire et la Commission s’entendent sur ce fait. Il n’y a aucune preuve du contraire.

[16] Donc, l’état d’esprit de la prestataire constitue la seule question en litige dans cette affaireNote de bas de page 3. Savait-elle ou aurait-elle dû savoir qu’elle serait vraisemblablement congédiée si elle enfreignait les règles de confidentialité? Il s’agit de la décision que je dois ensuite prendre.

La raison du congédiement de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[17] J’estime que la raison du congédiement de la prestataire n’est pas une inconduite selon la loi. La prestataire n’a pas enfreint volontairement ou de manière insouciante les règles de confidentialité de son employeur.

Ce que veut dire « inconduite »

[18] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupableNote de bas de page 6 (c’est-à-dire qu’elle a voulu faire quelque chose de mal).

[19] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur, et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 7.

[20] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 8.

[21] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite, car la prestataire a signé le code de conduite de l’employeur. Par conséquent, elle savait ou aurait dû savoir que, conformément aux règles de confidentialité du Code, elle n’était en aucun cas autorisée à accéder à son propre dossier et à ceux des membres de sa famille. Aussi, elle savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait perdre son emploi si elle le faisait.

[22] La Commission soutient aussi que le fait que la prestataire ait accédé aux dossiers que dans le cadre de sa formation ne change rien. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Le Code et les règles de confidentialité

[23] L’employeur a refusé de fournir à la Commission une copie du Code et du document signé par la prestataire. La Commission a téléchargé le Code sur le site Web de l’employeurNote de bas de page 9. Le Code comprend 25 pages. Environ une page porte sur la section traitant des règles de confidentialité.

[24] Selon le Code, l’employeur peut mettre à pied un employé ou une employée pour avoir enfreint les règles de confidentialité. Le Code s’adresse au personnel en affirmant « Vous ne devez jamaisNote de bas de page 10 : 

  • accéder à des renseignements qui ne font pas partie de votre charge de travail attribuée officiellement;
  • accéder à vos renseignements confidentiels personnels ou ceux des membres de votre famille ou de vos connaissances. »

La prestataire ne savait pas qu’enfreindre les règles de confidentialité ou que sa conduite pouvait mener à son congédiement

[25] Je conclus que la Commission n’a pas prouvé qu’il était plus probable qu’improbable que la prestataire savait que, selon les règles de confidentialité, il lui était interdit d’accéder à son propre dossier et à ceux des membres de sa famille. Elle ne savait pas non plus qu’elle pouvait être congédiée si elle le faisait.

[26] Lors de son témoignage, elle a déclaré qu’elle n’aurait jamais accédé aux dossiers si elle avait été au courant de ces règles. Elle se décrit comme une personne perfectionniste et très performante. Une telle situation ne s’est jamais produite auparavant.

[27] La formation qu’elle a reçue était entièrement fournie en ligne. Elle a été en formation 7,5 heures par jour, pendant quatre semaines. Elle s’est sentie pressée et « inondée d’informationNote de bas de page 11 ». Elle a déclaré que la formation était tellement stressante qu’elle a perdu sept livresNote de bas de page 12.

[28] L’employeur a demandé à la prestataire de signer bon nombre de documents pendant sa formation. La personne responsable de sa formation lui envoyait un lien menant à un document, lui donnait dix minutes pour le lire, puis lui demandait de le signer électroniquement. Aucune copie des documents qu’elle a signés ne lui a été fournie, et elle n’était pas en mesure d’accéder à ces documents sur le système informatique de l’employeur.

[29] La prestataire ne se souvient pas avoir lu le Code ni l’avoir signé pendant sa formation. Elle affirme que l’employeur lui a montré une copie signée pendant une vidéoconférence qui a eu lieu en octobre 2021. Cette vidéoconférence s’est tenue dans le cadre de l’enquête amorcée après que la prestataire a enfreint les règles de confidentialité.

[30] La prestataire affirme aussi ne pas se souvenir avoir reçu quelconque formation sur les règles de confidentialité. Elle ne se souvient pas non plus que l’employeur lui ait mentionné que le Code était accessible au public et qu’elle pouvait (ou aurait dû) le consulter sur leur site Web.

[31] Je crois le témoignage de la prestataire pour les raisons suivantes : elle a été transparente lors de son témoignage. Elle a répondu honnêtement à mes questions et elle n’a pas exagéré ses réponses. Lorsqu’elle n’était pas certaine d’un point en particulier, elle le mentionnait. Elle semblait très bouleversée quand elle a témoigné au sujet de l’enquête et de la vidéoconférence qui s’est tenue en octobre 2021, au cours de laquelle elle a été congédiée.

[32] Je juge aussi la prestataire crédible, car sa version des faits est restée cohérente au fil du tempsNote de bas de page 13. Les explications qu’elle a fournies à la Commission ainsi que celles qu’elle a écrites dans sa demande de révision et dans son avis d’appel correspondent à celles données lors de son témoignage présenté sous serment.

[33] Aucun élément de preuve ne contredit la preuve sur ce que la prestataire savait ou nonNote de bas de page 14.

[34] Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas démontré qu’il était plus probable qu’improbable que la prestataire connaissait les règles de confidentialité et savait qu’elle pouvait être congédiée si elle les enfreignait.

La Commission n’a pas prouvé que la prestataire aurait dû savoir

[35] Maintenant, je dois décider si la Commission a prouvé que la prestataire aurait dû connaître les règles de confidentialité et savoir qu’elle pouvait être congédiée si elle les enfreignait.

[36] Normalement, si une personne signe un document, je conclus qu’elle connaît ou aurait dû connaître son contenu. Il s’agit d’ailleurs de la raison pour laquelle un employeur demande à son personnel de signer des documents.

[37] Cependant, cette affaire est différente.

[38] Compte tenu des circonstances, je conclus que la Commission n’aurait pas dû s’attendre à ce que la prestataire connaisse le contenu du document qu’elle a signé.

[39] J’estime que l’employeur n’a pas donné une chance raisonnable à la prestataire de prendre connaissance des règles de confidentialité et des conséquences prévues par le Code si elles sont enfreintes.

[40] Depuis le début de la pandémie de COVID-19, bon nombre d’emplois et de formations professionnelles se font à distance et en ligne.

[41] La prestataire a expliqué être dans la soixantaine et avoir trouvé difficile de recevoir la formation en ligne. On lui donnait de cinq à dix minutes pour lire un document, puis le signer. On a lui a donné beaucoup de documents à signer. Son employeur ne lui a pas remis une copie du Code, ne lui a pas indiqué où elle pouvait y accéder et ne lui a pas offert de formation sur les règles de confidentialité.

[42] Le Code est long (25 pages), et environ une seule page porte sur les règles de confidentialité. De plus, la prestataire a affirmé que l’employeur n’a pas abordé les règles de confidentialité lors de sa formation.

[43] J’accepte le témoignage de la prestataire pour les raisons mentionnées ci-dessus.

[44] Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas démontré qu’il était plus probable qu’improbable que la prestataire aurait dû connaître les règles de confidentialité et aurait dû savoir qu’elle pouvait être congédiée si elle les enfreignait.

La prestataire n’a pas agi volontairement ou de manière insouciante

[45] Après avoir examiné et soupesé tous les éléments de preuve au dossier de l’appel ainsi que le témoignage de la prestataire, je conclus que la Commission n’a pas prouvé que la prestataire avait enfreint les règles de confidentialité de manière volontaire ou insouciante lorsqu’elle a accédé à son propre dossier et à ceux des membres de sa famille.

[46] Donc, je suis d’avis que la prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[47] La Commission n’a pas prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[48] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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