Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Pendant la pandémie, une mesure temporaire prévoyait pour les prestataires un crédit unique de 300 heures d’emploi assurable pour entamer une période de prestations régulières d’assurance-emploi (AE) ou 480 heures pour des prestations spéciales. Cette disposition a été en vigueur du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021. La prestataire a demandé des prestations de maternité et des prestations parentales à partir du 27 septembre 2020. Après cette période de prestations, la prestataire a fait une demande de prestations de maladie le 21 septembre 2021, suivies par des prestations de maternité et des prestations parentales, parce qu’elle attendait un deuxième enfant.

La prestataire a demandé à la Commission d’appliquer le crédit de 480 heures à sa période de référence pour pouvoir commencer les nouvelles prestations. La Commission a répondu que, selon la loi, le crédit devait être appliqué à la première demande présentée le 27 septembre ou après, même s’il n’était pas nécessaire. Elle avait donc appliqué le crédit à la première demande. La Commission a fait remarquer que, comme le crédit s’appliquait seulement une fois, la prestataire ne pouvait pas en bénéficier pour commencer une nouvelle période de prestations. Ainsi, la prestataire n’avait pas assez d’heures d’emploi assurable pour commencer une nouvelle période de prestations le 19 septembre 2021.

La prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale (DG). L’appel a été accueilli. La Commission a ensuite fait appel de la décision de la DG devant la division d’appel (DA). La Commission soutenait que la DG avait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). Selon cette interprétation, la Commission avait le choix d’appliquer le crédit d’heures à la première demande initiale présentée le 27 septembre ou après, seulement s’il était nécessaire.

Comme question préliminaire, la prestataire a fourni des hyperliens vers deux documents qui n’avaient pas été présentés devant la DG. La AD a accepté ces nouveaux éléments de preuve à titre d’information générale, parce qu’ils ne concernaient pas directement la situation de la prestataire. Ils fournissaient aussi de l’information générale liée aux modifications de la Loi sur l’AE qui ont eu lieu pendant la pandémie, comme l’article 153.17. La DA a admis de connaissance d’office que les vagues de COVID-19 et les confinements associés ont eu une incidence sur divers milieux au Canada, à différents moments. Elle estimait qu’il s’agissait d’un fait général très évident qui relevait du savoir commun, et que toute personne raisonnable accepterait ce fait sans le contester.

La DA était d’avis que la DG avait mal interprété l’article 153.17(1) de la Loi sur l’AE. Après avoir examiné le texte, le contexte, ainsi que l’objet de la Loi sur l’AE et de l’article 153.17(1), la DA a déclaré que le crédit devait s’appliquer à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après. Comme le crédit avait déjà été appliqué à la demande de la prestataire du 27 septembre 2020 et comme il peut l’être une seule fois, la prestataire ne peut pas bénéficier du crédit une autre fois pour l’aider à établir une nouvelle période de prestations le 19 septembre 2021.

La DA a accueilli l’appel et conclu que la DG avait commis une erreur de droit. La DA a rendu la décision que la DG aurait dû rendre. La DA a conclu que la Commission avait bien appliqué le crédit d’heures à la demande de la prestataire du 27 septembre 2020. Par conséquent, la prestataire ne peut pas utiliser le crédit pour commencer une nouvelle période de prestations le 19 septembre 2021.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c KC, 2022 TSS 830

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Tribunal de la sécurité sociale du Canada Division d’appel

Parties appelantes : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Isabelle Thiffault
Partie intimée : K. C.
Représentante : Kristen Worbanski

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 7 mars 2022 (GE-22-320)

Membre du Tribunal : Charlotte McQuade
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience :

Représentante de l’appelante
Intimée
Représentante de l’intimée

Date de la décision : Le 7 septembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-195

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La division générale a fait une erreur lorsqu’elle a interprété l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[3] La prestataire ne peut pas obtenir un crédit de 480 heures pour permettre l’établissement d’une période de prestations à compter du 19 septembre 2021, car la Commission de l’assurance-emploi du Canada a appliqué le crédit, comme il le fallait, à la période de prestations du 27 septembre 2020.

Aperçu

[4] Grâce à une mesure temporaire liée à la pandémie, les personnes qui demandaient des prestations régulières de l’assurance-emploi pouvaient obtenir un crédit unique de 300 heures d’emploi assurable (que j’appelle ici des « heures ») pour qu’une période de prestations soit établie à leur profit. Le crédit était de 480 heures pour les prestations spécialesNote de bas de page 1. Cette disposition était en vigueur du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021.

[5] K. C. est la prestataire. Une période de prestations a été établie pour elle à compter du 27 septembre 2020 pour des prestations de maternité et des prestations parentales. Après la fin de sa période de prestations, elle a présenté une autre demande pour recevoir des prestations de maladie suivies de prestations de maternité et de prestations parentales le 21 septembre 2021, car elle attendait un deuxième enfant. La prestataire a demandé à la Commission d’appliquer le crédit de 480 heures à sa période de référence pour qu’une nouvelle période de prestations soit établie à son profit.

[6] La Commission a expliqué que la loi l’obligeait à appliquer le crédit à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020, même s’il n’était pas nécessaire. Elle avait donc appliqué le crédit à la première demande de prestations. La Commission a dit que, comme le crédit pouvait s’appliquer une seule fois, la prestataire ne pouvait pas s’en servir pour une nouvelle période de prestations. En conséquence, la prestataire n’avait pas le nombre d’heures d’emploi assurable requis pour qu’une nouvelle période de prestations commence le 19 septembre 2021.

[7] La prestataire a porté la décision de la Commission en appel à la division générale du Tribunal. Cette dernière a accueilli son appel. La Commission a fait appel de la décision de la division générale.

[8] Selon la Commission, la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi voulait dire que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire d’appliquer le crédit à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date seulement s’il était nécessaire.

[9] J’ai décidé que la division générale avait fait une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi. J’accueille l’appel et je remplace la décision de la division générale par la mienne.

[10] Le crédit d’heures s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date. Comme le crédit a été appliqué à la demande du 27 septembre 2020, la prestataire ne peut pas s’en servir pour qu’une autre période de prestations commence le 19 septembre 2021.

Questions préliminaires

Nouveaux éléments de preuve

[11] En général, la division d’appel n’accepte pas les nouveaux éléments de preuve, car son rôle n’est pas de juger l’affaire à nouveau. Son rôle est plutôt de décider si la division générale a commis certaines erreurs et, si c’est le cas, de décider comment les corriger.

[12] Je peux accepter les nouveaux éléments de preuve dont la division générale n’avait pas connaissance au moment de rendre sa décision seulement s’ils fournissent uniquement des informations générales, font ressortir les conclusions que le Tribunal a tirées sans preuve à l’appui ou révèlent les façons dont la démarche du Tribunal était injusteNote de bas de page 2.

Je ne tiendrai pas compte de la déclaration de la prestataire

[13] Dans ses observations, la prestataire a fait une déclaration qui explique comment la façon dont la Commission a interprété l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi dans son affaire mène à un résultat arbitraire et injusteNote de bas de page 3. Cette déclaration n’a pas été présentée à la division générale. Il s’agit donc d’un nouvel élément de preuve.

[14] Selon la prestataire, sa déclaration reformule des faits qui n’ont pas été contestés devant la division générale. Elle croit donc qu’il faut la prendre en considération.

[15] Selon la Commission, la déclaration ne devrait pas être prise en compte. Elle se rapporte à ce qui s’est passé dans la vie de la prestataire et ne correspond à aucune des exceptions concernant les nouveaux éléments de preuve.

[16] Je ne peux pas tenir compte de la déclaration. Elle reflète peut-être certains faits qui n’ont pas été contestés devant la division générale, mais elle ne lui a pas été présentée. Elle ne fait pas partie des exceptions qui me permettraient de l’examiner comme un nouvel élément de preuve. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de la déclaration de la prestataire.

Je vais examiner le document d’information et le rapport du comité

[17] Dans ses observations, la prestataire a fourni des hyperliens menant à deux documents. Ceux-ci n’ont pas été soumis à la division générale.

[18] L’un des documents est un rapport intitulé Modernisation du régime d’assurance-emploi déposé au Parlement par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Il donne des renseignements sur la Loi sur l’assurance-emploi et mentionne la nouvelle disposition de la Loi qui autorise le crédit d’heures d’emploi assurableNote de bas de page 4.

[19] L’autre est un document d’information publié le 23 octobre 2020 par Emploi et Développement social CanadaNote de bas de page 5. Il explique les modifications apportées à la Loi sur des mesures en réponse à la COVID-19.

[20] Comme ces documents n’ont pas été présentés à la division générale, ce sont de nouveaux éléments de preuve.

[21] La prestataire soutient que leur but n’est pas d’enrichir le dossier de preuve, mais plutôt d’aider les gens à interpréter l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle dit que ces documents aident à comprendre l’intention du Parlement.

[22] La Commission ne s’oppose pas à ce que j’examine ces deux documents. Elle reconnaît leur utilité pour comprendre l’intention du Parlement.  

[23] Les documents ne se rapportent pas à la situation de la prestataire en particulier. Ils donnent plutôt des renseignements généraux et pertinents sur les modifications apportées à la Loi sur l’assurance-emploi à la suite de la pandémie, y compris sur l’article 153.17 de la Loi. Je vais donc accepter ces nouveaux éléments de preuve à titre d’informations générales.

Connaissance d’office

[24] La prestataire veut que j’admette « d’office » le fait que les vagues de COVID-19 et les mesures de confinement qui en ont découlé ont touché différentes régions du pays à différents moments.

[25] La Commission ne s’oppose pas à ce que j’admette ce fait d’office.

[26] Lorsqu’un fait est « connu d’office », cela veut dire qu’on le traite comme s’il était notoire. Les parties n’ont pas à prouver le fait. On l’accepte, tout simplement.

[27] La règle sur l’utilisation judiciaire de la connaissance d’office s’applique aux tribunaux, à moins que les faits en question portent sur les connaissances ou l’expertise spécialisées du tribunal. Dans un tel cas, un tribunal peut avoir plus de latitude pour admettre un fait « d’office ».

[28] Le Tribunal ne possède aucune connaissance spécialisée au sujet des vagues de COVID-19 ou des mesures de confinement. La latitude dont la division d’appel dispose n’est donc pas plus grande dans la présente affaire.

[29] Pour « admettre un fait d’office » ou en « prendre connaissance d’office », il ne doit pas faire l’objet d’un débat entre personnes raisonnables ou bien il faut qu’on puisse le vérifier dans l’immédiat avec une source facilement accessible dont l’exactitude est incontestableNote de bas de page 6.

[30] Je juge que je peux « admettre d’office » le fait que les vagues de COVID-19 et les mesures de confinement qui en ont découlé ont touché différentes régions du Canada à différents moments. C’est un fait très général qui, à mon avis, est considéré comme bien connu. Il semble accepté et ne semble pas faire l’objet de débats entre des personnes raisonnables.

Questions en litige

[31] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) La division générale a-t-elle fait une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi?
  2. b) Si oui, comment doit-on corriger l’erreur?

Analyse

Décision de la division générale

[32] Selon l’interprétation de la division générale, l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi veut dire que le crédit d’heures ne s’applique pas forcément à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date. Il s’applique plutôt seulement s’il est nécessaire pour que la personne remplisse les conditions requisesNote de bas de page 7.

[33] La division générale a décidé que, comme la prestataire n’avait pas besoin du crédit pour qu’une période de prestations soit établie le 27 septembre 2020, le crédit pouvait s’appliquer à la demande du 21 septembre 2021.

[34] Pour rendre sa décision, la division générale a tenu compte du libellé (du texte) de l’article 153.17 de la Loi sur l’assurance-emploi.

[35] Le voici :

  1. 153.17 (1) Le prestataire qui présente une demande initiale de prestations à l’égard de prestations visées à la partie I le 27 septembre 2020 ou après cette date, ou à l’égard d’un arrêt de rémunération qui survient à cette date ou par la suite, est réputé avoir, au cours de sa période de référence :
  2. a) si la demande initiale de prestations est présentée à l’égard de prestations visées à l’un des articles 21 à 23.3, 480 heures additionnelles d’emploi assurable;
  3. b) dans les autres cas, 300 heures additionnelles d’emploi assurable.
  4. 153.17 (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au prestataire dont le nombre d’heures d’emploi assurable exercé au cours de sa période de référence a déjà été majoré au titre de ce paragraphe ou au titre du présent article dans sa version au 26 septembre 2020, si une période de prestations a été établie à l’égard de cette période de référence.

[36] La division générale a décidé que le texte de l’article 153.17(1) n’était pas clair parce qu’il ne mentionne pas en toutes lettres que le crédit s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[37] Elle a aussi écrit que le mot « réputé » ne veut pas dire que le crédit d’heures doit forcément être utilisé pour la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020. On pourrait aussi l’interpréter comme une présomption réfutable.

[38] En ce sens, la division générale a écrit que le mot « réputé » voulait dire qu’on supposait que la prestataire avait des heures de plus dans sa période de référence pour une autre demande que la première qu’elle a présentée à compter du 27 septembre 2020, c’est-à-dire pour une demande de prestations pour laquelle la prestataire a réellement besoin des heures supposées pour remplir les conditions requisesNote de bas de page 8.

[39] La division générale a ajouté que, comme le libellé de l’article 153.17(1) n’était pas clair, il fallait l’interpréter conformément à l’objet (le but) de la Loi sur l’assurance-emploi et, plus particulièrement, de la partie VIII.5 de la Loi, qui contient l’article 153.171.

[40] La division générale a décidé que l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi était de procurer des prestations aux personnes en chômage. Elle a décidé que l’objet de la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi était d’aider les gens à obtenir des prestationsNote de bas de page 9.

[41] La division générale a conclu que son interprétation de l’article 153.17(1) concordait avec l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et la partie VIII.5 de la Loi.

[42] Elle a aussi déduit qu’il fallait adopter son interprétation de l’article 153.17(1) puisque la Cour suprême du Canada avait affirmé qu’une loi qui procure des prestations aux gens doit être interprétée de façon libérale et tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit être résolu par [sic] la prestataireNote de bas de page 10.

[43] La division générale a rejeté la façon dont la Commission interprétait l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, car elle la jugeait incompatible avec l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et de la partie VIII.5 de la Loi. Elle a ajouté que cette interprétation donnait un résultat absurde parce que l’application du crédit alors qu’il n’est pas nécessaire n’aidait en rien les gens à remplir les conditions requises pour recevoir des prestations et, en fait, leur nuisait en les empêchant de remplir les conditions requises plus tard, quand les heures additionnelles étaient vraiment nécessaires.

La division générale a fait une erreur de droit en interprétant l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi

[44] La division générale a mal interprété l’article 153.17 (1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[45] Compte tenu du texte, du contexte et de l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi ainsi que de l’objet de l’article 153.17(1), le crédit s’applique à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020.

[46] Selon la Commission, la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que l’article 153.17(1) de la Loi voulait dire que le crédit d’heures s’appliquait à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date seulement s’il était nécessaire.

[47] La Commission affirme que le texte de l’article 153.17(1) prévoit clairement que le crédit s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date. Elle ajoute qu’il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire qui permettrait de reporter l’application du crédit.

[48] Selon la prestataire, l’interprétation de la division générale était correcte. La prestataire affirme que l’interprétation de la division générale est conforme au texte, au contexte et à l’objet de la loi.

[49] Je dois décider si l’interprétation de la division générale est correcte. Comme aucune décision obligatoire de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale n’interprète l’article 153.17(1), je dois décider de son sens.

[50] Pour interpréter l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, je dois garder à l’esprit certaines règles d’interprétation.

[51] Je dois tenir compte des termes figurant à l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la [Loi], l’objet de la [Loi] et l’intention du [Parlement]Note de bas de page 11 ».

[52] Autrement dit, pour décider ce que l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi veut dire, il ne suffit pas de regarder seulement le texte. Je dois aussi examiner ce que signifie l’article 153.17(1) dans le contexte des dispositions connexes de la Loi sur l’assurance-emploi. Je dois aussi tenir compte de l’objet (le but) de l’article 153.17(1) et de la Loi.

[53] Toutefois, si le texte d’un article de loi est « précis et non équivoque » (autrement dit, clair et simple), le sens ordinaire des mots jouera habituellement un rôle plus important dans le processus d’interprétationNote de bas de page 12.

[54] Mais le but est aussi très important. Les lois sont censées être interprétées de manière à réaliser leur objetNote de bas de page 13. Il faut aussi les interpréter d’une façon qui n’entraîne aucune conséquence absurdeNote de bas de page 14.

[55] Les lois comme la Loi sur l’assurance-emploi, qui concernent l’obtention de prestations, sont censées s’interpréter de façon libérale. Cela veut dire que si le texte est ambigu (pas clair), la difficulté d’interprétation se résout en faveur de la personne qui demande des prestationsNote de bas de page 15.

[56] Je juge que le sens de l’article 153.17(1) est clair : le crédit s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, même s’il n’est pas nécessaire. Voici pourquoi je pense cela.

Texte

[57] Je juge que le texte est clair.

[58] Comme je l’ai expliqué ci-dessus, la division générale a décidé que le texte de l’article 153.17 n’est pas clair.

[59] La Commission n’est pas d’accord. Elle dit que le texte précise clairement qu’une personne est réputée avoir accumulé des heures additionnelles si elle présente une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 27 septembre 2020 ou après cette date. Aucun mécanisme ne permet aux prestataires ou à la Commission de renoncer à l’application des heures additionnelles si les conditions requises pour recevoir des prestations sont remplies sans les heures en question.

[60] La Commission soutient que, dans d’autres affairesNote de bas de page 16, la division d’appel a toujours adopté son interprétation de l’article 153.17(1).

[61] Selon la prestataire, la division générale avait raison de décider que le texte de l’article 153.17(1) n’est pas clair.

[62] La prestataire fait remarquer que la définition de « demande initiale de prestations » ne désigne pas la « première » demande. Il s’agit plutôt d’une « demande formulée aux fins d’établir une période de prestations au profit du prestataireNote de bas de page 17 ».

[63] La prestataire fait aussi remarquer que l’utilisation du mot « une » avant « demande initiale de prestations » veut simplement dire qu’une seule demande est présentée. Il ne s’agit pas nécessairement de la première demande. La prestataire avance que si « une » voulait dire « la première », la restriction prévue à l’article 153.17(2) serait redondante. Elle soutient qu’il n’y a pas d’autre façon logique sur le plan grammatical de formuler cette expression et ajoute que le mot « une » ne pose aucune limite ou restriction.

[64] La prestataire fait aussi valoir que le mot « réputé » est ambigu, car il peut créer une présomption qui est irréfutable ou réfutable.

[65] La prestataire avance que la division générale a bien interprété l’article 153.17(1) pour établir une présomption réfutable.

[66] La prestataire explique qu’en d’autres termes, on présume que le crédit unique s’applique à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2020, à moins que les heures additionnelles ne soient pas nécessaires pour remplir les conditions requises pour recevoir des prestations. Dans un tel cas, la présomption est réfutée. Par conséquent, le crédit unique s’applique à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date quand les prestataires ont besoin des heures additionnelles pour remplir les conditions requises.

[67] Selon la prestataire, la question de savoir si une présomption est irréfutable ou réfutable dépend en grande partie du contexte, c’est-à-dire si une interprétation donnerait lieu à des résultats arbitraires, du but visé par la loi et de la nécessité de veiller à ce que ce but soit atteint.

[68] La prestataire soutient qu’à l’article 153.17(1), parmi les deux interprétations possibles du mot « réputé », seule celle de la division générale voulant que ce mot établisse une « présomption réfutable » concorde avec l’économie et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi. Toute autre interprétation serait incompatible avec le but visé par la disposition et entraînerait un résultat absurde.

[69] Pour appuyer sa position voulant que le terme « réputé » établisse une présomption réfutable, la prestataire invoque aussi la version française de l’article 153.17 (1), qui rend l’anglais « is deemed » par « est réputé » :

153.17 (1) La prestataire qui présente une demande initiale de prestations à l’égard de prestations visées à la partie I le 27 septembre 2020 ou après cette date, ou à l’égard d’un arrêt de rémunération qui survient à cette date ou par la suite, est réputé avoir, au cours de sa période de référence […].

[70] La prestataire fait remarquer que le terme « est réputé » qui figure dans la version française de l’article 29 de la Loi sur les assurances a été interprété par un membre de la Commission des services financiers de l’Ontario comme ayant un sens plus faible que le mot « deemed » en anglais et qu’il établissait une présomption réfutableNote de bas de page 18.

[71] La prestataire mentionne aussi deux autres décisions dans lesquelles le mot « réputé » a été interprété comme étant une présomption réfutable. Dans ces affaires, on mettait l’accent sur l’objet de la loi et sur la question de savoir si le fait d’interpréter la disposition en question comme produisant une présomption irréfutable entraînerait des résultats absurdes et injustes.

[72] Dans l’affaire Sharbern Holding Inc. c Vancouver Airport Centre Ltd., la Cour suprême du Canada a décidé que la présomption selon laquelle les gens sont réputés s’être fiés à ce qui est présenté dans un prospectus au titre de la Real Estate Act (loi sur les biens immobiliers) était réfutable lorsqu’on peut prouver selon la prépondérance des probabilités que la personne qui investit son argent était au courant des déclarations inexactes ou des omissions au moment de l’achat. La Cour a déclaré qu’une présomption irréfutable pourrait nuire à l’équilibre établi par la Real Estate Act en ce qui touche la communication de renseignements et, ainsi, engendrer des résultats absurdes et injustesNote de bas de page 19.

[73] Dans la décision Manitoba Chiropractors Association v Alevizos, la Cour d’appel du Manitoba s’est penchée sur l’article 4(2) du règlement d’application de la Loi sur la chiropractie. Cet article prévoit que certaines conduites, y compris l’infraction aux dispositions de la Loi ou du Règlement, « sont réputées constituer une faute professionnelle ». La Cour d’appel a décidé qu’une interprétation concluante donnerait des résultats absurdes et injustes. Elle a décidé que la disposition voulait dire que le non‑respect d’une disposition de la Loi ou du Règlement constitue une faute seulement si la présomption législative n’est pas réfutée par la preuve du contraireNote de bas de page 20.

[74] Selon la prestataire, il faut adopter la même approche pour l’interprétation du mot « réputé » à l’article 153.17(1). Elle soutient qu’il est absurde de l’interpréter comme une présomption irréfutable. Elle cite une décision de la division générale du Tribunal, dans laquelle la membre a fait remarquer que « appliquer la disposition comme le fait la Commission c’est comme offrir un parapluie quand il fait soleil et l’enlever lorsqu’il se met à pleuvoirNote de bas de page 21 ».

[75] La prestataire fait aussi valoir que je ne devrais pas suivre les décisions antérieures de la division d’appel, celles où l’article 153.17(1) a été interprété comme signifiant que le crédit s’applique à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020 même s’il n’est pas nécessaire. La prestataire soutient que ces affaires sont différentes parce que le présent appel fait intervenir des principes et des arguments d’interprétation qui n’ont pas été présentés à la division d’appel dans ces affaires antérieures. Plus précisément, elle souligne que les deux interprétations possibles du mot « réputé » n’ont pas été examinées dans ces affairesNote de bas de page 22.

[76] Je reconnais que la division d’appel a toujours interprété l’article 153.17(1) comme voulant dire que le crédit s’applique à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après cette dateNote de bas de page 23. Je ne suis pas obligée de suivre les décisions précédentes. Et je suis d’accord avec la prestataire sur un point : les arguments détaillés sur l’interprétation du mot « réputé » n’ont pas été présentés à la division d’appel dans les affaires antérieures. Par conséquent, je déciderai moi-même si la façon dont la division générale interprète l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est la bonne.

[77] Après avoir rendu ma propre décision, j’en arrive à la même interprétation de l’article 153.17(1) que celle que la division d’appel a donnée lors des examens précédents de cet article. Voici pourquoi.

[78] Je juge que le texte de l’article 153.17(1) est clair. La disposition, lue dans son ensemble, n’est pas ambiguë. Le sens ordinaire du texte de l’article 153.17(1) veut que le crédit s’applique à la première demande initiale qui est présentée à compter du 27 septembre 2020.

[79] La définition de « demande initiale de prestations » qui se trouve dans la Loi sur l’assurance-emploi ne fait pas référence à une première demande initialeNote de bas de page 24. Toutefois, l’expression « demande initiale de prestations » est précédée du mot « une ». À mon avis, cette tournure donne à penser qu’on parle de la première demande initiale.

[80] Si l’intention avait été d’inclure les demandes subséquentes, je pense qu’il y aurait eu des précisions à ce sujet. Par exemple, le mot « toute » aurait pu figurer avant « demande initiale de prestations ». Mais après la présentation d’une première demande initiale, rien dans l’article 153.17 ou ailleurs dans la Loi sur l’assurance-emploi ne limite spécifiquement l’application des heures aux seules demandes nécessitant l’ajout des heures.

[81] De plus, si le mot « une » qui précède « demande initiale de prestations » fait référence à une première demande initiale, cela ne veut pas dire que la restriction prévue à l’article 153.17(2) est redondante.

[82] En effet, même avec le crédit d’heures, ce ne sont pas toutes les personnes qui présentent une première demande initiale qui auront accumulé assez d’heures pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations. L’article 153.17(2) précise donc que c’est seulement si une période de prestations a été établie avec les heures de crédit qu’on ne peut plus appliquer le crédit une deuxième fois.

[83] De plus, je juge que l’élément suivant est important : le texte de l’article 153.17(1) mentionne un crédit dont le nombre d’heures est fixe. Le crédit est de 300 ou de 480 heures, selon le type de prestations demandé. Il n’y a aucun lien direct entre le nombre d’heures du crédit et le nombre d’heures qu’une personne a accumulées. Qu’on ait une heure ou un millier d’heures, le crédit est le même. Cela va à l’encontre de l’interprétation de la prestataire, soit que l’application du crédit est liée aux heures dont les prestataires ont besoin.

[84] Cependant, le mot essentiel dans le texte de l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est le mot « réputé ».

[85] Je suis d’accord avec la prestataire sur un point : le mot « réputé » établit une présomption. La loi peut comporter deux sortes de présomptions : une présomption réfutable et une présomption irréfutable.

[86] Une présomption réfutable vise à établir un fait sans qu’il y ait de preuve. C’est une présomption que l’on peut réfuter (démentir) en fournissant des éléments de preuve qui démontrent qu’elle est fausseNote de bas de page 25.

[87] Une « présomption irréfutable » est un type de fiction juridique qui établit une règle. On ne peut pas la réfuter par des éléments de preuve. Autrement dit, si certains faits existent, un résultat s’ensuit nécessairement.

[88] La question de savoir si l’utilisation du mot « réputé » établit une présomption réfutable ou irréfutable dépend en grande partie du contexte dans lequel le mot est employé, de l’objet visé et de la nécessité de réaliser cet objetNote de bas de page 26.

[89] La position de la prestataire est que le mot « réputé » employé à l’article 153.17(1) crée une présomption réfutable. Autrement dit, on présume que le crédit d’heures s’applique à la première demande de prestations présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, mais on peut réfuter cette présomption avec des éléments de preuve montrant que les prestataires n’ont pas besoin du crédit pour remplir les conditions requises.

[90] La position de la Commission est essentiellement que le mot « réputé » crée une présomption irréfutable. À compter du 27 septembre 2020, la présentation d’une première demande initiale de prestations entraîne l’application du crédit.

[91] Je juge que le mot « réputé » qui figure à l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi établit manifestement une présomption irréfutable. Je tire cette conclusion pour plusieurs raisons.

[92] Premièrement, le contexte entourant la présomption ne semble pas indiquer qu’elle est réfutable. Ni l’article 153.17, ni la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi, où se trouve l’article 153.17, ni la Loi sur l’assurance-emploi ne contiennent une description ou mention quelconque des circonstances dans lesquelles la disposition déterminative ne s’appliquerait pas.

[93] Deuxièmement, la façon dont on peut, selon la prestataire, réfuter la présomption ne cadre pas avec la façon dont les présomptions réfutables fonctionnent. En cas de présomption réfutable, le fait présumé doit être réfuté par des éléments de preuve. Par exemple, si une loi présume qu’une personne a reçu un document avant une certaine date, on pourrait réfuter cette présomption en fournissant la preuve que la personne a plutôt reçu le document à une autre date.

[94] Mais la présomption prévue à l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi ne fonctionne pas de cette façon. Voici pourquoi.

[95] Supposons qu’une personne présente une demande initiale avec un nombre X d’heures. L’article 153.17(1) suppose donc qu’elle a accumulé X heures plus 300 ou 480 heures, selon le type de demande.

[96] Il n’y a cependant aucun moyen de réfuter cette présomption avec des éléments de preuve. Pour réfuter la présomption, il faudrait que la personne démontre qu’elle n’a pas accumulé X plus 300 ou 480 heures. Mais cela est impossible. La personne aura toujours X plus 300 ou 480 heures.

[97] La prestataire laisse entendre qu’on peut réfuter la présomption en démontrant qu’elle n’a pas besoin des heures. Mais c’est le fait présumé (soit que la personne a accumulé X plus 300 ou 480 heures) que les éléments de preuve doivent réfuter. Prouver qu’on n’a pas besoin des heures ne réfute pas ce fait.

[98] La façon dont la présomption s’applique selon l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi concorde avec une présomption irréfutable. Autrement dit, si une personne présente une demande initiale le 27 septembre 2020 ou après cette date, le résultat est l’application du crédit de 300 ou de 480 heures.

[99] Les affaires sur lesquelles la prestataire s’appuie pour dire que le mot « réputé » établit une présomption réfutable peuvent être écartées sur la base des faits parce que, dans ces affaires, les éléments de preuve pouvaient réfuter directement le fait présumé.

[100] Par exemple, dans l’affaire Sharbern Holding Inc. c Vancouver Airport Centre Ltd.Note de bas de page 27, l’article 75(2)(a) de la Real Estate Act (loi sur les biens immobiliers) était en cause.Il prévoyait que l’acquéreur d’une partie de terrain visée par un prospectus « est réputé s’être fié aux déclarations qui y sont faites, qu’il ait reçu le prospectus ou non ».

[101] La Cour suprême du Canada a conclu que la présomption légale pouvait être réfutée lorsqu’il était possible de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui investit était au courant des déclarations inexactes ou des omissions au moment de faire son achat. En d’autres termes, le fait présumé, c’est-à-dire que la personne qui fait un achat est réputée s’être fiée aux observations, pouvait être réfuté par la preuve montrant que la personne savait que les déclarations étaient inexactes. Ainsi, il est possible de réfuter le fait présumé grâce à des éléments de preuve.

[102] De façon semblable, dans l’affaire Manitoba Chiropractors Association v AlevizosNote de bas de page 28, la disposition en cause disait que toute infraction à une disposition de la Loi sur la chiropractie et de son règlement était « réputée » constituer une faute professionnelle. La Cour d’appel du Manitoba a décidé qu’il fallait interpréter la disposition comme voulant dire que le non-respect d’une disposition de la Loi sur la chiropractie ou de son règlement constitue une faute seulement si la présomption législative n’est pas réfutée par la preuve du contraire, c’est-à-dire la preuve que, dans les circonstances particulières, l’infraction ne constitue pas une faute professionnelle. Ainsi, encore une fois, le fait présumé, soit la faute professionnelle, pourrait être écarté par la preuve du contraire.

[103] La situation est différente pour ce qui est de la présomption établie par l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi. Aucun élément de preuve ne peut réfuter le fait présumé.

[104] Il faut aussi écarter l’affaire Webber v State Farm Mutual Automobile Insurance CompanyNote de bas de page 29 parce que les versions française et anglaise de la disposition interprétée étaient différentes. Le membre comparait la version française du texte, qui disait « est réputé[e] », à la version anglaise, qui disait « shall be deemed to be ». En revanche, dans la version française, l’article 153.17(1) emploie « est réputé », qui se traduit directement par « is deemed » dans la version anglaise. Je ne peux donc pas conclure que le Parlement avait l’intention d’évoquer une présomption réfutable, étant donné les mots figurant dans la version française de l’article 153.17(1).

[105] Compte tenu de l’ensemble du libellé de la disposition, je juge que le texte est clair : la Commission doit appliquer le crédit d’heures à la première demande présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[106] Comme le texte est clair, il joue un rôle important dans l’interprétation. Toutefois, je dois également me demander si cette interprétation du texte est compatible avec le contexte et l’objet de la loi.

Contexte

[107] La Commission fait valoir qu’il faut interpréter l’article 153.17(1) en tenant compte de l’article 153.17(2). Elle affirme que lorsqu’on les lit ensemble, il est clair que le crédit s’applique uniquement à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[108] La division d’appel du Tribunal a déjà conclu qu’à lui seul, l’article 153.17(1) pourrait laisser entendre que les prestataires sont réputés avoir les heures additionnelles pour toutes les demandes initiales présentées à compter du 27 septembre 2020. Toutefois, l’article 153.17(2) précise ensuite que le crédit s’appliquera uniquement à la première demande initialeNote de bas de page 30.

[109] Selon la prestataire, l’article 153.17(2) veut simplement dire qu’on ne peut pas obtenir le crédit deux fois. Il ne veut pas dire que le crédit prévu à l’article 153.17(1) s’applique à la première demande initiale.

[110] Je conviens que l’article 153.17(2) ne restreint pas nécessairement le crédit à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020. Le fait que le crédit ne puisse pas s’appliquer deux fois concorde avec l’interprétation de la Commission et celle de la division générale. Les deux concluent que le crédit s’applique une seule fois pour établir une période de prestations. En conséquence, le contexte de l’article 153.17(2) n’aide pas à voir quelle interprétation est la bonne.

[111] Toutefois, lorsqu’on examine l’article 153.17(1) en tenant compte d’un article connexe de la Loi sur l’assurance-emploi, l’article 153.171, et du contexte de l’établissement des périodes de prestations dans le cadre du régime d’assurance-emploi, il est clair que le crédit s’applique à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020.

Article 153.171

[112] L’article 153.171 prévoit ceci :

153.171 Le prestataire qui remplit les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de l’article 7 et qui a obtenu les 300 heures additionnelles d’emploi assurable prévues à l’alinéa 153.17(1)b) peut présenter une demande de prestations en vertu des articles 21 à 23.3 même s’il n’est pas un prestataire de la première catégorie au sens du paragraphe 6(1).

[113] Le terme « prestataire de la première catégorie » désigne les prestataires qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations et qui ont exercé un emploi assurable pendant au moins 600 heures au cours de leur période de référenceNote de bas de page 31.

[114] Avant le 25 septembre 2021, il fallait être « prestataire de la première catégorie » pour remplir les conditions requises pour recevoir des prestations de maternité et des prestations parentales (prestations spéciales) de l’assurance-emploi. Il fallait donc avoir 600 heuresNote de bas de page 32.

[115] L’article 153.171 était l’une des dispositions temporaires qui ont été ajoutées à la Loi sur l’assurance-emploi le 27 septembre 2020. Il semble prévoir une exception à l’exigence de 600 heures pour les prestataires qui ont reçu le crédit de 300 heures pour une demande de prestations régulières.

[116] Du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021, le taux de chômage minimumNote de bas de page 33 était de 13,1 %. Par conséquent, les gens qui ont demandé des prestations régulières pendant cette période avaient besoin de seulement 420 heures pour remplir les conditions requisesNote de bas de page 34.

[117] En pratique, l’article 153.171 a pour effet de permettre à une personne qui a déjà reçu le crédit de 300 heures pour faire établir une demande de prestations régulières de remplir les conditions requises pour recevoir des prestations spéciales même si elle a accumulé seulement 420 heuresNote de bas de page 35.

[118] Ainsi, l’article 153.171 prévoit précisément ce qui se passe quand une demande de prestations spéciales (qui comprennent les prestations de maternité et les prestations parentales) est présentée après une demande de prestations régulières et que le crédit a déjà été appliqué.

[119] Lorsqu’on considère l’article 153.17(1) dans le contexte de l’article 153.171 de la Loi sur l’assurance-emploi, il est clair que le crédit prévu à l’article 153.17(1) s’applique uniquement à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020. Le crédit n’est pas censé s’appliquer aux demandes de prestations présentées par la suite.

[120] L’article 153.171 prévoit plutôt que, quand le crédit a été appliqué à une demande de prestations régulières, il faut un plus petit nombre d’heures pour remplir les conditions requises pour recevoir des prestations spéciales par la suite.

[121] Je reconnais que l’article 153.171 ne traite pas de la situation de la prestataire, c’est-à-dire les cas où la demande initiale vise les prestations spéciales, puis que la période de prestations prend fin et que, dans l’année même où la disposition de crédit est en vigueur, une autre demande initiale de prestations spéciales est présentée. Cependant, l’article témoigne tout de même d’une intention claire de la part du Parlement, c’est-à-dire d’appliquer le crédit à la première demande initiale présentée à compter du 27 septembre 2020.

[122] Je vais maintenant examiner l’article 153.17(1) dans le contexte de l’établissement des périodes de prestations dans le cadre du régime d’assurance-emploi.

Période de prestations

[123] Une période de prestations dure 52 semainesNote de bas de page 36. Elle peut toutefois prendre fin plus tôt si les prestataires ont reçu des prestations pendant le nombre maximal de semaines prévu pour leur situation ou si la Commission annule la période de prestations. Elle peut aussi prendre fin si une personne demande qu’elle se termine plus tôt, présente une nouvelle demande initiale de prestations et remplit les conditions requises pour qu’une nouvelle période de prestations soit établie pour elleNote de bas de page 37.

[124] Pour les périodes de prestations commençant durant la période allant du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021, le nombre maximal de semaines de prestations régulières s’élevait à 50 semainesNote de bas de page 38.

[125] Le nombre maximum de semaines permises pour les prestations régulières et les prestations spéciales s’élevait à un total de 50 semainesNote de bas de page 39.

[126] Pour les prestations de maternité, le nombre maximum est de 15 semaines et, pour les prestations parentales standards, il est de 35 semainesNote de bas de page 40. Somme toute, une personne qui demande ces deux types de prestations aura une période de prestations qui durera 50 semaines.

[127] Une fois qu’elle a commencé, la période de prestation se poursuit. La loi précise qu’une nouvelle période de prestations ne peut pas commencer si une période antérieure n’a pas pris finNote de bas de page 41.

[128] Si une personne touche des prestations pendant un nombre de semaines plus petit que le maximum auquel elle a droit, qu’elle retourne au travail, puis qu’elle demande de nouveau des prestations par la suite, la période de prestations en cours est renouvelée et se poursuit jusqu’à la fin. Autrement dit, jusqu’à ce que les prestations soient versées pendant le nombre maximal de semaines ou que les 52 semaines se soient écoulées.

[129] Compte tenu de ce contexte, après la présentation d’une première demande initiale, si le crédit est appliqué, qu’il soit nécessaire ou non, et qu’une période de prestations est établie, on ne s’attend pas à ce qu’un autre crédit soit nécessaire pendant la période d’un an où la disposition de crédit était en vigueur. On s’attend plutôt à ce que la période de prestations se poursuive jusqu’à la fin.

[130] Un tel contexte correspond à l’interprétation de la Commission, c’est-à-dire que le crédit s’applique à la première demande initiale de prestations présentée à compter du 27 septembre 2020.  

[131] On peut mettre fin à une période de prestations pour en commencer une nouvelle seulement si l’on a accumulé assez d’heures depuis le début de sa dernière période de prestations pour remplir les conditions requises. Mais il s’agit d’une exception à la règle générale voulant qu’une fois établie, la période de prestations se poursuivra jusqu’à la fin.

[132] La situation de la prestataire est aussi une exception. Elle voulait qu’une nouvelle période de prestations soit établie après la fin de sa période de prestations précédente. Comme sa période initiale de prestations a commencé le 27 septembre 2020, elle aurait pris fin 50 semaines plus tard, le 11 septembre 2021.

[133] L’article 153.17 était en vigueur jusqu’au 25 septembre 2021. C’était un samedi. Comme les périodes de prestations commencent toujours le dimanche, la dernière période de prestations pour laquelle la prestataire aurait pu bénéficier du crédit était celle débutant le 19 septembre 2021.

[134] Par conséquent, la prestataire disposait d’une semaine après la fin de la première période de prestations pour se prévaloir du crédit avant qu’il cesse d’être en vigueur et pour faire établir une deuxième période de prestations pour obtenir des prestations de maladie, des prestations de maternité et des prestations parentales.

[135] L’interprétation de la division générale favorise ces situations exceptionnelles par opposition à la règle générale voulant que les périodes de prestations se poursuivent jusqu’à ce que des prestations soient versées pour le nombre maximal de semaines ou que 52 semaines se soient écoulées.

[136] L’interprétation de la Commission ne concorde peut-être pas avec les situations exceptionnelles que je viens de décrire, mais elle respecte le contexte général de l’établissement des périodes de prestations, c’est-à-dire qu’elles dureront jusqu’à ce que des prestations soient versées pour le nombre maximal de semaines ou que 52 semaines se soient écoulées.

Objet

[137] L’interprétation de l’article 153.17(1) doit concorder avec l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et celui de l’article 153.17(1).

[138] La division générale a décidé que l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi était de procurer des prestations aux personnes en chômageNote de bas de page 42.

[139] Elle a aussi décidé que l’objet des dispositions de la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi, dont l’article 153.17(1) fait partie, était d’aider les gens à obtenir des prestations. Pour tirer cette conclusion, la division générale s’est appuyée sur le titre de la partie VIII.5Note de bas de page 43 : « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations ».

[140] La Commission n’est pas d’accord avec la division générale en ce qui concerne l’objet de l’article 153.17 de la Loi sur l’assurance-emploi. Selon la Commission, il vise à augmenter le nombre d’heures accumulées durant la période de référence pour la première demande de prestations que les prestataires présentent à compter du 27 septembre 2020. Autrement dit, il vise à aider les prestataires à faire établir leur première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

[141] Selon la prestataire, la division générale a bien cerné l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi et celui de l’article 153.17.

[142] La prestataire affirme que l’objectif en question est manifeste dans le rapport intitulé Modernisation du régime d’assurance-emploi du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Le rapport donne des renseignements sur les changements apportés au régime d’assurance-emploi à la suite de la pandémie.

[143] Le rapportNote de bas de page 44 précise que le « gouvernement fédéral a également mis en œuvre diverses mesures en vue de faciliter l’accès au régime d’[assurance-emploi]. (…) Parmi les modifications figurait également un crédit unique d’heures assurables pour que les prestataires n’aient besoin que de 120 heures d’emploi assurable pour être admissibles aux prestations régulières et spéciales de l’[assurance-emploi]. »

[144] La prestataire explique que le fait de décrire un « crédit unique » à l’article 153.7 [sic] concorde avec l’idée qu’il s’applique quand les heures additionnelles sont nécessaires. Le but est de « créditer » les heures de façon à en avoir un nombre suffisant pour remplir les conditions requises.

[145] La prestataire s’appuie aussi sur la version précédente de l’article 153.17(1), celle qui était en vigueur du 10 août 2020 au 26 septembre 2020. Il prévoyait que si l’on présentait une demande de prestations spéciales et qu’on avait exercé un emploi assurable pendant moins de 600 heures, le nombre d’heures de la période de référence serait majoré de 480. La prestataire avance que cette disposition démontre aussi clairement que l’intention du Parlement était que les heures s’appliquent à une demande seulement si elles sont nécessaires pour remplir les conditions requises.

[146] La prestataire mentionne également le Document d’information : La Loi sur des mesures en réponse à la COVID-19 publié par Emploi et Développement social Canada. Le document explique les modifications de la Loi sur l’assurance-emploi qui entraient en vigueur le 27 septembre 2020. Il précise que le « crédit d’heures sera offert aux nouveaux demandeurs d’assurance-emploi pendant un an, compte tenu du fait que les conditions du marché du travail demeurent incertaines et prendront du temps à se stabiliserNote de bas de page 45 ».

[147] Selon la prestataire, cette déclaration montre que les prestations en question avaient pour but d’aider les gens qui ne rempliraient pas les conditions requises pendant un bon bout de temps.

[148] La prestataire me demande d’admettre d’office le fait que les vagues de COVID-19 et les confinements qui en ont découlé ont touché différentes régions du pays à différents moments.

[149] Elle soutient qu’il n’y a aucune raison de conclure que l’intention du gouvernement a changé depuis la version précédente de l’article 153.17 (1) de façon à créditer des heures additionnelles pour une demande de prestations, peu importe si les heures sont nécessaires ou non. La prestataire fait valoir qu’il est difficile de concevoir qu’une telle disposition ait un but rationnel, car l’article 153.17 a été introduit à une époque où la pandémie engendrait une plus grande instabilité économique, ce qui laissait sûrement envisager de nombreuses demandes de prestations.

[150] La prestataire avance aussi que l’interprétation de la Commission va à l’encontre de l’intention derrière la Loi sur l’assurance-emploi parce que l’application des heures additionnelles à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2020, peu importe si elles sont nécessaires ou non, les rend indisponibles en cas de besoin, et ce, même si la pandémie n’avait entraîné aucune difficulté financière pour les prestataires au moment de leur première demande.

[151] D’autre part, la prestataire soutient que l’interprétation de la division générale fait que le crédit unique s’applique au besoin, ce qui facilite l’accès aux prestations conformément à l’objet de cette disposition. La prestataire affirme que le Parlement a adopté ces modifications rapidement, au beau milieu de la pandémie, pour assurer l’accès aux prestations. On irait donc à l’encontre des intentions du Parlement si l’on interprétait la loi de façon à bloquer l’accès aux prestations pendant une période où le marché du travail subit encore les contrecoups de la pandémie.

[152] La prestataire se demande aussi pourquoi, si le Parlement voulait que le crédit unique s’applique obligatoirement à la première demande présentée à compter du 27 septembre 2021 [sic] même si les heures additionnelles étaient superflues, il n’a pas utilisé le mot « shall » dans la version anglaise de l’article 153.17(1). L’emploi du mot « shall » aurait fait de l’application des heures une disposition obligatoire aux termes de la Loi d’interprétation fédéraleNote de bas de page 46.

[153] Je suis d’accord avec la division générale pour dire que l’objet général de la Loi sur l’assurance-emploi est de procurer des prestations aux personnes en chômage. Mais l’article 153.17 modifiait la loi de façon temporaire. Ainsi, le contexte dans lequel il a été adopté est important pour l’analyse de son objet.

[154] Je conclus que l’objet de l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi était d’accorder un crédit d’heures pour faciliter l’établissement de la première période de prestations à compter du 27 septembre 2020. En d’autres mots, l’intention était de rendre les prestations d’assurance-emploi plus accessibles pour les personnes qui, autrement, ne rempliraient pas les conditions requises pour faire établir leur première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

[155] Cet objectif est évident lorsqu’on tient compte du fait que l’article 153.17(1) a été adopté immédiatement après la fin de la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Comme l’indiquent les deux documents que la prestataire a déposés pour expliquer le contexte de l’adoption de l’article 153.17(1), il a été mis en place à titre de disposition transitoire temporaire après la fin du programme de la PCU.

[156] À cet égard, le document Modernisation du régime d’assurance-emploi explique que des mesures initiales ont été mises en place, notamment la PCU, pour la période du 15 mars 2020 au 3 octobre 2020. Le rapport explique qu’à la suite de l’abandon progressif de la PCU, le gouvernement a introduit d’autres prestations ainsi qu’une série de mesures visant à faciliter l’accès au régime d’assurance-emploi. Parmi ces modifications, il y avait un crédit unique d’heures assurables qui permettait aux gens d’accumuler seulement 120 heures pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations régulières ou spécialesNote de bas de page 47.

[157] Le document d’information fournit des renseignements semblables. On peut y lire ceci : « Sur les 9 millions de personnes qui ont reçu la PCU en mars, nous estimons à 9 millions le nombre de personnes qui auront toujours besoin d’une allocation de soutien. » Le document précise ensuite qu’un ensemble de mesures temporaires ont été mises en place pour faciliter l’accès à l’assurance-emploi. Il indique qu’environ 2,8 millions de bénéficiaires de la PCU continueront plutôt de recevoir les prestations régulières d’assurance-emploi, y compris plus de 400 000 travailleurs et travailleuses qui n’auraient pas eu droit à l’assurance-emploi sans ces mesures. L’une des mesures mentionnées est le crédit d’heuresNote de bas de page 48.

[158] Par conséquent, ces documents laissent entendre que l’intention derrière l’article 153.17(1) était de faciliter « l’accès » initial au régime d’assurance-emploi après la fin de la PCU. Autrement dit, son but était de faciliter l’établissement de la première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

[159] L’interprétation de l’article 153.17(1) voulant que les heures additionnelles seront ajoutées à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, même si elles ne sont pas nécessaires, est conforme à cet objectif.

[160] La prestataire fait valoir que le document d’information indique clairement que le gouvernement a reconnu que les conditions du marché étaient encore incertaines et qu’il faudrait du temps pour voir une stabilisation. Je ne peux pas dire le contraire; les conditions du marché sont en effet demeurées instables durant l’année où la disposition de crédit était en vigueur. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’admets aussi d’office le fait que les confinements ont eu lieu à différents moments dans différentes régions du Canada.

[161] Malgré tout, la reconnaissance de l’instabilité continue et des confinements qui se produisent à différents moments dans différentes régions ne veut pas dire que l’objet de l’article 153.17(1) était de faciliter l’établissement d’une période de prestations subséquente quand une personne n’avait pas accumulé assez d’heures. La reconnaissance de l’instabilité continue est tout aussi compatible avec l’objectif de faciliter l’établissement de la première période de prestations à compter du 27 septembre 2020, à tout moment pendant la période d’un an où la disposition du crédit était en vigueur.

[162] Avec tout le respect que je lui dois, la position de la prestataire au sujet de l’objet de la loi ne tient pas compte du fait que l’article a été adopté dans le contexte où le programme de la PCU prenait fin et où un grand nombre de personnes devaient faire la transition vers le régime d’assurance-emploi.

[163] Je ne vois rien dans le document d’information ou dans le rapport Modernisation du régime d’assurance-emploi qui laisse entendre que l’article de loi visait à aider les gens à mettre fin à leur période de prestations plus tôt pour en faire établir une autre par la suite ou encore qu’il visait à faciliter l’établissement d’une deuxième période de prestations après la fin de première.

[164] En fait, le document d’information indique que le « crédit d’heures sera offert aux nouveaux demandeurs d’assurance-emploi pendant un an, compte tenu du fait que les conditions du marché du travail demeurent incertaines et prendront du temps à se stabiliserNote de bas de page 49 ». L’usage du mot « nouveaux » donne à penser que le crédit devait s’appliquer aux premières demandes initiales.

[165] La prestataire avance que le fait de décrire l’article 153.17 comme une disposition procurant un « crédit unique » concorde avec l’idée qu’il s’applique quand les heures additionnelles sont nécessaires. Elle soutient que l’objectif est de « créditer » les heures afin d’avoir le nombre requis pour qu’une demande soit admissible.

[166] Cependant, le terme « crédit » est aussi compatible avec l’objet d’aider les prestataires qui n’ont pas accumulé assez d’heures pour faire établir une première période de prestations à compter du 27 septembre 2020. Les personnes dont le nombre d’heures ne suffit pas à établir une première période de prestations le 27 septembre 2020 ou après cette date verront leur nombre d’heures augmenter.

[167] Je ne pense pas que l’usage des mots « crédit » ou « ajout » dans les documents d’information générale écarte la possibilité que des heures soient créditées même si elles ne sont pas nécessaires. Le texte de l’article 153.17(2) est encore plus convaincant, car il mentionne que la disposition du crédit prévue à l’article 153.17(1) ne s’applique pas aux gens dont le nombre d’heures d’emploi assurable exercé au cours de leur période de référence a déjà été majoré (augmenté). Les mots « créditer » ou « renflouer » ne figurent pas dans le texte de l’article. La « majoration » des heures indique clairement que le crédit d’heures ne dépend pas du nombre d’heures déjà accumulé.

[168] La prestataire souligne également que le Parlement aurait pu utiliser le mot « shall » dans la version anglaise de l’article 153.17(1). Selon elle, cela aurait clairement laissé entrevoir l’intention d’utiliser obligatoirement les heures pour l’établissement de la première période de prestationsNote de bas de page 50.

[169] Même si cela est vrai, le Parlement aurait aussi pu préciser que les heures ne s’appliquaient qu’en cas de besoin. En fait, c’est ce qui était indiqué clairement dans la version précédente de l’article 153.17(1).

[170] La prestataire affirme que nous ne pouvons pas faire des suppositions sur la raison de la modification apportée au texte. Elle avance que le mot « réputé » donne à la Commission le pouvoir d’ajouter des heures au besoin, comme ce qui était prévu dans la version précédente du texte.

[171] Selon la Loi d’interprétation, la modification du texte n’entraîne pas nécessairement la modification de la loi. Cette règle est toutefois sujette à la formulation d’une indication contraireNote de bas de page 51.

[172] À mon avis, les modifications très importantes apportées au texte de la disposition relative au crédit par rapport à la version précédente, qui prévoyait que le crédit s’appliquait seulement si les prestataires avaient accumulé moins d’heures que le nombre requis, et l’ajout par la même occasion de l’article 153.171, constituent une indication contraire. Ainsi, le crédit devait s’appliquer pour établir la première période de prestations à compter du 27 septembre 2020, même s’il n’était pas nécessaire.

[173] La division générale a invoqué le titre de la partie VIII.5 de la Loi sur l’assurance-emploi, c’est-à-dire « Mesures temporaires pour faciliter l’accès aux prestations », pour conclure que l’objet de l’article 153.17(1) était d’aider les gens à obtenir des prestations.

[174] Il est vrai que le titre de la partie VIII.5 a un sens très large, mais il parle bel et bien de faciliter « l’accès » aux prestations. Il ne parle pas d’aider les gens à remplir « conditions requises » pour recevoir des prestations.

[175] Compte tenu des documents d’information générale que la prestataire a déposés, qui expliquent que les mesures temporaires ont été mises en place à titre transitoire après la fin du programme de la PCU, je crois qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que le mot « accès » dans le titre évoque la possibilité d’établir plus facilement une première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

[176] Je juge que l’interprétation de la Commission concorde avec l’objet de l’article 153.17, qui est d’accorder un crédit d’heures pour aider les prestataires à faire établir leur première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

[177] Je constate, avec respect, que la division générale a mal interprété l’objet de l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

L’interprétation de la Commission n’entraîne pas un résultat absurde

[178] La division générale a conclu que la façon dont la Commission interprétait l’article 153.17(1) donnait un résultat absurde parce que l’application du crédit alors qu’il n’était pas nécessaire n’aidait en rien les gens à remplir les conditions requises et, en fait, leur nuisait en les empêchant de remplir les conditions requises plus tard, quand les heures étaient vraiment nécessaires.

[179] La prestataire fait valoir qu’on peut considérer une interprétation comme étant absurde si elle mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatifNote de bas de page 52.

[180] La prestataire est du même avis que la division générale : appliquer le crédit à la première demande de prestations alors que les heures ne sont pas nécessaires, ce qui fait qu’elles ne peuvent pas être utilisées plus tard quand elles sont nécessaires, est un résultat absurde. Elle dit qu’une telle interprétation s’éloigne de l’objet même de la disposition.

[181] Je ne conteste pas le fait que la prestataire se trouve dans une situation extrêmement difficile. Mais je ne peux pas conclure que la façon dont la Commission interprète l’article 153.17(1) donne un résultat absurde.

[182] Aucune des personnes qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations et qui ont accumulé plus d’heures que le nombre requis ne peut utiliser les heures additionnelles pour faire établir une autre période de prestations par la suite. Les heures additionnelles sont perdues. Par conséquent, le fait que la prestataire a obtenu des heures additionnelles à la suite de l’application du crédit pour l’établissement de sa première période de prestations, ce qui voulait dire qu’elle ne pouvait pas bénéficier du crédit plus tard, n’est pas absurde lorsqu’on l’examine dans ce contexte.

[183] Même si la prestataire ne peut pas obtenir le crédit pour faire établir une période de prestations subséquente, il s’agirait d’un résultat absurde seulement si l’objet de l’article 153.17(1) était d’aider les prestataires à faire établir une période de prestations, y compris les périodes de prestations subséquentes, à tout moment durant la période d’un an où l’article 153.17(1) était en vigueur. Mais, comme je l’explique plus haut, là n’est pas le but de cet article. Il s’agit plutôt d’offrir un crédit pour permettre aux prestataires de faire établir une première période de prestations à compter du 27 septembre 2020.

L’interprétation de la division générale était erronée

[184] Je juge que le texte, le contexte et l’objet de la loi me mènent à la conclusion que la division générale a fait une erreur de droit lorsqu’elle a interprété l’article 153.17(1).

[185] Selon cet article, il faut que le crédit d’heures s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, même s’il n’est pas nécessaire. Une telle interprétation est compatible avec le texte, le contexte et l’objet de l’article 153.17(1).

[186] Je sais qu’un tel résultat va décevoir la prestataire. Je reconnais également que l’issue du présent appel a des conséquences importantes pour elle. Cependant, il m’est impossible de conclure que l’article 153.17(1) de la Loi sur l’assurance-emploi puisse s’interpréter comme elle le suggère.

Réparation

[187] Lorsque la division générale fait une erreur révisable, la division d’appel peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 53. C’est généralement ce que fait la division d’appel quand la division générale a commis une erreur de droit et que les faits ne sont pas contestés, comme dans cette affaire-ci.

[188] À l’audience, les deux parties ont convenu que, si je décidais que la division générale avait commis une erreur de droit, la réparation appropriée consistait à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[189] Comme il y a une erreur de droit et que les faits au dossier ne sont pas contestés, il n’y a aucune raison de renvoyer l’affaire à la division générale. Je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[190] Je conclus que l’article 153.17(1) prévoit que le crédit d’heures s’applique à la première demande initiale présentée le 27 septembre 2020 ou après cette date, peu importe si le crédit est nécessaire ou non.

[191] Comme le crédit a déjà été utilisé pour la demande de prestations que la prestataire a présentée le 27 septembre 2020 et qu’il s’applique une seule fois, le crédit ne peut pas s’appliquer une autre fois pour faciliter l’établissement d’une nouvelle période de prestations le 19 septembre 2021.

Conclusion

[192] L’appel est accueilli. La division générale a fait une erreur de droit. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

[193] La Commission a appliqué le crédit d’heures à la demande que la prestataire a présentée le 27 septembre 2020, comme il le fallait, de sorte que la prestataire ne peut pas utiliser le crédit pour faire établir une nouvelle période de prestations à compter du 19 septembre 2021.

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